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lundi 24 août 2020

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui Journal 1 Samuel Pepys ( Angleterre extraits )


                                   
                                    Samuel Pepys né en 1633 à Londres près de Fleet Street. Une famille simple, mais un cousin petit-fils d'une grand-tante qui épousa un Montaigu le recommande et Pepys ( il  fut étudiant à Cambridge ) est nommé Secrétaire au Conseil de la Marine. Diariste reconnu, son journal débute le 1er janvier 1660. Quelques milliers de pages. Il recouvre des carnets de signes qui se rapprochent de la sténographie, forme d'écriture découverte depuis peu. A 27 ans il épouse par amour Elizabeth Saint-Michel de sept ans sa cadette. Assez souffrant il raconte ses divers maux telle l'opération d'un calcul, sans anesthésie, maladie de la pierre qui lui donnera l'occasion d'exhiber le caillou. Il meurt en 1703. Nombre d'événements d'importance surviennent durant les années où il tint ce journal. Voici de larges extraits de ce journal intime et rempli des anecdotes parfois croustillantes que nous conte Samuel Pepys.


                                                                                                                  Janvier 1660
franceculture.fr
Paysage d'hiver - 1608            5 - Suis allé au bureau où les soldats attendaient à nouveau l'argent qui devait arriver de la Régie, mais rien ne vint. On nous a cependant promis de nous l'envoyer dans l'après-midi. Ai dîné avec Mr Shipley  au domicile de milord d'un pâté de dinde, puis retour au bureau où on a apporté l'argent de la Régie. Une partie de cet argent a été distribué aux soldats jusqu'à la nuit. Suis ensuite revenu à la maison et ai écrit une lettre à milord lui annonçant que le Parlement avait voté cette nuit que les députés qui avaient été démis de leurs fonctions dans les années 1648 et 1649 étaient dûment démis et que des ordonnances seraient promulguées sous peu afin de les remplacer. Que Monck et Fairfax étaient convoqués à Londres et que les appartements du Prince de Whitehall allaient être mis à la disposition de Monck.
               Ensuite comme il gelait fort, ma femme et moi sommes allés chez Mrs Jemima dans l'espoir de boire un posset au xéres mais comme Mr Edward n'arrivait pas ce fut partie remise. Je laissai donc ma femme à jouer aux cartes avec Mrs Jemima et je me rendis avec ma lanterne chez Mr Fage pour qu'il examine mon nez. Il m'a dit que c'était seulement le froid. Nous avons ensuite discuté politique et il m'a confirmé qu'il était vrai que la Cité ne disposait d'assez de temps pour faire grand-chose mais qu'ils étaient décidés à se débarrasser des soldats et que, à moins qu'un Parlement libre ne fût élu, il était convaincu que la moitié du conseil municipal ne lèverait aucun impôt sur l'ordre du Parlement actuel. J'allai ensuite chez mon père, j'y trouvai Mrs Ramsey et sa petite-fille, une jolie jeune fille, restai quelques temps à bavarder elles et avec ma mère, puis pris congé. J'ai appris que nous étions invités demain chez mon cousin Thomas Pepys.
            Je suis retourné chez Mrs Jemima chercher ma femme et Mr Shipley et suis rentré à la maison.
                                            

                                       à suivre..............


dimanche 27 janvier 2013

Edouard Manet Emile Zola ( Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui )



     zola par manet

                                                                  Edouard Manet *

            Je viens de lire, dans le dernier numéro de l'Artiste, ces quelques mots de M. Arsène Houssaye :
" Manet serait un artiste hors ligne s'il avait de la main... Ce n'est point assez d'avoir un front qui pense, un oeil qui voit ; il faut encore avoir une main qui parle. "
            C'est là, pour moi, un aveu précieux à recueillir. Je constate avec plaisir la déclaration du poète des élégances, du romancier des grandes dames trouvant qu'Edouard Manet a un front qui pense, un oeil qui voit, et qu'il pourrait être un artiste hors ligne. Je sais qu'il y a une restriction, mais cette restriction est très explicable : M. Arsène Houssaye, le galant épicurien du XVIIIè siècle, égaré dans nos temps de prose et d'analyse, voudrait mettre quelques mouches et un soupçon de poudre de riz au talent grave et exact du peintre.
            Je répondrai au poète : " Ne désirez pas trop que le maître original et personnel dont vous parlez, ait une main qui parle plus qu'elle ne le fait, plus qu'elle ne le doit. Voyez au Salon ces tableaux de curiosités, ces robes en trompe-l'oeil. Nos artistes ont les doigts trop habiles, ils font joujou avec des difficultés puériles. Si j'étais grand justicier, je leur couperais le poignet, je leur ouvrirais l'intelligence et les yeux avec des tenailles. "
            D'ailleurs il n'y a pas que M. Arsène Houssaye à cette heure qui ose trouver quelque talent à Edouard Manet. L'année lors de l'Exposition particulière de l'artiste, j'ai lu dans plusieurs journaux l'éloge d'un grand nombre de ses oeuvres. La réaction nécessaire, fatale, que j'annonçais en 1866, s'accomplit doucement : le public s'habitue, les critiques se calment et consentent à ouvrir les yeux, le succès vient.                                                                     Houssaye par Nadar
            C'est surtout parmi ses confrères qu'Edouard Manet trouve cette année une sympathie croissante. Je ne crois pas avoir le droit de citer ici les noms des peintres qui accueillent avec une admiration franche le portrait exposé par le jeune maître. Mais ces peintres sont nombreux et parmi les premiers.
            Quant au public, il ne comprend pas encore, mais il ne rit plus. Je me suis amusé, dimanche dernier, à étudier la physionomie des personnes qui s'arrêtaient devant les toiles d'Edouard Manet. Le dimanche est le jour de la vraie foule, le jour des ignorants, de ceux dont l'éducation artistique est encore entièrement à faire.
            J'ai vu arriver des gens qui venaient là avec l'intention bien arrêtée de s'égayer un peu. Ils restaient les yeux en l'air, les lèvres ouvertes, tout démontés, ne trouvant pas le moindre sourire. Leurs regards se sont habitués à leur insu ; l'originalité qui leur avait semblé si prodigieusement  comique, ne leur cause plus que l'étonnement inquiet qu'éprouve un enfant mis en face d'un spectacle inconnu.
            D'autres entrent dans la salle, jettent un coup d'oeil le long des murs, et sont attirés par les élégances étranges des oeuvres du peintre. Ils s'approchent, ils ouvrent le livret. Quand ils voient le nom de Manet, ils essaient de pouffer de rire. Mais les toiles sont là, claires, lumineuses, qui semblent les regarder avec un dédain grave et fier. Et ils s'en vont, mal à l'aise, ne sachant plus ce qu'ils doivent penser, remuer malgré eux par la voix sévère du talent, préparés à l'admiration pour les prochaines années.
            A mon sens, le succès d'Edouard Manet est complet. Je n'osais le rêver si rapide, si digne. Il est singulièrement difficile de faire revenir d'une erreur le peuple le plus spirituel de la terre. En France, un homme dont on a ri bêtement est souvent condamné à vivre et à mourir ridicule.Vous verrez qu'il y aura longtemps encore dans les petits journaux des plaisanteries sur le peintre d'Olympia. Mais dès aujourd'hui, les gens d'intelligence sont conquis, le reste de la foule suivra.
            Les deux tableaux de l'artiste sont malheureusement fort mal placés, dans des coins, très haut, à côté des portes. Pour les bien voir, pour les bien juger, il aurait fallu qu'ils fussent sur la cimaise, sous le nez du public qui aime à regarder de près. Je veux croire qu'un hasard malheureux a seul reléguer ainsi des toiles remarquables. D'ailleurs, tout mal placés qu'elles sont, on les voit et de loin : au milieu des niaiseries et des sentimentalités environnantes, elles font des trous dans le mur.
            Je ne parlerai pas du tableau intitulé : Une jeune dame. On le connaît, on l'a vu à l'Exposition particulière du peintre. Je conseille seulement aux messieurs habiles qui habillent leurs poupées de robes copiées dans des gravures de mode, d'aller voir la robe rose que porte cette jeune dame ; on n'y distingue pas, il est vrai, le grain de l'étoffe, on ne saurait y compter les trous de l'aiguille ; mais elle se drape admirablement sur un corps vivant ; elle est de la famille de ces linges souples et grassement peints que les maîtres ont jetés sur les épaules de leurs personnages. Aujourd'hui les peintres se fournissent chez la bonne faiseuse, comme les petites dames.                                                        
            Quant à l'autre tableau...
