mardi 28 février 2012

Le Rossignol et la Rose Oscar Wilde ( 3 suite et fin )

                   Le Rossignol et la Rose

                   Quand il eut fini son chant, l'Etudiant se leva et tira un carnet et un crayon de sa poche.
" Il a de la technique ", se dit-il en traversant le bosquet, " on ne peut le lui dénier ; mais a-t-il du sentiment ? Je crains bien que non. En réalité, il est comme la plupart des artistes ; il est tout style et sans sincérité. Il ne sacrifierait pas pour les autres. Il ne pense qu'à la musique, et chacun sait que les arts sont égoïstes. Et pourtant il faut admettre qu'il a quelques belles notes dans la voix. Quel dommage qu'elles ne signifient rien ou ne servent pas à quelque chose ! " Et il rentra dans sa chambre, s'étendit sur son grabat, et se mit à songer à son amour ; et, après un certain temps, il s'endormit.
                   Et quand la lune brilla dans le ciel, le Rossignol vola vers le Rosier et mit sa gorge contre l'épine. Toute la nuit, il chanta, avec sa gorge contre l'épine, et la froide lune de cristal se pencha pour écouter. Toute la nuit il chanta, et l'épine entra de plus en plus profondément dans sa gorge, et le sang de sa vie s'en alla de son corps.  
                   Il chanta d'abord la naissance de l'amour dans le coeur d'un jeune homme et d'une jeune fille. Et sur la plus haute branche du Rosier fleurit une rose merveilleuse, pétale après pétale, comme chant après chant. D'abord elle fut pâle comme les vapeurs suspendues au-dessus de la rivière, pâle comme les pieds du matin, et argentées comme les ailes de l'aube. Comme l'ombre d'une rose dans un miroir d'argent, comme l'ombre d'une rose dans un étang, ainsi était la rose qui fleurit sur la plus haute branche du Rosier.
                   Mais le Rosier cria au Rossignol de se presser plus fort contre l'épine. " Presse-toi plus fort, petit Rossignol ", cria le Rosier, " sinon le Jour viendra avant que la rose soit finie.
                    Et le Rossignol se pressa plus fort contre l'épine, et son chant s'éleva de plus en plus, car il chantait la naissance de la Passion dans l'âme d'un homme et d'une femme.
                    Et une délicate rougeur apparut sur les pétales de la rose, comme la rougeur sur le visage de l'époux quand il baise les lèvres de l'épousée. Mais l'épine n'avait pas encore atteint son coeur, de sorte que le coeur de la rose demeurait blanc, car seul le sang du coeur d'un Rossignol peut empourprer le coeur d'une rose.
                    Et le Rosier cria au Rossignol de se presser plus fort contre l'épine, et l'épine toucha son coeur, et une douleur cruelle le transperça. Plus cruelle était la douleur et plus farouche devint son chant, car il chanta l'Amour qui est parachevé par la Mort, l'Amour qui ne meurt point dans le tombeau.
                   Et la rose merveilleuse devint pourpre, comme la rose du ciel d'Orient. Pourpre était le cercle des pétales, et pourpre comme un rubis était le coeur.
                   Mais la voix du Rossignol s'affaiblit de plus en plus, et ses petites ailes se mirent à battre, et un voile descendit sur ses yeux. Son chant s'affaiblit de plus en plus et il se sentit étouffer.
                   Puis son chant jaillit pour la dernière fois. La Lune l'entendit, elle en oublia l'aube et s'attarda dans le ciel. La rose rouge l'entendit, et elle trembla toute d'extase, et ouvrit ses pétales à l'air frais du matin. L'écho le porta jusqu'à sa caverne violette, sur la colline, et éveilla de leurs rêves les bergers endormis. Il flotta à travers les roseaux de la rivière, qui portèrent son message jusqu'à la mer.
                   " Regarde, regarde ! " s'écria le Rosier, " la rose est finie, maintenant " ; mais le Rossignol ne répondit pas, car il était mort et couché dans l'herbe haute, avec l'épine dans son coeur.
                   Et à midi, l'Etudiant ouvrit sa fenêtre et regarda dehors.
                   " Quoi, quelle chance merveilleuse ! " s'écria-t-il ; " voici une rose rouge ! Je n'ai jamais vu de ma vie une rose pareille. Elle est si belle qu'elle doit avoir, j'en suis sûr, un nom latin très long " ; et il se pencha et la cueillit.
                  Puis il mit son chapeau et courut à la maison du Professeur, avec la rose dans sa main.
                  La fille du Professeur était assise sur le seuil, enroulant de la soie bleue sur un dévidoir, et son petit chien était couché à ses pieds.
                  " Vous avez promis de danser avec moi si je vous apportais une rose rouge ", s'écria l'Etudiant.  "  Voici  la rose la plus rouge du monde. Vous la porterez ce soir près de votre coeur, et, tandis que nous danserons ensemble, elle vous dira combien je vous aime."
                  Mais la jeune fille fronça le sourcil.
                  " Je crains qu'elle n'aille pas avec ma robe ", répondit-elle ; " et, de plus, le neveu du Chambellan m'a envoyé quelques vrais joyaux, et tout le monde sait que les joyaux coûtent beaucoup plus que les fleurs. "
                 " Eh bien! sur ma parole, vous êtes une ingrate ", dit l'Etudiant avec colère ; et il jeta la rose dans la rue, où elle tomba dans le ruisseau et fut écrasée par une voiture.
                 " Ingrate ! " dit la jeune fille. " Je vous dis, moi, que vous êtes bien impoli ; et, après tout, qu'êtes-vous donc ? Vous n'êtes qu'un étudiant. Vraiment, je ne crois même pas que vous ayez à vos souliers des boucles d'argent, comme en a le neveu du Chambellan. " Et elle se leva de sa chaise et rentra dans la maison.
                " Quelle chose absurde que l'Amour ", dit l'Etudiant en s'en allant. " Il n'est pas à demi aussi utile que la Logique, car il ne prouve rien, et il raconte toujours des choses qui n'arrivent jamais, et il vous force à croire des choses qui ne sont pas vraies. En fait, ce n'est rien de pratique, et comme à cette époque être pratique est l'essentiel, je retournerai à la Philosophie et j'étudierai la Métaphysique. "
                 Et il revint dans sa chambre, tira un gros livre poussiéreux et se mit à lire.


