vendredi 16 septembre 2016

L'homme à la lèvre tordue 1/2 Arthur Conan Doyle ( nouvelle Grande-Bretagne )

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                                                  L'homme à la lèvre tordue

            Isa Whitney, frère de feu Elias Whitney, docteur en théologie, principal du Collège théologique de Saint-George, s'adonnait beaucoup à l'opium. L'habitude grandit en lui, si j'ai bien compris à partir d'une lubie stupide quand il était au collège car, ayant lu la description que faisait De Quincey de ses rêves et sensations, il avait mouillé son tabac de laudanum pour tenter de produire les mêmes effets. Il découvrit, comme tant d'autres, que l'accoutumance est plus facile à acquérir qu'il n'est facile de s'en débarrasser et, durant de nombreuses années, il continuera d'être l'esclave de la drogue et un objet d'horreur et de pitié pour ses proches et ses amis. Je peux le voir maintenant, le visage jaune, blafard, les paupières tombantes et les pupilles comme des têtes d'épingle, tout recroquevillé sur une chaise. La destruction et la ruine d'un homme respectable.
            Une nuit, c'était en juin 89, on sonna à l'heure où un homme pousse son premier bâillement et jette un coup d'oeil à la pendule. Je me redressai dans mon fauteuil, ma femme posa sa couture sur ses genoux et grimaça.
            - Un patient ! dit-elle. Tu vas devoir sortir.
            Je gémis car je rentrais à peine d'une journée harassante.
            Nous entendîmes la porte s'ouvrir, quelques mots hâtifs, puis un pas rapide sur le linoléum. Notre porte s'ouvrit brutalement et une dame, vêtue d'une étoffe de couleur sombre, avec un voile noir, entra dans la pièce.
            - Vous excuserez mon intrusion si tard, commença-t-elle, courut jeter ses bras autour du cou de ma femme, et se mit à sangloter sur son épaule. Oh ! J'ai de tels ennuis ! Je voudrais tant un peu d'aide.
            - Comment ! dit ma femme en soulevant le voile. C'est Kate Whitney. Comme vous m'avez surprise, Kate ! Je n'avais pas la moindre idée de qui vous étiez quand vous êtes entrée.
            - Je ne savais pas quoi faire, aussi je suis venue directement à vous.
            C'était toujours comme ça . Les gens dans la peine allaient vers ma femme, comme des oiseaux vers un phare.
            - C'est très gentil à vous d'être venue. Maintenant vous allez prendre de l'eau et du vin, vous asseoir confortablement et tout nous dire. Ou préférez-vous que j'envoie James au lit ?
            - Oh, non, non, je veux le conseil et l'aide du docteur aussi. C'est à propos d'Isa. Il n'est pas
rentré à la maison depuis deux jours. Je suis si effrayée pour lui !
            Ce n'était pas la première fois qu'elle nous parlait des problèmes de son mari, à moi comme docteur, à ma femme comme camarade d'école. Nous l'apaisâmes et la réconfortâmes avec les mots que nous pûmes trouver. Savait-elle où était son mari ? Etait-il possible que nous le lui ramenions ?
I love this! Rube Goldberg could have designed this way to light a pipe. Crazy, brilliant, intriguing ... add your own adjective.   *         Il semblait que ça l'était. Elle avait un renseignement des plus sûrs ; dernièrement, quand il avait une crise il se rendait dans une fumerie d'opium à l'est de la City. Jusqu'alors ses orgies avaient toujours été limitées à une journée, et il était revenu, en proie à des convulsions et abattu dans la soirée. Mais cette fois le sortilège était sur lui depuis quarante-huit heures, et il gisait là-bas, sans aucun doute, au milieu des rebuts des quais, respirant le poison ou dormant sous ses effets. C'est là qu'on pourrait le trouver, elle en était sûre, au Bar de l'Or dans Upper Swandam Lane. Mais que pouvait-elle faire ? Comment elle, jeune femme timide, pourrait-elle se frayer un chemin dans un tel endroit et arracher son mari aux bandits qui l'entouraient ?
