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vendredi 14 février 2014

Correspondance Proust Reynaldo Hahn 4 ( Lettres France - sélection - )



theguardian.com

                                               Lettres
                                                                                     Août-Septembre 1896

            Mon cher petit Reynaldo,
            Pardonnez-moi de ne pas vous écrire. Mais je me promène beaucoup et à la suite de ce traitement et de ce rhume pris là je suis si fatigué que je n'ai pas beaucoup le courage d'écrire. Hier j'ai fait la pagination des 90 premières pages de mon roman*. J'ai fait venir de chez mon libraire La Belle Gabrielle **, mais outre l'ennui d'échanger Dumas contre Maquet, j'ai cru voit sans couper les pages que les personnages laissés en plan dans Les 45***, Ernanton de Carminger, Rémy le Hardouin, Diane de Méricor, Henri III n'y figurent pas. Si ce n'est une suite qu'en ce sens que cela vient après dans l'ordre des temps j'aime mieux lire La Reine Margot ( y a-t-il Bussy, St Luc, Chicot etc ) ou des Dumas d'une autre époque ( et ici reconseillez-moi ) ( j'aime mieux ceux où il n'y a pas d'amour, ni de passion sombres, surtout des coups d'épée, de la police à la Chicot, de la royauté, de la bonne humeur et la victoire des Innocents ). J'ai fini La Cousine Bette. Il y a vraiment des choses étonnantes. Mais il y a à la fin du 1er volume du Pt Royal de Ste Beuve, appendice, un éreintement de Balzac, celui de la Cousine Bette, par Ste Beuve, c'est plus amusant que l'article de Lemaître sur Ohnet. J'ai été avt hier au Louvre. Aimez-vous Quentin Matsys l'homme qui a devt lui des pièces d'or, une petite glace bombée qui représente ce qui se présente dans la rue, des perles etc et à côté de lui sa femme ? Et au Jardin des Plantes avec Mme Arman. Mais la ménagerie était fermée. Nous avons pourtant vu les ours. Ces fauves, les lions etc., ce sont vraiment eux " Les rois en exil****". Et leurs jungles etc etc ce sont bien les Paradis Perdus. Tout ce jardin si exotique, et si parisien est d'une tristesse qu'augmentent encore les ravages du dernier ouragan. En revenant nous avons aperçu Mr France qui marchait le long des quais. Nous avons fait arrêter la voiture et Mme Arman lui a dit d'un air de félicitation ironique : " Hé bien, on va seul, comme cela, à ses petites affaires... C'est du joli..." Avant ils s'étaient disputés à propos d'un libraire ou je ne sais quoi. Et Mr France disait : " Non n'est-ce pas Madame vous voulez à la fois n'est-ce pas ne pas payer ce que vous devez, avoir la satisfaction de votre conscience et forcer l'estime de vos amis. Hé bien ( en riant beaucoup ) non, tout de même c'est trop, n'est-ce pas oui, enfin tout de même, vous ne paierez pas, vs aurez même la satisfaction de votre conscience, car elle n'est pas exigeante oh non, mais l'estime de vos amis, non tout de même, ça c'est impossible. " Et Mme Arman avt dit : " Monsieur vous êtes trop désagréable, fichez-moi la paix. " Qd elle a été partie M. France m'a fait son éloge et m'a dit " Elle a tout de même un joli tour d'esprit pour une femme si bonne, car elle est très bonne Mme Arman ". C'est vrai qu'elle est charmante. Mon petit écrivez-moi tt de suite si maintenant que vous réaimez la mer, vous y resterez avec moi non à Villers mais tt près au-delà du 15 etc. Détaillez, aimez-moi. Votre " sur le sable couchées " était aussi un merveilleux trait de style.
            Je vous embrasse.

                                      Marcel.

            Égayez-vous à cette vieille dépêche de Cazalis reçue au Mt Dore pour laquelle ns avons dû payer près de 3 fs et qui a exaspéré chez Maman les instincts, également lésés, de la concision et de l'économie. vous ai-je écrit que dernièrement Coco Madrazo***** rencontré à l'heure du dîner est monté dîner chez moi ? Je crois que oui mais je ne sais plus.


*         Proust Jean Santeuil
**       roman de Maquet
***     roman de Dumas
****   roman d'Alphonse Daudet 
***** futur beau-frère de Reynaldo Hahn
 
                                                                                                                                              Mars 1896
                                                                                               Minuit moins vingt

