mercredi 11 avril 2012

Ballade des Dames du Temps Jadis François Villon ( Poète France )

Ballade des Dames du Temps Jadis


                                                       Dictes moy ou, n'en quel pays
                                                       Est Flora la belle Rommaine,
                                                       Archipiades, ne Thaïs,
                                                       Qui fut sa cousine germaine,
                                                       Echo parlant quant bruyt on maine
                                                       Dessus rivière ou sus estan,
                                                       Qui beaulté ot trop plus qu'humaine,
                                                       Mais ou sont les neiges d'antan ?

                                                       Ou est la tres sage Helloïs,
                                                       Pour qui chastré fut et puis moyne
                                                       Pierre Esbaillart a Saint Denis ?
                                                       Pour son amour ot ceste essoyne.
                                                       Semblablement, ou est la royne
                                                       Qui commanda que Buridan

                                                       Fust geté en ung sac en Saine ?
                                                       Mais ou sont les neiges d'antan ?

                                                       La royne Blanche comme lis
                                                       Qui chantoit a voix de seraine,
                                                       Berte au grant pié, Bietris, Alis,
                                                       Haremburgis qui tint le Maine,
                                                       Et Jehanne la bonne Lorraine
                                                       Qu'Englois brulerent a Rouan ;
                                                       Ou sont ilz, ou, Vierge souvraine ?
                                                       Mais ou sont les neiges d'antan ?
                  
                                                      Prince , n'enquerez de sepmaine
                                                      Ou elles sont, ne de cest an,
                                                      Qu'a ce reffrain ne vous remaine :
                                                      Mais ou sont les neiges d'antan ?


                                                                                                      François Villon

























lundi 9 avril 2012

Le garde-barrière Andréa Camilleri ( Italie roman )

Le garde-barrière
                                                                Le garde-barrière

                                                                1942 Toto et Nino amis habitent à Vigata en Sicile. Nino est garde-barrière et surveille le passage de deux trains poussifs ( les passagers descendent qui pour un petit bain de mer ou  pour chiper quelques légumes et fruits dans les champs et remontent sans précipitation dans le train ). Mais le monde à Vigata comme ailleurs n'est pas fait que de braves gens. Toto et Nino améliorent le quotidien en chantant chez le coiffeur Anselmo. Mais l'Italie est en guerre  et les fascistes n'apprécient pas les musiques des chansons, ils les trouvent blessantes pour le régime. Nino est marié à Minica charmante épouse tout occupée à briquer sa maisonnette et cultiver son jardin. Nino tire l'eau du puits. Des inconnus frappent à leurs portes. Trop de confiance et de bon coeur "... Têtue comme un mulet de pâture sa Minica, elle ne lâchait pas sa bouchée..." Le manque d'enfant sera l'un des drames de leur vie " Toto fut le seul à remarquer que Nino avait changé d'humeur. "... Et il fallut que, de trou ou de brou, celui-ci lui dévide son patrigot... un de mes amis avait le même embierne que toi.." et le bon ami l'envoie chez la renoueuse. Toujours les mots venus on ne sait d'où et le style Camilleri. La fin étonnante, cruelle et poétique se découvre, ne se raconte pas. Court roman, il ne manque pas une ligne.
                                                                 

Le Rêveur Will Eisner ( EtatsUnis bande dessinée )

Le rêveur        Le Rêveur

                                     " Au mieux la société tolère les rêveurs " Ainsi commence le texte deWill Eisner écrit en 1986 en avant-propos de l'album où sont rassemblées trois histoires presqu'entièrement autobiographiques. Débuts dans les années 30. NewYork n'est pas remise des années de dépression et la guerre s'annonce ( Eisner sera mobilisé en 1942 ). Cependant son rêve sera plus fort que les échecs, les refus, les déceptions " ... les éditeurs rognent sans cesse sur leurs tarifs ils en sont encore à la dépression... " Les petites bandes, modestes feuillets sont alors offerts avec les journaux, ou encore les bons titres plagiés  édités et vendus par la maffia. Mais des studios se créent et les dessins abondent "... ils vont produire parce que la bande dessinée est faite de fantasmes... de rêves et de rêveurs... " Les dessinateurs changent d'éditeurs et sont alors obligés de céder leurs droits sur leur production. Billy Eyron ou Will Eisner deviendra l'un des très très grands dessinateurs, ses personnages sont attachants. " Crépuscule à Sunshine City " nous conte une histoire de famille sordide. Miami, soleil palmiers et veuve pleine d'allant redonne un sens à la vie du nouveau retraité veuf de surcroît et la mort et l'héritage s'éloignant... rage d'un gendre. Le rêveur dépeint très bien le réalisme.

Lettre à Madeleine 29 Apollinaire

            ( Apollinaire adresse deux longues lettres à Madeleine, les 1er et 2 octobre l'assure de son amour et la rassure " ... Sois ma femme, ma Poppée, ma Phèdre, sois la Madeleine savante et avertie  que j'adore... " Puis il ajoute "... Les permissions qui sont suspendues dans notre secteur depuis un mois n'ont pas repris... A propos du mot bobosse ou fantabosse ... il n'est pas nouveau et s'employait déjà en 70. Je viens de la trouver dans un roman de Richepin qui se passe en ce temps la Césarine... )

