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samedi 18 février 2017

Correspondance Proust Gallimard 11 A Gustave Tronche ( Lettres France )

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lesmaterialistes.com
                                           
                                              A Gustave Tronche

                                                                                                         19 ou 20 juin 1921

            Cher ami
            ( ou plutôt bien cher ami, formule de vous que je trouve plus gentille ) j'ai reçu tantôt deux pneumatiques charmant de Léon Daudet ( tout ceci confidentiel ). Mais comme de ces pneus il ressort que pour des raisons que je vous donnerai verbalement, L'Action Française va proposer à la N.R.F un nouveau texte, mais que dans cet écho ni le nom de Vendérem ni le titre Sodome et Gomorrhe ne figureront, mon avis est celui-ci :
            1° Comme avant tout je suis désireux de ne pas fâcher Léon Daudet, je serais d'avis d'accepter l'écho qu'ils proposeront ( je crois que l'antisémitisme n'était pour rien dans la chose mais que sale juif est une " épithète homérique dans la maison ") si l'écho est suffisamment élogieux pour compenser le manque de précision.
            2° Mais si l'écho se trouve insultant pour Vandérem ( et je trouverais tel qu'on citât textuellement des phrases de lui sans le nommer ) il vaut mieux répondre que vous ne pouvez accepter ce texte et que désormais la N.R.F. s'adressera pour la publicité à des journaux où c'est moins compliqué.
            Vous serez bien gentil de rendre cette lettre à Odilon après l'avoir mise sous enveloppe que vous fermerez.
            J'ai fait téléphoner ce soir à Jacques Rivière, non pour lui dire ce que vous me défendez, mais pour qu'il vienne me voir. Mais sa concierge a répondu qu'on ne répondait pas de chez lui, et comme il était en effet plus de neuf heures et demie je n'ai pas insisté pour ne pas être une cause de fatigue pour lui.
            Je vais écrire à Gaston pour le remercier du chèque que vous avez eu la gentillesse de faire doubler. Je reste navré de votre décision et y pense sans cesse
            Votre ami

                                                                                Marcel


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                                                   A Gustave Tronche

                                                                                                             20 juin 1921

            Bien cher ami
            Vous seriez bien gentil de m'envoyer un pneu ( je ne l'aurai sans doute que très tard, doutant fort de pouvoir me déshabiller avant 1 heure de l'après-midi, et le temps des fumigations et du repos me mènera tard ).
Résultat de recherche d'images pour "antisemitisme tableaux"            1° J'ai relu plus attentivement les 2 télégr peu lisibles de Léon Daudet et je me demande s'il ne dit pas que son journal a proposé une rédaction n.. à la N.R.F. ). En un mot j'avais compris un amendement à venir, alors que peut-être c'est un amendement passé. S'il s'agit d'un amendement passé, c'est que votre messager l'a repoussé sans vous consulter, en quoi il a eu grand tort. Mais dans ce cas je ne vous conseille pas ni à vous, ni à lui, ni à personne de prendre l'initiative d'un nouvel écho à l'A.F. Je trouve que ce serait manquer de dignité. ( Cela n'empêche pas les deux télégr de Daudet d'être charmants et assurément s'il était seul rien ne se serait produit. Dans ce cas nous nous tiendrons à votre système du  Temps etc. ( Je suis contre les Débats. Peut-être Bonsoir ). - Mais peut-être avais-je bien lu la 1re fois et allez-vous recevoir des suggestions  de l'A.F. Dans ce cas vous verrez pour le mieux en évitant que ce soit blessant pour Vandérem.
            2° Les "Belles Lettres " dirigées par un M. Landeau (?) ont-elles une importance qconque. J'ai le sentiment de n'avoir pas répondu à beaucoup de lettres d'eux. En tous cas je viens d'écrire à M. Gallien qui me demandait un rendez-vous afin de dessiner ma gueule pour cette revue que j'étais trop souffrant. Je lui enverrai peut-être une photo. De tout coeur à vous.