                                                                   
                                                                         Fin


                                                                                                               Oscar Wilde




dimanche 26 février 2012

Le Rossignol et la Rose Oscar Wilde ( suite 2 )


                                 
 Le Rossignol et la Rose 
               suite 2


...

                " Mes roses sont blanches ", répondit-il, " aussi blanches que l'écume de la mer et plus blanches que la neige des montagnes. Mais va voir mon frère qui croît autour du vieux cadran solaire, peut-être te donnera-t-il ce que tu désires. "
                Et le Rossignol vola vers le Rosier qui croissait autour du vieux cadran solaire. 
                " Donne-moi une rose rouge ", s'écria-t-il, " et je te chanterai ma plus jolie chanson. " 
                Mais le Rosier secoua la tête.
                " Mes roses sont jaunes ", répondit-il, " aussi jaunes que les cheveux de la sirène  assise sur un tronc d'ambre, et plus jaunes que le narcisse qui fleurit dans le pré avant que le faucheur ne vienne avec sa faux. Mais va voir mon frère qui croît sous la fenêtre de l'Etudiant, peut-être te donnera-t-il ce que tu désires.                Et le Rossignol vola vers le Rosier qui croissait sous la fenêtre de l'Etudiant.
               " Donne-moi une rose rouge ", s'écria-t-il, " et je te chanterai ma plus jolie chanson. "
               Mais le Rosier secoua la tête.
               " Mes roses sont rouges ", répondit-il, " aussi rouges que les pattes de la colombe, et plus rouges que les grands éventails de corail qui s'agitent sans cesse dans la caverne de l'océan. Mais l'hiver a glacé mes veines et le froid a détruit mes bourgeons, et l'orage a brisé mes branches, et je n'aurai pas de roses cette année. "
               " C'est une rose rouge que je désire ", s'écria le Rossignol, " rien qu'une rose rouge ! N'y a-t-il aucun moyen de l'obtenir ? "
               " Il y a bien un moyen", répondit le Rosier, " mais il est si terrible que je n'ose te le dire. "
               " Dis-le moi ", pria le Rossignol, " je n'ai pas peur. "
               " Si tu veux une rose rouge ", dit le Rosier, " il faut que tu la crées avec de la musique, au clair de lune, et que tu la teintes du propre sang de ton coeur. Il faut que tu chantes pour moi avec ta gorge contre une épine. Toute la nuit, il faut que tu chantes pour moi et que l'épine perce ton coeur, et le sang de ta vie doit couler dans mes veines et devenir mien. "
               " La Mort est un grand prix à payer pour une rose rouge ", s'écria le Rossignol, " et la Vie est très chère à tous. Il est agréable de s'asseoir dans le bois vert et de contempler le Soleil dans son char d'or, et la Lune dans son char de perles. Doux est le parfum de l'aubépine, et jolies sont les campanules qui se cachent dans la vallée, et la bruyère qui fleurit sur la colline. Mais l'Amour vaut mieux que la Vie, et qu'est-ce que le coeur d'un oiseau comparé au coeur d'un  homme ? 
                Et il étendit ses ailes brunes et prit son vol. Il parcourut le jardin comme une ombre, et comme une ombre il vogua vers le bosquet.

