dimanche 16 septembre 2012

Sans Titre Moshe Nadir ( Nouvelles extrait Anthologie de la poésie yiddish )



                                                                 XVII            Sans titre

                         .                      Une fois j'eus besoin d'un certain mot. Je l'ai fait appeler et je l'ai mis à sa
                                juste place. Soudain j'ai entendu la clameur des mots en tous genres, jeunes, âgés,
                                neufs ou usés J'ai tendu l'oreille et perçu le brouhaha de la famille perdue du mot, qui
                                l'avait accompagné. Oncles, tantes, nièces, frères, compatriotes. Tous se bousculaient
                                et voulaient rester auprès du mot-père. Je tentais de me les concilier. Je leur dis : " Je
                                n'ai pas de place et de toute façon je n'ai nul besoin d'une aussi nombreuse famille. "
                                Mais ils s'en sont tenu à leur principe : tous en même temps ou rien. Finalement, avec
                                les oncles, tantes, neveux, beaux-frères et concitoyens du mot, j'ai dû aligner tout un
                                paragraphe. Rien à faire pour m'en dépêtrer.



                                                                       **************

                                                                                                stock photo : MOSCOW, RUSSIA - MAY 30: "Hamlet" by William Shakespeare performed by actors of the Central Academic Theatre of Russian Army on May 30, 2010 at Central Academic Theatre of Russian Army  in Moscow.

                                                                       XXVIII      Sans titre

                                                      La vie a noué sa cravate, s'est aspergée d'eau de Cologne et s'en est
                                allée au théâtre. Elle a chaussé ses lunettes - la vie est un peu myope - et s'est mise à
                                observer la scène. Au premier acte, sur le plateau, c'était une fête exceptionnelle, une
                                fête comme elle n'en avait jamais vu. Des amoureux apparaissaient qui parlaient un
                                langage tel que la vie, depuis qu'elle vit, n'en avait jamais entendu. Dieu, la vit ouït-elle
                                jamais de pareils propos ! Au deuxième et au troisième acte survinrent des malheureux
                                si originaux  que la vie dut ôter ses lunettes pour les essuyer. Jamais, en nul lieu, en nul
                                temps, la vie n'avait vu des gens se comporter de cette façon. Le rideau est tombé sur
                                le dernier acte et la vie a applaudi, crié bravo. Quand la vie a quitté la représentation, il
                                était tard. Elle a comparé ce qu'elle avait vu au théâtre et en a conclu que la vie ne sait
                                pas du tout vivre. Qu'il lui faudrait, de temps à autre, faire un saut au théâtre pour
                                apprendre comment les gens se comportent, afin de savoir quoi faire en des
                                circonstances analogues. Et, depuis lors, la vie va régulièrement au théâtre, et la vie
                                devient chaque jour plus intéressante, meilleure, plus raffinée, plus dramatique.



                                           Moshe Nadir
                                         ( Galice - Naraiev 1885 - NewYork 1943 )
                         Journaliste, auteur, il écrit dans des journaux satiriques, traducteur de Twain, Anatole France

vendredi 14 septembre 2012

A propose de Rimbaud Lettre 2

                                                            
 verlaine par domac                                                                       Paul Verlaine à Victor Hugo