                                                                                        Marcel Proust


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                                                   A Gaston Gallimard

                                                                                                            Samedi soir
                                                                                                  10 septembre 1921

            Mon cher Gaston
            J'ai reçu aujourd'hui une dépêche qui m'a fait un plaisir profond, et une lettre qui m'a bien ennuyé. La dépêche était de Jacques. Comme dans sa lettre d'hier il avait l'air tourmenté que je ne donne pas d'extrait à la NR.F. ( non évidemment qu'il y tienne mais parce qu'il fallait alors boucher un trou  et que me chercher un substitut surmenait ses nerfs ) je lui ai envoyé à la première heure dépêche pour qu'il ne se fasse pas de bile et pour l'assurer que Paulhan avait l'extrait. Sa réponse télégraphique que j'ose à peine vous dire tant elle était heureuse, témoignait d'un tel calme reconquis que j'en ai été ému du fond du coeur.                                                                 contrecourant.Wordpress.com  
Résultat de recherche d'images pour "antisemitisme tableaux"            La lettre qui m'a ennuyé est la vôtre ( reçue seulement ce soir Samedi ) et vous comprenez bien si elle me contrarie, c'est parce que je sens que vous ai contrarié. Mais mon cher Gaston puisque cela vous contrariait vraiment, et puisque j'avais dit à Duvernois que c'était, sous réserve de votre autorisation, pourquoi ne pas m'avoir dit à temps " ne le faites pas ". Je me suis engagé aussitôt après vous avoir vu. Je comprends bien que vous ne m'avez rien dit par délicatesse, mais j'aurais mieux aimé ne pas vous ennuyer. J'envoie un mot à Duvernois pour lui proposer comme titre : " Une jalousie ", au lieu de Sodome et Gomorrhe 2 ( mais je ne lui demande pas de mettre : " Extrait d'un volume "etc, car du moment que cela change de titre, voyez d'ici quelle confusion cela ferait. Un lecteur viendrait à la N.R.F. demander : " Donnez-moi Une Jalousie de M. Proust . - Ah ! il n'a rien publié ici sous ce titre ).Votre lettre me contrarie aussi ( mais ceci est secondaire ) parce que je vois qu'il faut renoncer à l'espoir de publier d'autres extraits d'autres volumes, aux Oeuvres Libres.  Puisque vous me dites, trop tard, que vous n'approuvez pas que j'aie donné un 1er article aux Oeuvres Libres, cela me ferme la voie pour toujours. Car maintenant je suis averti, cela vous contrarie, donc je ne pourrai jamais récidiver, désirant avant tout ne pas vous contrarier. Sur la question d'argent il m'est difficile de vous répondre car je comprends mal votre raisonnement. En deux mots si j'ai saisi, cette collaboration fait gagner de l'argent à M. Proust, mais elle en fait gagner infiniment plus à M. Fayard. Mais songez qu'en m'interdisant pour l'avenir de recevoir de l'argent de M. Fayard ( je me soumets naturellement et ne vous reparlerait pas des Oeuvres Libres ), vous me mettez dans une position d'autant plus délicate que je n'en recevrai pas plus de la N.R.F. Elle me doit en ce moment ( si je compte bien et je peux me tromper ) environ soixante mille francs. Comment pourra-t-elle jamais me les payer ( au fond j'espère bien que si et qu'elle me les paiera ). C'est bien loin d'être un reproche et vous savez que j'ai accepté moi-même votre mode de paiement à 2 500 fr par mois. Mais il ne fonctionne pas tous les mois. Et ce que je touche un mois est " imputable " à des mois antérieurs. D'autre part au fur et à mesure que la N.R.F. ne pourra pas me payer, je lui livrerai de nouveaux livres qui accroîtront encore sa dette. C'est le tonneau des Danaïdes. Croyez bien que je vous dis tout cela dans un esprit tout " affectueux ", et avec une affection que je ne mettrais même pas si je me parlais à moi-même. Ce n'est ni une critique, ni une demande, tout simplement le regret que vous ne laissiez pas d'autres, compenser un peu cela. - Vous savez que pour la question des - voisinages - je n'ai jamais cru qu'ils nuisaient autant que vous le croyez à un auteur tant soit peu classé. Sans cela il n'y avait pas de raison pour que je ne refuse pas le Prix Goncourt parce que Claude Farrère et tant d'autres l'ont eu. Et la N.R.F. elle-même ne publie pas que des chefs-d'oeuvre, à commencer par les oeuvres de votre serviteur et ami