               Le jeune Étudiant était encore couché sur l'herbe, là où il l'avait laissé, et il y avait encore des larmes dans ses beaux yeux.
               " Sois heureux ", s'écria le Rossignol, " sois heureux ; tu auras ta rose rouge. Je la créerai avec de la musique au clair de lune, et la teinterai du propre sang de mon sang de mon coeur. Tout ce que je te demande en retour, c'est que tu sois un amant véritable ; l'Amour est plus sage que la Philosophie, bien qu'elle soit sage, et plus puissant que le Pouvoir, bien qu'il soit puissant. Ses ailes sont couleur de flamme, et couleur de flamme est son corps. Ses lèvres sont douces comme miel et son haleine est comme l'encens."               L'Etudiant leva les yeux et écouta mais il ne pouvait comprendre ce que lui disait le Rossignol, car il ne savait que les choses qui sont écrites dans les livres.
              Mais le Chêne Vert comprit, et il s'attrista, car il aimait chèrement le petit Rossignol qui avait fait son nid dans ses branches.
             " Chante-moi une dernière chanson ", murmura-t-il, " et je serai bien seul quand tu seras parti. "
             Et le Rossignol chanta pour le Chêne Vert, et sa voix était comme de l'eau qui coule en murmurant d'un vase d'argent.
                                     ...                          
                                                                                              ( à suivre )

                 
                                                                            


samedi 25 février 2012

Le rossignol et la Rose Oscar Wilde

Le Rossignol et la Rose


                       " Elle a promis de danser avec moi si je lui apportais des roses rouges ", s'écria le jeune Étudiant ; " mais il n'y a pas une rose rouge dans tout le jardin. "
                      De son nid dans le Chêne Vert, le Rossignol l'entendit ; il regarda à travers le feuillage et s'étonna.
                      " Pas une rose rouge dans tout le jardin ! " s'écria l'Etudiant, et ses beaux yeux s'emplirent de larmes. " Ah ! de quelles petites choses dépend le bonheur ! J'ai lu tout ce qu'ont écrit les sages, et tous les secrets de la philosophie sont miens, et cependant, faute d'une rose rouge, ma vie devient infortunée. "E
                     " Voilà au moins un véritable amant ", dit le Rossignol. " nuit après nuit, je l'ai chanté sans le connaître ; nuit après nuit, j'ai dit son histoire aux étoiles, et voici que je l'aperçois. Ses cheveux sont aussi sombres que la fleur de jacinthe et ses lèvres aussi rouges que la rose de son désir ; mais la passion lui a fait
un visage de pâle ivoire et la douleur lui a mis son sceau sur le front. "
                    " Le Prince donne un bal demain soir ", murmura le jeune Étudiant, " et ma bien-aimée sera de la fête. Si je lui apporte une rose rouge, elle dansera avec moi jusqu'à l'aube. Si je lui apporte une rose rouge, je la tiendrai dans mes bras, et elle penchera sa tête sur mon épaule, et ma main pressera la sienne.. Mais il n'y a pas de rose rouge dans mon jardin, et je resterai assis et délaissé, et elle m'ignorera. Elle n'aura de moi nul souci, et mon coeur se brisera. "
                 " Voilà, en vérité, un véritable amant ", dit le Rossignol. " Ce qui fait mon chant fait sa souffrance ; ce qui est joie pour moi est peine pour lui. Vraiment, l'Amour est une chose merveilleuse. Il est plus précieux que l'émeraude et plus rare que la fine opale. Les perles et les grenades ne le peuvent acheter, on ne le trouve pas non plus au marché. On ne peut l'acquérir chez les marchands, ni le peser dans la balance contre de l'or. "
                 " Les musiciens seront assis dans la galerie ", dit le jeune Étudiant, " ils joueront de leurs instruments à cordes, et ma bien-aimée dansera au son de la harpe et du violon. Elle dansera si légèrement que ses pieds ne toucheront pas le sol, et les courtisans dans leurs gais atours s'assembleront autour d'elle. Mais elle ne dansera pas avec moi, car je n'ai pas de rose rouge à lui donner. " et il se laissa tomber sur l'herbe, enfouit dans ses mains son visage et pleura.
                 " Pourquoi pleure-t-il ? " demanda un petit Lézard Gris en filant près de lui, la queue dressée.
                 ' Pourquoi, en vérité ? " murmura une Pâquerette à sa voisine, d'une voix basse et douce.
                 " Il pleure pour une rose rouge ", dit le Rossignol.
                 ' Pour une rose rouge ? " s'écrièrent-ils ; " comme c'est ridicule ! " et le petit Lézard, qui était quelque peu cynique, se mit à rire à gorge déployée.
                 Mais le Rossignol comprenait le secret du chagrin de l'Etudiant ; il restait silencieux dans le Chêne  et songeait au mystère de l'Amour.
                 Il étendit soudain ses ailes brunes et prit son vol. Il traversa le bosquet comme une ombre, et comme une ombre il vogua par le jardin.
                 Au centre de la pelouse, il y avait un beau rosier et, quand il le vit, il vola vers lui et se posa sur une branche.
                 " Donne-moi une rose rouge ",  s'écria-t-il, " et je te chanterai ma plus jolie chanson. "
                 Mais le Rosier secoua la tête.

                                                                                                           ( à suivre )

Lettres à Madeleine 12 Apollinaire

                      Lettres à Madeleine

                                                                                                          12 août 1915

                     Ma petite fiancée,

                     Je n'ai pas eu de lettre de vous aujourd'hui. Je suis désolé. Qu'y a-t-il que peut-il y avoir. Songez que je ne vis pas quand je n'ai pas de vos nouvelles. Je vous adore uniquement. Je suis très triste de n'avoir rien de vous aujourd'hui.
                                                        
                  C'est une nuit d'orage
                  Le tonnerre fait rage
                  La mitraillette aussi
                  Mais je suis bien ici
                  Je pense à vous ma fée
                  De raisins noirs coiffée.