                                                                     Samedi 19 juillet 1873, Bruxelles

            Cher et vénéré maître, cette lettre est bien faite pour vous surprendre, tant par l'indication qui précède que par l'ardente prière qui va suivre, mais n'êtes-vous pas la bonté comme vous êtes le génie ? - et puisque depuis les déjà longues années que j'ai l'honneur et le bonheur de vous connaître, vous m'avez toujours bien voulu témoigner, ainsi qu'au bonheur de mon pauvre ménage, le plus vif et le plus paternel intérêt, j'ose, mon cher maître, m'ouvrir à vous tout entier aujourd'hui, et près de sombrer affreusement, je vous crie au secours, sauvez-moi !
            Voici : vous êtes plus ou moins au courant de mes affreux démêlé avec ma femme. Puisque vous êtes à Paris ( ce sont du moins les journaux d'il y a dix jours qui m'en ont instruit, je ne lis plus de journaux depuis ma captivité ) M. Burty à qui j'en ai écrit très longuement dans le temps pourra vous communiquer mes confidences, Voilà juste un an que, moitié folie moitié horreur, de la maison de mon beau-père j'ai quitté Paris et la France en compagnie d'un ami qui ne m'a quitté qu'à de rares intervalles, tous exigés par moi, et consacrés par moi à l'attente - infructueuse toujours hélas ! - du retour de ma femme auprès de moi. Il y a quinze jours ou trois semaines ( le surlendemain de la réception de votre dernière lettre ) je quittais brusquement Londres et mon ami, - laissant celui-ci sans autres ressources que ma garde-robe qu'il a dû vendre, - pour me rendre à Bruxelles dans le dessein bien arrêté - que je signifiai à ma femme, de me détruire si elle ne venait pas dans 3 jours à telle adresse que je lui donnais. Elle ne vint pas. Mon ami, à qui en débarquant à Anvers j'avais écrit pour l'avertir de mon dessein, accourut avant la fin du 3è jour. Sa présence retarda mon projet. J'avais - durant les deux premiers jours, conçu la mort sous un autre aspect et fait une démarche auprès de l'ambassade d'Espagne, à l'effet de m'engager dans les volontaires fédéraux. On me répondit à l'ambassade qu'on n'acceptait pas d'étrangers. Je télégraphiai à ma femme que je l'attendrai jusqu'au lendemain à midi, qu'elle me télégraphiât et vînt. Ma mère arriva, je lui avais écrit à tout hasard de venir. - J'avais une fièvre affreuse qui dégénéra en une véritable folie quand le lendemain de mon télégramme, ma femme ne fût pas venue. J'achetai un revolver que je chargeai bien décidé à partir le soir même pour Paris. J'eusse sonné à la porte de ma femme, l'eusse prié de me recevoir et si elle avait refusé me fusse tué sur son palier. Le hasard de la folie en disposa autrement. Je rentrai chez moi, où se trouvaient ma mère et mon ami. Ce dernier ( cause en grande partie de mes démêlés avec ma femme ) mais qui dans cette circonstance fit preuve, comme en mille autres, du plus grand dévouement, me parla - paraît-il - je vous dis que j'étais absolument absent - je m'irritai et eus le malheur inouï de diriger vers lui un coup de pistolet qui le blessa heureusement très peu au bras gauche. Il se contenta de me reprocher doucement mon acte fou et me pardonna. Nous le pansâmes, ma mère et moi, il manifesta le désir d'aller se faire soigner chez sa mère. Alors, je m'y refusai et lui dis : si tu t'en vas maintenant je me brûle la cervelle devant toi. Il se méprit au sens de mes paroles et s'enfuit ( ceci dans la rue ). Je le poursuivis, le rappelant. - Un sergent de ville nous arrêta -, et me voici en prison, en cellule depuis 9 jours sous l'inculpation de Tentative d'assassinat.Toutefois, j'ose espérer en l'indulgence de la justice. Mon cas étant tout de folie, tous les témoignages y compris celui du pauvre blessé, le confirmant.
            Mon cher maître, c'est affreux, mais le pire, c'est ma femme, qui est la cause indirecte de tout cela, et qui, - sans doute ne sachant rien encore - me laisse là !... Ô mon cher et vénéré maître, tenez, vous le pouvez, vous seul le pouvez. Parlez-lui, faites-la venir chez vous, dîtes-lui qu'elle doit pardonner à ce malheureux, que seule elle peut me sauver du remords, de l'angoisse, seule elle peut m'aider à refaire ma vie, qu'il serait impie à elle de persister davantage dans sa rancune. Si légitime qu'elle puisse être. - Je lui offre tout, j'humilie mon orgueil. Je serai doux comme un enfant, qu'elle ait enfin pitié et qu'elle considère ce que le désespoir  m'a déjà fait faire, qu'elle vienne ici me voir, avec notre enfant, et m'écrive bien vite : j'espère peut-être un temps prochain recouvrer ma liberté : mais qu'en ferais-je désormais sans elle ? Qu'elle profite de ce grand malheur qui me frappe pour pardonner tout le mal que j'ai pu lui causer. Je ne suis pas méchant, elle le sait bien.. Je serai si bon, elle sera si heureuse, si elle fait ce pas vers moi, si elle me veut bien sauver l'avenir !                                                  juliette drouet   Image IPB
            Dîtes-lui tout cela, mon cher maître ! Vous avez tout autorité sur elle et elle vous écoutera avec respect et fruit, j'en suis sûr. Ai-je besoin de vous dire quelle immense gratitude nous vous aurons tous, elle, moi - et plus tard, ce pauvre enfant !
            C'est peut-être fou à moi de vous demander un tel service, mais je vous aime tant, mon cher maître, que je suis sûr que vous me la rendrez.
             Elle demeure rue Nicolet 14, 18è arrondt,Qr Clignancourt, Paris.
             Si vous n'êtes pas à Paris, oh, alors, écrivez-lui. Daignez me répondre bien vite.
             Je rougis de signer
                                                            Votre dévoué
                                                              P. Verlaine
             Détenu à la prison des Petits-Carmes Bruxelles
             Veuillez me donner votre adresse.
             ( Si Madame Drouet voulait se faire votre auxiliaire dans la tache pieuse que j'ose vous offrir, elle a, je crois, grande influence sur ma femme. )

