lundi 11 mars 2013

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 14 journal ( Samuel Pepys Angleterre )







hogarth
                                                     Journal

                                                                                                                 6 mars
                                                                                                      Mardi gras

            Je passai prendre Mr Shipley et nous allâmes tous deux voir Mr Crew au logis de milord. Il nous dit de retourner au bureau et de préparer un feu pour dans une heure, ce que nous fîmes. Il vint donc à Whitehall, après avoir parlé avec lui de son embarquement il m'invita à descendre, seul avec lui, au jardin, où il me demanda comment allait mes affaires et me parla de ce qu'il avait tenté auprès de mon oncle pour l'amener à faire quelque chose pour moi, mais que mon oncle n'avait rien voulu dire. Il me conseilla également d'ouvrir l'oeil maintenant, à ce moment décisif, pour trouver une bonne place. Il m'affirma qu'il userait de toute son influence et de toute celle des amis qu'il a en Angleterre pour m'aider, et il me demanda si cela ne me posait pas trop de problèmes de l'accompagner en mer comme secrétaire, et me demanda d'y réfléchir. Il commença aussi à parler des affaires de l'État et me confia qu'il aurait désormais besoin en mer d'un secrétaire en qui il pourrait avoir confiance. Et qu'en conséquence il aimerait que je l'accompagne.
Il me dit aussi qu'il croyait que la loi reviendrait et discuta avec moi de cette question et de l'affection que lui portait le peuple et la Cité, ce qui me fit très plaisir. Je le raccompagnai à travers le jardin jusqu'au palais où je le quittai. Après son départ je remontai au bureau où Mr Hawley m'amena un homme, un marin, qui lui avait promis 10 livres s' il lui obtenait une place de commissaire de navire. Je vais essayer de m'en occuper. Mon oncle Thomas est venu me voir, je l'ai emmené boire un verre chez Will. Le pauvre homme était venu se renseigner sur les chevaliers de Windsor dont il désire faire partie. Tandis que nous étions en train de boire, Mr Day, charpentier à Westminster vint me dire que c'était mardi-gras et que je devais l'accompagner à leur réunion annuelle qui se tient ce jour là.  J'avoue que j'avais complètement oublié. J'allai donc à la taverne de la Cloche où se trouvaient Mr Eglin, Mr Veezy, Mr Vincent boucher de son état,  un autre boucher et Mr Tanner avec lequel je jouai de la viole et  lui du violon après dîner. Nous passâmes un joyeux moment et dînâmes particulièrement bien.Un jarret de veau au bacon, deux capons avec des saucisses et des beignets, avec abondance de vin. Après quoi je revins à la maison où je trouvai Kate Sterpin qui n'était pas venue depuis longtemps. Quand elle fut partie j'allai voir Mrs Jemima. Je trouvai deux jeunes filles devant sa chambre, mais comme elle n'était pas là nous la cherchâmes et nous découvrîmes qu'elle s'était cachée derrière une porte avec une autre jeune fille. Finalement tout le monde descendit dans la salle à manger où ce n'était que tohu-bohu, danses, chanson et beuverie, ce dont j'avais honte ; de sorte qu'après être resté pour une danse ou deux je partis. Sur le chemin de la maison je passai chez milord voir Mr Shipley mais je le trouvai à la taverne du Lion avec un potier d'étain auquel il avait ce jour acheté des étains. Je bus avec eux, puis à la maison où j'écrivis par la poste sur ordre de milord pour demander à John Goods de venir tout de suite car milord a l'intention de partir immédiatement sur le Swiftsure en attendant que le Naseby soit prêt.
*            Aujourd'hui j'ai entendu dire que les lords ont l'intention de siéger et qu'un grand nombre d'entre eux sont maintenant en ville. À ce que j'ai pu voir ils étaient à Westminster aujourd'hui.
            Overton, à Hull, semble prêt à agir, et on dit que Lawson est allé là-bas avec quelques navires, mais tout cela ne rime à rien.
            Milord m'a dit que certains tentaient activement de rétablir le Protecteur mais il m'a dit également qu'il croyait que s'il revenait cela ne durerait pas longtemps, qu'il en serait de même si le roi revenait, bien qu'il semble croire  que cela va se produire, à moins qu'il ne se conduise bien et avec beaucoup de réserve. Tout le monde boit désormais à la santé du roi sans crainte, tandis qu'auparavant il était très rare qu'on ose le faire en public. n donne aujourd'hui une fête à la maison des merciers en l'honneur de Monck, et il est invité successivement par chacune des douze corporations de la ville de Londres.
            Maintes personnes pensent qu'il est de bonne foi et certains pensent qu'il serait sot de sa part de vouloir prendre le pouvoir et qu'il irait à sa perte s'il essayait.
            Je dois avouer que j'ai été grandement soulagé et réconforté des marques d'affection que milord m'a témoignées aujourd'hui. Ma femme et moi sommes restés à en discuter une heure ou deux avant de nous endormir.