            Telle était l'affaire, et bien sûr, il n'y avait qu'une solution. Ne pourrais-je l'escorter dans cet endroit ? Et, tout bien réfléchi, pourquoi devrait-elle venir ? J'étais le conseiller médical d'Isa, et en tant que tel j'avais de l'influence sur lui. Je réussirais mieux si j'étais seul. Je lui donnai ma parole que je le renverrai à la maison dans les deux heures, s'il était évidemment à l'adresse qu'elle m'avait donnée. Dix minutes plus tard j'avais abandonné mon fauteuil et le salon accueillant derrière moi et me hâtais vers l'est en fiacre pour un étrange voyage. C'est ce qui me sembla à ce moment-là, cependant seul l'avenir me montrerait à quel point il devait être étrange.
            Il n'y eut pas de grande difficulté dans la première partie de mon aventure. Upper Swandam Lane est une affreuse ruelle dissimulée derrière les hauts appontements qui bordent le côté nord de la rivière jusqu'à l'est de London Bridge. Entre une friperie et un bistro, après un escalier en pierre escarpé descendant vers un trou noir comme la bouche d'une grotte, je trouvai la fumerie que je cherchais. J'ordonnai à mon fiacre d'attendre et je descendis les marches, creusées en leur milieu par l'incessant va-et-vient des pieds d'ivrognes. Grâce à la lumière tremblotante d'une lampe à huile au-dessus de la porte, je trouvai le loquet et me frayai un chemin à travers une longue pièce basse, envahie d'une fumée épaisse et lourde d'opium brune, bordée de couchettes en bois, comme le poste de pilotage d'un navire d'émigrants.
            A travers l'obscurité on pouvait apercevoir des corps allongés dans des poses fantastiques, les épaules rentrées, les genoux pliés, les têtes rejetées en arrière et les mentons pointés vers le haut, avec ici et là un oeil sombre, terne, tourné vers le nouvel arrivant. Hors des ombres noires luisaient de petits cercles rouges de lumière, tantôt brillants, tantôt indistincts, selon que le poison brûlant croissait ou déclinait dans les fourneaux des pipes en métal. La plupart gisaient en silence, mais certains marmonnaient pour eux-mêmes et d'autres parlaient ensemble d'une étrange voix basse, monotone. Leur conversation jaillissait, puis soudain s'éparpillait dans le silence, chacun psalmodiant ses pensées et prêtant peu d'attention à celles de son voisin. A l'extrémité de la pièce il y avait un petit brasier de charbon qui brûlait, à côté était assis sur un trépied en bois, un homme grand, maigre, la mâchoire posée sur les poignets et ses coudes sur les genoux. Il fixait le feu.
            Comme j'entrais, un serviteur malien au teint jaunâtre s'était précipité avec une pipe pour moi et une dose de drogue, me désignant une couchette vide.
            - Merci, je ne suis pas venu pour rester, dis-je. Un de mes amis est ici, Mr Isa Whitney, et j'aimerais lui parler.
            Il y eut un mouvement et une exclamation sur ma droite, et en scrutant l'obscurité, je vis Whitney, pâle, hagard et décoiffé, qui me dévisageait.
            - Mon Dieu ! C'est Watson, dit-il. Il était dans un état de réaction pitoyable avec chaque nerf à fleur de peau. Je veux dire, Watson, quelle heure est-il ?
            - Presque onze heures.
            - De quel jour ?
            - Du vendredi 19 juin.
            - Dieu du ciel ! Je pensais que c'était mercredi. C'est mercredi. Pourquoi voulez-vous effrayer un pauvre type ? Il plongea son visage dans ses bras et commença à sangloter d'un ton aigu.
            - Je te dis que nous sommes vendredi, bonhomme. Ta femme t'attend depuis deux jours. tu devrais avoir honte de toi !
            - J'ai honte. Mais vous confondez, Watson, car je suis seulement ici depuis quelques heures, trois pipes, quatre pipes... j'ai oublié combien. Mais je vais rentrer avec vous. Je ne voulais pas faire peur à Kate. Donnez-moi votre main ! Avez-vous un fiacre ?
            - Oui, j'en ai un qui attend.                                                                        fr.pinterest.com
Pablo Picasso, Femme Au Petit chapeau Rond, Assise (Dora Maar)            - Alors je devrais y aller. Mais je dois devoir quelque chose. Trouvez ce que je dois, Watson. Je ne suis pas dans mon assiette. Je ne peux rien faire par moi-même.