            Un de mes amis me demandait hier si je parlerais de ce tableau, qui est mon portrait. " Pourquoi pas ? lui ai-je répondu  ; je voudrais avoir dix colonnes de journal pour répéter tout haut ce que j'ai pensé tout bas pendant les séances, en voyant Edouard Manet lutter pied à pied avec la nature. Assez que vous croyez ma fierté assez mince pour prendre quelque plaisir à entretenir les gens de ma physionomie ? Certes, oui, je parlerai de ce tableau, et les mauvais plaisants qui trouveront là matière à faire de l'esprit, seront simplement des imbéciles.
            Je me rappelle les longues heures de pose. Dans l'engourdissement qui s'empare des membres immobiles, dans la fatigue du regard ouvert sur la pleine clarté, les mêmes pensées flottaient toujours en moi, avec un bruit doux et profond. Les sottises qui courent les rues, les mensonges des uns et les platitudes des autres, tout ce bruit humain qui coule inutile comme une eau sale, était loin, bien loin. Il me semblait que j'étais hors de la terre, dans un air de vérité et de justice, plein d'une pitié dédaigneuse pour les pauvres hères qui pataugeaient en bas.
            Un moment, au milieu du demi-sommeil de la pose, je regardais l'artiste, debout devant sa toile, le visage tendu, l'oeil clair, tout à son oeuvre. Il m'avait oublié, il ne savait plus que j'étais là, il me copiait comme il aurait copié une bête humaine quelconque avec une attention, une conscience artistique que je n'ai jamais vue ailleurs. Et alors je songeai au rapin débraillé de la légende, à ce Manet de fantaisie des caricaturistes qui peignait des chats par manière de blague. Il faut avouer que l'esprit est souvent d'une bêtise rare.
            Je pensais pendant des heures entières à ce destin des artistes individuels qui les fait vivre à part, dans la solitude de leur talent. Autour de moi, sur les murs de l'atelier étaient pendues ces toiles puissantes et caractéristiques que le public n'a pas voulu comprendre. Il suffit d'être différent des autres, de penser à part pour devenir un monstre. On vous accuser d'ignorer votre art, de vous moquer du sens commun, parce que justement, la science de votre oeil, les poussées de votre tempérament vous mènent à des résultats particuliers. Dès qu'on ne suit pas le large courant de la médiocrité, les sots vous lapident en vous traitant de fou ou d'orgueilleux.
            C'est en remuant ces idées que j'ai vu la toile se remplir. Ce qui m'a étonné moi-même a été la conscience extrême de l'artiste. Souvent, quand il traînait un détail secondaire, je voulais quitter la pose, je lui donnais le mauvais conseil d'inventer.
            - Non, me répondait-il, je ne puis rien faire sans la nature. Je ne sais pas inventer. Tant que j'ai voulu peindre d'après les leçons apprises, je n'ai produit rien qui vaille. Si je vaux quelque chose aujourd'hui, c'est à l'interprétation exacte, à l'analyse fidèle que je le dois.
            Là est tout son talent. Il est avant tout un naturaliste. Son oeil voit et rend les objets avec une simplicité élégante. Je sais bien que je ne ferai pas aimer sa peinture aux aveugles ; mais les vrais artistes me comprendront lorsque je parlerai du charme légèrement âcre de ses oeuvres.
            Le portrait qu'il a exposé cette année est une de ses meilleures toiles. La couleur en est très intense et d'une harmonie puissante. C'est pourtant le tableau d'un homme qu'on accuse de ne savoir ni peindre ni dessiner. Je défie tout autre portraitiste de mettre une figure dans un intérieur, avec une égale énergie, sans que les natures mortes environnantes nuisent à la tête.                              
            Ce portrait est un ensemble de difficultés vaincues ; depuis les cadres du fond, depuis le charmant paravent japonais qui se trouve à gauche, jusqu'aux moindres détails de la figure, tout se tient dans une gamme savante, claire et éclatante, si réelle que l'oeil oublie l'entassement des objets pour voir simplement un tout harmonieux.
            Je ne parle pas des natures mortes, des accessoires et des livres qui traînent sur la table ; Edouard Manet y est passé maître. Mais je recommande tout particulièrement la main placée sur un genou du personnage ; c'est une merveille d'exécution. Enfin, voilà donc de la peau, de la peau vraie, sans trompe-l'oeil ridicule. Si le portrait entier avait pu être poussé au point où en est cette main, la foule elle-même eût crié au chef-d'oeuvre.
            Je finirai comme j'ai commencé, en m'adressant à M. Arsène Houssaye.
            Vous vous plaignez qu'Edouard Manet manque d'habileté. En effet, ses confrères sont misérablement adroits auprès de lui. Je viens de voir quelques douzaines de portraits grattés et regrattés qui pourraient servir avec avantage d'étiquettes à des boîtes de gants.
            Les jolies femmes trouvent cela charmant. Mais moi qui ne suis pas une jolie femme, je pense que ces travaux d'adresse méritent au plus la curiosité qu'offre une tapisserie faite à petits points. Les toiles d'Edouard Manet qui sont peintes du coup comme celles des maîtres seront éternelles d'intérêt. Vous l'avez dit, il a l'intelligence, il a la vision exacte des choses ; en un mot, il est né peintre. Je crois qu'il se contentera de ce grand éloge qu'il est le seul avec deux ou trois autres artistes, à mériter aujourd'hui.