                     Aurai-je moins de lettres et de moins longues de Nice que de votre ancienne résidence ?
                     J'attends impatiemment de vos nouvelles et de très tendres.
                     Ici, les mouches recommencent les orages aidant à tenter de nous rendre la vie insupportable. Elles n'y réussissent d'ailleurs que les jours où je n'ai pas de lettre de vous. Je baise vos cheveux et vos yeux.

                                                                                                                    
                                                                                                                 Gui
                                      








Parce que de la viande Stéphane Mallarmé

Texte lu à des amis en 1862. Le poème est retrouvé beaucoup plus tard dans une lettre manuscrite ne sera publié qu'en 1945 dans ses Oeuvres complètes. Certains contestèrent parfois la paternité de ces lignes à Mallarmé.

                                    
                                   Parce que de la viande

                        Parce que de la viande était à point rôtie,
                        Parce que le journal détaillait un viol,
                        Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
                        La servante oublia de boutonner son col,

                        Parce que d'un lit, grand comme une sacristie,
                        Il voit, sur la pendule, un couple antique et fol,
                        Ou qu'il n'a pas sommeil, et que, sans modestie,
                        Sa jambe sous les draps frôle une jambe au vol,

                        Un niais met sous lui sa femme froide et sèche,
                        Contre ce bonnet blanc frotte son casque-à-mèche
                        Et travaille en soufflant inexorablement :
                       
                        Et de ce qu'une nuit, sans rage et sans tempête,
                        Ces deux êtres se sont accouplés en dormant,
                        O Shakspeare et toi, Dante, il peut naître un poète !


                                                                                                  Stéphane Mallarmé

vendredi 24 février 2012

Les Fenêtres Stéphane Mallarmé

Mai 1863 à Londres où il se trouve Mallarmé ne goûte guère la vie.et poursuit son Idéal de Beauté qui ne peut se trouver que dans le Rêve non dans l'Action, apparît le futur athéiste.  Il publie ce poème paru trois ans plus tard en 1866 au début de dix autres textes dans Le Parnasse Contemporain.


                               Les Fenêtres

                Las du triste Hôpital, et de l'encens fétide
                Qui monte en la blancheur banale des rideaux
                Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide,
                Le moribond sournois y redresse un vieux dos,

                Se traîne et va moins, pour chauffer sa pourriture
                Que pour voir du soleil sur les pierres, coller
                 Les poils blancs et les os de la maigre figure
                Aux fenêtres qu'un beau rayon clair veut hâler,

                 Et la bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace,
                 Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
                 Une peau virginale et de jadis ! encrasse
                  D'un long baiser amer les tièdes carreaux d'or.

                  Ivre, il vit, oubliant l'horreur des saintes huiles,
                  Les tisanes, l'horloge et le lit infligé,
                  La toux ; et quand le soir saigne parmi les tuiles,
                  Son oeil, à l'horizon de lumière gorgé,

                  Voit des galères d'or, belles comme des cygnes,
                  Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
                  En berçant l'éclair fauve et riche de leurs lignes
                  Dans un grand nonchaloir de souvenirs !

                  Ainsi, pris du dégoût de l'homme à l'âme dure
                  Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits
                   Mangent, et qui s'entête à chercher cette ordure
                   Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits

                   Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées
                   D'où l'on tourne l'épaule à la vie, et, béni,
                   Dans leur verre, lavé d'éternelles rosées,
                   Que dore le matin chaste de l'Infini

                   Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j'aime
                   - Que la vitre soit l'art, soit la mysticité -
                   A renaître, portant mon rêve en diadème
                   Au ciel antérieur où fleurit la beauté !

                   Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise
                   Vient m'écoeurer parfois jusqu'en cet abri sûr,
                   Et le vomissement impur de la Bêtise
                   Me force à me boucher le nez devant l'azur.

                   Est-il moyen, ô Moi qui connais l'amertume,
                   D'enfoncer le cristal par le monstre insulté
                   Et de m'enfuir, avec mes deux ailes sans plume
                   - Au risque de tomber pendant l'éternité ?

                                                                                                           Stéphane Mallarmé

jeudi 23 février 2012

Intermittence Andréa Camilleri ( roman Italie )

                                             
IntermittenceIntermittence

                           Abandonné Montalbano, éloignée la Sicile, nous voici en Italie plongés dans une aventure qui trouvera son dénouement rapidement, c'est ce qu'espère Mauro de Blasi le directeur général de la Manuelli usine au centre de l'affrontement entre ouvriers qui craignent leur licenciement, et Birolli patron d'Arténia. Un jeu d'écritures, des négociations secrètes, des millions attendus, guère défendus. Fusion d'entreprises, le travail délocalisé en Chine, tout l'univers de l'économie, de l'industrie traité comme une comédie italienne. Il y a la bonne-espionne, l'excellente secrétaire qui tombe malheureusement amoureuse et Marisa jeune, frivole épouse, qui prend des coups et un drame sournois De Blasi est-il victime d'hallucinations ou... " ce fut alors qu'il eut la certitude déchirante de la proximité de sa mort... " Tout cela sous la plume de Camilleri. C'est vif, agaçant, on couche beaucoup, tous les âges se mêlent, scabreux, drôle.