                                                                                                                         7 mars
                                                                                                          mercredi des cendres
         

**            Ce matin allai voir milord chez Mr Crew.  En chemin Washington me rattrapa et comme je lui demandais s' il connaissait quelque poste actuellement vacant auquel je pourrais accéder avec l'aide d'amis influents, il me dit qu'aujourd'hui Mr George Montagu allait être nommé Custos Rotulorum de Westminster et que, par l'entremise d'amis, je pourrais peut-être être nommé par lui secrétaire chargé de l'ordre public. J'en fus très joyeux, comme de toute chose nouvelle, de sorte qu'en arrivant chez Mr Crew, j'en parlai à milord. Il m'a dit qu'il croyait que Mr Montagu avait déjà promis ce poste et qu'on le lui avait donné seulement à condition qu'il confie la place que je convoitais à une personne bien précise. Parmi les nombreuses personnes présentes je rencontrai Mr Lynes, le chirurgien, qui me promit quelques graines de sensitive. Je parlai également avec le chirurgien Mr Pearse, qui m'encouragea grandement à accompagner milord en mer. Alors que je regagnais la maison, milord me rattrapa en voiture et me fit monter. J'allai donc avec lui jusqu'au palais St James, et comme George Montagu était parti à Whitehall, nous nous promenâmes dans le parc. Pendant toute cette promenade, il discuta de l'époque et des changements intervenus depuis l'année passée et s'étonna d'avoir pu supporter d'aussi grandes déceptions. Il me donna les meilleurs conseils qu'il pouvait me donner quant à ce qui valait mieux pour moi : rester ou l'accompagner et m'offrit de m'aider de multiples façons, et se comporta avec moi avec beaucoup de franchise et d'amitié. Je le laissai à Whitehall et me rendis à Westminster à mon bureau, où il n'y avait rien à faire. Mais je discutai avec Mr Falconberg de la place de Le Squire et il me dit qu'il était d'accord pour que je l'aie si je le pouvais. Ensuite, dans la Grand-Salle je rencontrai William Simons qui m'indiqua les démarches à faire à cette fin. De là comme convenu, à l'Ange dans King Street où Chetwind, Mr Thomas et Doling étaient en train de manger des huîtres et commençaient ce jour le carême avec un dîner de poisson. Après dîner, Mr Thomas et moi allâmes par le fleuve à Londres, où je me rendis chez Herring et reçu les 50 livres de milord contre le billet à ordre de Frank en provenance de Worcester. Je remis la traite et signai sur son livre. De là je me rendis dans la venelle de la Tête du Pape pour rendre visite à Adam Chard. J'achetai un sifflet pour deux sous, puis je l'invitai à aller boire une chope de bière. Après cela je me rendis à la taverne du Soleil, derrière la Bourse. J'y rencontrai mon oncle Wirght et je l'emmenai au Coq, d'où Mr Thomas venait de partir, boire un verre ou deux. Puis nous nous quittâmes et chacun rentra chez lui. Nous nous séparâmes dans Fleet Street où je trouvai mon père qui venait de rentrer de Brampton en très bonne forme. Il avait laissé mon oncle avec une jambe gravement atteinte et il pense qu'il ne peut pas rester bien longtemps dans ce état. Il me dit que mon oncle l'a mis au courant de ce qu'il comptait faire de ses biens, qu'il pensait me faire son héritier et donner quelque chose à mon frère Tom, et que mon père et ma mère devraient aussi recevoir quelque chose pour donner à John et Pall une part d'héritage. Je prie Dieu qu'il tienne parole. Je restai à souper chez mon père, puis à la maison où il y avait Joyce Norton et Charles Glascock. En chemin je m'arrêtai chez Wotton et j'achetai une paire de souliers. A la maison Mr Shipley resta causer un peu avec moi : ensuite tout le monde alla se coucher.
            Ces nouvelles et la bienveillance de milord rendent intérieurement tout joyeux. Je prie Dieu qu'il me rende reconnaissant.
            Aujourd'hui, sur ordre du Parlement sir Arthur est venu à la Chambre. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Mais presque tous les membres du Parlement croupion étaient présents aujourd'hui.
            Milord semblait se demander vraiment pourquoi Lambert insistait tant pour être enfermé à la Tour de Londres et il pense qu'il a là quelque plan. Mais je crois que même s'il était en liberté il est si pauvre qu'il ne pourrait pas profiter de sa liberté tant il a de dettes, c'est donc aussi bien et même mieux pour lui d'être là-bas qu'ailleurs.