                                                                                                                      Zola
                                                                                                                
    * Voir les Chutes Zola  ( 14/06/12 )                                                                                     

samedi 27 octobre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui journal 2 Samuel Pepys ( Angleterre )




                                                                Journal
                                                                             1660 -  Janvier

            8 - Dimanche. - Ce matin je me suis rendu chez Mr Gunning ; il fit un bon sermon dans lequel il raconta la vie du Christ et nous donna toutes les preuves pour nous convaincre que le Christ a, en vérité, appris le métier de son père et fut charpentier jusqu'à sa trentième année. Allai ensuite déjeuner chez mon père où je retrouvai ma femme contrainte de venir y déjeuner du fait que nous n'avions pas un morceau de charbon à la maison et qu'il faisait un temps glacial. L'après-midi, comme mon père devait se rendre chez quelqu'un pour réclamer de l'argent qui était dû à ma tante Bell, ma femme et moi nous rendîmes chez Mr Messom où un docteur en théologie fit un très bon sermon. Puis j'envoyai ma femme chez mon père et j'allai passer quelque temps chez Mrs Turner. En revenant chez mon père j'y trouvai Mr Shipley. Après souper nous revînmes ensemble à la maison. J'ai appris que Mr Palmer était mort et qu'on devait l'enterrer demain à Westminster.

