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dimanche 17 juin 2012

Lettres à Madeleine 39 Apollinaire



         Guillaume Apollinaire
                                                  Lettre à Madeleine

            Lettres des 21, 22, 23 et 24 octobre. Ces lettres  remplies de propos galants tels qu'on a pu les lire déjà, affirme ses sentiments amoureux mais dans le courrier du 21 octobre il précise...
            " ... Je t'envoie aujourd'hui un livre qui était sous presse avant la guerre et qui vient de paraître ( nte de l'éditeur - Les trois Don Juan - Bibliothèque des Curieux ) C'est sans valeur mais t'amusera peut-être venant de moi. Tu verras à quoi on est obligé de descendre pr gagner sa vie à Paris et j'ai toujours résisté à faire des travaux plus bas comme ont fait Willy ou les auteurs de romans-feuilletons. Néanmoins, tu te rendras compte que j'ai autre chose à écrire. J'ai fait cela en m'amusant, mais c'est triste quand même et plus mal payé que les trucs à Willy et surtout feuilletonistes sentimentaux. C'est écrit rapidement avec les diverses histoires de Don Juan. J'ai pris tout ce que j'ai pu à Molière pr le Tenorio et le dernier n'est que le résumé sous la traduction mot à mot du Don Juan de Byron. Néanmoins, je ne mets pas ces choses parmi mes ouvrages et n'y fais même pas mention ) l'endroit du - Du même auteur - , de L'Hérésiarque Alcools etc...)

                                                                                               25 octobre 1915 ( pour partir le 26 )

            Amour, je mets ici une petite remarque autant pour moi que pour toi, dans ma dernière vie anecdotique je citais le mot allemand Rittergut ajoutant qui signifie, je crois, un domaine auquel était attaché le titre de chevalier, c'était tout simplement une terre noble que ne pouvaient acquérir les vilains. C'est le baron de Stein qui obtint cette faveur de Frédéric Guillaume quand il fit abolir le servage
            Pour ce que je te disais hier à propos de la fréquence de nos étreintes complètes, c'est toi qui en réglera l'usage, en considérant qu'il faut ménager la durée des forces, de façon à pouvoir s'aimer très longtemps jusque dans la vieillesse sans fatigue. L'usage en est excellent et sain, l'abus est redoutable et émousse le plaisir.
            La privation d'eau dont tu parlais hier se fait surtout sentir pour ce qui concerne le lavage du linge. En tout cas j'en prends toujours pour me laver à fond moi-même et 1 fois par semaine le conducteur non monté lave tout de même le linge.
            Voilà la vie, on se lève quand on veut à moins qu'on ne tire et le cri à vos postes vous met vite debout, car on dort tout habillé. Moi, je me lève quand on ne m'appelle point pr raison de service à 7 h. Quand je suis de jour je distribue l'eau, sinon je vais déjeuner aussitôt, café noir et pain avec le repas froid qui est soit du gruyère soit de la confiture. Puis je me mets nu jusqu'à la ceinture et me lave dans une cuvette que j'ai depuis le commencement, cuvette en zinc émaillé qui accrochée derrière le caisson quand on est en route, en a déjà vu de toutes les couleurs. Je me sers encore de ta savonnette, je me lave la poitrine, le cou, les aisselles les mains au savon, puis dans une nouvelle eau je me rince. Après quoi je me lave la tête et la rince, puis le visage, après quoi je lave tout ce qui est à toi conjugalement. Puis je m'habille puis on tire ou on lit jusqu'à la soupe 10h 1/2 puis on attend les lettres. Je ne compte naturellement pas les tirs qui viennent n'importe quand le jour ou la nuit et durent ce qu'ils durent. En principe, on mange encore à 4h 1/2 et on reprend le café, puis moi j'écris jusqu'à 10 h ou s'il y a de l'eau et s'il ne pleut pas je prends une douche en plein air, me brosse les dents et vais me coucher vers onze heures. 1 nuit sur 2 on ne dort pas on est de garde, pas moi mais mes hommes mais pas moyen de dormir. Dans le jour je me rencontre souvent avec Berthier m. d. l  de la 2è pièce qui sort peu ou Dufreney m. d. l. de la 1è pièce il vit tout seul dans un petit trou où il a juste la place de s'étendre. Il y a 1 mois 1/2 nous avions une cagnât commune avec Berthier nous y écrivions, il y faisait de la photo, fini depuis l'attaque. J'ai une table pliante que j'ai fabriquée et 1 petit banc pr m'asseoir et un lit assez bien. Mais je ne pourrai pas emporter le lit et je crains qu'au fur et à mesure des changements on ne trouve de moins en moins de planches. Le lit est en planches, le fond en treillage de fil de fer, les clous sont fabriqués de bouts de fils d'acier, sur le treillage il y a de la paille sur la paille un sac puis un isolateur que j'ai trouvé du côté de Reims puis ma toile de tente pliée en 2 je me couche dedans et sur moi couverture de cheval couvre-pied, manteau, au pied du lit devant la porte il y a ma table.
                                     