                 
                                                                          Lundi 21 juillet 1873, Bruxelles
                                              
                                               Rapport d'un indicateur à la Préfecture de µpolice de Paris

                                                                                                            Bruxelles 21 juillet73

            J'ai annoncé, il y a peu de jours, une tentative d'assassinat commise par un Verlaine Paul, homme de lettres, sur le sieur Rimbaud, arthur, également homme de lettres ; us deux français. L'enquête vient de faire connaître que la cause doit en être attribuée à des relations immorales, existant entre ces deux individus.
            Rimbaud a quitté Bruxelles le surlendemain de l'attentat pour se rendre à Paris.

            Cat.

           Le   nommé Verlaine... venait de contracter mariage avec une demoiselle Moté de Ferville lorsqu'il prit sous son patronage un jeune poète, le jeune Rimbaud, Arthur, 16 ans, né à Charleville. Celui-ci lui était recommandé par un sieur Corrège, rentier, domicilié dans cette localité qui faisait d'ailleurs l'éloge le plus flatteur de l'intelligence et du talent de son jeune compatriote.
            Ce dernier ne tarda pas, toutefois, à s'attirer par ses goûts dépravés, le mépris des personnes qui, tout d'abord, s'étaient intéressées à lui.
            Quant à l'inculpé, épris d'une passion honteuse pour le nommé Rimbaud, il quitta Paris avec lui au mois de juillet dernier en abandonnant sa jeune femme et un enfant en bas âge. Il est d'ailleurs représenté sous de mauvais rapports. Il aurait des habitudes d'intempérance, et l'abus des boissons alcooliques aurait, dit-on, affaibli ses facultés intellectuelles.

            Cat.

                                                      ( in Correspondance Arthur Rimbaud éd. Fayard )









                                                                  

mardi 11 septembre 2012

Lettre à Madeleine 45 Apollinaire

                                                                                                                                                                        