                                                                                                                8 mars 1660

            A Whitehall pour passer commande de bois de chauffage pour mon père chez Shott et également pour parler à Mr Blackburne afin d'obtenir un pacte de canonnier pour Betters sur le Wexford. Puis au palais de Westminster où les visages et les esprits étaient tristes du fait que certains officiers de l'armée devaient présenter une remontrance contre Charles Stuart ou toute autre forme de gouvernement par une seule personne. Mais à midi on apprit que le général s'y était opposé, et tout le monde fut soulagé. Je retrouvai Jasper qui devait venir me chercher pour me conduire auprès de milord dans les couloirs de la Chambre. Tandis que j'envoyais un mot à milord il vint me trouver et me transmit ses instructions qui étaient d'aller chercher de l'argent pour milord à l'Amirauté, car la situation est si précaire que milord refuse d'avancer un sou pour l'Etat tant que celui-ci ne lui aura pas remis quelque argent.
            A la maison vers 2 heures. J'emmenai ma femme par voie de terre jusqu'à Paternoster Row pour acheter quelque patron pour un jupon, puis retour à la maison. En chemin je rencontrai Mr Moore qui m'accompagna à la maison où je mangeai un morceau. Puis nous repartîmes tous deux pour Whitehall. Il resta à attendre Mr Crew au Conseil, et moi je me rendis à l'Amirauté où j'obtins le billet à ordre pour l'argent. Je pris soin de le faire transmettre à Mr Hutchinson, trésorier de la Marine, d'ici demain. En revenant à la maison je rencontrai Mr King, l'un des Trésoriers du Ministère de la Guerre et je l'emmenai chez Harper. Il m'apprit que lui et ses collègues étaient mis dehors par les nouveaux trésoriers généraux.
            Cet après-midi certains des officiers de l'armée et certains députés ont tenu une conférence à Whitehall pour tenter d'arranger la situation, mais je ne sais pas ce qu'il en résulte.
            Ce midi j'ai rencontré le capitaine Holland à la taverne du Chien. J'ai discuté avec lui des avantages que je pourrais tirer du fait que milord prenne la mer. Il pense que je devrais m'arranger pour faire recruter  cinq ou six domestiques à bord et leur donner pour gages ce qu'il me plairait, et garder leur paye pour moi. Il a aussi beaucoup insisté pour que je prenne le poste de secrétaire que milord m'offre.
            Au même moment vinrent nous rejoindre Mr Wade et Mr Sterry, secrétaire de l'ambassadeur du Danemark qui nous apprit la mort du roi de Suède à Gottenbourg le 3 février dernier. Il me dit combien il avait trouvé de changement en arrivant ici et en découvrant que les députés exclus étaient réadmis. Il parla également très librement des bénéfices réalisés par Mr Wade pendant son séjour en Zélande et qu'il croyait qu'il grugeait Mr Powell et que l'expérience lui avait rapporté plus de 500 livres. Mr Wade se mit en colère et nia les faits. Mais je crois qu'il est loin d'être innocent.



