lundi 13 octobre 2014

Charlotte David Foenkinos ( roman France )



                                                                Charlotte

            La grand'mère et le grand-père de Charlotte Salomon n'assistent pas à l'enterrement de la première des deux soeurs. Douleur, honte. Le deuxième suicide, celui de la mère de Charlotte, laisse la famille et la petite fille dans un trouble irréparable. Le père de Charlotte, médecin, travaille sans répit, délaissant sa jeune femme fragile, rencontrée dans les camps de blessés de la guerre de 14/18, où elle est infirmière. Longtemps Charlotte pense que sa mère est un ange et un jour sans doute elle recevra une lettre de cette mère musicienne. Mais à Berlin, être une petite fille, puis une jeune fille juive, intelligente et talentueuse n'ouvre pas les portes, l'avenir sourit à la jeunesse pro-nazie. Charlotte est troublée, par les propos à demi-prononcés sur les antécédents familiaux. Qui sont ces morts ? Oncles, tantes, cousins, comment sont-ils morts ? Suicides ? Charlotte dessine, freine son talent, quelques rencontres l'encouragent, elle reprend goût à l'ouvrage, mais l'outrage fait aux juifs la traumatise un peu plus, elle déjà si silencieuse. Nuit de cristal. A la maison elle s'entend assez bien avec la deuxième épouse de son père, Albert et la cantatrice Paula. Il admet mal les restrictions, la perte de ses droits au travail alors qu'il ne s'occupe que de médecine. Il faut fuir vite, l'Allemagne ferme ses frontières. Les grands-parents d'abord qui scelleront en définitive le destin de Charlotte. Elle peint et écrit dans l'urgence l'histoire de sa vie, dessine indéfiniment le portrait du premier homme qu'elle a connu et qui l'encourage à poursuivre ce travail de création. Son oeuvre qu'elle intitule " Vie ? Ou Théâtre ? " est quelque part dans un musée hollandais. Extrêmement troublant le livre écrit une ligne par phrase. L'auteur a découvert Charlotte à travers sa biographie, intéressé il a suivi son parcours, visité les lieux où elle a vécu. Livre curieux dans sa forme ne pouvait à l'évidence pas être présenté différemment. Personnages et lecture très attachants. Prix Renaudot 2014. - Prix Goncourt des Lycéens 2014. -

                                          

vendredi 10 octobre 2014

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive Christophe Donner ( roman France )




                                      Quiconque exerce ce métier stupide
                                                                                  mérite ce qui lui arrive

            Mais quel est ce métier stupide ? Le cinéma, et les acteurs de ce livre qui se lit presque aussi vite que les personnages vivent la vie. J.P. Rassam tout d'abord libanais, riche fils de l'homme qui a construit sa fortune dans les puits de pétrole aux côtés de Gulbenkian, ses collections d'art sont parmi les plus recherchées. Installé à Paris il fait Sciences Po. Sa grande proximité avec sa soeur Anne-Marie montre un homme possessif, jaloux, joueur. Il rencontre Claude Berri et se joue de lui, pourtant ce dernier épouse cette soeur libre et attachée. Les deux hommes ont un point commun,  le cinéma. Un troisième homme en mal de producteur se joint à eux,  Maurice Pialat, doté d'un caractère hyper ombrageux, marié, il entretient une longue liaison avec la soeur de Berri, entre autres. Dix années d'environ 1965-6 à 1975 de cinéma. Berri fils d'un fourreur ne possède rien au départ. La lutte entre les deux hommes est cruelle. Imagination, calcul, jeu. Rhomer, Truffaut, Pialat, Godard, Berri obtient un grand succès avec " Le vieil homme et l'enfant ". La drogue accomplit son oeuvre destructrice, Rassam en subit les conséquences. "... Les principes de Berri s'arrêtent où ceux de Rassam commencent : ils feront tout à l'inverse de l'autre,  moins par goût que par défi... " J.P. Rassam sera le producteur de Jean Yanne, " Tout le monde... " et les autres. Les événements de 68 brouille un peu les projets,  mais Ferreri et sa Grande Bouffe trouve son producteur. Plus tard Rassam déjà moins fortuné trouve un associé pour certains films, Marcel Dassault. Étonnant virage. Des débuts incertains, une énergie très grande, ils reussissent le rapatriement des deux enfants de Milos Forman, encore à Prague alors envahie lors d'un voyage en voiture ultra rapide. Courte vie d'un producteur de cinéma intelligent et ambitieux, il voulut racheter la Gaumont.


samedi 4 octobre 2014

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui Journal 33 Samuel Pepys (Angleterre )


Le Nain
                                                                                                                 16 Octobre 1660

            Ce matin, mon frère Tom vint me voir. Je réglai mes comptes avec lui pour mes vêtements jusqu'à ce jour. Après avoir mangé un plat d'anchois avec lui le matin, ma femme et moi avions l'intention de sortir pour aller voir une pièce au Cockpit cet après-midi, mais comme Mr Moore vint me voir, ma femme resta à la maison et je sortis avec lui. Je me rendis chez le tapissiers et en divers autres endroits où j'avais à faire, puis retour à la maison et de là au Cockpit où voyant qu'on y jouait " l'Esprit sans argent " ( John Fletcher 1614 je ne voulus pas rester et rentrai à la maison par le fleuve. Je lus en chemin deux autres histoires que contient le livre que j'ai lu hier soir, mais elles me plurent moins.
            De retour à la maison Will me rapporta que milord désire me parler ce soir. Je m'en retournai donc par le fleuve. En arrivant j'appris que c'était seulement pour savoir de quels vivres il disposerait sur les navires qui doivent l'accompagner pour le retour de la reine-mère. Je lui en fis un état détaillé.
            Comme il semblait d'humeur chagrine, j'appris par William Howe que c'était à la suite de la perte d'une grosse somme aux cartes. Il pense que sa passion pour ce jeu devient excessive. Ensuite à la maison par le fleuve, et au lit.


                                                                                                                    17 Octobre
                                                                                                      Jour de bureau
            A midi Mr Creed vint me voir, je l'emmenai à la taverne des Plumes dans Fish Street où le capitaine Cuttance m'avait invité à dîner. Dîner préparé par Mr Dawes et son frère. On nous servit deux ou trois plats de viande bien cuisinés. Leur grande idée était de m'intéresser à l'une de leurs affaires relative à un de leurs bateaux actuellement en service, que leur a loué le roi. Je promis de leur rendre tous les services que je pourrais. De retour à la maison avec Mr Creed j'y trouvai Mrs Theophila Turner et sa tante Dike. Je ne voulus pas me faire voir et me promenai dans le jardin jusqu'à leur départ. Mr Spong me rendit alors visite. Comme elles étaient parties ainsi que Mr Creed, nous prîmes notre musique pour chanter. Après son départ, ma femme et moi nous occupâmes à ranger tous mes livres dans mon cabinet d'étude. Je lui donnai     musicologie.org                      ses livres/ Après quoi, au lit.