           11 - Alors que je me trouvais chez Will avec le capitaine Barker qui m'a remis ce matin 300 livres au bureau, voici qu'entre mon père ; je l'accompagnai à pied et le laissai chez W. Joyce, j'allai quant à moi jusque chez Mr Crew, mais j'arrivai trop tard pour dîner. Après une partie de volant avec Mr Walgrave et Mr Edward je retournai chercher mon père chez W. Joyce qui était lui-même sorti. Nous étant renseignés auprès d'un portier nous allâmes dans une taverne et après un verre ou deux nous nous quittâmes. Je m'acheminai vers Londres et en chemin je passai voir Crowley qui est devenu un très grand lion parfaitement apprivoisé. Je me rendis ensuite chez Mr Stevens avec une paire de mouchettes en argent, j'y achetai une paire de cisailles pour couper l'argent et m'en retournai à la maison.Home Décor Creepy Halloween Punk de vapeur Vintage 1900 Antique de 1900 victorienne gothique Snuffer Bougie Silver Plate
            De chez moi, allai rendre visite à Mrs Jemima. Les médecins avaient maintenant confirmé qu'elle avait la petite vérole.
            Retour à la maison, puis au café où je ne m'attardai pas, et rentrai à la maison.


                                                                                                      Samuel Pepys

lundi 22 octobre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui - Choses vues Victor Hugo


                                                     
                                                   Choses vues

                                                                                                                Novembre 1849

            Les ministres actuels sont des carreaux de vitres. On voit le président au travers.

                                              Le Vice-Président de la République

            M. Boulay de la Meurthe était un bon gros homme, chauve, ventru, petit, énorme avec le nez très court et l'esprit pas très long. Il était l'ami de Harel auquel il disait : " mon cher " et de Jérôme Bonaparte auquel il disait : " Votre Majesté ".
            L'Assemblée le fit, le 20 janvier, vice-président de la République.
            La chose fut un peu brusque et inattendue pour tout le monde, excepté pour lui. On s'en aperçut au long discours appris par coeur qu'il débita après avoir prêté serment. Quand il eut fini L'Assemblée applaudit puis à l'applaudissement succéda un éclat de rire. Tout le monde riait, lui aussi ; l'Assemblée par ironie, lui de bonne foi.
            Odilon Barrot qui, depuis la veille au soir, regrettait vivement de ne pas s'être laissé faire vice-président, regardait cette scène avec un haussement d'épaules et un sourire amer.
            L'Assemblée suivait du regard Boulay de la Meurthe  félicité et satisfait, et dans tous les yeux on lisait ceci : " Tiens ! Il se prend au sérieux ! "
            Au moment où il prêta serment d'une voix tonnante qui fit sourire, Boulay de la Meurthe avait l'air ébloui de la République, et l'Assemblée n'avait pas l'air éblouie de Boulay de la Meurthe.
            Ses concurrents étaient Vivien et Baraguay-d'Hilliers, le brave général manchot, lequel n'eut qu'une voix. Vivien avait beaucoup compté sur la chose. Quelques moments avant la proclamation du scrutin on le vit quitter son banc et s'en aller à côté du général Cavaignac. Le président manqué consola le vice-président raté. Je n'aimais pas Vivien parce qu'il était honteux de son père ancien maître d'études, pion, chien de cour, comme disent les gamins à la pension Cordier-Decotte, rue Sainte-Marguerite n° 41. Ceci m fit voter pour Boulay de la Meurthe.
            J'avais passé trois années de mon enfance, 1815, 1816 et 1817 dans cette pension Decotte.
            Ce père Vivien était un personnage à part. C'était un vieillard ébouriffé, flottant dans un habit à grandes basques. L'habit était râpé, le bonhomme était maigre, le tout était piteux. Le père Vivien avait été dans l'Inde et en avait rapporté des sparteries assez curieuses dont était tapissé le cabinet où son fils, élève gratuit, travaillait avec mon frère Eugène et moi. Ce cabinet n'était autre chose qu'un compartiment de la classe réservé aux grands. Vivien fils avait cinq ou six ans de plus que moi. C'était un grand beau jeune homme rose aux yeux bleus, clairs et brillants ; il avait sur le front deux petites bosses comme les faons dont les cornes vont pousser. Il était fort en discours latin. Il semblait humilié d'être " le fils du pion ". Ainsi le nommais la moquerie indifférente et féroce des enfants. Au sortir de la pension Decotte nous nous perdîmes de vue. Je le revis trente ans plus tard en 1847 ; lui avait été ministre et était député ; j'étais pair de France. Ma rencontre lui fut désagréable ; j'avais connu son père.
            Pendant que le vice-président pérorait à la tribune je causais avec Lamartine. Nous parlions architecture. Il tenait pour Saint Pierre de Rome, moi pour mes cathédrales. Il me disait ; " Je hais vos églises
sombres ; Saint-Pierre est vaste, magnifique, lumineux, éclatant, splendide. " Et je lui répondais : " Saint-Pierre de Rome n'est que le grand ; Notre-Dame, c'est l'infini. "
                                               