                                                                                                                     .../
* gainsborough    ** hogarth

jeudi 7 mars 2013

Beauvoir in Love Irène Frain ( roman France )



                                               Beauvoir in Love

            25 janvier 1947, Simone de Beauvoir arrive à NewYork. L'auteur doit donner une série de conférences aux États Unis dans le sillage de Sartre, sujet : l'existentialisme. Désappointée elle constate que le nombre de ses interventions est réduit comme peau de chagrin. Les raisons lui semblent évidentes, organisation Dolorès, dernière des maîtresses de Sartre elle semble bien implantée dans l'intimité du philosophe et tente de barrer le chemin au Castor. Ainsi Irène Frain nous décrit quelques intellectuels qui environnent le couple Sartre Beauvoir. Un accord les lie, leurs rapports physiques décevants, ils ont des liaisons parallèles, se partagent parfois les mêmes maîtresses. Beauvoir les appellent les contingentes. Le jour de son arrivée une phrase entendue dans son sommeil " Il m'arrive quelque chose - qu'est-ce qui m'arrive ? ". Ce voyage aux USA est-il si particulier ? Est-ce sa première rencontre avec celle qu'elle appelle La Maudite ( Dolorès  ), ou... en fait tout commence à Chicago, repaire de Nelson Algren. A Manhattan lors d'un déjeuner raté Mary Guggenheim maîtresse de l'écrivain américain propose à Beauvoir de le rencontrer lors de son passage dans cette ville dont elle veut connaître les bas-fonds. Chicago, les bas-fonds, les miséreux et les bars Algren les connaît bien. Leur rencontre fut ce que l'on sait, pour qui a  lu les lettres de Simone à Algren. Irène Frain décrit avec minutie les vêtements que porte la Frenchie, sa coiffure, ce chignon relevé qu'elle n'abandonnera que pour le bandeau, le son de sa voix, ses transformations, Simone pour l'Américain elle redevient le Castor lorsqu'elle reçoit les lettres de Sartre à qui elle répond décrivant par le menu son aventure. Du logis, modeste de Wabansia, tout jaune, où Castor elle refuse de partager les tâches ménagères, aux matches de boxe, puis retour très alcoolisé et grosse colère de Doubleday chat bien-aimé de Nelson, les sentiments s'écoulent dans un fleuve pas tranquille du tout. Algren a connu des jours difficiles, son but dépeindre la misère, les bas-fonds, il l'atteindra peu après, malmené par la critique souvent, son livre L'homme bras d'or " fut primé et adapté par Preminger. Au logis Algren passe et repasse Lili Marlène, à l'extérieur ils courent les boîtes de jazz, à La Nouvelle Orléans. S'il voulut épouser Simone il ne voulait pas d'elle en Castor et n'apprécia pas lorsqu'il s'en aperçut avoir été membre d'un trio et peut-être même d'un quatuor. Irène Frain a écrit un beau livre d'amour à la mesure de ceux qu'elle dépeint, et... déjà lors de sa dernière visite en France Nelson fut déçu de ne plus retrouver Saint-Germain des Prés et ses caves, en France le Marseille du débarquement. Pas nostalgique le roman mais toujours on interroge Le Castor ou Simone... ?

mardi 5 mars 2013

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 13 Samuel Pepys ( journal Angleterre )

       
        gramatica                             
                                                            Journal

                                                                                                             1er Mars


              Ce  matin me rendis au domicile de milord pensant parler avec Mr Shipley, car je ne lui avais pas rendu visite depuis mon retour en ville. Mais comme il était sorti je montai et pris dans la boîte qui contient les pamphlets de milord autant de textes qu'il me plaisait pour mon usage personnel et laissai le reste.  Puis, au bureau. Il n'y avait pas grand chose à faire, mais Mr Shipley vint me voir de sorte  qu'à l'heure du dîner lui et moi allâmes chez Mr Crew où Mr Thomas récemment arrivé en ville nous rejoignit, il était chargé, avec sir Henry Yelverton mon vieux camarade du collège Saint-Paul, de présenter les remerciements du comté au général Monck pour le retour du Parlement. Mais le vieux Mr Crew et milord ne rentrant pas dîner, nous tardâmes avant de nous mettre à table. L'après-midi, on devait enterrer John, le cocher de Mr John Crew qui avait été tué un ou deux jours auparavant d'une ruade d'un de ses chevaux qui lui avait défoncé le crâne et éclaté le cerveau. De là Mr Shipley et moi allâmes à Londres voir Mr Laxton, l'apothicaire de milord. Puis nous nous rendîmes par le fleuve à Westminster où nous passâmes deux ou trois heures à la taverne du Soleil devant une ou deux pintes de vin à discuter des affaires du pays, entre autres nouvelles il me rapporta que mon oncle lui avait parlé de moi en bien et il m'informa de ce qu' il comptait faire pour moi. Je rentrai ensuite à la maison et allai me coucher de bonne heure.
  *          Aujourd'hui les députés ont voté que le Parlement ne siégerait pas au-delà du 15 de ce mois.