            Mon petit Reynaldo
            Comme Delafosse avait joué, Mlle Suzette chanté et que j'avais oublié mon cahier chez Mad Lemaire ce qui m'a obligé à revenir je ne suis arrivé chez vous qu'à onze heures. J'ai frappé et même, une seule fois sonné, Je n'ai entendu aucun bruit, vu aucune lumière, on ne m'a pas ouvert et je rentre bien triste. Dormez-vous seulement ? - On vous portera le mot demain matin et on ne me donnera votre réponse qu'à 10 heures, comme cela je serai chez M. Neveu à onze h., à moins que vous ne mettiez sur " sur l'enveloppe " qu'on me la donne avant dix heures, mais à moins que cela ne soit utile, non et alors ne mettez rien sur l'enveloppe ou enfin comme vous voudrez. Dans cette réponse vs me mettez où je dois trouver M. Neveu, si c'est ma carte ou la vôtre que je dois lui fre passer, ce que je dois lui dire, si je dois le remercier, s'il me connaissait etc, etc, etc. J'ai bien peur que cela ne marche pas, mes parents trouveront je le crains que c'est " trop peu de chose ", car j'avais dû y entrer avant ma licence. Sans cela ce serait un rêve. Que vous êtes bon Reynaldo. Maman était émue de votre gentillesse et je vous remercie et vous embrasse de tout mon coeur. Je vous avais apporté des petites choses de moi et le début du roman que Yeatman lui-même près de qui j'écrivais a trouvé très poney*. Vous m'aiderez à corriger ce qui le serait trop. Je veux que vous y soyez tout le temps mais comme un Dieu déguisé  qu'aucun mortel ne reconnaît. Sans cela c'est sur tt le roman que tu serais obligé de mettre" déchire. " Je viens d'avoir le courage de rendre un billet à Delafosse. Je trouve que les 60 ff que cela fait, suffisait, puisque cela se renouvelle tous les ans. Ton ami


                              Marcel.

* premier roman Jean Santeuil


                                                                                             
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            Reynaldo j'ai eu un mouvement de mauvaise humeur ce soir, il ne faut ni vous en étonner ni m'en vouloir. Vous m'avez dit, jamais je ne vous dirai plus rien. Ce serait un parjure si c'était vrai, ne l'étant pas c'est encore pour moi le coup le plus douloureux. Que vous me disiez tout, c'est depuis le 20 juin mon espérance, ma consolation, mon soutien, ma vie. Pour ne pas vous faire de peine je ne vous en parle presque jamais, mais pour ne pas en avoir trop j'y pense presque toujours. Aussi m'avez-vous dit la seule chose qui soit pour moi vraiment " blessante ". J'aimerais mieux mille injures. J'en mérite souvent, plus souvent que vous ne croyez. Si je n'en mérite pas c'est dans les moments d'effort douloureux où en épiant une figure, ou en rapprochant des noms, en reconstituant une scène j'essaie de combler les lacunes d'une vie qui m'est plus chère que tout mais qui sera pour moi la cause d'un trouble le plus triste tant que dans ses parties les plus innocentes elles-mêmes je ne la connaîtrai pas. C'est une tâche impossible hélas et votre bonté se prête à un travail de Danaïde en aidant ma tendresse à verser un peu de ce passé dans ma curiosité. Mais si ma fantaisie est absurde, c'est une fantaisie de malade et qu'à cause de cela il ne faut pas contrarier. On est bien méchant si on menace un malade de l'achever parce que sa manie agace. Vous me pardonnerez ces reproches parce que je ne vous en fais pas souvent et que j'en mérite toujours ce qui consolera votre amour propre. Soyez indulgent pour un poney. Aux qualités que vous exigez d'un poney trouveriez-vous beaucoup de maîtres etc.


                     MP.