Apollinaire au temps de Louise Lalanne in Apollinaire travesti




                                                          Lettre à Madeleine

                                                                                                   19 nov. ( soir ) 1915

            Mon amour, je n'ai pas eu de lettre de toi aujourd'hui mais je n'en attendais pas. On m'a envoyé aujourd'hui une coupure tirée de La Renaissance. Je n'ai pas lu l'écho qui avait précédé. Willy qui est bien gentil le déclare charmant mais je me doute bien qu'il devait contenir quelque perfidie dans le goût du commentaire qui suit la lettre de Willy - Le malheureux ou la malheureuse qui a écrit ces sottises ne se doute pas que s'il y avait eu un peu plus de cubisme, c'est -à-dire d'idées modernes où je sais bien la guerre serait peut-être finie et nous célébrerions la victoire. Mais je t'adore et le reste ne m'importe pas. Je te prends toute ma chérie et profondément, ma virilité joue à la porte de ton parvis. Mon amour j'ai imaginé aujourd'hui une chose singulièrement amoureuse, un concert de ton corps. Ma chérie, tu m'aideras à chercher la gamme de tes sensations et par des attouchements délicats sur les différentes parties de ton corps par les doigts, la langue et les lèvres je te jouerai de divins concerts que tu sentiras profondément et que nous terminerons par l'étreinte exquise. Ma bouche mordillera la pointe de ton sein gauche ma main descendra ensuite légèrement le long de ton épine dorsale jusqu'à la naissance de ta bouche, ma langue ira ensuite chatouiller la plante de tes pieds de déesse puis ma bouche ira pomper le délicieux organe du parvis tandis que mes doigts arachnéens sur tes côtés et tes hanches exciteront doucement tes nerfs électriques. Puis je te prendrai follement sur ma bouche, ton parvis plein de ma virilité et le médius de ma main droite
agaçant la neuvième porte. Je boucherai ainsi les trois portes de ta volupté et tu seras pleine de moi amour
et nos yeux ne se quitteront pas.Oui si tu veux amour en hiver nous parfumerons très fort le lit d'une odeur qui soit comme un puissant dérivé de ton propre parfum et nous nous couvrirons entièrement même la tête pour en être enivrés et nous nous étreindrons sauvagement dans l'air raréfié.
            Amour, je vis dans le décor shakespearien d'un hypogée creusé dans un cimetière, près de mon horrible demeure, un obus a déterré ce matin un Boche dont le tibia sort maintenant de lambeaux de linceul terreux. Ce cimetière est sur le flanc du coteau, mais on ne peut aller sur la crête d'où on est vu. T'ai-je dit l'histoire du colonel boche tué ici avec 2 femmes qu'il avait avec lui. On a retrouvé aujourd'hui leurs réticules. J'ai trouvé une carte postale militaire allemande très terreuse, mais je te l'envoie comme curiosité. T'ai-je dit que ma cagnat s'appelle d'après l'inscription le " joyeux moulin ", Lustige Mühle, t'ai-je dit aussi que j'avais lu les lettres d'une petite putain de Wiesbaden Jela Muller, elle écrivait à son amant qui a oublié les lettres ici ou y est mort et elle mettait avant sa signature : das hübschtes Püppchen, la plus jolie des petites poupées ! Ce matin grand événement, on trouve deux Russes en costume de soldats russes prisonnier, les Boches les avaient mis entre lignes pour établir les réticules de fils de fer barbelés, placer les chausse-trappes et les chevaux de frise. Ils se sont sauvés à travers les fils de fer épouvantables, les Boches tirent dessus sans les atteindre. On ne les voit même pas passer dans nos lignes
(  c'est un comble ! ) et on ne les a retrouvés qu'en 3è ligne,  près des artilleurs. Ils ne savaient pas un mot de français ni d'allemand, on m'a demandé de leur parler mais je ne sais pas le russe. L'un s'appelait Kars et il est de Pétrow. Kars est un nom juif. Ils étaient partis avec une couverture, du pain de soldat  ( Pumpernickel ) et un livre de messe grec, in-quarto populaire récent imprimé à Constantinople et intitulé  
 Mεgά  ( je ne me souviens plus du mot suivant quelque chose comme Evxoλογιοv ) il y avait des psaumes suivis de la doxologie tout cela du rite grec. On les a copieusement photographiés tandis qu'ils faisaient force courbettes à la juive puis ils ont été emmenés à la division pour être interrogés. Il arrive souvent ici et en Italie que des prisonniers russes employés par les Boches se sauvent et viennent dans les lignes de leurs Alliés.
            Je prends ta bouche infiniment.


                                                                                                        Gui   
                                                                      

dimanche 9 septembre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui

        


                                                                    Choses Vues

                                                                                                                  31 août 1847

            Un ouvrier cordonnier apporte à son maître un ouvrage fait dont le prix convenu était trois francs. Le maître trouve la besogne mal faite et ne veut la payer que cinquante sous. Refus de l'ouvrier. Querelle. Le maître jette l'ouvrier à la porte. L'ouvrier revient avec ses camarades et casse à coups de pierre les carreaux du cordonnier. La foule survient. Emeute. On met la Garde nationale, la ligue et la police sur pied. Tout Paris est sens dessus dessous.
            Je n'aime pas ces symptômes. Quand on a un vice dans le sang, le moindre bouton détermine une maladie, et une écorchure peut entraîner une amputation.

                                                                                                                 Sans date
                 
                            La Du Barry fut emprisonnée à la Conciergerie

            Mlle Deluzy, et non Luzzy, est toujours à la Conciergerie. Elle se promène tous les jours à deux heures dans la cour. Elle porte tantôt une robe de nankin, tantôt une robe de soie à larges raies. Elle sait que beaucoup de regards sont fixés sur elle de toutes les fenêtres. Les gens qui l'ont vue disent qu'elle prend des poses. Elle fait la distraction de M. Teste, dont la fenêtre donne sur cette cour. Du reste elle a envoyé chercher chez Mme Lemaire deux cents francs et du linge. Elle était encore au secret le 31.
            Granier de Cassagnac, qui l'a vue m'en faisait ce portrait : " Elle a le front trop bas, le nez trop retroussé, les cheveux trop blonds. Cependant, somme toute, elle est jolie. Elle regarde fixement tous ceux qui passent, cherchant à observer et peut-être aussi à fasciner. "
            C'est une de ces femmes auxquelles il manque du coeur pour avoir de l'esprit. Elle est caoable de sottises, non par passion, mais par égoïsme.