                                                                                                                  2 mars    

            Ce matin allai de bonne heure voir milord chez Mr Crew et lui parlai. Un grand  nombre  d'autres personnes étaient là également pour le voir, comme le secrétaire d'État Thurloe que le présent Parlement a de nouveau nommé secrétaire d'État.  Il y avait également les trompettes du général Monck qui étaient venues donner l'aubade à milord ce matin. Je me rendis ensuite au  bureau et écrivis une lettre à Mr Downing à propos de l'affaire de sa maison. Puis en rentrant chez moi je rencontrai Mr Eglin, Mr Chetwind et Mr Thomas qui m'emmenèrent à la taverne de la Jambe dans King Street, où nous mangeâmes deux bons plats de viande,  un de poisson ( une carpe et d'autres poissons) fort bien préparés.  Après cela nous allâmes à la taverne du Cygne, où nous bûmes un quart ou deux de vin avant de nous quitter. Je me rendis alors chez Mrs Jemima en compagnie de Mr Moore que je rencontrai dans la rue. J'y retrouvai Mr Howe et Mr Shipley. Ensuite au Palais de Westminster où je vis sir George Booth qui était sorti de prison. Aujourd'hui j'ai entendu dire que la milice de la Cité est désormais en bonne posture, et on rapporte que Monck ne pourra plus guère maintenant s'en prendre à elle, s'il en a l'intention.
**            Il paraît que milord Lambert a envoyé hier une lettre au Conseil d'Etat et que ce soir il doit venir se présenter au conseil en personne. Sir Arthur Hesilrige ne se montre toujours  pas à la Chambre. Partout on parle du gouvernement d'un seul homme, et que ce serait soit Charles, soit George ou à nouveau Richard. On dit que milord St John dit grand bien de ce dernier. Les discussions vont bon train également à la Chambre pour savoir au nom de qui les lettres pour l'élection du prochain Parlement seront envoyées ( il paraît que Mr Prynne a dit en pleine Chambre que ce devait être au nom du roi Charles. )
            Du Palais de Westminster à la maison. Je passai la soirée dans mon cabinet de travail. Puis, après avoir bavardé avec ma femme, au lit.


                                                                                                                  3 mars 1660

            Au Palais de Westminster où j'appris que milord avait cette nuit été nommé amiral ainsi que Monck. Je rencontrai milord dans la Grand-Salle et il m'ordonna de venir le voir à midi. Je rencontrai Mr Pearse l'intendant, le lieutenant Lambert, Mr Creed et William Howe, et j'allai avec eux à la taverne du Soleil. Je montai au bureau mais n''y travaillai pas. À midi,à la maison où je dînai d'une tête de mouton. Mon frère Tom vint dîner avec moi. Il m'a dit que ma mère n'était pas très bien et que ma tante Fenner était très malade.  Après dîner je me rendis à Warwick House dans Holborne pour voir milord qui dînait là avec milord de Manchester, sir Dudley North, milord Fiennes et milord Berkeley. Je restai dans la Grand-Salle à bavarder avec quelques gentilshommes jusqu'à ce qu' ils fussent tous sortis. Puis j'accompagnai milord chez Mr Crewet en chemin nous discutâmes des affaires publiques et de ce que je devais m'occuper  de lui apporter la dépêche annonçant sa nomination comme amiral. Il me dit qu'il craignait que de nouveaux plans ne soient en préparation, que Monck aurait notamment l'intention de prendre les rênes. Je le laissai et allai comme convenu chez Herring le marchand, mais je n'obtins pas mon argent, ce qui m'ennuya beaucoup,  mais je ne pus rien faire. En revenant je rencontrai Mr Gifford qui m'invita à prendre une demi-pinte de vin et me raconta que, comme je l'ai entendu dire aujourd'hui de tous côtés, la situation est précaire car certains membres du Parlement veulent garder le pouvoir pour eux. Après l'avoir quitté je rencontrai Tom Harper, qui m'emmena dans une taverne de Drury Lane, où nous bûmes une grande quantité d'eau-de-vie plus que je n'en avais jamais bu dans ma vie en une seule fois. Il proclamait à qui voulait l'entendre que milord Protecteur allait revenir au pouvoir, ce dont en vérité, on reparle actuellement beaucoup, bien que je ne crois pas la chose possible. Ensuite à la maison, j'écrivis à mon père à Brampton par la poste, puis, au lit.
            Aujourd'hui j'ai appris que milord, le général Fleetwood a confié à milord qu'il craignait que le roi de Suède ne fut mort d'une fièvre à Gottenbourg.