                                         

                                       

mercredi 22 février 2012

le Grelot Andréa Camilleri ( roman Italie )








Le Grelot









Le Grelot

                Le premier jour de février du siècle dernier, le curé de Vigàta appelle les fidèles à l'église
très tôt car il a eu un pressentiment et ce qu'il va leur annoncer ce n'est pas " des charamènes ".
En ce temps là dans ce village très pauvre de bord de mer les pêcheurs louaient leurs enfants de 7 à 14 ans aux propriétaires des mines de souffre. Petits ils circulaient dans d'étroits couloirs, mais ils ressortaient voûtés, malades. Cette année-là l'un d'eux, Giurla, eut la chance de partir dans les hauts pâturages garder de gros troupeaux de chèvres.
Et Camilleri nous promène dans une vie faite de nature, de roches et de lacs, d'orages et de soleil et surtout de silence. L'adolescent Giurla n'est pas sot, il observe, les trayeuses sont bonnes femmes, de plus il lit Lucrèce tant bien que mal, livre trouvé dans la cabane. Quels sentiments poussent une jolie chevrette vers le jeune chevrier ? La solitude a tôt fait de rapprocher le jeune homme de Béba. Il lui livre ses pensées, elle répond " béé... béé... " dort dans le cabanon toute proche à ses côtés. Puis apparaît dans l'histoire une jeune femme fille du propriétaire. Béba boude, Béba est jalouse. Giurla travailleur honnête va vivre un drame, un jour où le vent, l'orage, la pluie emportent tout ce qui se trouve au bord du lac. Roman pastoral, plein de verdeur et de verdure. Le sujet serait scabreux sous certaines plumes il est écrit là dans le langage Camilleri qui propose le 3è volet des Métamorphoses. " ... Les botians se chauchent à coups de cornes... ils peuvent te charger... de collagne..." " ... Le silence de la campagne... riche de cent parfums... des couleurs à revorge..."
Un joli roman pour amoureux du naturel."...Les quatre voyages de Christophe... il a su tracer un chemin sur la mer... il a doublé la surface du monde, il a peuplé l'horizon... " Ainsi parle Bartolomé au terme de sa vie.





































Lettres à Madeleine 11 Apollinaire

                Lettre à Madeleine

                ( après plusieurs lettres toujours pleines de ses sentiments, de quelques confidences - son argent épuisé, sa mère à sa charge son frère parti à Mexico - de son autoportrait " poète fantasque pas buveur pas joueur plus très beau alors qu'il fut un très bel enfant " il informe Madeleine que le courrier sera désormais ouvert et enfin demande la main de la jeune femme à sa mère Madame Pagès  " Aux Armées le 10 août 1915 " signé            brigadier au 38è Rgt d'Artillerie de campagne
                               45è batterie secteur 138 

                                                                                                                 11 août 1915


                  Ma petite fée,
                 
                  J'ai écrit hier à votre maman. -
                  - S i j'ai écrit " fantasque " je n"ai voulu donner à cette épithète que le sens qui procède de fantaisie ; la véritable fantaisie en effet ne vient pas de l'incertitude, ni du changement irraisonné et vous qui êtes une fée, pouvez-vous croire qu'une féerie se développe au hasard ? Mes seuls changements sont dans les nuances comme celles qui animent la gorge d'un pigeon. Au reste, je me suis chanté ainsi

                                             Les jours s'en vont, je demeure
                   Et je ne change oint si on ne me fait pas changer. Entre nous, les liens de l'esprit assureront, bien qu'une telle sûreté soit inutile, les liens du coeur.
                   La vie n'est douloureuse que pour ceux qui se tiennent éloignés de la poésie par quoi il est vrai que nous sommes à l'image de Dieu. La poésie est ( même étymologiquement ) la création. La création, expression sereine de l'intelligence hors du temps est la joie parfaite.
                   L'enfantement seul est douloureux.
                   Le poète doit créer et non pas enfanter. C'est pourquoi les poètes passent souvent pour des paresseux, car ils ne peinent point et c'est leur destinée.
                   C'est ainsi qu'en toutes traverses de bonheur ou autres, j'ai toujours été heureux car la vie même est mon bonheur.
                   Vous êtes ma vie, Madeleine, c'est-à-dire mon bonheur ineffable et cette joie qui ne participe point du temps.
                   Et il ne peut changer celui que la redoutable fuite des heures ne saurait entraîner.
                   Non, il ne faut point voir de tristesse dans mon oeuvre, mais la vie même, avec une constante et consciente volupté de vivre  de connaître de voir, de savoir et d'exprimer.
                   Votre raison, dites-vous, Madeleine, s'accorde parfaitement avec l'amour, moi, c'est un instinct, une fureur prophétique, comme celle dont brûlait la Sibylle, qui m'a poussé vers vous. Pour la fidélité, rien n'est plus fidèle à ses engagements qu'un poète.
                   Et au hasard de l'histoire des lyres, y a-t-il de vie plus dissipée que celle de Racine jusqu'à son mariage ?
                   Et le plus tendre des poètes fut-il moins bon époux d'avoir connu la Champmeslé ?
                   D'ailleurs, Madeleine, je ne pêche point contre vous et je suis absous par votre amour.
                   Je m'attacherai à votre bonheur de toutes mes forces et de toute mon âme...
                   Tristan Bernard m'a envoyé les 15 premiers n° de son Poil civil. Je vous les enverrai un de ces jours. L'esprit qui dicte ce petit pamphlet périodique me plaît assez à cause de la liberté d'esprit qu'il reflète.
Cette liberté d'esprit qui est la plus belle qualité française on ne saurait trop la sauvegarder.
                   Pour nous, soldats du Front la liberté d'écrire ne nous est plus dévolue ; je m'étais d'abord persuadé du peu d'à-propos de cette restriction. Nos lettres envoyées ouvertes sont lues par des officiers censeurs. A la réflexion, je me suis dit que l'art épistolaire allait renaître car chacun s'efforcera d'écrire le mieux qu'il peut, on cherchera des formules nouvelles pour dire ce qu'il faut faire deviner, l'esprit critique qui ayant tant de sujets n'avait plus d'objet va s'exercer le plus finement du monde et notre intelligence aiguisée par la nécessité va redevenir ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : forte et subtile.
                   Voilà qui est de bon augure pour que la guerre finisse et Paul-Louis Courier qui avait tant d'esprit et de si raisonnable pouvait bien écrire sa Pétition pour des villageois qu'on empêche de danser mais se garderait bien de formuler une Pétition pour les soldats qu'on gêne dans leur correspondance. La mesure est excellente. E sur cette réflexion ma fiancée très chérie je vous donne mon âme...

