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jeudi 12 novembre 2015

Correspondance Proust Mme Straus 1 ( lettres France )

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            A Madame Straus                                                                      
                                                         
                                                                                                Vendredi 2 février 1908

            Madame
            Vos petits almanachs m'enchantent et la pensée qu'ils viennent de vous leur ajoute tant de poésie ! Enfin je suis ravi et je vous remercie de tout mon coeur.
            Je suis moins bien, c'est pour cela que je ne viens pas. Et je voudrais me mettre à un travail assez long, ce qui me rendrait encore plus difficile de venir. Mais enfin j'ai si envie de vous voir, je viendrai.
            Vous êtes si gentille de vous défendre d'avoir eu de l'ironie à propos de cet article que maintenant moi j'ai peur de paraître en avoir un peu trop manqué ( d'ironie ). Talent est beaucoup. Je voulais dire que ce n'est pas aussi stupide que disent les gens du monde. Mais les gens du monde sont si pénétrés de leur propre stupidité qu'ils ne peuvent jamais croire qu'un des leurs a du talent. Ils n'apprécient que les gens de lettres qui ne sont pas du monde. Seulement ( c'est encore un effet de leur stupidité ) ils n'apprécient les gens de lettres que s'ils expriment leur mentalité à eux gens du monde. Ils trouvent les livres de Madame de Noailles stupides et ceux de Bourget sublimes. Quant à Alexandre de Gabriac s'il a fait quelques articles où il y a vraiment de gracieuses velléités d'exprimer des choses que nous aimons, celui dont je parlais ne valait que par ses gentilles intentions et un parfum de vertu. Mais enfin c'est encore cela un journaliste et un homme du monde qui ne fait pas consister la vertu dans l'antisémitisme. Et le tout compose un personnage en somme plus sympathique que son aspect physique, lequel je l'avoue est plus digne du crayon de Sem que de nos apologies. Je réfléchis qu'en disant " nous " je suis bien outrecuidant et que j'imite votre belle-fille sans avoir au moins l'excuse d'être la femme de Jacques !
            Votre ami respectueux et reconnaissant

                                                                                          Marcel Proust.

            Je suis désespéré de ce que vous me dites des travaux qu'on fait à côté de chez vous. J'aimerais beaucoup mieux ( je vous assure que c'est sincère ) que ce fût à côté de chez moi et que vous n'ayez pas de bruit. Je vais penser tout le temps à cela. Hélas il n'y a sans doute rien à faire. Voulez-vous que nous louions un bateau sur lequel on ne fera aucun bruit et d'où nous verrons défiler sans quitter notre lit ( nos lits ) toutes les belles villes de l'univers posées au bord de la mer.


                                   
                                                            ~~~~~~~~~~~~~~~~
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            A Madame Straus                                                                               
                                                                                Seconde quinzaine d'avril 1908
            Madame,
            Je suis bien triste que vous n'alliez pas bien, bien triste que nos " traitements " nous séparent, sans nous améliorer. Je me dis que si je montais des étages j'irais encore plus mal et que si vous voyiez du monde à Paris au lieu d'être en Suisse vous seriez encore plus fatiguée. C'est la chance de la médecine que notre impossibilité de savoir ce qui serait arrivé si toutes choses étant restées les mêmes nous avions suivi une autre hygiène. Car les choses ne sont jamais les mêmes, et comment démêler la part du temps, de mille causes inconnues, les caprices de la maladie elle-même. Nous avons pris, ou plutôt moi j'ai pris un triste pli avec vous depuis quelque temps. Dès que je suis près de vous je suis paralysé par une timidité inconnue, je sens un abîme entre nous et je deviens d'une stupidité d'autant plus qu'elle se manifeste devant vous, et qu'hors de votre présence elle n'est pas si constante. Le sentiment que vous me considérez comme une boîte à potins, la nécessité de vous en fournir de nouveaux et de scandaleux y est peut-être pour quelque chose. J'en suis en ce moment bien démuni car depuis que je vous ai vu(e) je ne suis presque pas sorti de chez moi je ne vois personne. Ce n'est guère que Reynaldo qui me dit de temps en temps ce qui se passe dans le monde où je ne vais jamais. Mais le fait d'en avoir connu chez vous autrefois les différents personnages me permet de m'intéresser plus facilement à ses récits. Je sais que M de Fitz James votre amie ( et qui fut même la mienne ) a rencontré l'autre jour M; Joseph de Gontaut qui lui a reproché de ne jamais l'inviter. Elle lui a répondu :
" Mais oui je vous inviterai... eh! bien non je ne pourrais pas,
vous me rappelleriez trop mon pauvre Robert! "                            artcyclopedia.com
Résultat de recherche d'images pour "Claude Monet"Mot d'une authenticité indiscutable raconté par trois personne présentes. Sa rivale a eu quelques mots agréables. Mais vraiment vous raconter les mots des autres, excepté les mots involontaires, c'est trop stupide. Dans la moindre carte postale de vous il y a tellement mieux par exemple dans la dernière : " On n'attend que moi . " Je vois tout le temps dans les journaux des annonces d'expositions qui me tentent. Mais je me dis que j'attendrai toujours pour aller revoir des tableaux que nous puissions y aller ensemble. Et du reste je n'en ai jamais revu depuis le jour où j'avais été avec vous chez Durand Ruel voir les admirables Nymphéas de Claude Monet. Je crois que le dernier soir où je suis allé chez vous est celui où Helleu m'attendait. Imaginez-vous que j'ai eu l'imprudence de lui dire d'un tableau de Versailles, d'une étude, que c'était ce qu'il avait jamais fait de mieux. Quelques jours après je le recevais ! Je suis tellement confus de sa bonté que je ne sais que faire et je voudrais trouver quelque chose de joli qui lui fasse plaisir pour le remercier. Tout le monde est tellement gentil pour moi que cela me rend malheureux de ne pas savoir comment faire plaisir.
            Adieu Madame j'espère que vous allez bientôt revenir et que je pourrai aller vous voir
            Votre respectueux admirateur qui vous aime


                                                                                                     Marcel Proust.

         J'ai écrit dernièrement une lettre d'une extrême tendresse à Jacques. Mais il ne m'a jamais répondu.