            Je longeai l'étroit passage entre la double rangée de dormeurs, en retenant ma respiration pour éviter les horribles vapeurs stupéfiantes de la drogue, et je cherchai le patron. Comme je passais près du grand homme assis près du brasier, je sentis soudain qu'on tirait sur le pan de ma veste et une voix basse chuchota ;
            - Passez près de moi, puis retournez-vous pour me regarder.
            Les mots tombèrent très distinctement dans mon oreille. Je regardai vers le bas. Ils ne pouvaient venir que du vieil homme à mes côtés, et pourtant il était assis plus absorbé que jamais, très maigre, très ridé, plié par l'âge. Une pipe d'opium pendait entre ses genoux comme si elle était tombée de ses doigts dans un complet épuisement. Je fis deux pas et me retournai, regardai. Il me fallut tout mon sang-froid pour éviter de pousser un cri d'étonnement. Il s'était détourné aussi personne ne pouvait le voir, sauf moi. Sa silhouette s'était remplumée, ses rides avaient disparu, ses yeux ternes avaient retrouvé leur éclat, et là, assis près du feu, grimaçant de ma surprise, n'était autre que Sherlock Holmes. Il me fit un petit signe pour que je m'approche, et alors qu'il tournait son visage vers l'assemblée, une nouvelle fois, il retomba dans une tremblotante sénilité, la lèvre pendante.
            - Holmes ! chuchotai-je, que diable faites-vous dans cette fumerie ?
            - Aussi bas que vous pouvez, répondit-il. J'ai d'excellentes oreilles. Si vous aviez la grande gentillesse de vous débarrasser de votre drogué ami, je serais excessivement heureux d'avoir une petite conversation avec vous.
            - J'ai un fiacre dehors.
            - Alors je vous en prie, renvoyez-le chez lui. Vous pouvez le confier en toute sécurité car il semble trop faible pour faire quelque mauvais tour. Je vous recommanderai aussi d'envoyer un mot par le cocher à votre femme pour dire que vous avez partagé votre destin avec moi. Si vous m'attendiez dehors, je serai à vous dans quelques minutes.
            Il était difficile de refuser une des requêtes de Sherlock Holmes car elles étaient toujours extrêmement précises et magistralement présentées. Cependant, je sentis que, quand Whitney serait une fois pour toutes enfermé dans le fiacre, ma mission serait pour ainsi dire accomplie. Et du reste, je ne pouvais rien souhaiter de mieux que d'être associé à mon ami dans une de ces aventures singulières qui étaient la norme de son existence. En quelques minutes, j'avais écrit le mot, payé la note de Whitney, je l'avais mis dans le fiacre et vu partir à travers l'obscurité. En un laps de temps très court une silhouette décrépite était sortie de la fumerie d'opium, et je descendis la rue avec Sherlock Holmes. Pendant deux rues il se traîna avec le dos courbé et un pas incertain. Puis, regardant rapidement autour de lui, il se redressa et éclata d'un rire vigoureux.
            - Je suppose Watson, dit-il, que vous imaginez que j'ai ajouté la fumée d'opium aux injections de cocaïne et autres petites faiblesses sur lesquelles vous m'avez gratifié de vos avis médicaux.
            - J'étais certainement surpris de vous trouver là.
            - Mais pas autant que moi de vous trouver.
            - Je suis venu retrouver un ami.
            - Et moi retrouver un ennemi !
            - Un ennemi .                          
            - Oui, un de mes ennemis naturels ou, devrais-je dire, ma proie naturelle. En résumé, Watson, je suis au milieu d'une très remarquable enquête et j'avais espéré trouver un indice dans les incohérentes errances de ces drogués, comme je l'ai fait avant aujourd'hui. Si j'avais été reconnu dans cette fumerie ma vie n'aurait pas valu cher, car j'y suis déjà venu pour mes propres desseins et le coquin de marin, le Lascar qui la dirige a juré de se venger de moi. Il y a une porte dérobée à l'arrière de cet immeuble, à l'angle du Quai Paul, qui pourrait raconter les étranges histoires de ce qui est passé par là les nuits sans lune.
            - Quoi ! Vous ne voulez pas dire des corps ?  