                                                                                                                     18 Octobre

            Ce matin, comme on s'attendait à ce que le colonel Hacker et Axtel fussent exécutés, je me rendis à Newgate, mais j'appris qu'on leur avait donné un sursis jusqu'à demain. Je me rendis donc chez ma tante Fenner, j'y pris ma boisson du matin avec elle et mon oncle. Ensuite chez mon père où je donnai l'ordre qu'on me confectionnât d'ici à demain matin deux revers en serge noir pour mon haut-de-chausse. Ce qui fut fait.
            Ensuite chez milord. Nous causâmes, il aurait voulu me garder à dîner, mais je me rendis chez Mr Blackborne où je retrouvai ma femme et le père et la mère de mon Will, c'est la première fois que je les vois. Le dîner était très bon. Mr Creed était également présent. Aujourd'hui en entendant ses grands discours je découvre que Mrs Blackborne est une très grande dame, qui coûte cher.
            A la maison avec ma femme en voiture. Ce soir Mr Chaplin et Nicholas Osborne vinrent me voir. Je les reçus avec joie et les gardai très tard. Ensuite, au lit.
            En rentrant à la maison je découvris que la Turner a envoyé chercher une couple de colombes que ma femme lui a promises. Et comme ne les lui a pas fait porter dans la plus belle cage elle les a renvoyées avec une lettre méprisante qui me courrouça. Cependant je suis ravie qu'elle soit fâchée.


                                                                                                                                                                                                                                 animogen.com
                                                                                                                       19 Octobre

            Bureau le matin. Ce matin ils ont terminé ma salle à manger avec des tentures en serge verte et du cuir doré, l'effet est très heureux.
            Ce matin Hacker et Axtel furent exécutés et taillés en quartiers comme les autres.
            Ce soir restai tard à préparer les comptes que je dois présenter demain à milord. Il apparaît qu'il me doit plus de 80 livres, ce qui me fait plaisir. Dieu en soit loué !


                                                                                                                      20 Octobre 1660

            Ce matin quelqu'un vint me voir pour décider avec moi où il convient de percer une fenêtre dans ma cave pour remplacer celle que sir William Batten a fait murer. En descendant dans ma cave je mis le pied sur un gros tas d'étrons qui me fit découvrir que le cabinet d'aisances de Mr Turner est plein et se déverse dans ma cave, ce qui m'ennuie. Mais je vais faire arranger cela.
            Chez milord par voie de terre, m'arrêtant en différents endroits pour mes affaires. Dînai avec milord et milady. Il était très joyeux et parla abondamment de son désir d'avoir un cuisinier français et un grand écuyer, et qu'il aimerait que son épouse et sa fille portent des mouches. Cela me parut étrange, mais il est devenu un parfait courtisan. Entre autres choses milady dit qu'elle voudrait marier sa fille Jemima à un marchand mais il répondit qu'il préférerait la voir avec un sac de colporteur sur le dos, et qu'elle épouserait un gentilhomme et non un bourgeois.
            Cet après-midi en traversant Londres et en m'arrêtant chez Crow le tapissier de St Bartholomex, je vis les membres de certains de nos nouveaux traîtres exposés à Aldersgate. C'était un spectacle lugubre. Ces deux dernières semaines furent sanglantes : dix furent pendus, écartelés et taillés en quartiers. A la maison, et après avoir écrit une ou deux lettres à mon oncle par la poste, j'allai au lit.


                                                                                                                                                                                                                                                                                           21 Octobre                        
                                                                                               Jour du Seigneur
           A l'église de la paroisse le matin où Mr Milles fit un bon sermon.
            Après dîner chez milord et, de là, à l'abbaye, où je rencontrai Mr Spicer et Dick Vines et d'autres de la vieille équipe, de sorte que laissant mon secrétaire m'attendre à l'abbaye nous allâmes chez Price par la porte située derrière le palais, mais comme on refusa de nous servir à boire nous nous rendîmes à la Couronne dans la cour du Palais. En chemin George Vines s'arrêta chez lui, me conduisit au sommet de sa tourelle où se trouve exposée la tête de Cookes en tant que traître, tandis que celle d'Harrison se trouve de l'autre côté du palais de Westminster. De là je pouvais très bien les voir et j'avais également une très belle vue de Londres. De la Couronne à l'abbaye pour chercher mon secrétaire, mais il n'y était plus. Vu son jeune âge je me demandais ce qui lui était arrivé. Je passai chez milord où je trouvai Mr Adams, l'ami de Mr Shipley, et chez mon père, mais ne le trouvai pas. Ensuite chez moi, où il était. Il avait retrouvé le chemin de la maison sans trop de difficulté, ce dont je fus content. Ensuite, après avoir soupé et lu quelques chapitres de la Bible, j'allai au lit. Depuis un jour ou deux ma femme souffre de ses abcès à l'endroit habituel, ce qui l'ennuie beaucoup.
            Aujourd'hui à midi, Dieu me pardonne ! j'accordai mon luth que je n'avais pas touché depuis très longtemps.


                                                                                                                           22 Octobre
                                                                                                              Jour de bureau
            Après le bureau, dîner à la maison, côtes de boeuf rôties de chez le traiteur ( où nous nous fournissons depuis quelque temps du fait de la présence constante des peintres ou d'autres ouvriers, et que nous ne pouvions et que nous ne pouvions faire la cuisine à la maison ). Après dîner, chez milord, où il semble que tout le monde prépare le départ de milord en mer demain pour ramener la reine-mère.
            Le soir, milord rentra. Je restai longtemps avec lui et nous bavardâmes beaucoup. Entre autres, j'obtins son autorisation de faire copier son portrait, celui exécuté par Lely. Nous parlâmes de religion, et il apparut qu'il était totalement sceptique. " Il dit que rien n'ira bien tant qu'il y aura autant de sermons et que ce serait mieux si on ne lisait à l'église que des homélies. "    
            Cet après-midi le roi et milord le grand chancelier ont réuni des théologiens épiscopaliens et presbytériens, continua milord, mais il ne put me dire ce qui s'était passé.
            A la fin de notre conversation j'allai dormir avec Mr Shipley, dans sa chambre. Mais toute la nuit j'eus du mal à dormir, car le lit était mal fait et lui un mauvais compagnon de lit.