   Lettre à Madeleine

                                                                                                              Le 3 8bre 1915

            Je t'écris, mon amour, le 2 au soir. Pas de lettre de mon amour aujourd'hui. Je n'ai reçu que les épreuves du cri " A l' Italie " qui paraîtra en octobre dans La Voce de Florence. Je t'ai envoyé aujourd'hui le corps de l'encrier. Mais je ne sais pas encore s'il partira. Envoie-moi des lettres bien aimantes pr donner un aliment aux miennes même les jours où je n'en reçois pas. - Je suis tout désemparé quand je n'ai pas de tes lettres, mon amour.
            Nous sommes toujours dans l'attente d'un départ possible. On ne peut travailler à rien dans les intervalles du tir car les paquetages sont faits. voilà 2 jours que je n'ai pas de lettres de toi et il me semble bien qu'il y ait un siècle. D'ailleurs, on est si mal installé pour écrire que c'est tout juste si on arrive à écrire des lettres et en petit nombre. Au demeurant, il n'y a qu'à toi que je puisse écrire volontiers et de longues lettres. Le reste du temps on rôde aux alentours, pas bien loin, pr tâcher de trouver un journal que généralement on ne trouve pas comme aujourd'hui par exemple où l'on lit un vague roman trouvé par hasard.
            On trouve pas mal d'équipements boches, mais tout trop lourd pour être envoyé. C'est curieux cette interdiction et après tout inexplicable, mais comme on sait qu'il ne faut pas chercher à comprendre, ne cherchons pas à le faire.
            Dis, mon amour, as-tu repris tes cours. Oui sans doute maintenant. Je pense à ta petite tête brune, si jolie sous la merveilleuse forêt vierge de ton admirable chevelure. Je souhaite infiniment ta présence.
            Je pense à cette batterie boche qu'on a trouvée dans les lignes conquises et que j'ai vue pendant une excursion ; les pièces brisées, les servants massacrés et desséchés depuis le mois de mars où ils sont morts entre les lignes françaises et les leurs.
            Et je repense à tes douces lettres si rares maintenant, si rares si rares, mon amour.
            Écris-moi régulièrement. Il a fait beau tout le jour mais dès le soir le temps est glacial.
            Je prends tes lèvres mon amour très chéri, je les prends infiniment, je t'adore, je t'adore, ma chérie, je t'aime et te désire si profondément, si tu savais ! Je t'aime et je reprends tes lèvres, mon amour.

                                                                                                            Gui

    Fleur ... rose      
                                                              Lettre à Madeleine

                                                                                                                4 octobre 1915

            Mon amour très chéri, ma petite Madeleine adorée, trois lettres de toi aujourd'hui et trois lettres si aimantes qu'elles détruisent la tristesse - mais tristesse sans peine car je sais bien que tu m'aimes - de ta lettre du 24. Aussi je suis content, content, content. Oui tu as raison, ma Rose tu seras toujours mon lys. Tu sais bien qu'une rose comme toi sera toujours un lys. Plus tu seras ma rose plus pour tout l'univers tu seras le lys et plus tu paraîtras une rose au reste du monde plus tu seras mon lys unique et je garderai toujours pour ma femme l'amour que j'ai eu pour ma fiancée. J'aime toutes les Madeleine qui ne sont qu'une et je disais hier pencher pour la Rose mais ce n'est pas aux dépens du Lys car dès que la Rose veut bien être la Rose le Lys se dresse avec tous ses droits qui me sont aussi chers que ceux de la Rose. Je veux dire simplement que la Rose ne peut faire aucun tort au Lys, c'est pourquoi je ne voudrais pas que le Lys puisse jamais se croire supérieur à la Rose et si tu veux bien admettre ce charabia sincère d'amour tu es ma Roselys. Les 2 fleurs à la fois. Je suis bien content d'avoir devancé ton désir en souhaitant que tu fasses toujours les premiers pas. Il ne s'agit nullement, tu vois, de choquer ton adorable pudeur, mais je veux que de ton côté tu ne retiennes point les mouvements de ton corps vers moi, de façon à ce que ta pudeur ne s'efforce point à être un obstacle entre toi et moi. C'est ainsi que tu l'entends au reste.
            Tu peux te servir des coupe-papier comme tu voudras, ils sont à moi, voilà tout.
            La révélation qui t'a tant troublée me trouble aussi profondément de ce qu'elle t'est révélée. J'exulte de ta joie , ma chérie, et je te prends tout entière jusqu'au plus intime de ton être et je prends ta bouche : langue à langue passionnément. Ceci pour la lettre 25. - Maintenant pour la 1re lettre du 26. Je suis content que Lamur soit loin de la mer et vous soyez tous en sûreté. Mon ardente Madeleine tu m'aimes comme je veux être aimé. µJe prends tes lèvres jusqu'au sang que tu me donnes.
            La seconde lettre du 26 mon amour, je l'ai déjà lue 20 fois tant je l'aime. Je te prends rêveuse ou active, rieuse ou grave mon amour. Tout est beau en toi ma chérie, tout est harmonieux et comme j'aime qu'il y ait en toi encore plus de désir de la beauté. Oui le dédain de l'hypocrisie vient de ton sens admirable de la beauté. Vérité et amour c'est nous deux et cela ne fait qu'un dans leur synthèse : Beauté.
                                                                                            