            - Mais oui, des corps Watson. Nous serions riches si nous avions mille livres pour chaque pauvre diable qui a été conduit à la mort dans cette fumerie. C'est le piège meurtrier le plus affreux de toute la rive, et je crains que Nevile St Clair n'y soit entré pour ne plus jamais en sortir. Mais notre carriole devrait être ici !
            Il mit ses deux index entre ses dents et siffla un son aigu. A distance on répondit par un même bruit, rapidement suivi du fracas des roues et du claquement de sabots.
            - Alors Watson, dit Holmes, tandis que le haut véhicule s'élançait à travers l'obscurité projetant deux tunnels dorés de lumière jaune par ses lanternes, vous allez venir avec moi, n'est-ce pas ?
            - Si je puis être utile.
            - Oh un camarade de confiance est toujours utile. Et un chroniqueur encore plus. Ma chambre aux Cèdres a deux lits ?
            - Aux Cèdres ?
            - Oui, c'est la maison de Mr St Clair. J'habite là pendant que je mène l'enquête.
            - Où est-ce alors ?
            - Près de Lee, dans le Kent, à sept miles.
            - Mais je suis complètement dans le noir.
            - Bien sûr que vous l'êtes. Vous saurez bientôt tout. Sautez là-dedans ! C'est bon John, nous ne devrions plus avoir besoin de vous. Voici une demi-couronne. Attendez-moi demain vers onze heures. Lâchez-lui la bride ! A bientôt donc !
            Il effleura le cheval de sa cravache et nous filâmes à travers une succession interminable de rues sombres et désertes qui s'élargissaient progressivement jusqu'à ce que nous traversions un grand pont avec une balustrade sous lequel la rivière sombre coulait doucement. Au-delà s'étendait un large désert de briques et de mortier. Le silence était seulement brisé par le pas lourd et régulier d'un policier ou par les chansons et les cris d'une soirée attardée de fêtards. D'épais nuages dérivaient lentement dans le ciel et une ou deux étoiles brillaient faiblement ici et là au milieu des trouées des nuages. Holmes conduisait en silence, la tête inclinée sur la poitrine et l'air perdu dans ses pensées, tandis que j'étais assis à ses côtés, curieux d'apprendre ce que pouvait être cette nouvelle enquête qui semblait accaparer ses pouvoirs si douloureusement, et cependant inquiet à l'idée d'interrompre le cours de ses réflexions. Nous avions parcouru plusieurs miles et apercevions la lisière de la ceinture de villas de banlieue quand il se secoua, haussa les épaules et alluma sa pipe avec l'air d'un homme qui a dissipé ses doutes en agissant de son mieux.
            - Vous avez un grand don de silence Watson, dit-il. Cela fait de vous un compagnon tout à fait estimable. Ma parole, c'est une grande chose pour moi que d'avoir quelqu'un à qui parler, car mes pensées ne sont pas très plaisantes. Je me demandais ce que je devrais dire à cette chère petite femme ce soir, quand elle viendra à ma rencontre à la porte.
            - Vous oubliez que je ne sais rien de l'affaire.
            - Je devrais avoir le temps de vous exposer les faits avant que nous arrivions à Lee. Ca semble absurdement simple et pourtant je ne peux rien en tirer. Il y a plusieurs fils sans doute, mais je ne peux pas en attraper le bout dans ma main. Maintenant je vais vous exposer le cas clairement et de manière concise, Watson, et peut-être apercevrez-vous une lueur là où tout est noir pour moi.
            - Allez-y alors.
            - Il y a quelques années, pour être précis en mai 1884, arriva à Lee un monsieur du nom de Neville St Clair. Il semblait avoir beaucoup d'argent, acheta une grande villa, arrangea très bien les terres et vécut agréablement. Par étapes, il se fit des amis dans le voisinage et, en 1887 épousa la fille d'un brasseur local dont il a maintenant deux enfants. Il n'avait pas de travail mais des intérêts dans plusieurs sociétés et allait en ville régulièrement le matin pour en revenir chaque soir par le train de
5 h 14 à Cannon Street. Mr St Clair a maintenant trente-sept ans, c'est un homme d'habitudes sobres, un bon mari, un père très affectueux et est apprécié par tous ceux qui le connaissent. Je peux ajouter que le montant de ses dettes en ce moment, pour autant que nous avons pu le déterminer, s'élève à quatre-vingt-huit livres et dix cents alors qu'il a deux cent vingt livres déposées à son crédit à la Capital and Couties Bank. Il n'y a aucune raison d'ailleurs de penser que des problèmes d'argent le préoccupaient.