            Mon amour je viens de recevoir tes lettres du 18 et du 19. Oui sois calme mon amour et patiente quand tu ne reçois pas de lettre de moi. Mon amour je t'adore. Je prends ta bouche infiniment, et j'aime tes seins durs comme des obus, mon amour chéri. Non, mon amour tu ne m'as pas encore parlé de tes jambes et je voudrais aussi une longue lettre sur tes hanches. J'adore tes seins qui sont si beaux. Ils s'impriment dans ma chair. Et je te fais encore cette caresse que tu devines. Je te mange mon amour et je me fais une barbe de sapeur avec ta toison que j'adore. J'adore ce sourire qui était l'annonciation. moi aussi m'amour tout ce qui n'est pas toi m'est indifférent . J'adore que tout soit désir en toi Madeleine, c'est ainsi en moi aussi. Mais oui tu m'aimes bien, mon grand amour, ma belle pâmée, mon adorable évanescente, mon Ariel voluptueux. Ton corps se contracte parce que tu ignores encore mon attouchement et puis c'est peut-être ta façon.
            Parle-moi longuement des amphores de tes hanches mon amour et dis-moi aussi comme est placée cette bouche rose et noire de ton être intime, bas et regardant le sol ou plus haut et comme une fente verticale devant toi. Dis-moi aussi quels sont les poètes que tu préfères, en-dehors de moi bien entendu qui suis ton amour et qui t'adore, dis-moi aussi si tu es gourmande et si tu as bon appétit et sur quel côté tu dors. Puis dis-moi encore que tu m'aimes moi je t'adore. Je prends ta bouche.

                                                                      CLASSE 17

                                           Boyaux et rumeur du canon
                                           Sur cette mer aux blanches vagues
                                          Fou stoïque comme Zénon
                                          Pilote du coeur zigzagues

                                          Petites forêts de sapins
                                          La nichée attend la becquée
                                          Pointe-t-il des nez de lapins
                                          Comme l'euphorbe verruquée

                                         Ainsi que l'euphorbe d'ici
                                         Le soleil à peine boutonne
                                         Je l'adore comme un Parsi
                                         Ce tout petit soleil d'automne

                                         Un fantassin presqu'un enfant
                                         Beau comme le jour qui s'écoule
                                         Beau comme mon coeur triomphant
                                         Disait en mettant sa cagoule

                                         Tandis que nous n'y sommes pas
                                         Que de filles deviennent belles
                                         Voici l'hiver et pas à pas
                                         Leur beauté s'éloignera d'elles

                                         Ô Lueurs soudaines des tirs
                                         Cette beauté que j'imagine
                                         Faute d'avoir des souvenirs
                                         Tire de vous son origine

                                         Car elle n'est rien que l'ardeur
                                         De la bataille violente
                                         Et de la terrible lueur
                                         Il s'est fait une muse ardente

            Mon amour je prends ta bouche et je te prends toute.


                                                                                                   Gui