                        
            Tu as continué ta lettre le 27. Je ne porte pas la bague semblable à la tienne parce qu'elle est trop grande. Mais garde-la moi si tu veux. Elle me gêne pour monter à cheval, remuer beaucoup les mains, etc. Que je suis content que tu aies enfin compris que nous aimons tout en nous, et tu as bien compris  le secret le divin secret et je souhaite le langage que tu te trouveras à notre secret. Ta compréhension des rites de l'amour me cause une allégresse pour ainsi dire religieuse, ô ma Rose, ô mon Lys. Tu as compris qu'à nous tout est permis et que nous aurions toutes les joies et sans nous laisser dominer par ces joies, mais ce qui te domptera, ce n'est pas ta volonté, c'est la mienne. - Ma bougie vient de se renverser sur la lettre pardonne mon amour qu'elle soit si sale mais je suis si mal installé !! Je renouvelle donc mes baisers sur tes hanches de perle, que j'aime et dont tu es fière, mon adorée et je suis heureux que ta pensée s'ingénie aux raffinements pour rendre notre amour plus grand que tout ce qui fut l'amour jusqu'ici. Tes sens s'éveillent adorablement on dirait d'Aphrodite se dégageant nue et belle de l'écume marine. Tu savais que tu me trouverais mon amour et tu me gardais pour toi sans aucun trouble et maintenant tu es ma proie, ma toison d'or oui ma chérie, je mets ma tête contre ton sein gauche, je tremble de volupté en y touchant, j'écoute ton coeur, je le baise et je baise aussi la divine coupe faite comme je voulais, car il les faut point trop lourds en effet ma chérie et les tiens sont la perfection. Que j'aime ton corps long et harmonieux, que je suis heureux que tu me comprennes et que tu m'aimes ainsi que tu le fais avec toutes tes fibres et suis si content que tu n'aies plus à être honteuse de ta beauté devant moi mon amour aux beaux yeux et ta chair je la pétris comme le boulanger pétris la pâte et cette comparaison a dû toujours s'imposer puisque aussi haut qu'on monte les pains ont toujours été pétris en formes sexuelles - le pain fendu sexe féminin, le pain long sexe viril. Je suis content de ta joie complète causée par ma lettre du 19 et te prie de ne plus quitter une joie qui nous est si favorable. La joie est tout dans la vie, la joie est le grand soldat victorieux, notre joie régnera sur tout si tu veux, ta joie voluptueuse est mon bonheur suprême. µje te prends toute profondément et je prends ta langue mon amour infiniment. Je me meurs dans ta bouche adorable.
            J'ai reçu le Mercure que je t'enverrai. Il n'y a pas ma vie anecdotique que j'ai envoyé trop tard.
            Je prends tes seins adorables ma chérie et tes hanches merveilleuses. µJe t'adore et te le répète infiniment bouche à bouche, langue à langue à n'en plus finir.


                                                                                                               Gui



dimanche 8 avril 2012

Pensées d'hier pour aujourd'hui Abbé Mugnier


Journal de l'abbé Mugnier, 1879-1939Huysmans nous citait l'autre soir, ce mot que lui dit Mallarmé :
                                            " Les hommes politiques détestent les gens de lettres comme les
                                              marchands de vin détestent les prêtres, sans savoir pourquoi. "

                                                                                                         12 juin 1899


                                                                      ***************

                                                                                                         12 novembre 1918

                                                   Oublié de noter qu'un de ces derniers soirs ( avant la signature de          
                                             l'armistice ) je rencontre dans une station souterraine, un Américain, je
                                             crois, qui me dit qu'il est catholique, que l'armistice est signé et qui me
                                             donne un bâton de chocolat.


samedi 7 avril 2012

CIRCULEZ ! Luigi Pirandello ( Italie - nouvelle )