( Deluzy objet de la jalousie de la duchesse Choiseul Praslin gouvernante de ses dix enfants et maîtresse de son mari qui tua sans doute son épouse et se suicida. )

                                                                                                               4 septembre

            Douloureux anniversaire. Le malheur y revient à jour fixe. L'an dernier, Charles était malade. Cetteannée, c'est Toto.

            On a exhumé ce matin la pauvre Claire, au cimetière de Saint-Mandé.
( Claire fille de Juliette Drouet )

                                                                                                               5 septembre 1847

            L'émeute pour les dix sous dure encore. Elle s'aggrave même. C'était hier le cinquième jour.
            L'émeute est née rue Saint-Honoré.Cela commençait hier à engorger la rue Rambuteau.

                                                                                                               6 septembre

            Boileau écrit à Brossette à propos de je ne sais quel cuistre qui l'avait critiqué : " Le misérable m'attribue une satire où il me fait rimer dernier avec épargner.
                                                                              
                                                                                                               6 septembre 1847
                           
                                                           
            Cette nuit, j'ai rêvé ceci : on avait parlé d'émeutes toute la soirée à cause des troubles de la rue Saint-Honoré.
             Je rêvais donc. J'entrai dans un passage obscur. Des hommes passèrent auprès de moi et me coudoyèrent dans l'ombre. Je sortis du passage. J'étais dans une grande place carrée, plus longue que large, entourée d'une espèce de vaste muraille ou de haut édifice qui ressemblait à une muraille et qui la fermait des quatre côtés. Il n'y avait ni porte ni fenêtres, à cette muraille ; à peine ça et là quelques trous. A de certains endroits, le mur paraissait criblé ; dans d'autres, il pendait, à demi entrouvert, comme après un tremblement de terre. Cela avait l'aspect nu, croulant et désolé des places des villes d'Orient.
             Pas un seul passant. Il faisait petit jour. La pierre était grisâtre, le ciel aussi. J'entrevoyais à l'extrémité de la place quatre choses obscures qui ressemblaient à des canons braqués.
             Une nuée d'hommes et d'enfants déguenillés passa près de moi en courant avec des gestes de terreur.
             - Sauvons-nous ! criait l'un d'eux, voici la mitraille.
             - Où sommes-nous donc ? demandai-je. Qu'est-ce que c'est que cet endroit-ci ?
             - Vous n'êtes donc pas de Paris ? reprit l'homme. C'est le Palais-Royal.
             Je regardai alors et je reconnus en effet, dans cette affreuse place dévastée et en ruine, une espèce de spectre du Palais-Royal.
             Les hommes s'étaient enfuis comme une nuée.Je ne savais où ils avaient passé.
             Je voulais fuir aussi. Je ne pouvais. Je voyais dans le crépuscule aller et venir une lumière autour des canons.
             La place était déserte. On entendait crier : " Sauvez-vous ! On va tirer ! " Mais on ne voyait pas ceux qui criaient.
             Une femme passa près de moi. Elle était en haillons et portait un enfant sur son dos. Elle ne courait pas. Elle marchait lentement. Elle était jeune, pâle, froide, terrible. En passant près de moi, elle me dit :
             - C'est bien malheureux  ! le pain est à trente-quatre sous, et encore les boulangers trompent sur le poids !
              Je vis la lumière faire un éclair au bout de la place et j'entendis le canon. Je m'éveillai.
              On venait de fermer la porte cochère avec bruit.


                      

                                                                                                            7 septembre 1847

            L'émeute pour les dix sous est finie. Elle a duré sept jours.

                                                                                                              10 septembre 1847

            On disait à une lorette que son monsieur avait quittée et qui était triste :
            - Vous regrettez donc bien M.S. ?
            Elle répondit :
            - Ah !  que voulez-vous ? il était si bête ! c'était la crème des hommes.



                                                                                                                 Victor Hugo

mercredi 5 septembre 2012

Filles de NewYork Avrom Reisen ( Poèmes Anthologie de la Poésie Yiddish )




                                                         Filles de NewYork

                                             Les Filles dans les rues
                                             Ondulent et se plient.
                                             Chacune est violon
                                             Leurs gestes - mélodie.

                                             Dans la beauté du soir
                                             Où que ton pas se risque,
                                             Tu vois les violons
                                             Tu n'entends que musique.

                                              Ô violons aimés
                                              Dans la ville si vaste,
                                              Dès lors où que tu sois
                                              Tu es dans un orchestre.