                                                                                                                           23 Octobre

            Nous nous levâmes de bon matin pour préparer les affaires de milord. Comme Mr Shipley s'apprêtait à mettre ses pistolets chargés dans leurs étuis, un coup partit. Il plut à Dieu que le canon du pistolet fût dirigé vers le bas, si bien que nous ne fûmes pas blessés, mais je pense n'avoir jamais couru un tel danger de ma vie, et cela me causa un grand effroi.
            Vers 8 heures milord partit, traversant le jardin il rencontra Mr William Montagu qui lui parla d'un domaine qui venait de tomber entre les mains du roi et pense que milord devrait le solliciter. A cet effet milord écrivit aussitôt une lettre à milord le grand Chancelier lui demandant de faire cette démarche pour lui. Après avoir pris congé de milord au pont de Whitehall je portai cette lettre à Warwick House où je rencontrai le lord grand chancelier et tous les juges qui se rendaient à cheval au palais de Westminster, car c'était le premier jour du terme. C'était la première fois que je voyais une telle procession solennelle.
            Ayant terminé à Warwick House je retournai à Whitehall où je rencontrai mon ami Ashwell, son cousin Samuel Ashwell et Mr Mallard. Je les emmenai à la Jambe dans King Street et leur offris un plat de viande pour dîner, que je payai. De là me rendis à Whitehall où je rencontrai Catau Sterpin en deuil, elle me raconta que sa maîtresse venait de mourir de la petite vérole et qu'elle-même était maintenant mariée à Mr Petit et me dit aussi ce que sa maîtresse lui avait laissé, ce qui était fort bien. Elle m'emmena à son logement qui était très misérable, chez un ferronnier de King Street. Je découvris par une lettre qu'elle me montra, que son mari avait adressée au roi, qu'il est un vrai Français et plein de leurs projets. Il envisage une réforme des universités et d'instituer des écoles pour l'apprentissage des langues afin de les parler naturellement et non pour l'acquisition des règles. Je sais que tout cela n'aboutira à rien.
            De là chez milord d'où je me rendis avec milady chez Mrs Packer, puis je la ramenai chez elle. Là je pris le portrait de milord et le portai chez Mr de Cretz pour qu'il en fasse une copie.
            Ensuite à Whitehall où je rencontrai Mr Spong. Je le raccompagnai chez lui et nous jouâmes et chantâmes. Puis souper avec lui et sa mère. Après souper nous regardâmes de nombreux livres et instruments qu'il possédait, en particulier la girouette en bois dans sa cheminée, qui tourne avec la fumée, ce qui en vérité est très ingénieux.
            C'est à mon sens l'homme le plus habile et le plus agréable que j'aie jamais rencontré, et je ne me lasse pas de l'admirer, tout simple et illettré qu'il soit.
            De là en voiture à la maison, et au lit. Je fus heureux de retrouver mon lit après une nuit d'absence.


                                                                                                                     24 Octobre 1660

            Aujourd'hui je restai longtemps couche, à dormir. Jour de bureau, je saisis l'occasion de me mettre en colère contre ma femme avant de me lever, du fait qu'elle avait mis une demi-couronne qui m'appartenait, dans une poivrière et avait ensuite oublié où elle l'avait mise. Mais nous nous réconciliâmes, comme toujours. Je me levai ensuite car Jack Cole était venu. Ensuite au bureau. Puis à la maison pour dîner, j'y trouvai le capitaine Murford qui me mit 3 livres dans la main pour une faveur que je lui ai accordée. Mais je refusai des les prendre, et lui ordonnai de les garder jusqu'à ce qu'il ait assez pour acheter un collier à ma femme.
            Cet après-midi des ouvriers au travail dans ma maison pour pratiquer une ouverture du côté de la cour pour éclairer ma cave.
            A Whitehall, en chemin rencontrai Mr Moore qui revint avec moi.
            Il me raconte, entre autres choses, que le duc d'York se repent maintenant d'avoir couché avec la fille de milord le grand chancelier, qui vient juste d'accoucher d'un garçon.
            De Whitehall chez Mr de Cretz que je trouvai occupé au portrait de milord. De là chez Mr Lilly, comme je n'y trouvai pas Mr Spong j'allai chez Mr Greatorex, où il était. Nous allâmes dans une taverne à bière où je lui achetai un crayon à dessin et où il me montra comment fonctionnent les lentilles grossissantes qui transmettent la lumière à une grande distance. Elles sont utiles pour lire au lit, et j'ai l'intention d'en acheter une.
            Ensuite avec Mr Spong chez Mr Lilly où nous fûmes bien reçus, car il y avait ce soir une réunion de ses amis, entre autres Mr Ashmole qui me paraît un gentilhomme très ingénieux. Spong et moi chantâmes dans le bureau de Mr Lilly. Cela fait nous nous quittâmes et je rentrai à la maison en voiture, emmenant Mr Booker avec moi. Il m'apprit un grand nombre de choses stupides qu'on peut faire avec les horoscopes, et il blâma Mr Lilly d'écrire pour plaire à ses amis et de suivre la mode, comme il l'avait jadis fait lui-même, à son grand déshonneur, et non les règles de l'art qui, s'il les suivait, ne pourraient l'induire en erreur, comme ce fut le cas.
            Je le déposai au bout de Lime Street, puis à la maison où je trouvai un coffre d'outils de charpentier envoyés par mon cousin Thomas Pepys, que je lui avais commandés pour m'en servir de temps à autre.
            Au lit.


                                                                                                                    26 Octobre
                                                                                                           Bureau
            Mon père et le docteur Thomas Pepys dînèrent chez moi. Je saoulai presque ce dernier avec de la bière de Margate. Mon père est très content de l'aménagement de ma maison. Je lui donnai de l'argent pour régler plusieurs factures.
            Après cela j'allai à Westminster, à Whitehall où je vis le duc de Soissons qui venait d'être reçu par le roi, sortir en très grande pompe. Son propre carrosse tendu de velours rouge orné de dentelle d'or, tiré par six barbes et escorté de 20 pages très richement vêtus.
            Au palais de Westminster où j'achetai entre autres livres, un ouvrage sur la vie de notre reine. Je le lus à la maison à ma femme, mais il était écrit de si niaise façon que nous ne fîmes qu'en rire. Il est entre autres dédié à ce parangon de vertu et de beauté, la duchesse d'Albemarle.
            Selon la rumeur, le duc d'York reconnaît maintenant son mariage avec la fille du lord chancelier.


                                                                                                                      27 Octobre

            A Londres et à Westminster toute la journée à payer ce que je dois et à faire des achats pour ma maison.
            En chemin je passai par hasard devant la maison du nouveau lord-maire, sir Richard Browne, près de la maison des orfèvres qui est actuellement en réparations. En vérité c'est une très belle demeure.
            Sur le chemin du retour, je m'arrêtai dans l'enclos de Saint-Paul et j'y achetai " l'Encyclopédie d'Alsted ", qui me coûta 38 shillings.
            A la maison et au lit. Ma femme souffrait beaucoup de son mal habituel.
                                                                                                                                                                                                                                  allersretours.com
                                                                                                                     
                                                                                                                     28 Octobre
                                                                                                        Jour du Seigneur
            Le Dr Williams envoya des pilules et des emplâtres, ce matin, pour ma femme.
            J'allai à l'abbaye de Westminster où je pénétrai avec beaucoup de difficultés en passant par le cloître, car c'était aujourd'hui une grande journée : on consacrait cinq évêques. Cela fut fait après le sermon, mais je ne pus entrer dans la chapelle d'Henri VII. Je me rendis donc chez milord où je dînai avec milady, le jeune milord et Mr Sidney qu'on avait été cherché à Twickenham hier pour qu'il voit la procession du lord-maire demain, Mr Child était aussi présent.
            Après dîner à la chapelle de Whitehall. Milady, milady Jemima et moi fûmes admis dans l'oratoire du roi, parti à la rencontre de la reine. Ayant rencontré un certain Mr Hill qui ne connaissait pas milady, il nous emmena dans l'oratoire du roi et nous pûmes y rester durant tout le service, ce qui était, je crois, un grand honneur.
            Nous revînmes chez milord, je pris alors congé de milady et rentrai à la maison, où je trouvai ma femme beaucoup mieux après ses remèdes. Ensuite, au lit.