 Circulez
  
            Une chambre sordide au rez-de-chaussée. Un méchant lit sur lequel gît, mais sans avoir encore pris l'aspect habituel des morts le cadavre d'un vieillard avec une barbe de malade et les globes oculaires révulsés presque visibles sous les paupières transparentes, minces comme de la pelure d'oignon. Les bras hors des couvertures et les mains jointes sur la poitrine. La tête du lit est appuyée contre la paroi et un crucifix est accroché au chevet. A côté du lit il y a une table de nuit avec un ou deux verres de médicaments, une bouteille et un bougeoir de métal. Au milieu une porte entrouverte et plus loin une vieille commode dont le revêtement s'écaille couverte d'ustensiles grossiers. Agenouillée à droite du lit et renversée dessus de tout le buste, de la face et des bras étendus se trouve la femme du défunt, d'un grand âge, vêtue de noir, un mouchoir violet noué sur la tête. Ne donnant aucun signe de vie. Devant l'étroite porte entrouverte se tien une fillette de huit à neuf ans, venue du voisinage, les yeux écarquillés, un doigt à la bouche, plongée dans la contemplation angoissée du cadavre. Dans l'ombre du vestibule, à travers l'entrebâillement de la porte, on entrevoit des hommes et femmes du voisinage en train d'épier sans oser entrer. Une fenêtre s'ouvre dans la paroi de droite, donnant sur la cour, et là aussi on aperçoit à travers les vitres d'autres visages de curieux qui épient. Sur la paroi de gauche il y a une armoire de bois peint à deux battants en mauvais état. Des chaises de paille, une table de petite dimension. On entend au vestibule la voix de Lora :
            - Écartez-vous, laissez-moi passer;
            Elle entre.
            Elle a un peu plus de vingt ans. L'air équivoque. Des façons brusques;
            Elle apporte un cierge enveloppé dans du papier et dans les mains des fruits de couleurs vives, oranges et pommes.
            A peine entrée elle dit à la fillette :
            - Ah parfait, on t'a laissée entrer ? En sorte que quand tu seras grande, tu te souviendras du jour où tu auras vu un mort pour la première fois. Tu veux aussi le toucher du doigt ? Non ? Alors va-t-en !
            Elle l'attrape et la met dehors, disant à ceux du vestibule :
            - Il y a un enterrement de première classe à l'entrée de la rue, je l'ai vu en passant : attelages à quatre chevaux, cocher et valets à perruque blanche, le grand chic ! Courez voir ça ! Vous aimez la saleté comme les mouches ?
            Et elle tire la porte à elle.
            - Mais bien sût, et l'hippopotame ?... s'exclame-t-elle au milieu de la pièce en haussant les épaules. Quand tu auras vu zoo l'hippopotame que Dieu a aussi créé, de quoi vas-tu encore t'étonner ? Il y a l'hippopotame comme il y a celui qui enlève les petites filles et ensuite il les tue. Et il y a celle qui doit faire la pute et celui qui t'expédie sur le pavé. Et les mouches. Les mouches ! Elle pose le cierge et les fruits sur la commode. Ses yeux vont alors à ceux qui épient derrière la fenêtre. Elle y court, irritée !
            - Mais regardez-moi ça ! Même ici, collées aux vitres.
            A peine a-t-elle ouvert qu'ils s'enfuient tous. Et alors elle se penche pour crier dehors !
            - Mais oui, mais oui, c'est moi ! Quelle peste, hein, cette Bigiù ? Mais saurais-tu me dire pourquoi tu vaux plus que moi ? Parce que chez toi tu vends en gros, par pièces entières et que moi je suis marchande ambulante et que je ne vends qu'au mètre ? Que veux-tu ? Tu la palpes encore l'étoffe entre le pouce et l'index, moi je ne la palpe plus, ma camelote en solde ! Allons, allons, il se pourrait bien que ton tour arrive aussi d'avoir à dévaler l'escalier. Bien du plaisir, commère ! C'est bras dessus bras dessous que nous sommes entrés, la Mort et le Déshonneur, oui le Déshonneur ! Mais tu en fais une figure ! Tiens, ma petite, attends : je te lance une pomme.  Elle prend une pomme rouge sur la commode et fait mine de la lancer à la fillette qu'elle mise dehors tout à l'heure.
            - Tu te sauves ? Tu ne la veux pas Eh bien je me l'envoie.
            Elle mord dedans et referme la fenêtre, faisant le geste tout de suite après de se boucher le nez.
            Pouah, quelle brûlante puanteur de lessive.
            Elle regarde le cadavre de son père sur le lit.
            - Je mange, oui, je mange et pourvu que ça m'empoisonne. Rien mangé depuis hier. Hé, voilà que tes mains ne s'écartent plus l'une de l'autre ! De ces baffes ! Et tu me crachais au visage aussi, tu m'empoignais par les cheveux, tu m'envoyais valdinguer à coups de pied. Toute gamine, que veux-tu ? j'en savais déjà plus qu'une image sainte à la sainte du lit. A présent, ces mains, tu les tiens l'une sur l'autre, ainsi contre la poitrine, froides comme la pierre.
            Elle s'en va secouer sa mère par l'épaule.
            - Debout maman : toi non plus tu n'as rien mangé depuis hier. Il te faut prendre quelque chose.
            Le doute l'assaille soudain qu'on ne lui a pas rendu exactement la monnaie et elle fait le compte :
            - Quatre et huit, douze et cinq, dix-sept. Attends. Qu'est-ce que j'ai acheté d'autre ? Ah oui, le fruit chez cet imbécile. Il vendait les petits oiseaux à la chaîne, attachés par les trous du bec et il m'en a fouetté le visage, ce malappris, sans même voir que je portais un cierge.
            A ce souvenir elle sursaute.
            - Ah oui, le cierge. Elle va le prendre sur la commode et le déballe.

                   

            - Pour qu'on ne dise pas que nous ne t'en avons pas fais brûler un.
            Elle prend le bougeoir de métal sur la table de nuit.
            - Espérons qu'il ira.
            Elle plante le cierge dans la bobèche.
            - Tiens regarde, fait sur mesure.
            Il y a sur la table une boîte d'allumettes.Elle allume le cierge et le pose là.
            - Brûler et dégouliner. Jolie profession. Comme les vierges. Tu le vois ? Non. Pas plus que les saints de bois sur l'autel. Mais nous, ces saints, nous les voyons illuminés et nous nous agenouillons. Question de foi, la fabrication des cierges. A cette heure nous croyons que tu te royaumes là-bas. Mais pauvre vieux, tu ne le fais guère voir. Debout maman, oh : il faut l'habiller avant qu'il durcisse. Pleure, bon continue à pleurer. Encore une jolie profession que la tienne, gisant là comme morte toi aussi. Il faut se dépêcher. Une grâce du ciel qu'ils aient attendu qu'il meure. Ils veulent que tout soit dehors avant ce soir.Les gens de la Miséricorde vont arriver à quatre heures. Iµls ne laisseront même pas au cierge le temps de se consumer totalement.
            Elle regarde le cierge allumé puis elle lève les yeux vers le crucifix accroché au mur.
            - Ah, le crucifix entre les mains.
            Elle va de l'autre côté du lit, approche une chaise et monte dessus. Elle décroche le crucifix, le tient un instant entre les mains.
            - Ah Jésus  ! Les pauvres qui ont recours à toi... Tu l'as fait exprès ! Qui peut avoir encore le courage de se plaindre avec toi et de tout le mal qu'on lui fait, si toi-même, sans péché, tu t'es laissé mettre en croix bras ouverts, Jésus ! L'espoir qu'on se royaumera là-bas, oui.La flamme de ce cierge de quatre sous. Elle saute de la chaise et fourre le crucifix entre les mains du mort en disant à sa mère :
            - Oh attention, elles sont vraiment devenues dures : impossible de l'habiller à moins de fendre la jaquette par-derrière pour lui enfiler les manches. Ah tu ne veux pas te remuer ? Tu attends qu'on t'attrape par un bras et qu'on te jette dehors ? Bon, regarde.
             Elle prend une chaise et s'assied dessus.
            - Je vais attendre moi aussi qu'un cantonnier arrive avec son balai et sa pelle pour me jeter sur son char à ordures. Heureux celui qui s'est ôter de l'esprit l'idée de remuer, ne serait-ce que d'ici à là, de lever une main pour se mettre un morceau dans la bouche. Finalement, après tout, tu as raison, tout se fait tout seul quand on n'a plus envie de rien.Ils entrent, ils te tirent par les bras pour te remettre sur tes pieds, tu ne tiens pas debout mais ne t'y trompe pas, s'ils ne veulent pas de toi ici, ils ne te laissent même pas le temps de t'écrouler, ils t'allongent un coup de pied ou t'administrent une bonne bourrade entre les épaules et t'envoient rouler dans les rue. Les nippes, le lit avec son mort, la commode, tout au beau milieu de la rue : se serve qui veut ! Et toi, par terre, à plat ventre, comme à présent sur le lit, parmi les gens qui s'arrêtent pour te considérer. Arrive un agent de police : " Il est interdit de dormir sur la voie publique. - Où alors ? - Videz-moi les lieux! " Tu ne vides pas les lieux. Sois sans crainte, si vraiment tu ne veux pas, il se trouvera bien quelqu'un pour te faire vider les lieux... Et celui qui n'a plus de toit aura tout de même droit à un coin où se tenir sur la terre : sur une borne comme un pantin affalé, sur un perron d'église, un banc de jardin... Les enfants accourent ; oui, la petite mère-grand . Que dis-tu, mon joli ? Dodo ? Je ne te comprends pas. Ah tu veux faire dodo avec moi ici. Mamie ne veut pas. Va voir les petits poissons dans le bassin. Rouges, oui. Ouf, Dieu soit loué ! Puis tu te mets avec la main comme ça et quelqu'un en passant te jettera un sou ou un croûton de pain. Mais moi non, tu sais, regarde : paf, un crachat ! Moi, la main, au lieu de quémander, je la tends pour griffer, voler, tuer. Et ensuite, bon, la prison : de quoi manger et dormir à l'oeil.
            Elle se lève exaspérée et s'en va dire à son père : 
                
