mardi 23 septembre 2014

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui journal 31 Samuel Pepys ( Angleterre )



* Tableaux Gainsborough
                                                                                                                    16 septembre 1660
                                                                                                                     Dimanche

            A l'église du Dr Hardy, m'assis avec le Mr Rawlinson et entendis un bon sermon à l'occasion de la mort du duc de Gloucester sur le texte " Arrive-t-il des malheurs dans une ville sans que l'Eternel en soit l'Auteur ? "
            A la maison pour dîner. Je me moquai de William qui n'avait jamais assisté à la lecture des prières publiques.
            Après dîner me rendis seul à Westminster où je passai mon temps à arpenter l'abbaye pendant toute la durée du sermon, avec Benjamin Palmer et Fetter l'horloger qui me dit que milord d'Oxford venait lui aussi de mourir de la petite vérole. Ce qui signifie qu'après avoir maintenu le nom et l'honneur pendant 600 ans sa famille est éteinte. De là au parc où je pus constater l'avancement des travaux du Mail et de l'aménagement d'une rivière à travers le parc, que je voyais pour la première fois depuis le début des travaux, de là aux jardins de Whitehall où je vis le roi vêtu de violet pour le deuil de son frère.
            Puis à la maison. En chemin je rencontrai Dinah qui me parla et me fit part de son souhait de m'entretenir de quelque affaire lorsque je reviendrai à Westminster. Elle me dit cela d'une telle manière que je craignis qu'elle ne me dît quelque chose que je ne voulais pas entendre au sujet de notre dernière rencontre à Westminster.
            A la maison alors qu'il faisait très noir. Il y avait dans la basse-cour un gentilhomme qui avait fait une mauvaise chûte dans la boue en butant sur un conduit d'eau qui courait dans la rigole.


                                                                                                                       17 septembre

            Au bureau très tôt pour présenter un état des dettes relatives aux équipages des 25 navires que l'on doit licencier. Nous devons le présenter demain devant la commission du Parlement.
            Je donnai 15 shillings à ma femme pour l'achat d'affaires de deuil pour nous deux. Ce qu'elle fit. Dînai à la maison en compagnie de Mr Moore. Ensuite à Whitehall voir Mr Dalton. Nous bûmes dans les caves du roi où Mr Wanley nous retrouva comme convenu.
            Puis nous sortîmes voir le prince de Ligne ambassadeur d'Espagne venu pour être reçu en audience. Cela se déroula en très grande pompe.
            Après cela Dalton, Wanley, Scrivener et quelques-uns de leurs amis et moi-même nous rendîmes à Axe Yard, signâmes et scellâmes nos accords, puis à nouveau chez le marchand de vins où je perçus 41 livres pour la cession du bail de ma maison sur lesquels je payai mon propriétaire jusqu'à la prochaine Saint Michel, de sorte que je suis quitte vis-à-vis de lui et que je suis débarrassé de ma pauvre petite maison. Chez moi avec un porteur de torche, mon argent sous le bras. Puis au lit, après avoir regardé les affaires que ma femme a achetées aujourd'hui. Elles ne m'enchantèrent guère car elles coûtaient trop cher, et j'allai me coucher mécontent.
            Toujours rien du large où voguent milord et la princesse.


                                                                                                                          18 septembre

            A la maison toute la matinée à surveiller les ouvriers. Après dîner sir William Batten, Penn et moi-même en voiture vers le palais de Westminster où nous rencontrâmes Mr Waith qui est au service du trésorier général, nous nous présentâmes donc devant la commission du Parlement chargée d'examiner les dettes de l'armée et de la marine et remîmes notre rapport sur les 25 vaisseaux. Le colonel Birch se montra très impertinent et fort mal commode. Mais nous convînmes finalement de présenter les comptes d'un des navires de manière plus conforme à leurs souhaits dans quelques jours afin qu'ils puissent constater les difficultés entraînées par leurs façons de faire selon leurs désirs. De là, comme les deux sirs William rentraient par le fleuve à leur maison, j'entraînai à la taverne Rhénane, nous bûmes puis nous nous quittâmes.
            De là chez Mr Crew, je parlai avec Mr Moore du paiement de notre part de dividendes à Baron. Puis à pied à la maison, achetai en chemin un ruban de chapeau et d'autres effets en vue du deuil de demain. Puis à la maison et au lit. - Aujourd'hui ai appris que le duc d'York informé de la mort de son frère hier, est rentré à Londres en toute hâte.


                                                                                                                                                                                                        19 septembre

            Jour de bureau. Je mis des habits de deuil et me rendis au bureau. A midi pensant trouver ma femme en vêtements de deuil, je découvris que le tailleur lui avait fait faux bond, ce dont je fus contrarié car nous avions aujourd'hui une invitation à dîner. Après avoir attendu jusqu'à une heure passée je partis et la laissée mettre d'autres habits et me rejoindre à la taverne de la Mitre dans Wood Street, une maison très renommée à Londres, où je retrouvai Will Symons, Dick Scobell et leurs femmes ainsi que Mr Stamford, Llewellyn, Chetwind, un certain Mr Vivion et Mr White, ancien aumônier de milady, épouse du Protecteur ( et il continue à exercer ses fonctions. Certains disent qu'il a des chances d'obtenir la main de milady Frances)
            Ici beaucoup de joie et excellent dîner, ma femme m'avait entretemps rejoint. Certains se mirent à jouer au handicap, jeu que je ne connaissais pas mais qui est très amusant. Nous restâmes jusque très tard. Il pleuvait fort mais nous parvînmes à nous procurer des voitures. Ainsi à la maison, et au lit.