                                                                                                                         29 Octobre

            Debout de bonne heure, car c'était l'anniversaire du lord-maire, sir Richard Browne. Négligeant mon bureau je me rendis à la Garde-Robe du roi où je retrouvai milady Sandwich et ses enfants. Après avoir bu un bordeaux très fort d'une qualité incomparable offert par Mr Rumbold qui nous emmena ainsi que Mr Townshend et les enfants. Ils nous installèrent chez un certain Mr Nevill, drapier dans l'enclos de Saint-Paul. Milady, milady Pickering et moi allâmes chez un certain Mr Jackson, fabricant de drap de lin à la Clef dans Cheapside, où il y avait une compagnie de belles dames et où nous fûmes traités avec force civilité et fûmes bien placés pour voir les tableaux, nombreux et à mon goût bien faits, dans la mesure où de telles représentations peuvent l'être, mais je les trouve, à vrai dire, médiocres et absurdes. Lorsque les dames eurent pris place j'emmenai Mr Townshend et Mr Jackson à côté, à la taverne où je dépensai 5 shillings pour leur offrir à boire. Le spectacle terminé nous nous rendîmes, non sans mal, à Saint-Paul, où je laissai milady dans la voiture et accompagnai milady Pickering à pied jusqu'à sa maison, qui était un pauvre logement dans Blackfiriars, où elle ne m'invita pas le moins du monde à entrer avec elle, ce qui me sembla une conduite très étrange.
            Puis à la maison, où j'appris que milady Davies venait d'emménager dans la maison voisine et avait fait fermer les portes qui me permettait d'aller sur la terrasse, ce qui me contraria tellement que j'allai me coucher mais m'empêcha de dormir, toute la nuit.


                                                                                                                          30 Octobre

            Restai chez moi le matin et dînai à la maison, l'esprit si troublé que je ne pouvais m'intéresser à rien ni rien faire jusqu'à ce que je parle au contrôleur de la Marine à qui les logements appartiennent. L'après-midi, pour me calmer, j'allai tout seul au Cockpit voir une très belle pièce intitulée Le dompteur dompté ( Fletcher
qui était très bien jouée.    l
            Après cela je me rendis chez Mr Crew où j'avais laissé mon jeune valet, allai prendre un verre avec lui et Mr Moore, qui voulut m'accompagner un bout de chemin, comme à accoutumée, aux colonnes d' Hercule. Nous y lûmes la Déclaration du roi sur les questions de religion qui a été publiée aujourd'hui. Elle me paraît très bien rédigée et donne satisfaction à la plupart.
            Ensuite à la maison où j'appris que les gens de Mr Davies ont forcé le verrou de la porte de ma chambre qui donne sur la terrasse. J'allai voir et constatai qu'il en était bien ainsi. Ce qui me contraria davantage. J'envoyai donc chercher Griffith ( portier à la Marine )  et lui demandai de visiter leur maison pour tâcher de découvrir ce que tout cela signifiait, mais je ne pus rien apprendre ce soir. Je suis cependant assez content d'avoir fait cette découverte.
            Aucune nouvelle de milord pour le moment. Je ne sais s'il a quitté les Downs pour aller chercher la reine. Je crois qu'il est parti et est sur le retour.


                                                                                                                          31 Octobre 1660
                                                                                                               Jour de bureau
            Toute la matinée je fus préoccupé par cette affaire de promenade sur la terrasse. J'en parlai au contrôleur et à tous les principaux officiers. Aucun n'est prêt à se mêler de quoi que ce soit qui risque de mettre milady  Davies en colère, de sorte que je suis contrait de renoncer tant qu'elle persévère dans cette voie.
            Dîner à la maison, ensuite au palais de Westminster où je rencontrai Billing le quaker, dans la boutique de Mrs Mitchell. Il persiste dans l'opinion qu'il avait des ecclésiastiques de toutes sortes. Je trouve que c'est un personnage matois. A la maison, j'appris là que Mr Penn avait décidé de se rendre à la résidence de campagne de sir William Batten demain et souhaitait que je l'accompagne, si bien que je veillai tard pour préparer mes affaires pour monter à cheval et que je dus découper une paire de vieilles bottes pour confectionner des lanières pour celles que j'allais mettre. Au lit.
            Je termine le moi l'esprit chagrin d'avoir perdu l'accès à la terrasse, et aussi d'avoir trop dépensé ces derniers temps, au point que je ne pense pas avoir devant moi plus de 150 livres actuellement. Mais je possède, Dieu en soit loué ! beaucoup de belles choses pour la maison.
            J'ai appris aujourd'hui que la reine a débarqué à Douvres et sera ici vendredi prochain, 2 novembre.
            Ma femme a tellement souffert ces derniers temps de son mal habituel que je n'ai pratiquement pas couché avec elle depuis quinze jours, ce qui me fait de la peine.


                                                                                                     ( à suivre  1er novembre )....../
                                                                                           ........./
            Ce matin sir........

         
* images 21 au 23 octobre Goya         
  portrait femme du 30 landon
         
         

20 ans avec mon chat Inaba Mayumi ( roman Japon )

chat


                       
                                                 20 ans avec mon chat

            Une fin d'été au Japon, l'auteur nous conte l'histoire de sa rencontre avec celle qui sera sa compagne, son amie dans les bons et les mauvais moments durant les vingt années de vie de " ... une boule de poils, toute vaporeuse... un chaton... se balançait dans le vide... " En cette année 1977, elle habite encore Fuchû. Alors que son mari est nommé à Osaka, elle perd son travail, mais son couple en perdition, et un très fort désir d'écriture la convainquent de rester dans cette vieille maison proche des bois où elle sait ne pouvoir demeurer qu'un temps limité. Durant ces mois la chatte et la jeune femme s'apprivoisent. Tout est installé pour le bien-être du chat, chatières, véranda ensoleillée, nourriture recherchée, et Mi passe les nuits dehors et triste manque mourir après avoir été engrossée par un énorme matou dont elle était tombée amoureuse et qu'elle ne daignera plus regarder après l'accouchement provoqué du très gros foetus mort. A Tokyo la plupart des logeurs refusent la présence de chats, cependant Mi et sa maîtresse qui travaille dans un bureau en plus du premier roman qu'elle publie doivent abandonner la vieille maison. La recherche est ardue, mais ne pouvant louer elle achète un petit logement au 4è étage à Tokyo. Le dépaysement est rude pour la chatte habituée aux gambades nocturnes dans la fraîcheur des bois. Les visites chez le vétérinaire fréquentes. Dans l'immeuble elles trouvent deux amies des chats, l'une est peintre, de santé délicate, "... J'ai fini par beaucoup aimé cette artiste qui n'était pas comme tout le monde... La couleur est puissante, m'a-t-elle dit un jour,... elles sont imprégnées de musique... Les mots l'emportent toujours sur les couleurs... " Et la vie continue, les années passent, les animaux comme les hommes vieillissent. Les premiers signes de faiblesse, puis de maladie apparus les soins apportés à la chatte l'aident à vivre au mieux grâce surtout aux mains d'une maîtresse qui connaît très bien son petit animal. 20 ans ont passé, joli nombre d'années pour un chat. Une fin tout en douceur, et une lecture pleine de charme. Il y a la Chatte de Colette et il y a ce délicieux livre pour tous.