                  

            - Je profite de ce que tu ne puisses plus m'entendre et je me livre à un beau déballage pour toutes les gifles que tu m'as données. Tu n'as jamais voulu comprendre comment ça s'était passé, comment cela peut vous arriver sans qu'on le sache, au moment où on y pense le moins, comprendre que tu t'y trouves prise alors que tu pleures et te désespères parce que ton corps, touché sans intention, a senti de lui-même une douceur qui prend vie au sein même de ton désespoir et te l'enflamme soudain en même temps que toutes les choses que tu as cessé de voir, corps aveugle, étreint, désespéré, dans un débordement de plaisir auquel tu ne t'attendais pas. Voilà comment cela s'est passé. Voilà comment. Ici. C'est toi qui me l'avais laissé ici, ton neveu trahi par sa femme. Il pleurait, assis ici sur ce même lit. Je lui ai pris la tête comme ceci pour le réconforter et il a commencé à s'agiter, à farfouiller du nez, le visage contre ma poitrine : eh, femme ainsi constituée qu'on y trouve du plaisir, je ne me suis pas faite toute seule ! Notre sang s'est allumé à tous les deux et lui également, ensuite, est resté étendu ici comme mort de la peur de m'avoir eue. Puis il s'en est retourné chez sa femme, ce goujat, consolé, disait-il, pour avoir appris de moi qu'après tout toutes les femmes se valent et qu'il n'y en a point d'honnêtes, pareilles aux hommes, la même viande, donc, on ne voit pas pourquoi - disait-il - si un homme le fait si souvent et ce n'est rien du tout, une femme ne le faisant qu'une fois devrait être considérée comme perdue à jamais. " Finalement, tu y as pris du plaisir toi aussi ! " Sale goujat, et l'enfant ? Pour toi rien du tout, mais pour moi... Ah papa, tu es mort et je te pardonne, mais c'est à toi que je le dois si j'ai plongé en plein enfer. Tous unis dans la condamnation d'une femme, vous es hommes : tous, il n'y a plus de père, plus de frères, au contraire les frères sont encore plus féroces. Et le plus féroce de tous, c'est toi qui l'as été en me jetant comme une chienne à la rue.Mais moi, regarde, j'ai essuyé mes larmes et les crachats de mon visage et l'ai offert au premier venu. La rue, la rage de t'envoyer en pleine figure la honte que tu n'as pas voulu tenir secrète. Mais ensuite l'enfant, l'enfant...Ce qu'on dit n'est pas vrai ! vrai après, mais d'abord non ; se le sentir en soi, effroyable ! Et ensuite, quand il naît... Après, c'est vrai ; cette petite créature qui te cherche... Je suis venue le déposer ici, il avait huit mois, une nuit, derrière la porte dans la corbeille de sa layette. Elle doit y être encore, cette layette, ou bien l'avez-vous vendue ? Mon Dieu je te remercie de l'avoir repris si jeune auprès de toi ! Allons, allons, habillons-le à présent.
            Elle va ouvrir l'armoire, elle en sort un costume de drap marron suspendu à un cintre. Elle se tourne vers sa mère :
            - Est-ce vrai qu'il l'endormait tous les soirs avec cette chanson... comment va-t-elle ?... que tu me chantais à moi aussi ? On est venu me le dire une nuit qu'il pleuvait : quelqu'un qui avait passé par ici et entendu de la cour. Et ensuite, après m'avoir appris cela, il voulait, tu comprends...?
            Elle regarde le costume de son père qu'elle tient encore à la main, elle l'examine :
            - Mais cet habit est encore bon ! A peu de choses près... Après tout s'il a déjà comparu devant Dieu, à quoi lui sert ce habit pour ceux qui vont s'emparer de lui ? Et toi, économe comme tu es... il y a d'autres affaires... tu pourrais t'entendre avec un brocanteur. Oh, tu m'entends ? Il faut faire son balluchon ! Il y a sans doute d'autres affaires dans la commode.
            Elle y va, ouvre le premier tiroir, fouille dedans : des chiffons. Elle ouvre le deuxième : rien du tout. Elle ouvre le troisième : la layette.
            - Ah, c'est ici qu'elle est !
            Elle la regarde. Elle s'accroupit par terre. Elle en tire une ou deux pièces : un lange enroulé, une petite chemise, un bavoir, puis pour finir un petit bonnet. Elle introduit une main, poing fermé dans la forme vide de la tête et comme si elle berçait un bébé, elle se met à chantonner d'une voix lointaine la vieille chanson de sa mère. Et pendant quelle chante tout s'obscurcit petit à petit, jusqu'à ce qu'on ne voie plus, toute lumière éteinte, que la flamme du cierge.
Silence.