                                                                                                                           20 septembre 1660

            A la maison, puis au bureau, puis dans le jardin où je me promenai avec les deux sirs William tout le matin. Après dîner à Whitehall chez Mr Dalton, puis le ramenai chez moi. Il emporta tous les documents qui restaient dans mon cabinet de travail, si bien que je n'ai plus rien dans ma maison, plus rien à voir avec elle. Nous nous arrêtâmes pour parler avec mon propriétaire Beale, mais il était sorti, nous parlâmes donc avec la vieille femme qui est très fâchée que je ne lui ai pas laissé ma maison, mais je lui donnai une raison. De là chez sir George Downing où je restai tard, il m'avait fait appeler. Il me raconta que milord Sandwich ne lui avait pas donné le vaisseau qu'il lui avait promis pour ramener son enfant et ses affaires et s'en plaignit amèrement auprès de moi. Je luis fis écrire une lettre à l'intention de Lawson, qui peut peut-être se charger de la chose et joignis une seconde lettre de ma main. Tandis qu'il écrivait j'eus une longue discussion avec son épouse sur la Hollande dont nous fîmes l'éloge.
            Par le fleuve jusqu'au pont et de là jusqu'au domicile du major Hart dans Cannon Street. Il me reçut très aimablement avec du vin et des propos très intéressants. Cependant il évoqua la procédure regrettable utilisée par le colonel Birch et la commission pour le licenciement de l'armée et de la marine promettant au Parlement de lui faire économiser beaucoup d'argent alors qu'à notre avis il en coûtera plus au roi que s'il ne s'en occupait pas, en raison de leurs retards et des enquêtes minutieuses qu'ils mènent sur les comptes de l'armée et de la marine.
            A la maison et au lit.


                                                                                                                       21 septembre

            Jour de bureau. Bureau tout le matin et l'après-midi jusqu'à 4 heures. Ensuite à Whitehall pensais rapporter mes livres de chez milord mais ne le pus car mon coffre se trouve chez Mr Bowyer. Retour par le fleuve vers 8 heures, en route je vis le corps du duc de Gloucester qu'on descendait par les escaliers de Somerset House afin de le transporter par voie d'eau jusqu'à Westminster où on doit l'enterrer ce soir. Je débarquai au vieux Cygne et me rendis à la taverne du Cerceau et, comme nous en avions convenu, envoyai chercher Mr Chaplin qui vint me rejoindre en compagnie de Nicholas Osborne et d'un certain Daniel. Nous bûmes trois ou quatre quarts de vin qui était fort bon ( les deux serveurs se disputèrent pour savoir qui tirerait le meilleur vin qui nous serait servi. Cela causa tapage et chamaillerie jusqu'à ce que le patron les séparât et vint nous conter longuement qu'il donne à ses domestiques la liberté de tirer le vin qu'ils veulent pour satisfaire ses clients ). Nous mangeâmes plus de 200 noix. Vers 10 heures nous nous quittâmes. Ensuite à la maison, en chemin je m'arrêtai avec eux chez Mr Chaplin. Nicholas Osborne m'offrit un tonnelet de fenouil de mer et me montra les clés du fort de Mardyke que le commandant lui envoya comme présent lorsque le fort fut détruit. Je fus très heureux de les voir et les lui achèterai si je peux.
            A la maison où je trouvai mon petit valet ( le frère de la servante ) arrivé de la campagne aujourd'hui, mais il était couché et je ne pus le voir ce soir.
            Moi au lit.