                                                                                          Marcel Proust

Encore une fois, lisez cela comme cela a été écrit, en toute amitié.

P.S. Faites attention que par erreur j'ai laissé trois ! feuille(?) blanche(?) fiez-vous seulement aux n°s des pages.


                                                       A Gaston Gallimard

                                                                                             Le 19 ou 20 septembre 1921

           Lettre importante à lire soigneusement.

           Mon cher Gaston                                                                 Van Gogh in the moma   pinterest.fr
Résultat de recherche d'images pour "impressionnistes moma"           Bien qu'ayant fait une petite chute dans ma chambre qui ne me rend pas très agréable d'écrire aussitôt après, je mentirais si je vous taisais que j'ai peu de satisfaction de la N.R.F. et comme cette même chute ( d'ailleurs insignifiante ) m'empêchera vraisemblablement de recevoir et de sortir, surtout si vous devez toujours aller en Bretagne. La N.R.F. a pour me martyriser deux directeurs, l'un le directeur général est vous. Il est toujours absent, pour des rendez-vous d'affaires etc mais enfin où je ne peux le relancer quand j'ai un conseil à lui demander. Et même quand il est à la Revue il me fait répondre qu'il n'y est pas ( ce qui me ramène au temps où Swann fut refusé et où je téléphonais avec une vaine naïveté trois fois par jour ). Le directeur de la Revue mon très cher Jacques Rivière, a imaginé je ne sais sur quoi qu'il n'avait pas comme extrait tout ce qu'il a demandé, alors qu'il a tout et un peu plus. Il en est résulté des semaines de lettres, de dépêches, d'angoisse pour moi à devenir fou.
 ( Excusez-moi bien auprès de M. Paulhan. Sans ma chute j'aurais cherché à aller le remercier.) Craignant que Jacques n'eût besoin d'encore plus je lui ai offert en surplus la Visite des Cambremer. Mais il paraît que c'est trop long. Enfin je lui ai offert pour le n° de novembre toute la fin du livre. Mais il faudrait des coupures. Je m'y refuse absolument ( envoyez-lui cette lettre car cela me fatigue trop d'écrire à vous deux ). Vous craignez qu'un extrait aux Oeuvres libres n'empêche de lire le livre. Mais au moins le titre étant différent il y a chance pour que ce soit le contraire. Dans la N R f en revanche où le public est mon public, tout le monde comprendra que c'est la suit  et si je faisais des coupures, je mutilerais mon oeuvre car personne ne se reporterait au livre. Dites en conséquence à Jacques que je ne lui donnerai rien en Novembre, il aura seulement en Octobre ce qu'il a demandé et un peu plus. Je renonce à répondre à la N.R.F. puisque il s'obstine ( pas Jacques Boulenger, Jacques Rivière ). En admettant le principe que l'extrait aux Oeuvres Libres ne nuit pas au livre, je reconnais ou plutôt je crains ( car je n'ai pas encore eu d'épreuves ) que le fragment soit très long et très fâcheusement choisi pour le livre. Je vous aurais demandé conseil quand il en était temps si vous ne m'aviez volontairement glissé entre les doigts comme une vraie anguille. ( Vous n'avez même pas répondu à ma lettre ). J'ai vu Duvernois après vous avoir vu, avant son départ pour Bruxelles où il est. Il m'a fait envoyer immédiatement un à-valoir de 10 000 fr. Il croit ( ? ) qu'à la répartition je peux avoir autant. Je lui ai dit votre sympathie ce qui a paru beaucoup le toucher, et je lui ai dit que jamais plus il n'aurait une ligne de moi dans les Oeuvres libres car je craignais de vous contrarier. Il en a paru très ennuyé, m'a dit de ne pas perdre tout espoir mais ma décision, bien que prise à regret, est formelle. Je n'écrirai plus aux Oeuvres libres ( comme je n'y aurais jamais écrit si vous me l'aviez dit le soir où vous êtes venu ). Maintenant mon cher Gaston je tiens à vous faire une recommandation très importante. N'allez pas ( bien entendu la question de votre loyauté et des droits ne se pose pas, j'ai pleine confiance en vous ), pour me prouver que Duvernois se trompe et que les Oeuvres libres feront tort à Sodomorrhe 2, soigner moins la diffusion de ce volume ( peut-être en 2 volumes ) que des précédents. Ce serait d'abord absurde puisque je vous ai promis de ne plus écrire aux Oeuvres Libres. Ce serait de plus très fâcheux. Cet ouvrage ( Sodome 2 ) est le plus riche en faits psychologiques et romanesques que je vous aie encore donné. La partie qu'a Duvernois est de beaucoup la moins bonne ( et je le regrette de ttes façons car c'est la plus nuisible au livre ). Donc mettez d'autant plus d'activité à lancer ce volume ( ou ces 2 volumes, c'est très long ) pour effacer le tort que la publication d'une partie en revue aura pu faire, et pour me récompenser de mon sacrifice puisque je refuse désormais leur collaboration.
Résultat de recherche d'images pour "antisemitisme tableaux"            Pour le titre de l'extrait de Jacques j'aimerais quelque chose comme " La perte après coup de ma grand'mère ".
            Vous pouvez mettre en note extrait de Sodome 2 ( bien que le morceau choisi par Jacques ne soit guère de nature à faire lire le livre ). En tous cas comme il n'y a dans ce morceau ni Sodome ni Gomorrhe, ces 2 noms seraient déplacés en titre principal. Voulez-vous le dire à Paulhan avec mes amitiés. La fatigue, l'épuisement pour mieux dire m'arrêtent. Je suis mon cher Gaston affectueusement votre dévoué