                  
                                               Monsieur le duc D'Harcourt
  
            M. le duc d'Harcourt venait à l'épaule de M. Thiers. Il était impossible de voir un plus petit homme et un plus grand nom. M. d'Harcourt avait l'oeil vif, le nez pointu, les cheveux gris, le sourire fin, les manières aisées et simples, l'air d'un grand seigneur et d'un bon homme. Ses opinions dépassaient le libéralisme. Un jour à propos de la Pologne il fit contre les rois d'Europe une telle sortie que M. Pasquier le rappela à l'ordre. M.d'Harcourt se contenta de lui jeter un regard d'ancien duc à nouveau duc.
            A la Chambre des pairs, il ne restait jamais en place ; il allait et venait sans cesse, ses deux mains dans les goussets de son pantalon gris, le collet de son habit de pair rabattu sur ses épaules, un bonnet de velours vert sur la tête. Un de ses fils, Jean d'Harcourt, était dans la marine et bon officier.
            M. d'Harcourt, presque républicain, affectait certaines façons suprêmes ; il faisait partie du groupe de pairs qui portait le collet de velours noir à broderie étroite ; ce velours noir était ménagé à dessein par les anciens pairs pour laisser voir la place des fleurs de lys, ce qui indiquait la date de leur pairie.          





              Sous la Restauration le collet et les parements des pairs  étaient brodés de fleurs de lys d'or et le collet et les parements des députés de fleurs de lys d'argent. Les pairs, depuis 1830, couvraient collet et parement de broderies qui laissaient à peine voir le velours. Ce collet séparait les anciens orgueils des vanités nouvelles. M. d'Harcourt n'était pas inaccessible à ces misères. Du reste intelligent, cordial, généreux, il ne battait personne à terre. Il fut clément pour Teste. La tribune lui venait au menton, mais il avait des idées, de la chaleur d'âme et se haussait peu à peu. Il commençait par être petit  et finissait par être grand. Au rebours des opinions reçues, il avait une haute idée de la Chambre des pairs comme pouvoir. Il me dit un jour : " Si cette Chambre voulait, elle ferait tout, elle a la parole comme la Chambre des députés et la durée comme le roi. "
            La République de Février le fit ambassadeur à Rome. M. d'Harcourt était fort laborieux A Gaëte, pendant l'exil du pape, il recopiait lui-même de sa main toutes ses dépêches. Il est vrai que la légation était désorganisée et qu'il n'avait pas de secrétaire.                        Gaëte ortie royale                                                                      
               Même à travers les choses folles et violentes que   
la réaction lui imposait contre les républicains de Rome, son vieux levain anti-monarchique lui restait. Le jour de la fête du roi de Naples, il se dispensa d'aller au baise-main et, par son ordre, le Tenare qui était mouillé dans la rade, ne se pavoisa ni ne salua.
               Cette haine lui venait, disait-on, d'un mot de Louis XVIII. Louis XVIII l'avait surnommé le duc-mouche. M. d'Harcourt dit : " La mouche piquera. " Par représailles il appelait Louis XVIII le roi-cachalot.


                                                                                                        Hugo