                                                                                                                            22 septembre

            Ce matin je fis venir le petit valet. Il se trouve être un assez beau garçon d'un genre qui, je crois, me plaira.
            Je me rendis ce matin par voie de terre à Westminster en compagnie de Llewellyn qui vint ce matin chez moi pour me demander de l'accompagner chez le capitaine Allin pour lui parler de son frère qui souhaite partir pour Constantinople. Mais nous ne l'avons pas trouvé. Nous marchâmes jusqu'à Fleet Street où nous bûmes notre boisson du matin avec un hareng mariné chez Mr Standing dans Salisbury Court. Au cours de la conversation il m'apprit que la jolie femme pour laquelle j'ai toujours éprouvé de l'attirance, à Cheapside, qui vend des manteaux d'enfants a été bernée par Mrs Bennett ( une catin notoire ) qui fit semblant de tomber évanouie dans sa boutique, la voyant ainsi fit la connaissance de cette dernière qui obtint ce qu'elle voulait, à savoir qu'elle couche avec un galant qui l'avait payée pour débaucher cette pauvre fille. A Westminster chez milord et là dans les lieux d'aisance. J'ai vomi tout mon petit déjeuner, j'ai eu mal à l'estomac toute la journée à la suite des excès d'hier soir. De là j'envoyai chercher mon coffre chez Mr Bowyer, j'y mis mes livres et les fis porter chez moi. Je restai dans le bureau et sur la terrasse de milord toute la journée, à contempler Diana qui me regarda par la fenêtre. Je me rendis enfin chez Mr Harper, et comme à la grille elle se trouvait sur mon chemin j'allai vers elle et convins de la rencontrer demain après-midi chez milord. J'achetai un tournebroche. De là en voiture à la maison. J'achetai, en chemin, à la nouvelle Bourse, une paire de bas noirs qui n'étaient pas montants, pour porter par-dessus les bas de soie en signe de deuil, j'y rencontrai Theophila Turner et Joyce qui achetaient également des effets pour porter le deuil du duc. C'est actuellement de bon ton pour toutes les dames à Londres. J'envoyai quelques lettres par la poste à destination d'Hinchingbrooke pour les informer que Mr Edward Pickering est arrivé aujourd'hui, envoyé par milord, et dit qu'il l'a quitté en bonne santé en Hollande et qu'il sera ici dans trois ou quatre jours.
            Au lit, pas encore très bien remis de ma beuverie d'hier soir. J'ai fait monter le petit laquais ce soir pour que sa soeur lui apprenne à me mettre au lit, et je l'ai entendu lire. Il le fait assez bien.


                                                                                                                     23 septembre
                                                                                                           Jour du Seigneur

            Ma femme s'est levée pour mettre ses habits de deuil aujourd'hui et se rendre à l'église ce matin. Me suis levé et ai tenu mon journal pour les cinq derniers jours. Ce matin quelqu'un est venu de chez mon père avec un manteau de drap noir fait dans ma cape pour aller et venir. A l'église ma femme et moi avec sir William Batten, nous entendîmes un très bon sermon de Mr Milles sur les paroles " Courrez de manière à le remporter ".
            Après dîner me rendis seul à Westminster. Rencontrai Mr Pearse et sa femme, qui relève tout juste de couches, à Whitehall, tous deux en deuil du duc de Gloucester. Elle accompagna Mr Childe à la chapelle de Whitehall et Mr Pearse m'accompagna à l'abbaye où j'espérais entendre Mr Baxter ou Mr Rowe faire leur sermon d'adieu dans l'abbaye. Je m'assis sur le banc de Mr Symons et écoutai Mr Rowe. Avant le sermon je me gaussai de celui qui fit la lecture car dans la prière il demanda à Dieu d'imprimer sa parole sur le pouce de notre main droite et sur le gros orteil droit de notre pied droit. Au milieu du sermon du plâtre tomba du plafond de l'abbaye. J'eus peur comme tous ceux qui étaient à notre banc et j'aurais voulu être dehors.
            Après le sermon avec Mr Pearse à Whitehall et de là chez milord, mais Diana ne vint pas comme nous en étions convenu. Je passai donc chez mon père, où ma femme m'avait précédé et était rentrée à la maison, puis rentrai chez moi.
            Cet après-midi le roi averti de l'arrivée de la princesse à Margate, s'y rendit en bateau avec le duc d'York, pour l'accueillir.

                                                                                                                                                                                                                                                                                 24 septembre 1660

            Jour de bureau. De là en voiture avec ma femme pour aller dîner chez ma cousine Scott, comme les invités n'étaient pas arrivés j'allai rendre visite aux Barber de l'autre côté de la rue, puis revins dîner. Il y avait mon oncle et ma tante Fenner, mon père et ma mère et d'autres, parmi lesquels mon cousin Richard Pepys, leur frère aîné, que je n'ai pas vu depuis 14 ans, depuis son retour de Nouvelle Angleterre. C'était étrange pour nous de nous rendre auprès d'elle qui venait d'enterrer l'enfant dont elle venait d'accoucher.
            Je me levai de table et me rendis à l'église du Temple où j'avais rendez-vous avec sir William Batten et là dans le bureau de sir Heneage Finch l'avocat général, et de sir William Wilde juge de Londres que nous fîmes expressément venir, nous prêtâmes serment comme juges de paix pour le Middlesex, l'Essex, le Kent et Southampton. Je fus très satisfait de cet honneur bien que j'ignore tout des devoirs d'un juge de paix. De là avec sir William à Whitehall par le fleuve accompagné du vieux Mr Smith, dans l'intention de parler au Secrétaire d'Etat Nicholas de l'augmentation de nos salaires. Mais comme il était sorti nous allâmes à la taverne des Trois Tonneaux où nous bûmes un moment, puis le colonel Slingsby et un autre gentilhomme vinrent s'asseoir avec nous. De là chez milord pour demander s'ils avaient ou non reçu des nouvelles.
            Monsieur l'Impertinent qui passait par là frappa à la porte. Je louai une voiture pour lui et l'accompagnai à une réunion dansante dans Broad Street, dans une demeure qui était autrefois la Serre, le directeur de l'école était Luc Channel. Je vis de la belle danse. Comme il se faisait tard, que la pièce grouillait de monde et qu'il faisait très chaud, je rentrai à la maison.