            
                                         

vendredi 3 octobre 2014

Une éducation catholique Catherine Cusset ( roman France )



                                     Une éducation catholique

            Prise entre le marteau et l'enclume Marie. Son père breton catholique pratiquant entraîne la petite fille à la messe une fois par semaine, promenade qu'elle apprécie jusqu'à sa communion solennelle, mais difficile de confesser ses vols au supermarché en compagnie de Nathalie, ou "...  je dérobe à mon père des billets de dix francs dans le portefeuille... " Il y a les amies imposées et les amies choisies. Et il y a Dieu. Sa mère juive non pratiquante permet cette éducation catholique, sa morale. " J'étais très croyante. J'ai cru en Dieu bien plus longtemps que je n'ai cru au Père Noël... " Et puis sa soeur " ... a trois ans et demi de plus que moi... j'aime la lecture... elle est douée dans tous les sports... " Elle hait sa soeur. A l'heure de sa communion sa foi bascule, peut-être le choix de sa marraine et de son parrain a-t-il été le point de départ du basculement. Mais Marie va chercher et trouver un autre Dieu, ce sera Ximenia avec qui elle a une brève histoire charnelle, mais qui la secoue et la tient sous sa coupe quelques années. Bonnes élèves toutes deux elles sont les préférées de leur professeur de latin grec. Marie tombe amoureuse de la jeune femme mère de famille, qui la comprend, mais elle avoue son sentiment à Ximenia qui lui dit "... Ne me refait jamais ça... " Pouvoir divin sur une Marie toujours prête à se dévaloriser. Problème d'adolescence, sentiments contradictoires. Samuel entre dans sa vie, et la violence d'une passion charnelle. Dieu est-il dans leur relation, peut-être. Mais Marie est infidèle et Samuel pas très beau, pas très grand, passe des concours, sérieux. Et Samuel souffre, même s'ils sont liés par le verbe, "... La souffrance de Samuel était tellement plus grande, elle me liait à lui viscéralement... " De Boston à Rome, de Paris en Sardaigne, Marie cherche, trouve. Autofiction, l'auteur n'est vraiment pas tendre avec son personnage qui pleure beaucoup, lycéenne cisaille ses poignets, cherche un Dieu sans religion, la foi. L'auteur a enseigné à Yale, vit à NewYork, 

vendredi 26 septembre 2014

Les feux de Saint - Elme Daniel Cordier ( récit France )





                                   








                                                   Les Feux de Saint-Elme      

            En juillet 1934 l'élève Daniel, fils de parents divorcés, passe des vacances partagées chez sa mère dans un village du sud-ouest. Durant l'année scolaire, pensionnaire à Saint-Elme, bon élève jusqu'au moment où sa sexualité s'affole. Lecteur vorace, arrive entre ses mains Les Thibault de Martin du Gard. L'histoire du Daniel du livre le comble, une réflexion de son beau-père sur Gide sans doute à propos de l'Immoraliste, qu'il lit en cachette le déçoit. Mais il poursuit ses lectures, lit tout Beaudelaire, Rousseau, la Bible. La rentrée puis l'année scolaire s'annoncent difficiles, l'adolescent préoccupé par ses attirances vers des camarades pas toujours réceptifs à son désir, l'angoisse du bien, du mal, dans ce collège religieux il porte son fardeau auprès de son conseiller qui, tout d'abord l'absout et lui ordonne dix Notre Père, Daniel retourne souvent vers ce conseiller vertueux, puis un jour malgré une vie plutôt douce dans cet institut proche d'Arcachon, de Bordeaux où Daniel se rend chez ses grands-parents, il ne se résout pas, ou mal à concrétiser sa très forte attirance pour David, et pense avoir été mal dirigé. Des mois difficiles pour des amitiés mal définies, de garçons que l'auteur nous décrit affamés de tendresse, loin de leur famille. " ... Cette adolescence romanesque fit apparaître le vide de mon existence. Pourtant, comme Jacques, la passion me dévorait. Pourquoi n'avais-je pas inventé les formules qui en étaient l'aveu et qui auraient brisé ma solitude... " Les années vont passer, chacun suit une route tortueuse. La guerre de 40... Mais des années durant Daniel est obnubilé par le souvenir de David. Une fixation, dit-il. Et il fait du personnage un être qu'il décrit très atteint dans son vieil âge. Daniel Cordier termine par " ... En chacun de nous il y a un regret qui veille... C'est la que nous nous rejoignons tous, dans ce qu'on appelle la nostalgie. "                                    

jeudi 25 septembre 2014

Les Précurseurs - Saint-Germain Cagliostro - Madame Cagliostro Gérard de Nerval ( extrait de Les Illuminés France )