                                                                                                                                   Gui
                                                                A MADELEINE

                                          Je serre votre souvenir comme un corps véritable
                                       Et ce que mes mains pourraient prendre de votre beauté
                                       Ce que mes mains pourraient en prendre un jour
                                       Aura-t-il plus de réalité ?
                                       Car qui peut prendre la magie du printemps ?
                                       Et ce qu'on peut avoir n'est-il pas moins réel encore
                                       Et plus fugace que le souvenir ?
                                 Et l'âme cependant prend l'âme même de loin
                                 Plus profondément plus complètement encore
                                 Qu'un corps ne peut étreindre un corps.
                                 Mon souvenir vous présente à moi comme le tableau de la création
                                 Se présentait à Dieu le septième jour
                                 Madeleine mon cher ouvrage
Que j'ai fait naître brusquement
         Votre deuxième naissance
Nice les Arcs Toulon Marseille Prunay Wez Thuizy Courmelois
      Beaumont-sur-Vesle
Mourmelon-le-Grand Cuperly Laval S-Jean-sur-Tourbe Le Mesnil
      Hurlus
Perthes-lès-Hurlus Oran Alger
Et j'admire mon ouvrage
Nous sommes l'un à l'autre comme des étoiles très lointaines
Qui s'envoient leur lumière...
vous en souvenez-vous ?
Mon coeur
Allait de porte en porte comme un mendiant
Et vous m'avez fait l'aumône qui m'enrichit à jamais
Quand noircirai-je mes houseaux
Pour la grande cavalcade
Qui me ramènera près de vous ?
Vous m'attendez ayant aux doigts
Des pauvres bagues en aluminium pâle comme l'absence
Et tendre comme le souvenir
Métal de notre amour métal semble à l'aube
Ô Lettres chères lettres
Vous attendez les miennes
Et c'est ma plus chère joie
D'épier dans la grande plaine où s'ouvrent comme le désir les
     tranchées
                                  Blanches les tranchées pâles
D'épier l'arrivée du vaguemestre
Les tourbillons de mouches s'élèvent sur son passage
Celles des ennemis qui voudraient l'empêcher d'arriver
Et vous lisant aussitôt
Je m'embarque avec vous pour un pèlerinage infini
Nous sommes seuls
Et je chante pour vous librement joyeusement
Tandis que seule votre voix pure me répond
Qu'il serait temps que s'élevât cette harmonie
Sur l'océan sanglant de ces pauvres années
Où le jour est atroce où le soleil est la blessure
Par où s'écoule en vain la vie de l'univers
Qu'il serait temps, ma Madeleine, de lever l'ancre !

                                                                                                                                     Gui













                                      



                     


                                                                                                                                                                                                                                     

                                                                                                               

                                                                                                             

lundi 20 février 2012

Sonnets Stéphane Mallarmé


Stéphane Mallarmé
       portrait
  Edouard Manet                  Sonnets

                            
                                                              Le Cantonnier

                                                      Ces cailloux, tu les nivelles
                                                      Et c'est, comme troubadour
                                                      Un cube aussi de cervelles
                                                      Qu'il me faut ouvrir par jour.


                                            
                                              Le Marchand d'Ail et d'Oignons

                                                      L'ennui d'aller en visite
                                                      Avec l'ail nous l'éloignons.
                                                      L'élégie au pleur hésite
                                                      Peu si je fends des oignons.



                                                     La Femme de l'Ouvrier

                                                      La femme, l'enfant, la soupe
                                                      En chemin pour le carrier
                                                      Le complimentent qu'il coupe
                                                      Dans l'us de se marier.