                                                                                                                         25 septembre

            Au bureau où sir William Batten, le colonel Slingsby et moi siégeâmes un moment. Comme sir Richard Ford vint nous voir au sujet de quelque affaire, nous discutâmes ensemble de l'intérêt qu'avait l'Angleterre à conclure la paix avec l'Espagne et à déclarer la guerre à la France et à la Hollande. Sir Richard Ford s'exprima en homme fort avisé et averti, il envoya ensuite chercher une tasse de thé ( boisson originaire de Chine que je ne connaissais pas ), puis il nous quitta.
            Ensuite vinrent le colonel Birch et sir Richard Browne, comme convenu. Nous nous rendîmes dans un bateau appartenant au bureau de la Marine, de l'embarquadère de la Tour jusqu'à Deptford afin de payer la solde de l'équipage du Succes, ce que nous fîmes, après que sir Geroge Carteret et sir William Penn nous eurent rejoints. Le colonel Birch est un homme remarquable, toujours affairé, c'est l'homme le plus infatigable et le plus dur à la tâche que j'aie jamais rencontré. On nous servit un très bon dîner à l'auberge du Globe, après quoi nous continuâmes à payer la solde. Cela fait nous revînmes par le fleuve. De notre bureau je me rendis avec le colonel Slingsby en voiture jusqu'à Westminster ( en chemin je le déposai à son domicile ) pour m'enquérir de l'arrivée de milord. Le roi et la princesse sont arrivés par le fleuve cet après-midi pendant que nous procédions au paiement. J'appris qu'il était parti chez Mr Crew où je le trouvai en bonne santé, sauf un coup reçu sur le pied dont il n'était pas tout à fait remis. Milord me raconta que le navire qui ramenait la princesse et lui, le Tredagh, avait cogné six fois sur les rochers du Kent ce qui leur avait inspiré de grandes craintes pour le navire, mais qu'il s'en était bien sorti. Il me dit aussi que le roi avait fait chevaliers le vice-amiral Lawson et sir Richard Stayner. Le quittai tard, en voiture à la maison où, comme les plâtriers travaillaient dans toutes les pièces ma femme dut faire un lit sur le plancher. Nous dormîmes ainsi toute la nuit


                                                                                                                           26 septembre

            Jour de bureau. Cela fait, à l'église où nous discutâmes de notre galerie, rentrai à la maison pour dîner, j'y trouvai Mrs Hunt qui m'apportait une lettre qu'elle souhaite que je fasse signer par milord pour son mari. Je ferai cela pour elle.
            A la maison avec les ouvriers tout l'après-midi. Notre maison est dans un état épouvantable.
            En fin d'après-midi au bureau où je me mis à lire la Géographie de Speed pendant un moment.
            Ensuite à la maison pensant trouver Will chez moi, mais comme il était allé quelque part ailleurs et n'était pas rentre, je fus très courroucé. Quand il rentra je lui fis de sévères remontrances et allai me coucher.


                                                                                                                               27 septembre

            Allai voir milord chez Mr Crew et pris ses instructions pour quelque affaire le concernant, de là à la maison avec mes ouvriers tout l'après-midi. En fin de journée chez milord où je restai avec lui et Mr Moore à relire le nouveau brevet de vice-amiral de milord et le conseillai sur la manière de le faire rédiger. Ensuite à la maison et au lit.


                                                                                                                                  28 septembre

            Jour de bureau. Ce matin sir William Batten et le colonel Slingsby accompagnèrent le colonel Birch et William Doyly à Chattam pour payer la solde d'un équipage de vaisseau, de sorte que ne restèrent à Londres que sir William Penn et moi.
            Tout l'après-midi à la maison avec mes ouvriers. Travail jusqu'à 10 ou 11 heures du soir. Je leur offris à boire et nous nous amusâmes bien, c'est ma chance de toujours tomber sur des ouvriers très drôles. Au lit.


                                                                                                                                 29 sptembre 1660

            Toute la journée à la maison afin de mettre un terme au travail salissant des plâtriers. En vérité ma cuisine est si belle maintenant que je ne regrette pas toutes les peines que j'ai endurées pour la faire refaire/
            Il paraît que le prince Rupert est arrivé hier ou aujourd'hui à la Cour. Mais cela ne fait plaisir à personne.


                                                                                                                               30 septembre
                                                                                                                         Jour du Seigneur

            A notre église paroissiale, tout seul, le matin et l'après-midi.
            Le soir me couchai sans faire mes prières, car à l'étage ma maison est sale partout.