                                                                                                             
                                                                                                               Pirandello
                   

jeudi 5 avril 2012

Lettres à Madeleine 28 Apollinaire

   Lettre à Madeleine

                                                                                                              30 septembre1915

            Mon amour si tu savais combien me manque ta lettre quotidienne. C'est effrayant et injuste car quelle raison de laisser une colonie aussi importante que l'Algérie sans nouvelles quotidiennes de la métropole ? Je t'adore mon amour, mais il fait un affreux temps glacé. Il a plu tout le jour, un lamentable jour d'automne. Quelle tristesse. La pluie a inondé le trou où nous vivons j'ai dormi toute la nuit dans l'eau... Je t'écris avec de
l'encre prêtée par un sapeur-projecteur. Tu as lu tous les détails de la victoire d'ici dans les journaux. Je n'ai pas encore eu le courage de faire le compte des coups que j'ai tirés pendant l'extraordinaire bombardement qui a tant surpris les Boches. J'en ferai le compte demain, car le capitaine me l'a demandé. Il y a deux jours que je n'ai plus de lettre de mon amour. J'ai reçu le bulletin lyrique idiot où Paul Fort prince des poètes à la manque chante les batailles de loin et en un langage vraiment stupide - qu'il me tarde mon amour d'avoir de tes lettres passionnées. Je suis maintenant sans elles comme privé de la vie. Raconte-moi l'histoire de ta petite photo découpée où il n'y a que tes beaux yeux. Le vent souffle...

Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
Il y a dans le ciel six saucisses pareilles à des asticots dont il naît les étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi
Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne
Il y a que je languis après une lettre de Madeleine
Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour                                
Il y a les prisonnier qui passent la mine inquiète
Il y a une jeune fille qui pense à moi à Oran
Il y a une batterie dont les servant s'agitent autour des pièces
Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre Isolé
Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme le bleu horizon
               dont il est vêtu et avec quoi il se confond
Il y a Vénus qui s'est embarquée nue dans un havre de la mer jolie pour Cythère
Il y a les cheveux noirs de mon amour
Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
Il y a des Américains qui font un négoce atroce de notre or
Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l'Atlantique
Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils
Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico
Il y a le Gulf-Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix partout de-ci delà
Il y a des figures de barbarie sur les cactus en Algérie
Il y a les longues mains souples de mon amour
Il y a un encrier que j'avais fait pour Madeleine dans une fusée de
              15 centimètres et qu'on n'a pas laissé partir
Il y a ma selle exposée à la pluie
Il y a les fleuves qui ne remontent leurs cours
Il y a l'amour qui m'entraîne avec douceur vers Madeleine
Il y avait un prisonnier
 boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre
Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
Il y a des femmes qui apprennent l'allemand dans les régions occupées
Elles pensent avec mélancolie à ceux dont elles se demandent si elles les reverront
Et par-dessus tout il y a le soleil de notre amour

                                                                                                                              Gui



           

                       

Pensées d'hier pour aujourd'hui La Bruyère La Rochefoucauld et les autres

Caractères ( extrait des Jugements )

            Combien d'art pour rentrer dans la nature ! Combien de temps, de règles, d'attention et de
travail pour danser avec la même liberté et la même grâce que l"on sait marcher...
            Pour chanter comme on parle...
            Parler et s'exprimer comme l'on pense...
            Jeter autant de force,de vivacité, de passion et de persuasion dans un discours étudié et que
l'on prononce dans le public, qu'on en a quelquefois naturellement et sans préparation dans les
entretiens les plus familiers !

                                                                                                   Jean de La Bruyère
                                                                                                                Saint-Honoré Poire-chocolat ( Pierre Hermé )
                                           
                                             Maximes et Réflexions morales

                                             Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite
                                             que le mérite même.

                                                                                                         La Rochefoucauld




mardi 3 avril 2012

Pensées d'hier pour aujourd'hui La Bruyère La Rochefoucault et quelques autres

 Jean deLa Bruyère
                                        Paris - 17 août 1645
                                        Versailles - 11 mai 1696
           
            - Un sot est celui qui n'a pas même ce qu'il faut d'esprit pour être fat.
          
            - Un fat est celui que les sots croient un homme de mérite.

( Les jugements in Les caractères )


 Françoi VI duc de La Rochefoucauld prince de Marcillac
                                                     Paris - 15 septembre 1613  
                                                     Paris - 17 mars 1680

            - Nous ne regrettons pas la perte de nos amis selon leur mérite, mais selon nos besoins et selon
l'opinion que nous croyons leur avoir donnée de ce que nous valons.