                                                              Le Vitrier

                                                      Le pur soleil qui remise
                                                      Trop d'éclat pour l'y trier
                                                      Ôte ébloui sa chemise
                                                      Sur le dos du vitrier.



                                                      Le Crieur d' Imprimés

                                                      Toujours, n'importe le titre,
                                                      Sans même s'enrhumer au
                                                      Dégel, ce gai siffle-litre
                                                      Crie un premier numéro.



                                                   La Marchande d'Habits

                                                      Le vif oeil dont tu regardes
                                                      Jusques à leur contenu
                                                      Me sépare de mes hardes
                                                      Et comme un dieu je vais nu.



                                                                                                      Stéphane Mallarmé



samedi 18 février 2012

Lettres à Madeleine 10 ( suite ) Apollinaire

               Lettre à Madeleine
                                   
                                                                                                        30 juillet 1915 ( suite )
                                                                              
               ... Mais dans  Alcools, c'est peut-être " Vendémiaire " que je préfère, et j'aime aussi " Le Voyageur ", d'ailleurs j'aime beaucoup mes vers, je les fais en chantant et je me chante souvent le peu dont je me rappelle et c'est bien peu surtout maintenant... je ne me rappelle un vers de " Zone ".
                Puis, j'aime beaucoup mes vers depuis Alcools, il y en a pour un volume au moins et j'aime beaucoup beaucoup " Les Fenêtres " qui a paru à part en tête d'un catalogue du peintre Delaunay. Ils ressortissent à une esthétique toute neuve dont je n'ai plus, depuis, retrouvé les  ressorts; mais dont j'ai avec étonnement  retrouvé l'exposé dans une de vos divines lettres.
                 Voilà toutes mes grandes amours, et ce n'est rien pour mon âge, ne pensez-vous pas Madeleine, ce n'est rien surtout en regard de notre amour si absolu débutant si purement, si tragiquement, si passionnément, ma chérie, ma toute jolie, ma joie divine et ma petite fée.
                  Voilà donc ma confession entière, Madeleine. Vous avez lu, et j'aime aussi ces vers que j'oubliais, mais le Journal d'hier et d'avant-hier me les a rappelés : mes vers, six petites pièces je crois, écrits à la prison de la Santé, en 1911. Vous connaissez l'histoire sans doute. J'avais recueilli en 1911 un garçon intelligent mais fou et sans scrupules - malheureux plutôt que méchant et qui sait ce qu'il est devenu aujourd'hui. - Il avait volé en 1907 au Louvre deux statues hispano-romaines, qu'il avait vendues à Picasso, grand artiste mais sans scrupules aucuns et dont le nom grâce à moi ne fut pas prononcé en cette affaire. J'essayai - nous voilà loin de 1911 et encore en 1907 ou 1908 - de persuader Picasso de rendre ces statues au Louvre, mais ses études esthétiques le pressaient et il en naquit le cubisme. Il me dit qu'il les avait abîmées pour découvrir certains arcanes de l'art antique et barbare à la fois auquel elles ressortissaient. J'avais cependant trouvé le moyen de l'en débarrasser sans qu'il en coûtât à son honneur. Mon ami Louis Lumet, inspecteur des Beaux-Arts à qui j'avais raconté la chose avait pensé s'associer à cette bonne oeuvre en en faisant une amusante prouesse journalistique simulée. On aurait proposé au Matin de montrer au public que les trésors du Louvre étaient mal gardés en volant une statue d'abord - grand fracas - puis une autre - autre grand fracas. L'affaire ainsi ne pouvait avoir de conséquence. Mais Picasso voulait garder ses stature. En 1911, le voleur dont les journaux ont suffisamment dit les aventures pour m'éviter désormais de prononcer son nom, le voleur ou plutôt le héros revint. On parlait beaucoup de L'Hérésiarque et Cie  qui avait eu à la fin de 1910 le plus grand nombre de voix au prix Goncourt et n'échoua - in justement d'ailleurs - au témoignage de Judith Gauthier, Léon Daudet et Elémir Bourges qui avaient voté pour et au témoignage même de Mirbeau, des 2 Rosny et de Paul Margueritte qui ne lurent le livre qu'après le vote, ils l'ont dit souvent à Elémir Bourges qui était le parrain du livre et le seul artiste sans aucun doute de cette Académie. Celui qui eut le prix à ma place a été tué il n'y a pas longtemps : Louis Pergaud avec un livre intitulé De Goupil à Margot, tâchez de lire les deux livre et me dire ce qu'en pensez. C'est là-dessus donc que le héros des statues revint me voir, il arrivait d'Amérique plein d'argent qu'il perdit aux courses et sans le sou revola une statue. C'est alors que pour sauver ce pauvre hère je le recueillis, tâchai de lui faire rendre la statue, mais rien n'y fit je dus le mettre à la porte avec