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samedi 11 mai 2013

Un anarchiste 3 Joseph Conrad ( nouvelle Angleterre )7





                                                           Un anarchiste

            - Par la déportation à Cayenne ! répondit-il.
            Il semblait croire qu'on  avait dénoncé le complot. Pendant qu'il montait la garde dans la rue, sac en main, la police lui tomba dessus. Ces imbéciles le flanquèrent par terre sans faire attention à ce qu'il tenait dans la main. Il se demanda comment la bombe avait pu ne pas exploser dans sa chute. En tout cas elle n'explosa pas.
            - J'ai essayé de raconter mon histoire aux assises. Il y avait des idiots qui riaient dans l'auditoire.
            J'exprimai l'espoir que d'autres de ses compagnons s'étaient fait prendre aussi. Il eut un léger frisson avant de répondre que deux d'entre eux avaient été arrêtés : Simon, dit Biscuit, l'ajusteur qui lui avait parlé dans la rue, et un nommé Mafile, un des étrangers sympathiques qui avaient applaudi à ses sentiments et apaisé ses chagrins humanitaires, au café quand il était saoul.
            - Oui, poursuivit-il avec un effort, j'ai eu l'avantage de leur compagnie, là-bas, sur l'île Saint-Joseph, où nous étions relégués avec quatre-vingt ou quatre-vingt dix autres forçats. Nous étions tous classés comme dangereux.
            L'île Saint-Joseph est la plus pittoresque des îles du Salut. C'est un îlot rocheux et verdoyant, avec des ravins, des buissons, des fourrés, des massifs de manguiers et des bouquets de palmiers emplumés. Six gardiens armés de revolvers et de carabines sont préposés à la garde des forçats.
            Une chaloupe à huit rameurs assure pendant le jour, à travers un bras de mer de quatre à cinq cents mètres, les communications avec l'île Royale, où se tient un poste militaire. Elle fait son premier voyage à six heures du matin. A quatre heures de l'après-midi son service prend fin, et on l'amarre à une petite jetée de l'île Royale. Une sentinelle veille sur la chaloupe et d'autres petits canots. Depuis cette heure-là jusqu'au lendemain matin, l'île Saint-Joseph est coupée du monde. Les gardiens patrouillent à tour de rôle sur le sentier qui va de la maison de garde aux baraques des forçats, et autour de l'île une multitude de requins font le guet en mer.
            C'est dans ces conditions que les forçats projetèrent une révolte. On n'avait encore jamais rêvé rien de pareil au pénitencier. Pourtant leur plan n'était pas en avoir quelque chance de succès. Les gardiens devaient être assaillis à l'improviste et tués pendant la nuit. Avec leurs armes les forçats pourraient abattre les rameurs de la chaloupe quand elle approcherait le lendemain matin. Une fois maître de cette embarcation, ils s'empareraient d'autres bateaux, et toute la bande filerait en remontant la côte.
            A la nuit tombante les deux gardiens de service firent l'appel de rigueur, puis procédèrent à l'inspection des baraques pour s'assurer que tout était en ordre. Dans la seconde où ils entrèrent ils furent attaqués, et littéralement étouffés sous le nombre des assaillants. L'ombre descendait rapidement. C'était la nouvelle lune et un gros nuage noir étalé sur la côte ajoutait encore à l'épaisseur des ténèbres. Rassemblés en plein air les forçats discutaient la suite de leur entreprise, et délibéraient à voix basse.
            - Vous avez joué un rôle dans la rébellion, demandai-je ?
            - Non, je savais naturellement ce qui allait se passer. Mais pourquoi aurais-je tué ces gardiens ? Je n'avais rien contre eux, seulement j'avais peur des autres. Quoi qu'il advînt je ne pouvais pas leur échapper. Je me tenais à l'écart, assis sur une souche, la tête dans les mains, écoeuré à la pensée d'une liberté qui ne pouvait être qu'une dérision pour moi. Tout à coup je tressaillis en voyant une ombre sur le sentier tout proche. L'homme se tenait parfaitement immobile. Bientôt sa silhouette s'effaça dans la nuit. Ce devait être le gardien-chef venu voir ce que faisaient ses deux hommes. Personne ne l'aperçut. Les forçats continuaient à se quereller sur leurs projets respectifs. Les meneurs ne pouvaient pas se faire obéir. Le murmure féroce de cette masse sombre était terrifiant.
            Ils finirent pas se diviser en deux groupes et se mirent en route. Quand ils passèrent devant moi je me levai, le corps tout endolori. Le sentier qui menait à la maison des gardiens était sombre et silencieux, et de chaque côté les fourrés frémissaient doucement. Tout à coup j''aperçus devant moi un mince filet de lumière. Le gardien-chef, suivi pas ses trois hommes, s'avançait prudemment. Mais il n'avait pas bien fermé sa lanterne sourde. Les forçats virent comme moi la petite lueur. Il y eut un affreux hurlement sauvage, des remous dans l'ombre sur le sentier, des coups de feu, de poing, des plaintes, le bruit de branches brisées puis, avec des cris d'oiseaux de proie et des clameurs de bêtes traquées, la chasse à l'homme, la chasse au gardien, passa devant moi, pour aller vers le coeur de l'île. J'étais seul, et je vous assure Monsieur, que j'étais indifférent à tout. Je restai un instant immobile, puis je me mis à suivre machinalement le sentier. Tout à coup mon pied buta contre un objet dur. Je me baissai et ramassai le revolver d'un gardien. Je sentis à tâtons qu'il était encore chargé de cinq balles. Les bouffées de vent m'apportaient les cris des forçats qui se hélaient dans le lointain, puis de brusques roulements de tonnerre éteignaient le sifflement et la chanson des branches. Soudain je vis courir au ras du sol une grosse lumière qui me laissa distinguer une jupe de femme et le bord d'un tablier. 