            - La sobriété est l'amour de la santé, ou l'impuissane de manger beaucoup.

(Maximes et Réflexions morales )

           


                                                     

dimanche 1 avril 2012

Lettres à Madeleine 27 Apollinaire

Lettre à Madeleine

                                                                                                               26 septembre 1915

            J'écrirai dès que je pourrai en ce moment trop à faire. Je donne de mes nouvelles c'est à peu près tout ce qui est possible. Tu es toutes mes pensées.

                                                                                                                             Gui
                                                                                          qui pense infiniment à Madeleine

                                                                                                                  26 septembre au soir
                                                                               (hors texte - lettre écrite au crayon )

            Ma très chérie. Je n'ai pas eu le temps d'écrire hier soir - d'ailleurs les lettres ne sont pas parties
hier. Aujourd'hui est partie ma lettre d'avant-hier et une carte écrite à la hâte pendant le tir. Je ne peux te donner de détails. Tout a été magnifique. Les prisonniers boches ont passé par ici et j'ai un beau bouton de ceinturon de la Garde impériale que je t'enverrai ce qui peut faire une broche amusante. - Je n'ai pas eu de lettre de toi ni hier ni aujourd'hui. D'ailleurs je n'en attendais pas. Toi que fais-tu. Je t'imagine dans ta chambre, ô belle, ma belle scholastique. Ta chambre studieuse et virginale. Moi je suis las ce soir et l'étais hier encore plus après la plus furieuse chose qu'on puisse imaginer. Nous étions tous suants couverts de poussière, l'odeur de poudre grisait. en ce moment mon paquetage est bouclé. Je n'ai plus d'enveloppes, seulement ce papier. Mon encre aussi est rentrée. Que de choses intéressantes et belles j'aurai à te raconter après la guerre - Hier on n'a pas eu le temps de manger sérieusement. Seulement du pain et du chocolat pendant le tir - D'ailleurs cette vie me plaît beaucoup - Les prisonniers étaient tous très jeunes. J'ai causé un peu avec quelques-uns d'entre eux mais j'étais si abruti - il faut dire le mot, que toute description me serait impossible. Ils étaient très mal vêtus et très obséquieux. Celui à qui j'ai coupé le bouton de ceinturon me tendait son derrière vraiment à l'allemande et avec une patience à mourir de rire. Mon couteau coupe très mal j'étais pressé pour le tir et j'en mettais tant que je pouvais - leurs officiers affectaient un air méprisant mais très étonnés de nous voir si bien habillés - Nous sommes habillés de neuf en bleu clair et casqués. Quand je pourrai me faire photographier avec le casque je le ferai. Ce casque si tu ne l'as pas encore vu

                                                                                                                                                                                           
                  
ressemble un peu à une salade casque appelé ainsi j'imagine du nom de Saladin. Je ne le trouve pas laid et il est extrêmement protecteur et agréable à porter quoiqu'assez lourd - Enfin je suis content de mon casque. Je
crois qu'il a la forme du plat de barbier que Don Quichotte prit pour l'armet de Mambrin. Mais il est gris au lieu de briller au soleil. Que fais-tu mon amour ? Je pense à tes cheveux. Ta chère photographie m'aide infiniment à rester gai - Hier il a plu tout le jour. Ce jour il a fait beau mais ce soir il fait froid et il bruine. Le feu d'artifice est beau trop beau. Je t'écris dans mon trou, bien à l'abri des marmites. Enfin quand je viendrai je te raconterai tout cela. Nous n'avons pas de journaux depuis trois jours. Les lettres sont arrivées hier à minuit avec le ravitaillement. Sitôt cette lettre finie, mon amour, je fais faire dodo. Je t'adore et n'ai pas cessé de penser à toi pendant tout le jour. Ta photo que j'ai en double, je l'avais prise dans mon carnet de tir et je la regardais tout le temps, ma chérie, ma belle, ma jolie, ma gracieuse Madeleine. Mon amour, ma chérie t'enveloppe toute. Je te prends dans mes bras doucement et vigoureusement, je te dis des mots tendres - nous sommes seuls, je suis fier de toi, mon aimée, je suis aussi fier de toi que je t'aime et ce n'est pas peu tu sais bien, mon amour. Je pense à Oran, ma petite chérie aux jolies mains - j'attends tes lettres avec impatience pour savoir les détails de ton voyage et aussi tout ce que tu m'as promis de m'écrire. Quand reprends-tu les cours. Dis-moi tout de ta vie. Ça m'intéresse tant. Tu es mon amour, ma merveilleuse, ma miraculeuse Madeleine. Ces jours où je n'ai pas de lettre de toi sont des jours sans couleur et pourtant j'aime bien ma vie en campagne. Mais sans toi tout est gris, tes lettres illuminent mon front comme les fusées le Front des Armées. Je t'adore.
            Ma Madeleine je prends ta bouche. Il me tarde aussi va d'être ton mari. Je prends ta bouche ouverte.

                                                                                                                      Gui


                                                                                            Le 28 septembre 1915
                                                                                               ( au crayon )
 Mon cher amour,

                                                    J'ai reçu hier ta lettre écrite sur le bateau et envoyée d'Oran. Je t'adore.
Notre travail est fini. Nous sommes prêts à partir. Tu as lu les journaux et tu en sais plus que nous car nous
n'avons plus de nouvelles du monde depuis le 22. Il y a eu alerte cette nuit, j'étais prêt, éperons, revolver, bidon et casque. Ma selle était prête. Mais on est pas parti. J'ai eu ta lettre à six heures je t'adore mon amour. Je t'ai envoyé hier 3 boutons boches dont un de ceinturon. pourrai pas envoyer l'encrier. En somme, ma chérie, tu as si bien fait que je n'ai été sans nouvelles de toi que deux jours. Tu es un amour. Maintenant, j'attends une longue longue lettre. Il fait très froid ce matin. J'ai les mains gelées. Je t'adore je prends ta bouche rouge à moi qui est si exquise et qui doit si bien mordre. Je t'adore. Je t'adore. Je suis bien content
que le voyage se soit bien passé. Je t'adore.

