dimanche 26 août 2012

Lettres à Madeleine 44 Apollinaire





       Guillaume Apollinaire
                                                Lettre à Madeleine

                                            Le 17 novembre 1915 Apollinaire écrit une courte lettre à Madeleine, lui
                              signale l'envoi du dernier numéro du Mercure et " ... Je suis content que les alliances
                              aient parcouru victorieusement les mers et que nous portions l'un et l'autre nos alliances..
                              ... Je suis inquiet car je ne vois pas bien les choses d'ici et je me demande comment on a
                              assuré la défense des ports comme Oran... "


                                                                                                      18 novembre 1915

            Mon amour, nous sommes maintenant définitivement en position. C'est sans regret que nous avons laissé l'échelon horrible car on y gelait ou y dormait dans l'eau. En effet, lors de l'attaque ( de Tahure, note de l'éditeur ), s'étant avancé trop vite et aussi parce qu'on pensait aller bien au-delà, l'échelon avait abandonné tout ce qui n'était pas réglementaire et depuis ça été le diable de trouver des matériaux. Puis figure-toi la pluie et la neige sur tout les pauvres soldats n'ayant que leur toile de tente. Moi j'ai été dans un vieux gourbi qui avait l'air d'une crèche comme on en fait dans les églises pour la Noël.
            Finalement hier on a filé dans la nuit dans la neige, trous d'obus, puis les tranchées boches le paysage changeant soudain, enfin de grands arbres décharnés et souvent brisés c'est vrai mais de grands arbres puis le lieu célèbre, défoncé montueux plein de sapes, la position de nos pièces et à 200 m. de nos pièces nos abris fabriqués par les Boches, voici mon nouveau gourbi ( un de mes hommes couche à notre cuisine ) . Cet abri est très bien et je l'aime bien, pour moi c'est le plus agréable que j'ai trouvé jusqu'ici.J'ai
trouvé tout fait. Sauf naturellement le banc et la table. Il y en a une grande, mais pour être à part je me suis
 fabriqué une banquette table. Je me mets à cheval et j'écris très bien comme ça et
ce n'est pas embarrassant.
            Autour de nos abris, s'étend un grand cimetière allemand dont presque toutes les tombes datent de février, j'en relèverai les inscriptions. Il y a tout un art singulier des tombes, des plaques de marbre, que sais-je, on dirait un décor pour Hamlet. A côté un petit cimetière français d'artilleurs car ça pleut dru par ici. En septembre on a saisi ici toute une organisation boches et les soldats y surprirent un colonel allemand qui était dans la cagnât où est notre poste téléphonique, il refusa de se rendre et ils le tuèrent et qui était avec lui quand ils entrèrent, la lutte achevée, le colonel était boche et deux jolies femmes qui étaient là avec lui.
            Voilà amour à peu près tout ce que je peux te dire aujourd'hui de ce pays singulier et pittoresque on dirait des Vosges. Beaucoup de fusils encore et des tas de débris.
            Dans mon lit seul au coin je suis bien et me fais une alcôve séparée au moyen d'une toile de tente. J'y pense à toi infiniment, mon amour tant chéri. Je crains qu'on ne nous laisse pas longtemps ici. C'est cependant embêtant de se déplacer tout le temps en hiver ou presque hiver.

                                                                Chevaux de Frise

            Pendant le blanc et nocturne novembre
            Alors que les arbres déchiquetés par l'artillerie
            Vieillissaient encore sous la neige
            Et semblaient à peine des chevaux de frise
            Entourés de vagues de fils de fer
            Mon coeur renaissait comme un arbre au printemps
            Un arbre fruitier sur lequel s'épanouissentl  les fleurs de l'Amour

            Pendant le blanc et nocturne novembre
            Tandis  que  chantaient épouvantablement les obus
            Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient leurs mortelles odeurs
            Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine

            La neige met de pâles fleurs sur les arbres
                           Et toisonne d'hermine les chevaux de frise
                                     Que l'on voit partout
                                               Abandonnés et sinistres chevaux muets
            Non chevaux barbes mais barbelés
                                     Et je les anime tout soudain
                                              En troupeau de jolis chevaux pie
            Et ils vont vers toi comme de blanches vagues
                                              Sur la Méditerranée
                                     
                                   Et t'apportent mon amour

            Roselys et panthère ô colombes étoile bleue
                                        Ô Madeleine
            Je t'aime avec délices
            Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches
            Si je pense à ta bouche les rose m'apparaissent
            Si je songe à tes seins le Paraclet descend
                                     Ô double colombes de ta poitrine
            Et vient délier ma langue de poète
                           Pour te redire : je t'aime

            Ton visage est un bouquet de fleurs
                              Aujourd'hui je te vois non Panthère
                                      Mais Toutefleur
            Et je te respire Ô Ma Toutefleur
            Tous les lys montent en toi comme des cantiques d'amour et d'allégresse
            Et ces chants qui s'envolent vers toi
                              M'emportent à ton côté
            Dans ton bel Orient où les lys
            Se changent en palmiers qui de leurs belles mains
            Me font signe de venir
            La fusée s'épanouit fleur nocturne quand il fait noir
                             Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses
           De larmes heureuses que la joie fait couler
                                     Et je t'aime comme tu m'aimes
                                     Madeleine

            Mon petit amour chéri je t'adore, et je voudrais te le prouver charnellement, dans ma petite alcôve. Je voudrais avoir sur moi ton joli poids de pétales parfumés de roses. Je voudrais t'aimer aujourd'hui toute vêtue comme sur la photo envoyée par Anne, te piller, te trousser pour dire le mot et t'aimer aussi comme un cavalier pressé que le bouteselle empêche de s'attarder et t'aimer en pleine nature debout. Je t'enlace amoureusement et tandis que je cherche d'un doigt inquiet le parvis, tu prends toi-même la belle fleur et l'abaisse comme tu peux vers la porte et puis nous nous tordons debout et enlacés comme une colonne torse. Ma Toutefleur, je prends ta bouche.

                         
                                                                                                           Gui
                     
                                                                                                                                                                                                                                                            
                                                                                                                                                
                                  



           

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