                                                                                      1914

                                                                                              Avrom Reisen

             
                                             
                                         

vendredi 31 août 2012

La conjuration des imbéciles John Kennedy TOOLE ( Roman Etats Unis )


couverture
                                                 La Conjuration des Imbéciles

   
            Parmi quelques livres au destin improbable " La Conjurations des imbéciles ". A ne pas manquer
            La Nouvelle-Orléans " ... elle ressemble à Gênes ou à Marseille... " Ignatus J. Reilly gros homme "... lèvres pleines, boudeuses... " ne quitte pas sa casquette verte observe. Critique. L'intelligence la lucidité ne font pas bon ménage avec l'originalité. L'auteur Kennedy Toole ne convainquit aucun éditeur de son vivant. Son héros Gargantuesque, maniaque, admirateur de Boèce, vit avec sa mère à trente ans dépassés dans une toute petite maison. Lorsqu'il ne sort pas, enfermé dans sa chambre couverte de détritus il note " ... Schiller avait besoin pour écrire de l'odeur des pommes qu'il mettait à pourrir dans son bureau... " . Certains jours le moindre évènement tourne au drame "...  Une déesse aveugle nous tient ficelés à une roue et notre chance est donc cyclique... " Ignatus est un " anachronisme. " Il refuse de travailler après un essai malheureux dans l'enseignement, nourri par sa mère de douzaine de gâteaux, elle le pousse à trouver un emploi. Couple improbable, elle souffre d'arthrite au coude il est victime de son anneau pylorique bloqué à la moindre contrariété. Il travaille un temps dans une usine de pantalons. Charmant et odieux, hautement fantaisiste un imbroglio de situations amène le patron à finalement régler ses comptes avec son père. Puis notre héros vendra des hot-dogs poussant une saucisse remplie du matériel qui le nourrit confortablement, parcourant le quartier français et quelques rues où il s'égare parfois, repose ses pieds douloureux assis au bord de trottoirs et s'emmêle dans de nouvelles aventures où une hôtesse  "... Folles Nuits a des lèvres coralines " veut devenir chanteuse accompagnée de son perroquet. Et l'on découvre que le chef de la police pousse ses employés à augmenter le nombre des arrestations pour cela l'un d'eux Mancuso sous différents déguisements suit Ignatus persuadé de bientôt découvrir ses activités louches. Peut-être. Sournois et candide Ignatus. Jaloux des nouveaux amis de sa mère l'un d'eux voit des " communisses " partout. Lui-même n'a qu'une amie Myrna jeune newyorkaise, libre et aventureuse, il lui écrit  " ... mon attitude fermement restrictive à l'égard de la sexualité... ". Mais Ignatus se dit "... soldat des idées... " aime viscéralement le cinéma, ne rate aucun film tout en savourant du pop-corn, il donne haut et fort son opinion "... Saleté... comment a-t-elle l'audace de se faire passer pour vierge... Puis vint une scène d'amour... Il sentit l'hystérie monter en lui...La scène est tournée à travers plusieurs épaisseurs de toile à beurre.... Qui pourrait imaginer à quel point ces deux-là doivent être ridés et répugnants... " Tant de tribulations énervent sa mère et conseillée par ses nouveaux amis " ... tu crois pas qu'tu s'rais p'tête heureux si t'allais prendre un peu d'repos à l'hôpital de la Charité ?... - Ils essaieraient aussitôt de faire de moi un crétin, amateur de télévision, de voitures neuves... La psychiatrie c'est pire que le communisme... " La farce tourne en dérision la société, les personnages sont attachants. La " paralysie névrotique et ...  désir de paix... au milieu des hostilités... " Un regret, que l'auteur n'ait pu écrire une suite à cette époustouflante satire, Pullitzer. John Kennedy Toole s'est suicidé à trente et un ans, désespéré par les refus des éditeurs.







jeudi 30 août 2012

Kol - Nidre Moshe-Leib Halpern ( Poèmes Anthologie de la poésie Yiddish





                                                   Kol - Nidre

                                    Le vieux clown de Karach-Hamba, par habitude
                                    Coupait dans son café quelques oignons.
                                    Je me sens triste, alors je me conte une fable
                                    Avec le chant de Kol - Nidre dans l'ombre.

                                    Ses yeux rouges, bizarrement,
                                    Clignaient longtemps sur la tasse d'argile ;
                                    Avec une simple cuiller de bois
                                    Il mangeait ses oignons en buvant son café.
                  
                                    Sept jours de pluie d'automne à la fenêtre
                                    Ne sauraient autant évoquer la mort
                                    Que la pauvreté qui se lamentait,
                                    Qui s'échappait, sanglot, de son potage.