                                                                                         ......../...à suivre.....
                                                                                                              1er octobre 1660
         
         

            

lundi 22 septembre 2014

L'allée du sycomore John Grisham ( roman EtatsUnis )

L'allée du sycomore

                                        L'allée du sycomore

            Ce lundi matin Jack Brigance avocat à Clanton, petite ville du Mississipi, a à 35 ans un seul grand succès à son actif, pour le reste de modestes interventions pour des personnes aux revenus tout aussi modestes. Il reçoit une lettre de l'homme le plus riche et le plus secret du comté, Seth Hubbard. Selon ses dernières volontés le jeune avocat lui paraît assez honnête pour être exécuteur testamentaire, joint à sa lettre son testament écrit deux jours plus tôt et les raisons qui le conduisent à laisser 90 % de sa fortune à sa femme de ménage noire, qui n'a travaillé que les trois dernières années chez lui. Deux fois divorcé, père de deux enfants qu'ils déshéritent en termes assez durs, ce propriétaire de nombre d'hectares, bois, forêts, scieries et autres, d'une fortune évaluée à plusieurs millions de dollars, découvert pendu à une branche de sycomore ( les lecteurs l'apprennent dès la première page ), atteint d'un cancer des poumons qui s'étendait, continuait à fumer. Cet homme de soixante-six ans, secret et discret provoque bruit, interrogations et l'arrivée d'une quantité d'avocats voraces prêts à contester et faire révoquer le nouveau testament. Foire d'empoigne entre gens de lois, et espoirs et craintes pour Lettie, héritière imprévue d'une somme colossale pour cette femme pauvre, honnête apparemment, brusquement accaparée, sa maison envahie par une foule de parents, cousins, voisins et ragoteurs, et avocats tout prêts à l'aider moyennant des heures bien payées sur l'héritage. Et il y a Atlee, juge bougon, près de la retraite, et Lucien ancien avocat, imbibé de Jack Daniels. Tout un monde qui mange et qui vit selon le code du Mississipi qui n'est pas forcément celui des autres comtés. Ce gros roman nous accapare lui, fermement, écrit avec une grand simplicité, le déroulement des coups que chaque partie prépare avec ses moyens, les défilés des témoins, les jurés, le film se déroule, quelques mois d'une vie quotidienne du côté de Memphis, au coeur d'un procès sans indulgence pour l'héritière, pour les déshérités. Un des bons romans qui touchent des femmes et des hommes fragiles, brusquement exposés.




dimanche 14 septembre 2014

Venise - L'Anglaise en diligence - Mimi Pinson - Madrid - Le petit moinillon Alfred de Musset ( Poèmes France )




                                         Venise

            Dans Venise la rouge,
            Pas un bateau qui bouge,    
            Pas un pêcheur dans l'eau,
                  Pas un falot.

            Seul, assis à la grève,
            Le grand lion soulève,
            Sur l'horizon serein,
                  Son pied d'airain.                                      

            Autour de lui, par groupes,
            Navires et chaloupes,
            Pareils à des hérons
                 Couchés en ronds.

            Dorment sur l'eau qui fume,
            Et croisent dans la brume,
            En légers tourbillons,
                  Leurs pavillons.

            La lune qui s'efface
            Couvre son front qui passe
            D'un nuage étoilé                                              
                   Demi-voilé.

            Ainsi, la dame abesse
            De Sainte-Croix rabaisse
            Sa cape aux larges plis
                   Sur son surplis.                                                            

            Et les palais antiques,
            Et les graves portiques,
            Et les blancs escaliers
                  Des chevaliers,

            Et les ponts, et les rues,
            Et les mornes statues,
            Et le golfe mouvant                                                                  
                  Qui tremble au vent,                                                                                                                                                                                                                                        fr.dreamstime.com
            Tout se tait, fort les gardes
            Aux longues hallebardes,
            Qui veillent aux créneaux
                   Des arsenaux.

            - Ah ! maintenant plus d'une
            Attend, au clair de lune,
            Quelque jeune muguet,
                   L'oreille au guet.

            Pour le bal qu'on prépare,
            Plus d'une qui se pare,
            Met devant son miroir
                   Le masque noir.

            Sur sa couche embaumée,
            La Vanina pâmée
            Presse encore son amant,
                   En s'endormant ;

            Et Narcisa, la folle,
            Au fond de sa gondole,
            S'oublie en un festin
                   Jusqu'au matin.

            Et qui, dans l'Italie,
            N'a son grain de folie ?
            Qui ne garde aux amours
                  Ses plus beaux jours ?

            Laissons la vieille horloge,
            Au palais du vieux doge,
            Lui compter de ses nuits                                                    
                  Les longs ennuis.

            Comptons plutôt, ma belle,
            Sur ta bouche rebelle
            Tant de baisers donnés...
                   Ou pardonnés.
                                                                                                                       venetiamicio.blogspot.com
            Comptons plutôt tes charmes,
            Comptons les douces larmes,
            Qu'à nos yeux a coûté
                    La volupté.


                                                                                  Alfred de Musset


                                           L'Anglaise en diligence

               Nous étions douze ou treize,
             Les uns sur les autres pressés,
                          Entassés,
                J'éprouvais un malaise
             Que je me sentais défaillir,                                              
                          Mourir !
                A mon droite, une squelette,
                    A mon gauche une athlète,
             Les os du premier il me perçait ;
             Les poids du second il m'écrasait.
                            Les cahots,
                        Les bas et les hauts.
                                                                                                                                 
              D'une chemin raboteux,
                       Pierreux,
                   Avaient perdu,
                   Avaient fendu
                   Mon tête entière.