       
                                                                                                         4 mars           
                                                                                       Jour du Seigneur
            Avant d'aller à l'église je chantai l'Hymne d'Orphée en m'accompagnant sur ma viole. Après quoi, chez Mr Gunning, excellent sermon sur la charité.  Puis chez ma mère où je retrouvai ma femme et la servante pour dîner. Après dîner nous allâmes tous les trois chez Mr Messum, où nous retrouvâmes Mr l'Impertinent qui nous procura un siège et me raconta une histoire ridicule selon laquelle, la semaine dernière, il avait fait dépenser à un simple citoyen 80 livres pour son propre divertissement et certains de ses amis sous le prétexte qu'il intercéderait en sa faveur auprès d'une veuve qu' il courtisait. Puis nous revînmes chez ma mère.  Après souper, elle et moi eûmes une vive discussion sur la religion. Je défendis la religion qui était mienne à ma naissance. Puis, à la maison.


                                                                                                              5 mars

            Tôt ce matin, Mr Hil est venu réparer les cordes de mon théorbe. Cela nous occupa jusqu'à dix heures passées, mais j'y pris grand plaisir. Puis à Westminster où je retrouvai Mr Shipley et Mr Pinkley chez Will. Ils m'emmenèrent en bateau à Billingsgate, à la taverne de la Salutation, là, peu après Mr Talbot et Mr Adams nous rejoignirent avec de la très bonne viande, un jambon, etc... Nous restâmes là à boire jusqu'à ce que Mr Adams commence à être abruti. Puis nous nous quittâmes et je revins à Westminster par le fleuve déposant seulement Mr Pinkney chez lui, où il me montra comment il a continué à faire briller le lion et la licorne au dos de sa cheminée, dans l'espoir du retour du roi. À la maison je trouvai Mr Hunt qui m'apprit que le Parlement a voté qu'il fallait réimprimer le Covenant et l'afficher à nouveau dans toutes les églises.
            Grands espoirs que le roi va revenir.
            Au lit.



*   londres 17è sc thomas wyke
** velasquez gentilhomme


dimanche 3 mars 2013

Lettres à Madeleine 65 Apollinaire


metzinger apollinaire
                                                Lettre à Madeleine

                                                                                                                   11 mars 1916

            Mon amour, j'ai reçu les jolis journaux de tes frères et ta gentille lettre. Je t'adore et pense à toi, ma chérie nous faisons partie maintenant d'un corps d'armée où pr les officiers les permissions de 6 jours sont réduites à 8 jours délais compris quelle que soit la distance. Je souhaite donc que nous quittions ce corps d'armée au plus vite. Enfin d'ici à ma permission on verra. Je n'y suis pas encore. Un petit poème.