                                                         Marcel Proust

Je reçois avant que cette lettre soit fermée les épreuves de la N.R.F. qui "tombent " ( comme moi ! ) aussi mal que possible. Je vais néanmoins les corriger mais vous demande quand on n'en aura plus besoin qu'on me les renvoie car mes corrections ( les fautes sont nombreuses ) serviront pour le volume. Le titre le meilleur est : Les Intermittences du Coeur. C'est le mieux, il n'y a pas à hésiter. Je constate avec joie en parcourant ces épreuves que tout ce que m'avait demandé Jacques et dites-le lui en plaisanterie gentille, qu'il m'a tourmenté pour rien. - . Je trouve que je suis très gentil de vous sacrifier pour l'Avenir les Oeuvres libres cher prieur, car notre traité ne contient nul voeu de célibat, de chasteté, de pauvreté. Je vous recommande à nouveau de vous donner un peu de mal pour le lancement de mon nouveau livre sur lequel j'entasserais volontiers tous les éloges que Balzac dans sa correspondance, donne, avec tant de naïveté mais du génie, aux siens. Or comme les deux suivants sont encore " mieux " ( ! ) il ne faut pas que j'aie l'air, avec un nombre restreint d'éditions, d'être
 " fini". Déjà M. Souday semble me préférer Binet-Valmer. Preuve d'indépendance politique sans doute.

P.S. Hélas je vois qu'une goutte de café est tombée sur la 1re page de cette lettre. Mais recommencer 17 pages c'est impossible.