                                    Je m'en irai où mes aïeux s'en furent
                                    Disait la bouche ouverte à la cuiller,
                                    Ma femme Baleike déjà s'y trouve,
                                    Je m'en irai où mes aïeux s'en furent.

                                    Et les morceaux d'oignons sur la cuiller
                                    Avaient l'air de perles brisées,
                                    Ils rappelaient aussi le tabac jaune
                                    Et les doigts maigres sur les cordes.

                                    Dans sa robe d'au moins sept aunes
                                    Dansait Baleike face à son fiancé,
                                    Que crois-tu donc clown de Karach-Hamba,
                                    C'est seulement mon chant de Kol - Nidre.

                                    La tasse de café est chaude encore
                                    Comme mon coeur, aveugle de naissance,
                                    L'oignon que l'on coupa est aussi dur
                                    Que ma mélancolie dans l'ombre.


                                                                                          Moshe - Leib Halpern
                                                                               ( 1886 Zloczow Galice - 1932 NewYork )
                                                                           Peintre d'enseigne à Zloczow il connut une vie précaire
                                                                                                    à NewYork et au Canada puis écrivit dans divers journaux.

dimanche 26 août 2012

Lettres à Madeleine 44 Apollinaire





       Guillaume Apollinaire
                                                Lettre à Madeleine

                                            Le 17 novembre 1915 Apollinaire écrit une courte lettre à Madeleine, lui
                              signale l'envoi du dernier numéro du Mercure et " ... Je suis content que les alliances
                              aient parcouru victorieusement les mers et que nous portions l'un et l'autre nos alliances..
                              ... Je suis inquiet car je ne vois pas bien les choses d'ici et je me demande comment on a
                              assuré la défense des ports comme Oran... "


                                                                                                      18 novembre 1915

            Mon amour, nous sommes maintenant définitivement en position. C'est sans regret que nous avons laissé l'échelon horrible car on y gelait ou y dormait dans l'eau. En effet, lors de l'attaque ( de Tahure, note de l'éditeur ), s'étant avancé trop vite et aussi parce qu'on pensait aller bien au-delà, l'échelon avait abandonné tout ce qui n'était pas réglementaire et depuis ça été le diable de trouver des matériaux. Puis figure-toi la pluie et la neige sur tout les pauvres soldats n'ayant que leur toile de tente. Moi j'ai été dans un vieux gourbi qui avait l'air d'une crèche comme on en fait dans les églises pour la Noël.
            Finalement hier on a filé dans la nuit dans la neige, trous d'obus, puis les tranchées boches le paysage changeant soudain, enfin de grands arbres décharnés et souvent brisés c'est vrai mais de grands arbres puis le lieu célèbre, défoncé montueux plein de sapes, la position de nos pièces et à 200 m. de nos pièces nos abris fabriqués par les Boches, voici mon nouveau gourbi ( un de mes hommes couche à notre cuisine ) . Cet abri est très bien et je l'aime bien, pour moi c'est le plus agréable que j'ai trouvé jusqu'ici.J'ai
trouvé tout fait. Sauf naturellement le banc et la table. Il y en a une grande, mais pour être à part je me suis
 fabriqué une banquette table. Je me mets à cheval et j'écris très bien comme ça et
ce n'est pas embarrassant.
            Autour de nos abris, s'étend un grand cimetière allemand dont presque toutes les tombes datent de février, j'en relèverai les inscriptions. Il y a tout un art singulier des tombes, des plaques de marbre, que sais-je, on dirait un décor pour Hamlet. A côté un petit cimetière français d'artilleurs car ça pleut dru par ici. En septembre on a saisi ici toute une organisation boches et les soldats y surprirent un colonel allemand qui était dans la cagnât où est notre poste téléphonique, il refusa de se rendre et ils le tuèrent et qui était avec lui quand ils entrèrent, la lutte achevée, le colonel était boche et deux jolies femmes qui étaient là avec lui.
            Voilà amour à peu près tout ce que je peux te dire aujourd'hui de ce pays singulier et pittoresque on dirait des Vosges. Beaucoup de fusils encore et des tas de débris.
            Dans mon lit seul au coin je suis bien et me fais une alcôve séparée au moyen d'une toile de tente. J'y pense à toi infiniment, mon amour tant chéri. Je crains qu'on ne nous laisse pas longtemps ici. C'est cependant embêtant de se déplacer tout le temps en hiver ou presque hiver.