            Lundi dernier, Mr Neville St Clair partit en ville un peu plus tôt que d'habitude et dit avant de s'en aller qu'il avait deux importantes instructions à donner et qu'il rapporterait à la maison un jeu de cubes à son petit garçon. Or, par un pur hasard, juste après son départ, sa femme reçut ce même lundi un télégramme lui annonçant que le petit colis d'une grande valeur qu'elle espérait l'attendait aux bureaux de la Compagnie navale d'Aberdeen. Maintenant, si vous connaissez bien votre Londres, vous savez que le bureau de cette Compagnie est dans Fresno Street qui bifurque dans Upper Swandam Lane, elle entendit soudain une exclamation ou un cri et resta pétrifiée, son mari la regardait à ce qu'il lui sembla, et lui faisait signe d'une fenêtre d'un second étage. La fenêtre était ouverte et elle vit distinctement son visage qu'elle décrit comme étant complètement bouleversé. Il agita frénétiquement les mains vers elle et disparut si soudainement qu'il lui sembla qu'il avait été tiré en arrière par une force irrésistible. Cependant un détail singulier choqua son oeil vif de femme : bien qu'il fut vêtu d'un manteau sombre comme celui qu'il portait en partant en ville, il n'avait ni col ni cravate.
Afficher l'image d'origine**         Convaincue que quelque chose allait de travers, elle dévala les marches, car la maison n'était autre que la fumerie d'opium dans laquelle vous m'avez trouvé ce soir, et courant dans la pièce de devant elle tenta de monter l'escalier qui menait au premier étage. Au pied des marches elle rencontra ce coquin de Lascar, dont je vous ai parlé, qui la repoussa et, aidé d'un Danois qui travaille là comme assistant, la jeta dans la rue. Emplie des craintes et des doutes les plus fous, elle descendit rapidement la rue et, par une chance rare, rencontra dans Fresno Street un groupe d'agents de police avec un inspecteur en route pour leur ronde. L'inspecteur et deux hommes l'accompagnèrent et, malgré la résistance du propriétaire, parvinrent jusqu'à la pièce où Mr St Clair avait été vu pour la dernière fois. Il n'y avait aucun signe de lui. En fait, il n'y avait personne à tout l'étage, sauf un affreux infirme qui, semblait-il, vivait là. Ensemble le Lascar et lui jurèrent que personne n'avait occupé la pièce de devant cet après-midi là. Leurs dénégations étaient si déterminées que l'inspecteur fut ébranlé et il commençait à croire que Mrs St Clair s'était trompé quand, avec un cri, elle se rua sur une petite boîte en sapin qui était posée sur la table et arracha le couvercle. Une cascade de cubes d'enfants en tomba. C'était le jouet qu'il avait promis de rapporter à la maison.
           Cette découverte et la confusion évidente que montra l'infirme firent réaliser à l'inspecteur que l'affaire était sérieuse. La pièce fut soigneusement examinée et tous les résultats indiquaient un crime abominable. La pièce de devant était manifestement meublée comme un salon et donnait dans une petite chambre qui s'ouvrait derrière, sur un des appontements. Entre l'appontement et la fenêtre de la chambre il y a une étroite bande de terre qui est sèche à marée basse mais recouverte à marée haute de près d'un mètre quarante d'eau. La fenêtre de la chambre était large et s'ouvrait par-dessous. En l'examinant on trouva des traces de sang sur l'appui de la fenêtre et plusieurs gouttes disséminées étaient visibles sur le plancher de la chambre. Jetés derrière le rideau de la pièce de devant il y avait tous les vêtements de Mr Neville St Clair, à l'exception de son manteau. Ses bottes, ses chaussettes, son chapeau et sa montre, tout était là. Il n'y avait aucun signe de violence sur ses vêtements et il n'y avait aucune autre trace de Mr Neville St Clair. Il était apparemment sorti par la fenêtre car aucune autre issue ne fut découverte, et les inquiétantes traces de sang sur l'appui laissaient le petit espoir qu'il avait pu se sauver à la nage puisque la marée était à son plus haut au moment de la tragédie.