                                                                                                           Gui







































































vendredi 30 mars 2012

Ballade des Femmes de Paris François Villon ( Poète France )

François Villon Poète né au Moyen Âge à Paris en 1431 mène une vie dissipée
                                       Plusieurs fois arrêté, pour meurtre, pour cambriolage, recueilli à Blois par Charles
                                       d'Orléans, il récidive, interdit à Paris il erre. La date, peut-être 1463, le lieu de sa
                                       sépulture sont inconnus. La " Ballade " extraite de " Lais " est datée 1457.

                                                               BALLADE DES FEMMES DE PARIS

                                       Quoy qu'on tient belles langagieres
                                       Florentines, Veniciennes,
                                       Assez pour être messagieres,
                                       Et mesmement les ancïennes ;
                                       Mais, soient Lombardes, Romaines,
                                       Genevoises, à mes perilz,
                                       Pimontoises, Savoisiennes,
                                       Il n'est bon bec que de Paris

                                       De très beau parler tiennent chaieres,
                                       Ce dit on, les Néapolitaines,
                                       Et sont très bonnes caquetieres
                                       Allemandes et Pruciennes ;
                                       Soient Grecques, Egipciennes,
                                       De Hongrie ou d'autre pays,
                                       Espaignolles ou Cathelennes,
                                       Il n'est bon bec que de Paris.

                                      Brettes, Suysses, n'y sçavent guieres,
                                      Gasconnes, n'aussi Toulousaines :
                                      De Petit Pont deux harengieres
                                      Les concluront, et les Lorraines,
                                      Engloises et Calaisiennes
                                      (Ay je beaucoup de lieux compris ?)
                                      Picardes de Valenciennes ;
                                      Il n'est de bon bec que de Paris.

                                      Prince, aux dames Parisiennes
                                      De beau parler donnez le pris ;
                                      Quoy qu'on die d'Italiennes,
                                      Il n'est de bon bec que de Paris.

                                                                                                          François Villon
                                          
                                

Lettres à Madeleine 26 Apollinaire

couvre_nuque le 24 septembre le poète écrit un court billet à Madeleine.
matériel des soldats 14/18

                                           Lettre à Madeleine

                                                                                                        25 septembre 1915

            Mon amour
            On a canonné toute la journée. C'est le soir je me repose jusqu'à minuit trente où je reprends le feu avec ma pièce. Nous partons demain - pour où ? - Mon ami du génie est venu, demain il doit être à un point à lui assigné et qui aujourd'hui est encore chez les Boches. Ta dépêche ( contrôlée ) m'est venue et m'a causé une grande joie. Je t'ai aussitôt envoyé une carte postale pr t'en aviser. Le second encrier est revenu la douane militaire en a interdit l'expédition, je tâcherai de te l'envoyer en détails ou morceaux si possible, dans les limites de poids autorisé par les règlements militaires. Ce soir j'ai envoyé aussi quelques livres un roman de Quevedo, célèbre, la vie de Coleridge, le dernier n° du Mercure et l'anthologie de Figuière préfacée par Lanson, où il y a surtout de mauvais vers mais un petit nombre mérite le respect. Tu y trouveras une courte notice incomplète sur moi, ma collaboration au Matin n'est pas mentionnée et l'anthologie parut avant Alcools.
            Je suis calmé sur ton voyage. Je t'aime comme tu m'aimes : profondément et magnifiquement. Ecris-moi longuement.
            Le port de Vénus t'a été propice mon amour, tu es Vénus même et plus belle qu'aucune des représentations qu'on a fait d'elle.
            Les épreuves de la vie anecdotique sont arrivées, je les ai renvoyées. J'espère que ça paraîtra dans le numéro d'octobre. J'ai oublié de te demander mon amour quelle taille tu avais.
            Je suis fatigué ce soir mon amour de notre tir presque incessant. Demain ça va être plus terrible encore. Les Boches ont lancé des obus asphyxiants mais courts et le vent était contraire, si bien que nous n'avons rien eu.
            Avec mon képi je t'ai envoyé deux chargeurs un boche un anglais, et deux bagues. Vois si la grosse bague ovale envoyée précédemment et l'autre très anguleuse envoyée hier vont à tes frères si oui donne-les-leur. Envoie aussi mesure pr tes soeurs et ta maman.

bracelet

            La bague avec un trèfle à  4 feuilles est une petite boule de cuivre est pour toi pour qu'elle te porte bonheur, je l'ai portée près de deux mois.
            Je t'ai envoyé mon képi avec qui j'ai fait campagne jusqu'à maintenant, j'y ai rajouté les chiffres dorés et la jugulaire d'or quand j'ai été nommé logis. C'est un souvenir, c'est pourquoi je te l'ai envoyé. Il est à moi, je l'avais fait faire à Nîmes.
            Mon amour je t'aime, vois-tu, comme on n'a jamais aimé et toi aussi tu m'aimes ainsi. Je te désire de la façon la plus violente mais la plus douce et la plus patiente qui soit aussi, mais si tu savais combien j'aime ton regard découpé dans quelle photo mon amour et pourquoi n'as-tu pas envoyé la photo entière mon adorable chérie. Je te prends toute de toutes mes forces. Je mords ta bouche.

                                                                                                                      Gui