                                                                Chevaux de Frise

            Pendant le blanc et nocturne novembre
            Alors que les arbres déchiquetés par l'artillerie
            Vieillissaient encore sous la neige
            Et semblaient à peine des chevaux de frise
            Entourés de vagues de fils de fer
            Mon coeur renaissait comme un arbre au printemps
            Un arbre fruitier sur lequel s'épanouissentl  les fleurs de l'Amour

            Pendant le blanc et nocturne novembre
            Tandis  que  chantaient épouvantablement les obus
            Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient leurs mortelles odeurs
            Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine

            La neige met de pâles fleurs sur les arbres
                           Et toisonne d'hermine les chevaux de frise
                                     Que l'on voit partout
                                               Abandonnés et sinistres chevaux muets
            Non chevaux barbes mais barbelés
                                     Et je les anime tout soudain
                                              En troupeau de jolis chevaux pie
            Et ils vont vers toi comme de blanches vagues
                                              Sur la Méditerranée
                                     
                                   Et t'apportent mon amour

            Roselys et panthère ô colombes étoile bleue
                                        Ô Madeleine
            Je t'aime avec délices
            Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches
            Si je pense à ta bouche les rose m'apparaissent
            Si je songe à tes seins le Paraclet descend
                                     Ô double colombes de ta poitrine
            Et vient délier ma langue de poète
                           Pour te redire : je t'aime

            Ton visage est un bouquet de fleurs
                              Aujourd'hui je te vois non Panthère
                                      Mais Toutefleur
            Et je te respire Ô Ma Toutefleur
            Tous les lys montent en toi comme des cantiques d'amour et d'allégresse
            Et ces chants qui s'envolent vers toi
                              M'emportent à ton côté
            Dans ton bel Orient où les lys
            Se changent en palmiers qui de leurs belles mains
            Me font signe de venir
            La fusée s'épanouit fleur nocturne quand il fait noir
                             Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses
           De larmes heureuses que la joie fait couler
                                     Et je t'aime comme tu m'aimes
                                     Madeleine

            Mon petit amour chéri je t'adore, et je voudrais te le prouver charnellement, dans ma petite alcôve. Je voudrais avoir sur moi ton joli poids de pétales parfumés de roses. Je voudrais t'aimer aujourd'hui toute vêtue comme sur la photo envoyée par Anne, te piller, te trousser pour dire le mot et t'aimer aussi comme un cavalier pressé que le bouteselle empêche de s'attarder et t'aimer en pleine nature debout. Je t'enlace amoureusement et tandis que je cherche d'un doigt inquiet le parvis, tu prends toi-même la belle fleur et l'abaisse comme tu peux vers la porte et puis nous nous tordons debout et enlacés comme une colonne torse. Ma Toutefleur, je prends ta bouche.

                         
                                                                                                           Gui
                     
                                                                                                                                                                                                                                                            
                                                                                                                                                
                                  



           

vendredi 24 août 2012

Poème Apollinaire adressé à Cocteau ( Poésie France )



                                         
                                      Apollinaire se marie le 2 mai 1918. Cocteau rencontré en 1917 avec qui depuis il
                             entretient une correspondance envoie à cette occasion à sa femme une statuette
                             égyptienne se référant à un poème extrait du Bestiaire d'Apollinaire

                                                        Le Chat

                                            Je souhaite dans ma maison :
                                            Une femme ayant sa raison,
                                            Un chat passant parmi les livres,
                                            Des amis en toute saison
                                            Sans lesquels je ne peux pas vivre.


                                        Au cadeau Apollinaire affecté au Bureau de la Presse du Ministère des
                              Colonies depuis le 21 avril 1918 répond à Jean Cocteau par un poème

                                                     

                                            L'égyptiaque petit dieu
                                            Qu'à sa femme vous envoyâtes
                                            Se dresse à présent au milieu
                                            Des dieux nègres et leurs cantates

                                            Muettes s'élèvent en choeur
                                            Je les entends j'ai fine oreille
                                            Ce choeur des dieux touche mon coeur
                                            Je veux le transcrire à merveille

                                            Mon cher Cocteau venez me voir
                                            C'est maintenant aux colonies
                                            J'y suis le matin et le soir
                                            Protégé par les dieux de mes Mauritanies

                                            Et que vous dirais-je de plus
                                            Vous me lirez l'hiéroglyphe
                                            Et les deux A que j'ai bien lus
                                            Dont les épaules il s'attife

                                            Nous parlerons de vos projets
                                            De l'Egypte ou bien de l'Asie
                                            Et de tous les dieux nos sujets
                                            A nous rois de la poésie.


                                                                                         Apollinaire
                                                         ( correspondance Cocteau Guillaume Apollinaire )