                   Quand l'un bâillait,
                   L'autre il sifflait,
                   Quand l'un parlait,
                   L'autre il chantait ;
           Puis une petite carlin jappait,
                Le nez à la portière.

            La poussière il me suffoquait,
            Puis un méchant enfant criait,
            Et son nourrice il le battait,
            Puis un petit Français chantait,                        
            Se démenait et bourdonnait
                     Comme une mouche.

               Pour moi, ce qui me touche,
      C'est que jusqu'au Pérou l'Anglais peut voyager
               Sans qu'il ouvre son bouche
           - Autre que pour boire ou pour manger.


                                                                                           Alfred de Musset


                                                      Mimi Pinson

            Mimi Pinson est une blonde,
            Une blonde que l'on connaît.
            Elle n'a qu'une robe au monde,                                                  
                   Landerinete !
                   Et qu'un bonnet.
             Le Grand Turc en a davantage.
             Dieu voulut de cette façon
                    La rendre sage.
             On ne peut pas la mettre en gage,                                        
              La robe de Mimi Pinson.

            Mimi Pinson porte une rose,
            Une rose blanche au côté.
            Cette fleur dans son coeur éclose,
                    Landerinette !
                    C'est la gaîté    
           Quand un bon souper la réveille,
            Elle fait sortir la chanson
                     De la bouteille.
            Parfois il penche sur l'oreille,
            Le bonnet de Mimi Pinson.

            Elle a les yeux et la main prestes.
            Les carabins, matin et soir,
            Usent les manches de leurs vestes,
                     Landerinette !
                     A son comptoir.
            Quoique sans maltraiter personne,
            Mimi leur fait mieux la leçon              
                      Qu'à la Sorbonne.
            Il ne faut pas qu'on la chiffonne,
            La robe de Mimi Pinson.

            Mimi Pinson peut rester fille,
            Si Dieu le veut, c'est dans son droit.
            Elle aura toujours son aiguille,
                      Landerinette !
                      Au bout du doigt.
            Pour entreprendre sa conquête,
            Ce n'est pas tout qu'un beau garçon :
                      Faut être honnête ;
            Car il n'est pas loin de sa tête,
            Le bonnet de Mimi Pinson.                                                        

            D'un gros bouquet de fleurs d'orange
            Si l'amour veut la couronner,
            Elle a quelque chose en échange,
                      Landerinette !
                      A lui donner.
            Ce n'est pas, on se l'imagine,
            Un manteau sur un écusson
                      Fourré d'hermine ;
             C'est l'étui d'une perle fine,
             La robe de Mimi Pinson.

            Mimi n'a pas l'âme vulgaire,
            Mais son coeur est républicain :
            Aux trois jours elle a fait la guerre,
                      Landerinette !
                      En casaquin.                                                              
            A défaut d'une hallebarde,
            On l'a vue avec son poinçon    
                       Monter la garde.
            Heureux qui mettra la coquarde
            Au bonnet de Mimi Pinson.


                                                                                                 Alfred de Musset


                                                      Madrid

            Madrid princesse des Espagnes
            Il court par tes mille campagnes                                                                                     picasso
            Bien des yeux bleus, bien des yeux noirs.
            La blanche ville aux sérénades,
            Il passe par tes promenades                                                
            Bien des petits pieds tous les soirs.

            Madrid, quand tes taureaux bondissent,
            Bien des mains blanches applaudissent,
            Bien des écharpes sont en jeux,
            Par tes belles nuits étoilées
            Bien des senoras long voilées
            Descendent tes escaliers bleus.

            Madrid, Madrid, moi, je me raille
            De tes dames à fine taille
            Qui chaussent l'escarpin étroit ;
            Car j'en sais une par le monde
            Que jamais ni brune ni blonde
            N'ont valu le bout de son doigt !

            J'en sais une, et certes la duègne
            Qui la surveille et qui la peigne
            N'ouvre sa fenêtre qu'à moi ;
            Certes, qui veut qu'on le redresse,
            N'a qu'à l'approcher à la messe,
            Fût-ce l'archevêque ou le roi.                                        

            Car c'est ma princesse andalouse !
            Mon amoureuse ! ma jalouse !
            Ma belle veuve au long réseau !
            C'est un vrai démon ! c'est un ange !
            Elle est jaune, comme une orange,
            Elle est vive, comme un oiseau !

            Oh ! quand sur ma bouche idolâtre
            Elle se pâme, la folâtre,
            Il faut voir, dans nos grands combats,
            Ce corps si souple et si fragile,
            Ainsi qu'une couleuvre agile,
            Fuir et glisser entre mes bras !

            Or si d'aventure on s'enquête
            Qui m'a valu cette conquête,
            C'est l'allure de mon cheval,
            Un compliment sur sa mantille,
            Puis des bonbons à la vanille
            Par un beau soir de carnaval.


      *madrid tableaux picasso, balcon manet                                                                         Alfred de Musset




                                                       Le petit moinillon

            Charmant petit moinillon blanc,
            Je suis un pauvre mendiant.
            Charmant petit moinillon rose,
            Je vous demande peu de chose.
            Accordez-le-moi poliment,
            Charmant petit moinillon blanc.