latavernedeletrange.kazeo.co

                                                                  Les Précurseurs

            .... Si l'on s'est bien expliqué les doctrines exposées plus haut, on aura pu comprendre par quelles raisons, à côté de l'Eglise orthodoxe, il s'est développé sans interruption une école moitié religieuse moitié philosophique qui, féconde en hérésies sans doute, mais souvent acceptée ou tolérée par le clergé catholique,
a entretenu un certain esprit de mysticisme ou de supernaturalisme nécessitant aux imaginations rêveuses et délicates comme à quelques populations plus disposées que d'autres aux idées spiritualistes.
            Des israélites convertis furent les premiers qui essayèrent vers le XIè siècle, d'infuser dans le catholicisme quelques hypothèses fondées sur l'interprétation de la Bible et remontant aux doctrines des Esseniens et des Gnostiques.
            C'est à partir de cette époque que le mot " cabale " résonne souvent dans les discussions théologiques. Il s'y mêle naturellement quelque chose des formules platoniciennes de l'école d'Alexandrie, dont beaucoup s'étaient reproduites déjà dans les doctrines des Pères de l'Eglise.
            Le contact prolongé de la chrétienté avec l'Orient pendant les croisades amena encore une grande somme d'idées analogues qui, du reste, trouvèrent à s'appuyer aisément sur les traditions et les superstitions locales des nations de l'Europe.
            Les Templiers furent, entre les croisés, ceux qui essayèrent de réaliser l'alliance la plus large entre les idées orientales et celles du christianisme romain.
            Dans le désir d'établir un lien entre leur ordre et les populations syriennes qu'ils étaient chargés de gouverner, ils jetèrent les fondements d'une sorte de dogme nouveau participant de toutes les religions que pratiquent les Levantins, sans abandonner au fond la synthèse catholique, mais en la faisant plier souvent aux nécessités de leur position.
            Ce furent là les fondements de la franc-maçonnerie qui se rattachaient à des institutions analogues établies par les musulmans de diverses sectes et qui survivent encore aux persécutions, surtout dans le Hauran, dans le Liban et dans le Kurdistan.
            Le phénomène le plus étrange et le plus exagéré de ces associations orientales fur l'ordre célèbre des " assassins ". La nation des Druzes et celle des Ansariés sont celles qui en ont gardé les derniers vestiges.
            Les Templiers furent accusés bientôt d'avoir établi l'une des hérésies les plus redoutables qu'eût encore vues la chrétienté. Persécutés et enfin détruits dans tous les pays européens, par les efforts réunis de la papauté et des monarchies, ils eurent pour eux les classes intelligentes et un grand nombre d'esprits distingués qui constituaient alors, contre les abus féodaux, ce qu'on appellerait aujourd'hui l'opposition.
             De leurs cendres jetées au vent naquit une institution mystique et philosophique qui influa beaucoup sur cette première révolution morale et religieuse qui s'appela pour les peuples du Nord " la Réforme ", et pour ceux du Midi " la Philosophie ".                                                                   raffy-tapis-persans.fr
            La réforme était encore à tout prendre le salut du christianisme en tant que religion. La philosophie, au contraire, devint peu à peu son ennemie et, agissant surtout chez les peuples restés catholiques, y établit bientôt deux divisions tranchées d'incrédules et de croyants.
            Il est cependant un grand nombre d'esprits que ne satisfait pas le matérialisme pur, mais qui, sans repousser la tradition religieuse, aiment à maintenir à son égard une certaine liberté de discussion et d'interprétation. Ceux-là fondèrent les premières associations maçonniques qui bientôt donnèrent leur forme aux corporations populaires et à ce qu'on appelle encore aujourd'hui le compagnonnage.
            La maçonnerie établit ses institutions les plus élevées en Ecosse, et ce fut par suite des relations de la France avec ce pays, depuis Marie Stuart jusqu'à Louis XIV, que l'on vit s'implanter chez nous fortement les institutions mystiques qui procédèrent des Rosecroix.
            Pendant ce temps l'Italie avait vu s'établir, à dater du XVIè siècle, une longue série de penseurs hardis, parmi lesquels il faut ranger Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Meursius, Nicolas de Cusa, Jordano Bruno et autres grands esprits, favorisés par la tolérance des Mécicis, et que l'on appelle quelquefois les néoplatoniciens de Florence.
            La prise de Constantinople, en exilant tant de savants illustres qu'accueillit l'Italie, exerça aussi une grande influence sur ce mouvement philosophique qui ramena les idées chez les Alexandrins et fit étudier de nouveau les Plotin, les Proclus, les Porphyre, les Ptolémée, premiers adversaires du catholicisme naissant.
            Il faut observer ici que la plupart des savants médecins et naturalistes du Moyen Âge, tels que Paracelse, Albert le Grand, Jérôme Cardan, Roger Bacon et autres, s'étaient rattachés plus ou moins à ces doctrines qui donnaient une formule nouvelle à ce qu'on appelait alors les sciences occultes, c'est-à-dire l'astrologie, la cabale, la chiromancie, l'alchimie, la physiognomonie, etc.         cgb.fr
            C'est de ces éléments divers et en partie aussi de la science hébraïque qui se répandit plus librement à partir de la Renaissance, que se formèrent les diverses écoles mystiques qu'on vit se développer à la fin du XVIIè siècle. Les Rosecroix d'abord, dont l'abbé de Villars fut le disciple indiscret, et plus tard, à ce qu'on prétend, la victime.
            Ensuite les convulsionnaires, et certaines sectes du jansénisme. Vers 1770, les martinistes, les swedenborgiens, et enfin les illuminés, dont la doctrine fondée d'abord en Allemagne par Weisshaupt, se répandit bientôt en France où elle se fondit dans l'institution maçonnique.

                                                                                                                           


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 st germain peint par pietro antonio rotari                         Saint - Germain  -  Cagliostro

            Ces deux personnages ont été les plus célèbres cabalistes de la fin du XVIIIè siècle. Le premier, qui parut à la cour de Louis XV et y jouit d'un certain crédit grâce à la protection de Mme de Pompadour, n'avait, disent les mémoires du temps, ni l'impudence qui convient à un charlatan, ni l'éloquence qui convient à un fanatique, ni la séduction qui entraîne les demi-savants. Il s'occupait surtout d'alchimie mais ne négligeait pas les diverses parties de la science. Il montra à Louis XV le sort de ses enfants dans un miroir magique, et ce roi recula de terreur en voyant l'image du dauphin lui apparaître décapité.
            Saint-Germain et Cagliostro s'étaient rencontrés en Allemagne dans le Holstein et ce fut, dit-on, le premier qui initia l'autre et lui donna les grades mystiques. A l'époque où il fut initié il remarqua lui-même le célèbre miroir qui servait pour l'évocation des âmes.
            Le comte de Saint-Germain prétendait avoir gardé le souvenir d'une foule d'existences antérieures, et racontait ses diverses aventures depuis le commencement du monde. On questionnait un jour son domestique sur un fait que le comte venait de raconter à table, et qui se rapportait à l'époque de César. Ce dernier répondit aux curieux :
            - Vous m'excuserez, messieurs, je ne suis au service de M le comte que depuis trois cents ans.
            C'est rue Plâtrière, à Paris, et aussi à Ermenonville que se tenaient les séances où ce personnage développait ses théories.
            Cagliostro, après avoir été initié par le comte de Saint-Germain, se rendit à Saint-Pétersbourg où il obtint de grands succès. Plus tard il vint à Strasbourg où il acquit, dit-on, une grande influence sur l'archevêque prince de Rohan.
Cagliostro.htm            Tout le monde connaît l'affaire du collier où le célèbre cabaliste se trouve impliqué, mais dont il sortit à son avantage, ramené en triomphe à son hôtel par le peuple de Paris.
            Sa femme, qui était fort belle et d'une intelligence élevée, l'avait suivi dans tous ses voyages. Elle présida à ce fameux souper où assistèrent la plupart des philosophes du temps et dans lequel on  fit apparaître plusieurs personnages morts depuis peu de temps : selon le système de Cagliostro, " il n'y a pas de morts ". Aussi avait-on mis douze couverts, quoiqu'il n'y eût que six invités : d'Alembert, Diderot, Voltaire, le duc de Choiseul, l'abbé de Voisenon et on ne sait quel autre, vinrent s'asseoir, quoique morts, aux places qui leur avaient été destinées, et causèrent avec les conviés, de omni re scibili et quibusdam aliis.
            Vers cette époque Cagliostro fonda la célèbre loge égyptienne, laissant à sa femme le soin d'en établir une autre en faveur de son sexe,laquelle fut mise sous l'invocation d'Isis.