                                       
                                                                                                       Été 1896    blingee.com

            Notre amitié n'a plus le droit de rien dire ici, elle n'est pas assez forte pour cela maintenant. Mais son passé me crée le devoir de ne pas vous laisser commettre des actes aussi stupides aussi méchants et aussi lâches sans tâcher de réveiller votre conscience et de vous le faire sinon avouer ( puisque votre orgueil vous le défend ) au moins sentir, ce qui pour votre bien est l'utile. Quand vous m'avez dit que vous restiez à     
souper ce n'est pas la première preuve d'indifférence que vous me donniez. Mais quand deux heures après, après nous être parlé gentiment, après toute la diversion de vos plaisirs musicaux, sans colère, froidement, vous m'avez dit que vous ne reviendriez pas avec moi, c'est la première preuve de méchanceté que vous m'ayez donné ( participe de l'auteur ) . Vous aviez facilement sacrifié, comme bien d'autres fois, le désir de me faire plaisir, à votre désir qui était de rester à souper. Mais vous l'avez sacrifié à votre orgueil qui était de ne pas paraître désirer rester à souper. Et comme c'était un dur sacrifice, et que j'en étais la cause, vous avez voulu chèrement me le faire payer. Je dois dire que vous avez pleinement réussi. Mais vous agissez en tout cela comme un insensé. Vous me disiez ce soir que je me repentirais un jour de ce que je vous avais demandé. Je suis loin de vous dire la même chose. Je ne souhaite pas que vous vous repentiez de rien, parce que je ne souhaite pas que vous ayez de le peine, par moi surtout. Mais si je ne le souhaite pas, j'en suis presque sûr. Malheureux, vous ne comprenez donc pas ces luttes de tous les jours et de tous les soirs où la seule crainte de vous faire de la peine m'arrête. Et vous ne comprenez pas que, malgré moi, quand ce sera l'image d'un Reynaldo qui depuis q.q. temps ne craint plus jamais de me faire de la peine, même le soir, en nous quittant, quand ce sera cette image qui reviendra, je n'aurai plus d'obstacle à opposer à mes désirs et que rien ne pourra plus m'arrêter. Vous ne sentez pas le chemin effrayant que tout cela a fait depuis q.q. temps que je sens combien je suis devenu peu pour vous, non par vengeance, ou rancune, vous pensez que non, n'est-ce pas, et je n'ai pas besoin de vous le dire, mais inconsciemment parce que ma gde raison d'agir disparaît peu à peu. Tout aux remords de tant de mauvaises pensées, de tant de mauvais et lâches projets je serai bien loin de dire que je vaux mieux que vous. Mais au moins au moment même qd je n'étais pas loin de vous et sous l'empire d'une suggestion quelconque je n'ai jamais hésité entre ce qui pouvait vous faire de la peine et le contraire. Et si q.q. chose m'en faisait et était pour vous un plaisir sérieux comme Reviers, je n'ai jamais hésité. Pour le reste je ne regrette rien de ce que j'ai fait. J'en arrive à souhaiter que le désir de me faire plaisir ne fut pour rien, fut nul en vous. Sans cela pour que de pareilles misères auxquelles vous êtes plus attaché que vous ne croyez aient pu si souvent l'emporter il faudrait qu'elles aient sur vous un empire que je ne crois pas. Tout cela ne serait que faiblesse, orgueil, et pose pour la force. Aussi je ne crois pas tout cela, je crois seulement que de même que je vous aime beaucoup moins, vous ne m'aimez plus du tout, et de cela mon cher petit Reynaldo je ne peux pas vous en vouloir.                            
            Et cela ne change rien pour le moment et ne m'empêche pas de vous dire que je vous aime bien tout de même. Votre petit Marcel étonné malgré tout de voir à ce point
            Que peu de temps suffit à changer toutes choses *
et que cela ira de plus en plus vite. Réfléchissez sur tout cela mon petit Blaise** et si cela nourrit votre pensée de poète et votre génie de musicien, j'aurai du moins la douceur de penser que je ne vous ai pas été inutile.                                                                                                         bit.ly
            Votre petit poney qui après cette ruade rentre tristement tout seul dans l'écurie dont vous aimiez jadis à vous dire le maître.


                              Marcel.  

*   Victor Hugo Tristesse d'Olympio
** Ctsse de Ségur Pauvre Blaise   



                                                                                                             Sans date

  junkthief.blogspot 
                                                    Mon cher petit Puncht

            J'avais craint que vous n'ayez trouvé ma despêche méchante, n'y ayant pas répondu. Vous allez me trouver bien bon de trouver que vous ne me répondez pas ! si vous êtes à Dieppe, vous pourriez revenir par Trouville, ou me donner rendez-vous à un endroit entre Dieppe et Trouville. Mais plus probablement n'est-ce pas nous ne nous reverrons qu'à Paris ou du moins aux lieux où vous passerez l'automne et où je viendrai aussi souvent que me le permettront les nécessités qui gouvernent ma vie, parmi lesquelles je vous compte comme la plus favorable, dans le sens violent mélancolique et doux où elle s'exerce toujours, ( avec une douceur de caresse et un gémissement de plainte qui la fait ressembler au vent d'ouest ). J'ai trouvé admirable votre rapprochement des grands officiers mélancoliques et d'un coeur si noble avec Picquart*. Quand je désespère de ne plus trouver un livre qui m'élève et qui m'enseigne je reçois une telle lettre et je me retrouve avec quelque confiance dans la nature humaine et quelque allégresse dans la vie. Mon cher petit vous auriez bien tort de croire que mon silence est celui qui prépare l'oubli. C'est celui qui comme une cendre fidèle couve la tendresse intacte et ardente. Mon affection pour vous demeure ainsi et s'avive sans cesse et je vois mieux que c'est une étoile fixe en la voyant à la même place quand tant de feux ont passé. Je ne dis pas comme dans Vigny et ceux qui passeront, car il n'y en a pas d'allumé. En est-il de même pour vous ? A propos de Vigny je retiens pour vous ce qu'il dit dans une lettre de ce Moïse que vous aimez. J'ai été bien égayé quand vous m'avez écrit que Mme Lemaire s'imagine que j'ai " fait venir " Bréville* à Dieppe le jour où j'y suis venu. Comment une femme si fine peut-elle concevoir quelque chose de si baroque... J'ai su que vous avez écrit une lettre à Reinach* qu'il a déclarée écrite dans le plus admirable langage qu'il ait jamais lu. Il s'inquiétait alors, m'a dit Straus, de savoir votre adresse, mais comme il y a longtemps il a dû vous écrire. Au revoir cher âtre puisque c'est ainsi que vous appelait Mallarmé, ce qui comme dirait Yturri* est une consécration. Je vous dirai retournant les beaux vers de Baudelaire que rien aujourd'hui ni le boudoir, ni le soleil rayonnant sur la mer ne me vaut l'âtre.
            A Bientôt


                                   Marcel.

*       Voir l'affaire Dreyfus 
**      musicien                                                                                                                           
***   journaliste politique
**** compagnon de Montesquiou