dimanche 24 novembre 2013

Muets Tallemant des Réaux ( extraits de Hisotriettes France )

                                                                                                            
Description de l'image  GedeonTallemantdesRéaux.jpg.
                                                                
                                                            Muets
                                                                                                                                                                                                     
                                                                                                                                     
            J'ay veû mille fois un homme müet et sourd, assez bien fait de sa personne et propre. Il plioit le linge admirablement bien en toutes sortes d'animaux, et se faisoit entendre aussy bien que personne ayt jamais fait. Il alloit à Charanton, et quand par signes on luy demandoit de quelle religion il estoit , il mettoit son chapeau sur sa teste et son manteau sur ses deux espaules, puis mettoit une table devant luy ; il faisoit des mains comme un ministre en chaire. Avec tout cela, quand il y avoit procession à Saint-Sulpice, sa paroisse, il prenoit une hallebarde, et marchant devant, il faisoit ranger le monde.
            Il luy prit envie de se marier, et pour faire entendre sa volonté il se présenta au Consistoire. Mestrezat*, le ministre, fut le premier qu'on envoya pour tascher d'entendre ce qu'il vouloit. Le müet luy fit quelques signes et se touchoit, mettoit les mains l'une dans l'autre, comme ceux qui se donnent la foy ; mais le bonhomme n'y comprit rien. On y envoya en suitte Daillé, aussy ministre, à qui, outre tous les signes precedents, il en fit encore un autre, car faisant un rond de son pouce et du doit indice de la main gauche, il passoit dedans le doit indice de la droite, et mettoit la cheville dans le trou. Daillé dit qu'il croyoit que cet homme vouloit faire du boudin. Enfinon le fait entrer, et luy pour lever toute difficulté tira son chose en bon estat, et se mit à dandiner du cul, ainsy qu'un sonneur de cloches. Alors on le luy permit, voyant qu'il sçavoit si bien ce qu'il                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  
demandoit, et qu'il estait si bien préparé. Sa femme et luy se mirent à se mesler de maquerellage. Un jour de petits enfans luy avoient fait quelque niche ; il prit un pistolet et en suivit un. Un armurier l'arresta, il tira à cet homme sans le blesser ; pourtant voylà de la rumeur : on pilla la maison du Müet et je ne sçay ce qu'il devint.                                                       
            Il y avoit sur le chemin de Nostre-Dame-de-Liesse un gueux qui faisoit le müet ; effectivement, il sçavoit si bien retirer sa langue qu'on ne la voyoit point du tout. Une dame de mes amyes se douta qu'il y avoit de la subtilité et luy promit dix solz s'il luy vouloit dire combien il y avoit qu'il estoit müet. Il fut long-temps à s'y résoudre ; enfin, après avoir bien regardé s'il n'y avoit point d'autres gens, il luy dit :
            - Madame, il y a quatre ans que je suis " müet ".
            Et il eut son demy-quart d'escû.
            Tillet-Saint-Leu, conseiller à la Grande chambre, a un grand filz bien fait, qui est d'eglise : ce garçon est sourd et müet naturellement. Cependant insensiblement il a appris quelques mots ; il parle comme un enfant qui ne sçait que quelques façons de parler ; il escrit des lettres comme celles que les enfans dictent ; cela ne se suit point. Il n'entend que certaines personnes, encore est-ce plustôt au mouvement de leurs lévres qu'autrement ; il est propre, il fait bien des choses de ses doits ; et ce qui m'estonne le plus, c'est qu'il danse bien et en cadence.


                                                                                   Tallemant des Réaux
                                                                                               ( 1619-1692 )
* ministre de l'église réformée de paris





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