*            Je savais que la personne qui portait la lanterne devait être la femme du gardien-chef. Les forçats l'avaient complètement oubliée, semble-t-il. Un coup de feu parti de l'intérieur de l'île lui arracha un cri. Elle passa devant moi en courant. Je suivis et la revis bientôt. Elle tirait d'une main la cloche d'alarme pendue au bout de la jetée, et de l'autre balançait sa grosse lanterne. C'est le signal convenu avec l'île Royale pour demander assistance en cas d'alarme nocturne. Le vent emportait le bruit de la cloche et la lumière était cachée par les quelques arbres plantés près de la maison des gardiens.
            Je m'approchai d'elle par derrière. Elle continuait à tirer sa cloche sans arrêt, sans un regard de côté, comme si elle avait été seule sur l'île. Une femme courageuse, Monsieur. Je cachai le revolver sous ma blouse bleue, et j'attendis. Un éclair et un coup de tonnerre éteignirent un instant la lumière et le bruit, tandis que la femme continuait sans défaillance à tirer sa corde et balancer sa lanterne avec un régularité de machine. C'était une belle femme de trente ans, pas plus. Je me dis : " Tout ça ne sert à rien par une nuit pareille ". Et je résolus si un groupe de forçats arrivait à la jetée, ce qui ne pouvait guère tarder, de lui brûler la cervelle avant de me tuer. Je connaissais trop " les camarades ". Cette idée-là redonnait un peu d'intérêt à ma vie, Monsieur. Et soudain, au lieu de rester stupidement en vue sur la jetée, je reculai de quelques pas et me cachai derrière un buisson. Je ne voulais pas me laisser sauter dessus par mégarde, et empêcher de rendre au moins ce suprême service à une créature humaine avant de mourir.
            Il faut croire que le signal avait été perçu, car la chaloupe de l'île Royale arriva en un temps incroyablement court. La femme persista jusqu'au moment où sa lanterne éclaira l'officier commandant le peloton et les baïonnettes des soldats de la chaloupe. Puis elle s'assit et se mit à pleurer.
            Elle n'avait plus besoin de moi. Je ne bougeai pas. Certains des soldats étaient en manches de chemises, d'autres pieds nus, comme l'appel aux armes les avait trouvés. Ils passèrent à coté de mon buisson au pas de charge. La chaloupe était repartie chercher des renforts, et la femme pleurait, toute seule au bout de la jetée, la lanterne posée à terre à côté d'elle.
            Alors, tout à coup, je distinguai dans la lumière le rouge de deux pantalons. J'en restai stupéfait. Eux aussi filèrent au pas de course. Leurs tuniques déboutonnées battaient au vent et ils avaient la tête nue. L'un d'eux cria à l'autre d'une voix essoufflée : " Tout droit ! Tout droit ! "
            D'où diable sortaient-ils ? Je ne savais rien. Je m'avançai furtivement sur la courte jetée. Je vis la silhouette de la femme toute secouée de sanglots, et l'entendis gémir de plus en plus nettement : " Oh ! mon homme ! mon pauvre homme ! mon pauvre homme ! " J'approchai doucement. Elle ne voyait et n'entendait rien. Le tablier jeté sur la tête, elle se balançait d'avant en arrière, tout à son chagrin. Et soudain, j'aperçus un canot au bout de la jetée.
            Les deux hommes, des sous-officiers sans doute, avaient dû sauter dans le canot, après avoir manqué le départ de la chaloupe. Il était incroyable que le sentiment du devoir leur eût ainsi fait violer toutes les consignes. Ils avaient agi stupidement. Je n'en croyais pas mes yeux, quand je mis le pied dans la barque.
            Je longeai lentement le rivage. Un nuage noir surplombait les îles du Salut. J'entendis des coups de feu, des cris. C'était une nouvelle chasse, la chasse aux forçats. Les avirons étaient trop longs pour se laisser manier convenablement, et j'avais peine à faire avancer le canot, malgré sa légèreté. Puis, lorsque j'eus contourné l'île et gagné son extrémité opposée, je fus assailli par une bourrasque de vent et de pluie à laquelle je ne pus tenir tête. Je laissai le bateau dériver jusqu'à la berge et l'y amarrai.
            Je connaissais l'endroit. Il y avait un vieux hangar en ruine près de l'eau. Je m'y glissai et j'entendis bientôt à travers le vacarme du vent et des averses, le bruit de gens qui se frayaient un chemin à travers les fourrés. Ils descendaient à la côte. Des soldats, peut-être ? Un éclair donna un relief saisissant à tout ce qui m'entourait. Deux forçats !
            Et aussitôt une voix s'écria avec stupeur : " Un miracle ". C'était la voix de Simon, dit Biscuit.
            Une autre voix gronda : " Qu'est-ce que c'est ton miracle ?
                                                - Il y a un canot, là !
                                                - Tu es fou, Simon. Et si, c'est vrai... Un canot ? "
            Le saisissement les fit taire un instant. Le second forçat était Mafile. Il reprit avec circonspection ;:
                                                - Il est attaché, il doit y avoir quelqu'un tout près.
            Alors j'élevai la voix à mon tour : " Je suis ici, fis-je, du hangar.
            Ils me rejoignirent et...


         
                                                                                                me firent......./
                                                                                                            suite et fin in 4
                                                                                                                  


* gauguin le forçat et l'évèque