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                                                                   Madame Cagliostro

            Les femmes, curieuses à l'excès, ne pouvant être admises aux secrets des hommes, sollicitaient Mme de Cagliostro de les initier. Elle répondit avec beaucoup de sang-froid à la duchesse de T***, chargée de faire les premières ouvertures, que dès qu'on aurait trouvé trente-six adeptes, elle commencerait son cours de magie. Le même jour la liste fut remplie.
            Les conditions préliminaires furent telles :
            1° Il fallait mettre dans une caisse chacune cent louis. Comme les femmes de Paris n'ont jamais le sou, cette clause fut difficile à remplir, mais le Mont de Piété et quelques complaisances mirent à même d'y satisfaire.
            2° Qu'à dater de ce jour jusqu'au neuvième elles s'abstiendront de tout commerce humain.
            3° Qu'on ferait un serment de se soumettre à tout ce qui serait ordonné quoique l'ordre eût contre lui toutes les apparences.
            Le 7 du mois d'août fut le grand jour. La scène se passa dans
une vaste maison, rue Verte-Saint-Honoré. On s'y rendit à onze heures. En entrant dans la première salle chaque femme était obligée de quitter sa bouffante, ses soutiens, son corps, son faux chignon et de vêtir une lévite blanche avec une ceinture de couleur. Il y en avait six en noir, six en coquelicot, six en violet, six en couleur de rose, six en impossible. On leur remit à chacune un grand voile qu'elles placèrent en sautoir de gauche à droite.
            Lorsqu'elles furent toutes préparées on les fit entrer deux à deux dans un temple éclairé, garni de trente-six bergères couvertes de satin noir. Mme de Cagliostro vêtue de blanc, était sur une espèce de trône, escortée de deux grandes figures habillées de façon qu'on ignorât si c'était des spectres, des hommes ou des femmes. La lumière qui éclairait cette salle s'affaiblissait insensiblement, et lorsque à peine on distinguait les objets, la grande prêtresse ordonna de découvrir la jambe gauche jusqu'à la naissance du genou. Après cet exercice elle ordonna de nouveau d'élever le bras droit et de l'appuyer sur la colonne voisine. Alors, deux femmes tenant un glaive à la main entrèrent et ayant reçu des mains de Mme Cagliostro des liens de soie, elles attachèrent les trente-six dames par les jambes et par les bras.                      
            Cette cérémonie finie, celle-ci commença un discours en ces termes :      legypteantique.com      
            L'état dans lequel vous vous trouvez est le symbole de celui où vous êtes dans la société. Si les hommes vous éloignent de leurs mystères, de leurs projets, c'est qu'ils veulent vous tenir à jamais dans la dépendance. Dans toutes les parties du monde la femme est leur première esclave, depuis le sérail où un despote enferme cinq cents d'entre nous jusque dans ces climats sauvages où nous n'osons nous asseoir à côté d'un époux chasseur !... nous sommes des victimes sacrifiées dès l'enfance à des dieux cruels. Si, brisant ce joug honteux, nous concertions aussi nos projets, bientôt vous verriez ce sexe orgueilleux ramper et mendier vos faveurs. Laissons-les faire leurs guerres meurtrières ou débrouiller les chaos de leurs lois, mais chargeons-nous de gouverner l'opinion, d'épurer les moeurs, de cultiver l'esprit, d'entretenir la délicatesse, de diminuer le nombre des infortunes. Ces soins valent bien ceux de dresser des automates ou de prononcer sur de ridicules querelles. Si l'une d'entre vous a quelque chose à opposer qu'elle s'explique librement.
            Une acclamation générale suivit ce discours.
            Alors la Grande Maîtresse fit détacher les liens et continua en ces termes :
           " Sans doute votre âme pleine de feu saisit avec ardeur le projet de recouvrer une liberté, le premier bien de toute créature. Mais plus d'une épreuve doit vous apprendre à quel point vous pouvez compter sur vous-mêmes, et ce sont ces épreuves qui m'enhardiront à vous confier des secrets dont dépend à jamais le bonheur de votre vie.
            Vous allez vous diviser en six groupes. Chaque couleur doit se mettre ensemble et se rendre à l'un des six appartements qui correspondent à ce temple. Celles qui auront succombé ne doivent y entrer jamais, la palme de la victoire attend celles qui triompheront. "
            Chaque groupe passa dans une salle proprement meublée où bientôt arriva une foule de cavaliers. Les uns commencèrent par des persiflages et demandèrent comment les femmes raisonnables pouvaient prendre confiance aux propos d'une aventurière. Et ils appuyaient fortement sur le danger d'un ridicule public. Les autres se plaignaient de voir qu'on sacrifiât l'amour et l'amitié à d'antiques extravagances, sans utilité comme sans agrément.                                                                        images-du-pays-des-ours.eklablog.com
            A peine daignaient-elles écouter ses froides plaisanteries. Dans une chambre voisine on voyait dans des tableaux peints par les plus grands maîtres, Hercule filant aux pieds d'Omphale, Renaud étendu près d'Armide, Marc-Antoine servant Cléopâtre, la belle Agnès commandant à la cour de Charles VII, Catherine II que des hommes portaient sur des trophées. Un de ceux qui les accompagnait dit :
            - Voilà donc ce sexe qui traite le vôtre en esclave ! Pour qui sont les douceurs et les attentions de la société ? Est-ce vous nuire que de vous éviter des ennuis, des embarras ? Si nous bâtissons des palais,   n'est-ce pas pour vous en consacrer la plus belle partie ? N'aimons-nous pas à parer nos idoles ? Adoptons-nous les moeurs des Asiatiques ? Un voile jaloux dérobe-t-il vos charmes ? Et loin de fermer les avenues de vos appartements par des eunuques repoussants, combien de fois avons-nous la complaisante adresse de nous éclipser pour laisser à la coquetterie le champ libre ?
            C'était un homme aimable et modeste qui tenait ce discours.
            - Toute votre éloquence, répondit l'une d'entre elles, ne détruira pas les grilles humiliantes des couvents, les compagnes que vous nous donnez, l'impuissance attachée à nos propres écrits, vos airs protecteurs et vos ordres sous l'apparence de conseils.
            Non loin de cet appartement se passait une autre scène plus intéressante. Les dames aux rubans lilas s'y trouvèrent avec leurs soupirants ordinaires. Leur début fut de leur signifier le congé le plus absolu. Cette chambre avait trois portes qui donnaient dans des jardins qu'éclairait alors la douce lumière de la lune. Ils les invitèrent à y descendre. Elles accordèrent cette dernière faveur à des hommes désolés. Une d'entre elles que nous nommerons Léonore cachait mal le trouble de son âme et suivait le comte Gédéon qu'elle avait aimé jusque-là.