            Charmant petit moinillon rose,
            En vous tout mon espoir repose.
            Charmant petit moinillon blanc,
            Parfois l'espoir est décevant.    
            Je voudrais parler mais je n'ose,
            Charmant petit moinillon rose.

            Charmant petit moinillon blanc,
            Je voudrais parler franchement.
            Charmant petit moinillon rose,
            J'ai peur que le monde n'en glose.
            Il me faut donc être prudent,
            Charmant petit moinillon blanc.

            Charmant petit moinillon rose,
            Je ne sais quel démon s'oppose.
            Charmant petit moinillon blanc,
            A ce qu'on dorme en vous quittant.
            N'en pourriez-vous dire la cause,
            Charmant petit moinillon rose ?                                                                                                                                          
            Charmant petit moinillon blanc,
            Il faut que votre oeil, en passant,
            Charmant petit moinillon rose,
            Ait fait une métamorphose,
            Car je ronfle ordinairement,
            Charmant petit moinillon blanc.

            Charmant petit moinillon rose,
            L'homme propose et Dieu dispose,
            Charmant petit moinillon blanc,
            Jamais un proverbe ne ment ;
            Permettez donc que je propose,
            Charmant petit moinillon rose.

            Charmant petit moinillon blanc,
            Quand l'un donne et que l'autre rend,
            Charmant petit moinillon rose,                                                
            Personne à perdre ne s'expose :
            Et c'est le cas précisément,
            Charmant petit moinillon blanc.

            Charmant petit moinillon rose,
            Si vous me donniez, je suppose,
            Charmant petit moinillon blanc,
            Votre étui noir brodé d'argent,
            Je vous rendrais bien quelque chose,
            Charmant petit moinillon rose.
                                                                                                                      forum.sfr.fr
            Charmant petit moinillon blanc,
            Je vous rendrais, argent comptant,
            Charmant petit moinillon rose,
            Ce que mes vers, ce que ma prose,
            Pourraient trouver de plus galant,
            Charmant petit moinillon blanc.

            Charmant petit moinillon rose,
            Jamais la fleur à peine éclose,
            Charmant petit moinillon blanc,
            N'aurait eu pareil compliment.
            Je ferais votre apothéose,
            Charmant petit moinillon rose.

            Méchant petit moinillon blanc,
            Vous direz " non " certainement.
            Méchant petit moinillon rose,
            Vous trouverez qu'à cette clause,
            Vous perdez infailliblement.
            Méchant petit moinillon blanc !

            Hélas ! petit moinillon rose,
            Mon coeur est pour vous lettre close,
            Hélas ! petit moinillon blanc,                                                     
            Il pourrait vous dire pourtant...
            Mais, sur ce, je fais une pause,
            Hélas ! petit moinillon rose.


                                                                                Alfred de Musset



                                                       

                                                       


             
         


lundi 8 septembre 2014

La Grand'Mère - Pensée de Byron - Les Papillons - Le Relais - Gérard de Nerval ( Poèmes France )


Rembrandt ( sa mère )

                                             La Grand'Mère

            Voici trois ans qu'est morte ma grand'mère,
             - La bonne femme, - et, quand on l'enterra,
             Parents, amis, tout le monde pleura
             D'une douleur bien vraie et bien amère.

            Moi seul j'errais dans la maison, surpris
            Plus que chagrin ; et, comme j'étais proche
            De son cercueil, - quelqu'un me fit reproche
            De voir cela sans larmes et sans cris.

            Douleur bruyante est bien vite passée :                                      
            Depuis trois ans, d'autres émotions,
            Des biens, des maux, - des révolutions, -
            Ont dans les coeurs sa mémoire effacée.

            Moi seul j'y songe, et la pleure souvent ;
            Depuis trois ans, par le temps prenant force,
            Ainsi qu'un nom gravé dans une écorce,                                                          Modigliani
            Son souvenir se creuse plus avant !


                                                                        Gérard de Nerval
                                                                                   ( extrait des Odelettes )

                                         

                                           Pensée de Byron
                                                           Elégie
     
                 Par mon amour et ma constance,
                J'avais cru fléchir ta rigueur,  
            Et le souffle de l'espérance     
                Avait pénétré dans mon coeur ;
                Mais le temps, qu'en vain je prolonge,
                M'a découvert la vérité,
                L'espérance a fui comme un songe...
                Et mon amour seul m'est resté !

                Il est resté comme un abîme
               Entre ma vie et le bonheur,
            Comme un mal dont je suis victime,
            Comme un poids jeté sur mon coeur !
            Pour fuir le piège où je succombe,
            Mes efforts seraient superflus ;
            Car l'homme a le pied dans la tombe,
            Quand l'espoir ne le soutient plus.

            J'aimais à réveiller la lyre,
            Et souvent, plein de doux transports,
            J'osais, ému par le délire,
            En tirer de tendres accords.
            Que de fois, en versant des larmes,
            J'ai chanté tes divins attraits !
            Mes accents étaient pleins de charmes,
            Car c'est toi qui les inspirais.