            Et maintenant en ce qui concerne les scélérats qui semblaient être directement impliqués dans l'affaire ! le Lascar était connu pour être un homme aux ignobles antécédents, mais comme d'après le récit de Mrs St Clair on savait qu'il était au pied de l'escalier à peine quelques secondes après l'apparition de son mari à la fenêtre, il pouvait difficilement avoir été plus qu'un complice du crime. Sa défense était celle de l'ignorance absolue et il protestait qu'il n'avait aucune connaissance des agissements de Hugh Boone, son locataire et qu'il ne pouvait en aucun cas expliquer la présence des vêtements du monsieur disparu.
 ***        Et voilà pour le propriétaire indien. Maintenant pour ce qui est du sinistre infirme qui vit au second étage de la fumerie d'opium et qui est certainement le dernier être humain dont les yeux se sont posés sur Neville St Clair : son nom est Hugh Boone et son visage hideux est familier à qui va souvent dans la City. C'est un mendiant professionnel, bien que pour éviter les réglementations de la police, il feigne de tenir un commerce d'allumettes. Un petit peu en bas de Threadneedle Street, sur le côté gauche, il y a, comme vous l'avez peut-être remarqué, un petit renforcement dans le mur. C'est là que s'installe chaque jour cette créature, les jambes croisées, avec une toute petite réserve d'allumettes sur les genoux et, comme c'est un spectacle pitoyable, une petite pluie de charité tombe dans son béret de cuir graisseux qui est posé sur le trottoir devant lui. J'ai regardé cet individu plus d'une fois, avant même de penser le rencontrer professionnellement, et j'ai été surpris de la moisson qu'il récolte en si peu de temps. Son apparence, voyez-vous, est si remarquable que personne ne peut passer devant lui sans l'observer. Une tignasse de cheveux orange, un pâle visage, défiguré par une atroce cicatrice qui, par ses contractions, est devenue l'arête externe de sa lèvre supérieure, un menton de bouledogue, et des yeux sombres et très pénétrants qui forment un contraste très saisissant avec la couleur de ses cheveux. Tout le distingue de la foule ordinaire des mendiants, de même que son intelligence, car il est toujours prêt à répliquer à n'importe quelle moquerie que peut lui lancer un passant. C'est l'homme locataire de la fumerie d'opium et qui est le dernier a avoir vu le monsieur dont nous sommes en quête.
            - Mais un infirme ! dis-je. Que pourrait-il faire sans aide contre un homme dans la force de l'âge ?
            - Il est infirme dans le sens qu'il marche avec une claudication, mais sous d'autres aspects il semble être un homme fort et bien nourri. Votre expérience médicale vous dira sûrement, Watson, que la faiblesse d'un membre est souvent compensée par une force exceptionnelle dans les autres.
            - Je vous en prie continuez votre récit.
            - Mrs St Clair s'était évanouie à la vue du sang sur la fenêtre et elle fut raccompagnée chez elle en fiacre par la police puisque sa présence ne pouvait plus être d'aucune aide dans leurs investigations. L'inspecteur Barton qui était chargé de l'affaire, procéda à un examen très soigneux de l'immeuble, sans rien trouver qui éclaire l'affaire. Cela avait été une erreur de ne pas arrêter Boone aussitôt, car il bénéficia de plusieurs minutes durant lesquelles il a pu communiquer avec son ami le Lascar, mais cette faute fut bientôt réparée et il fut arrêté et fouillé sans qu'on trouve rien qui puisse l'incriminer. Il y avait, il est vrai, des traces de sang sur la manche droite de sa chemise, mais il montra son annulaires qui était entaillé près de l'ongle, ajoutant qu'il avait été à la fenêtre peu auparavant et que les traces qu'on avait observées venaient sans aucun doute de la même source. Il nia vigoureusement avoir jamais vu Mr St Clair et les déclarations selon lesquelles elle avait vraiment vu son mari, il déclara qu'elle devait être folle ou avoir rêvé. Il fut emmené, en protestant bruyamment, au poste de police, pendant que l'inspecteur restait sur les lieux dans l'espoir que la marée descendante apporterait un nouvel indice.


                                                                                                à suivre..... 2 fin
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  ***                     "

            Et ce fut le cas.......


                                                                                                 
                                                                                                             

         
                                                                                                                   
         


















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