la statue. Quelques jours après on vola la Joconde. Je pensai comme le pensa la police que c'était lui le voleur. Bref, il ne l'était pas mais vendit sa statue à Paris-Journal qui la restitua au Louvre. J'allais voir Picasso pour lui dire combien son geste avait été malheureux et les risques qu'il courait. Voilà un homme affolé qui me dit m'avoir menti, les statues étaient intactes. Je luis dis d'aller les rendre sous le sceau du secret à Paris-Journal ce qu'il fit. Grand scandale ! Le malheureux voleur vient me voir et me supplie de le sauver. Je l'embarque de Lyon avec quelque argent pour compléter le viatique qu'il avait tiré de Paris-Journal. Là-dessus on m'arrête pensant que je savais où était la Joconde puis que j'avais eu un " secrétaire " qui volait des statues au Louvre. Je reconnais avoir eu le " secrétaire " mais refuse de le livrer, on me cuisine, on menace de perquisitionner chez tous les miens. Enfin situation à la fois crevante et terrible. Finalement pour éviter des ennuis à mon amie, à ma mères, à mon frère, je suis obligé de dire non pas le rôle de Picasso mais qu'on l'avait abusé et que les antiquités qu'il avait achetées, il ne savait pas qu'elles venaient du Louvre.
                 Le lendemain confrontation avec mon ami, qui nie savoir rien de cette affaire, je me croyais perdu, mais le juge d'instruction voyant bien que je n'avais rien fait que j'étais simplement victime de la police à qui je n'avais pas voulu livrer le fugitif, m'autorisa à interroger le témoin et me servant de la maïeutique chère à Socrate je forçai vite Picasso à avouer que tout ce que j'avais dit était vrai, j'eus un non-lieu et son nom à lui ne fut même pas prononcé. L'affaire fit à l'époque un bruit énorme, tous les journaux donnèrent mon portrait. Mais je me serais bien passé de cette publicité. Car si je fus passionnément défendu par la plupart des journaux, je fus dans le début attaqué et parfois ignoblement par les antisémites qui ne peuvent se figurer qu'un Polonais ne soit pas juif. Léon Daudet alla jusqu'à nier avoir voté pour moi au prix Goncourt, ce qui révolta le noble père bourges qui alla à ce moment jusqu'à donner 2 interviews en un jour dans les journaux, lui qui obstinément n(avait jamais voulu donner d'interview sur aucun sujet.
                 Voilà donc cette histoire à la fois singulière, incroyable, tragique et plaisante qui fait que j'ai été la seule personne arrêtée en France à propos du vol de la Joconde. Et la police fit d'ailleurs tout ce qu'elle put pour justifier son acte elle cuisina ma concierge les voisins, demandant si je recevais des petite filles, des petits garçons que sais-je encore et si mes moeurs avaient été le moindrement douteuses on ne m'aurait point lâché, l'honneur de la corporation étant en jeu. C'est alors que je connus le mot de celui qui disait que si on l'accusait d'avoir volé les cloches de N-D il s'empresserait de prendre la fuite.
                 * J'ajoute qu'on ne me fit pas d'excuse mais que la plupart des journaux me citèrent comme un exemple d'hospitalité. J'ajoute encore l'épilogue de l'affaire : le Héros fut arrêté au Caire à la fin de 1913 et les tribunaux l'acquittèrent. Ce dont je fus heureux car le pauvre garçon était un fou plutôt qu'un malfaiteur, ils ont pensé comme j'avais pensé moi-même. *
              Voilà l'histoire des six petits poèmes écrits à la Santé et ce sont d'ailleurs là tous les éclaircissements biographique que comporte Alcools.
                Je vous ai dit que " Vendémiaire " était mon poème préféré d'Alcools. J'y songe, le plus nouveau et le plus lyrique, le plus profond ce sont ces " Fiançailles " dédiées à Picasso dont j'admire l'art sublime et qui vous concernent tout à fait, vous, Madeleine, car nulle femme n'a été l'objet de ce poème-là sinon vous-même qui deviez venir et nul doute qu'avec " Le Brasier ", il ne soit mon meilleur poème sinon le plus immédiatement accessible.
                 Pour le demeurant, nous nous aimons tant que vous avez pardonné mes scandales. Ma vie de poète est une des plus singulières sans doute, mais le destin m'a toujours entouré de tant de troubles qui me plaisent infiniment après tout que je suis une des plus grandes joies de l'humanité, j'ai conscience de cela et ce que j'aime le mieux c'est de vous avoir rencontrée, vous que je cherchais, le cerveau sororal du mien, la plus grande beauté, la plus tendre obéissance attentive, ce qui m'a toujours manqué, vous Madeleine, pour m'aimer dans une paix lyrique loin des fausses amours et des rumeurs malsaines loin aussi de cette guerre qui s'éternise et sur laquelle étant soldat je me garderai bien de porter un jugement qui existe cependant en mon for et qui d'ores et déjà est définitif.
                 Lisez donc cette confession écrite à la hâte, mais en en pesant même le désordre de style, puis si vous m'aimez ainsi ( mon image cependant n'est point ici seulement, mais dans tout Alcools , j'écrirai à votre maman.

                 Je ne relis pas ma lettre, elle est trop longue, ma petite fée rétablira les mots sautés, les phrases boiteuses et tout ce qui peut manquer, je baise votre front chéri...

                                                                                                                  Gui