            Ce temps n'est plus, et le délire                                  
            Ne vient plus animer ma voix ;
            Je ne trouve point à ma lyre
            Les sons qu'elle avait autrefois.
            Dans le chagrin qui me dévore,
            Je vois mes beaux jours s'envoler ;
            Si mon oeil étincelle encore,
            C'est qu'une larme va couler !                                                      
                                                                                                                          Jenny Colon
            Brisons la coupe de la vie ;                                                                  
            Sa liqueur n'est que du poison ;
            Elle plaisait à ma folie,
            Mais elle enivrait ma raison.
            Trop longtemps épris d'un vain songe,
            Gloire ! Amour ! Vous eûtes mon coeur :
            O Gloire ! Tu n'es qu'un mensonge ;
            Amour ! Tu n'es point le bonheur !


                                                                                            Gérard de Nerval
                                                                                                                ( in odelettes )





                                                       
                                                                                                         


                                            Les Papillons

            De toutes les belles choses
            Qui nous manquent en hiver,
            Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
            - Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
            - Moi, la moisson blondissante,
            Chevelure des sillons ;
            - Moi, le rossignol qui chante ;
            - Et moi, les beaux papillons !

            Le papillon, fleur sans tige,
                     Qui voltige,
            Que l'on cueille en un réseau ;                                                
            Dans la nature infinie,
                     Harmonie                                                                                   saisons-vives.com
            Entre la plante et l'oiseau !...

            Quand revient l'été superbe,
            Je m'en vais au bois tout seul ;
            Je m'étends dans la grande herbe,
            Perdu dans ce vert linceul.                                                        
            Sur ma tête renversée,
            Là, chacun d'eux à son tour,
            Passe comme une pensée
            De poésie ou d'amour !
         
            Voici le papillon faune
                     Noir et jaune ;
            Voici le mars azuré,
            Agitant des étincelles
                     Sur ses ailes                                                              
            D'un velours riche et moiré.

            Voici le vulcain rapide,
            Qui vole comme un oiseau ;
            Son aile noire et splendide                                                                
            Porte un grand ruban ponceau.
            Dieux ! le soufré, dans l'espace,
            Comme un éclair a relui...
            Mais le joyeux nacré passe,
            Et je ne vois plus que lui :

                                                                II

            Comme un éventail de soie,
                        Il déploie
            Son manteau semé d'argent ;
            Et sa robe bigarrée
                        Est dorée
            D'un or verdâtre et changeant.
            Voici le machaon-zèbre,                                                          
            De fauve et de noir rayé ;                                                                    
            Le deuil, en habit funèbre,
            Et le miroir en bleu strié ;
            Voici l'argus, feuille morte,
            Le mario, le grand-bleu,
            Et le paon-de-jour qui porte
            Sur chaque aile un oeil de feu !

            Mais le soir brunit nos plaines ;
                       Les phalènes
            Prennent leur essor bruyant,
            Et les sphinx aux couleurs sombres,
                       Dans les ombres
            Voltigent en tournoyant.
                                                                                                       
            C'est le grand-paon à l'oeil rose
            Dessiné sur un fond gris,
            Qui ne vole qu'à nuit close,
            Comme les chauves-souris ;
            Le bombice du troëne,
            Rayé de jaune et de vert,
            Et le papillon du chêne
            Qui ne meurt pas en hiver !...
                                                                                                         
            Voici le sphinx à la tête
                     De squelette,
            Peinte en blanc sur un fond noir,
            Que le villageois redoute,
                     Sur sa route,
            De voir voltiger le soir.

            Je hais aussi les phalènes,
            Sombres hôtes de la nuit,
            Qui voltigent dans nos plaines
            De sept heures à minuit ;
            Mais vous, papillons que j'aime,
            Légers papillons du jour,
            Tout en vous est un emblème
            De poésie et d'amour !
                                                                                                                       
                                                                     III

            Malheur, papillons que j'aime,
                      Doux emblème,                                                                           A vous pour votre beauté !...                                                          terroirdebarie.fr
            Un doigt, de votre corsage,
                      Au passage,
            Froisse, hélas ! le velouté !...

            Une toute jeune fille
            Au coeur tendre, au doux souris,
            Perçant vos coeurs d'une aiguille,
            Vous contemple, l'oeil surpris :
            Et vos pattes sont coupées
            Par l'ongle blanc qui les mord,
            Et vos antennes crispées
            Dans les douleurs de la mort !...


                                                                                             Gérard de Nerval
                                                                                                       ( in Les Odelettes )


                                                                                  Le Relais

            En voyage, on s'arrête, on descend de voiture ;
            Puis entre deux maisons on passe à l'aventure,
            Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
            L'oeil fatigué de voir et le corps engourdi.

            Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
            Une vallée humide et de lilas couverte,
            Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, -                          
            Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !

            On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute vivre,
            De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre,
            Et sans penser à rien on regarde les cieux...                                       flickr.com
            Hélas ! une voix crie : " En voiture, messieurs !  "


                                                                                              Gérard de Nerval
                                                                                                          ( in Les Odelettes )