            - De grâce, daignez m'apprendre mes crimes, disait-il ? Est-ce un perfide que vous abandonnez ? Qu'ai-je fait depuis deux jours ? Mes sentiments, mes pensées, mon existence, mon sang, tout n'est-il pas à vous ? Vous ne pouvez être inconstante ? Quelle espèce de fanatisme vient donc m'enlever un coeur qui m'a coûté tant de tourments ?
            - Hélas ! de ce sexe proscrit aujourd'hui vous n'avez encore connu que moi. Où donc est mon despotismes, quand ai-je eu le malheur d'affliger ce que j'aime ?
            Léonore soupirait et ne savait pas accuser celui qu'elle adorait. Il veut prendre une de ses mains.
            - Si vous m'aimez, lui dit-elle, gardez-vous de souiller ma main par un baiser profane. Je crois bien que je ne pourrai jamais vous quitter. Mais pour preuve de cette obéissance à laquelle vous voulez que je croie, restez neuf jours sans me voir et croyez que ce sacrifice ne sera pas perdu pour mon coeur.
*            Gédéon s'éloigna et ne pouvant la soupçonner, ni n'osant se plaindre, il s'en alla réfléchir sur les causes de son malheur.
            Il serait trop long de raconter tout ce qui se passa dans ces deux heures d'épreuves. Il est certain que ni les raisonnements, ni les sarcasmes, ni les larmes, ni le désespoir, ni les promesses, enfin tout ce que la séduction emploie ne purent rien, tant la curiosité et l'espoir secret de dominer sont des ressorts puissants chez les femmes. Toutes restèrent dans le temple, telles que la grande prêtresse l'avait ordonné.
            Il était trois heures de la nuit. Chacun reprit sa place. On présenta différentes liqueurs pour soutenir les forces. Ensuite on ordonna de détacher les voiles et de s'en couvrir le visage. Après un quart d'heure de silence une sorte de dôme s'ouvrit et sur une grosse boule d'or descendit un homme drapé en génie tenant dans sa main un serpent et portant sur sa tête une flamme brillante.
            - C'est du génie même de la vérité, dit la grande maîtresse, que je veux que vous appreniez les secrets dérobés si longtemps à votre sexe. Celui que vous allez entendre est le célèbre, l'immortel, le divin Cagliostro sorti du sein d'Abraham sans avoir été conçu, et dépositaire de tout ce qui a été, de tout ce qui est et de tout ce qui sera connu sur la terre.
            Filles de la terre, s'écria-t-il, si les hommes ne vous tenaient pas dans l'erreur, vous finiriez par vous lier ensemble d'une union invincible. Votre douceur, votre indulgence vous feraient adorer de ce peuple auquel il faut commander pour avoir son respect. Vous ne connaissez ni ces vices qui troublent la raison, ni cette frénésie qui met tout un royaume en feu. La nature a tout fait pour vous. Jaloux, ils avilissent son ouvrage dans l'espoir qu'il ne sera jamais connu. Si, repoussant un sexe trompeur, vous cherchiez dans le vôtre la vraie sympathie, vous n'auriez jamais à rougir de ces honteuses rivalités, de ces jalousies au-dessous de vous. Jetez vos regards sur vous-mêmes, sachez vous apprécier, ouvrez vos âmes à la tendresse pure, que le baiser de l'amitié annonce ce qui se passe dans vos coeurs.
            Ici l'orateur s'arrêta. Toutes les femmes s'embrassèrent. Au même instant les ténèbres remplacent la lumière, et le génie de la vérité remonte par son dôme. La grande maîtresse parcourt rapidement toutes les places. Ici elle instruit, là elle commente, partout elle enflamme l'imagination. La seule Léonore laissait couler des larmes.
            - Je vous devine, lui dit-elle à l'oreille. N'est-ce donc pas assez que le souvenir de ce qu'on aime ?
            Ensuite, elle ordonna de reprendre la musique profane. Peu à peu la lumière revint et, après quelques moments de calme, on entendit un bruit comme si le parquet s'abîmait. Il s'abaissa presque en entier et fut bientôt remplacée par une table somptueusement servie. Les dames s'y placèrent. Alors entrèrent trente-six génies de la vérité habillés en satin blanc. Un masque dérobait leurs traits. Mais à l'air leste et empressé avec lequel ils servaient, on pouvait imaginer que les êtres spirituels sont bien au-dessus des grossiers humains. Vers le milieu du repas, la grande maîtresse leur fit signe de se démasquer, alors les dames reconnurent leurs amants. Quelques-unes fidèles à leur serment allaient se lever. Elle leur conseille de modérer ce zèle en observant que le temps des repas était consacré à la joie et au plaisir. On leur demande par quel hasard ils se trouvaient réunis. Alors on leur expliqua que de leur côté on les initiait à certains mystères, que s'ils avaient des habits de génie c'était pour montrer que l'égalité est la base de tout, qu'il n'était pas extraordinaire de voir trente-six cavaliers avec tente-six dames, que le but essentiel du grand Cagliostro était de réparer les maux qu'avait causés la société, et que l'état de nature rendait tout égal.                
            Les génies se mirent à souper. Vingt fois la mousse pétillante du vin de Sillery jaillit au plafond. La gaieté redouble, les épigrammes arrivent, les bons mots se succèdent, la folie se mêle aux propos, l'ivresse du bonheur est peinte dans tous les yeux, les chansons ingénues en sont l'interprète, d'innocentes caresses sont permises. Il se glisse un peu de désordre dans les toilettes. On propose la danse, on valse plus qu'on ne saute, le punch délasse des contredanses répétées. L'Amour exilé depuis quelque temps secoue son flambeau. On oublie les serments, le génie de la vérité, les torts des hommes, on abjure l'erreur de l'imagination.
            Cependant on évitait les regards de la grande prêtresse. Elle rentra et sourit de se voir si mal obéie.
            - L'Amour triomphe de tout, dit-elle, mais songez à nos conventions et peu à peu vos âmes s'épureront. Ceci n'est qu'une séance encore, il dépend de vous de la renouveler.
            Les jours suivants on ne se permit point de parler des détails, mais l'enthousiasme pour le comte Cagliostre était porté à une ivresse qui étonnait même à Paris. Il saisit ce moment pour développer tous les principes de la Franc-Maçonnerie égyptienne. Il annonça aux lumières du grand Orient que l'on ne pouvait travailler que sous une triple voûte, qu'il ne pouvait y avoir ni plus ni moins de treize adeptes, qu'ils devaient être purs comme les rayons du soleil, et même respectés par la calomnie, n'avoir ni femmes, ni maîtresses, ni habitudes de dissipation, posséder une fortune au-dessus de cinquante-trois mille livres de rente, et surtout cette espèce de connaissance qui se trouve si rarement avec les nombreux revenus.

tableau vigée lebrun

                                                                                                   Gérard de Nerval
                                                                     ( estrait des Illuminés )