                                                    L'Avenir

                                         Soulevons la paille
                                         Regardons la neige
                                         Ecrivons des lettres
                                         Attendons des ordres

                                         Fumons la pipe
                                         En songeant à l'avenir
                                         Les deux tours sont là
                                         Regardons la rose

                                         La fontaine n'a pas tari
                                         Pas plus que l'or de la paille ne s'est terni
                                         Regardons l'abeille
                                         Et ne songeons pas à l'avenir
     
                                         Regardons nos mains
                                         Qui sont la neige
                                         La rose et l'abeille
                                         Ainsi que l'avenir

            Mon amour je t'adore c'est tout ce que je sais te dire car je n'ai pas grand chose à te dire aujourd'hui nous sommes dans une attente énervante.
            J'ai causé hier avec un curé bien intelligent il m'a dit sur cette guerre les choses les plus justes. Le bon sens s'est réfugié dans le cerveau des femmes et des vieux prêtres.
            J'ai un sommeil presque insurmontable et je me demande si j'aurai le loisir de dormir. La neige s'étend partout, on dirait une nuit de Noël.
            Je t'embrasse tout plein ma chérie ma rose.

                                                                                                        Ton Gui


                                                                                                               13-3-16

            Mon amour, je n'ai pas eu de lettre de toi hier, aujourd'hui je ne sais pas encore. Nous sommes dans un lieu dont je n'ai pas le droit de te dire le nom mais dont le surnom est le pot de chambre de la France de même que Lucques en Italie était autrefois appelé l'urinal des nuées. A propos de choses de cet ordre fais remarquer à Pierre que mon journal s'intitule un peu trop bizarrement Peter ce qui n'est tolérable que pour un journal de l'Artillerie du front. Tout le monde n'est pas obligé de savoir que c'est la traduction boche de son nom de Pierre. L'idée de baptiser un journal d'un petit nom est assez amusante. Je ne lui connais qu'un seul précédent et encore à l'état de projet seulement. Avant la publication d'Excelsior Pierre Lafitte qui le fonda lui cherchait un titre et s'était arrêté à celui d'Edgar ou d'Edmond je ne sais plus bien lequel. Bref le fait parut tellement singulier qu'il choqua et le titre d'Excelsior fut définitivement choisi. Je t'écris sur une table ronde où est étalée une toile cirée ronde contenant une représentation populaire du médiocre tableau du Louvre représentant Rouget de Lisle chantant La Marseillaise chez Dietrich maire de Strasbourg on y trouve en rond la musique et tous les couplets de La Marseillaise.
       Chevaux avec leurs masques à gaz     Je ne sais s'il y - est - en ce moment des courriers pour l'Algérie je le souhaite mon amour et voudrais bien voir finir cette guerre.
            C'est bien gênant de ne pouvoir donner des noms de patelins. En te parlant de Reims j'ai oublié de te dire une des choses qui m'a le plus frappé dans cette ville maintenant déserte. C'est sur l'infiniment déserte place de l'Erlon où débouchent des rues marmitées comme la rue de l'Arquebuse sur cette grande place donc une douzaine de fiacres stationnent stoïques attendant l'improbable client, les cochers classiquement coiffés du chapeau haut de forme blanc vivent sans doute d'amour et d'eau fraîche.
            Dans un patelin quitté il y avait à la popote 4 gravures Louis-Philippardes bien amusantes histoire d'un jeune homme perdu par le billard. 1è image. Il arrive à Paris et fait la noce. 2è Il joue au billard il triche et est découvert c'est-à-dire déshonnoré 3è Il devient voleur ou plutôt  cambrioleur 4è Il est au bagne à Toulon et tandis qu'il est sur le quai un père de famille le montre à ses enfants pour qu'ils ne suivent pas cet exemple.
            Je t'adore mon amour, mon gentil Madelon et prends ta bouche.

                                                                                                                    Gui


                                                                                                             15-3-16

            Mon amour,
            Pas dormi de la nuit.
            Pas de description possible. C'est inimaginable. Mais il fait beau. Je pense à toi. On couche tout à fait à la belle étoile. Vu ce matin un gentil petit écureuil qui grimpait qui grimpait.
            Je suis fatigué et gai à la fois. J'ai la bouche pleine de sable. Je ne sais pas si on aura des lettres ce soir. Je le souhaite.

                                                                                                                 Ton Gui


                                                                                         18 mars 1916

            Mon amour. J'ai été blessé hier à la tête par un éclat d'obus de 150 qui a percé le casque et pénétré. Le casque en l'occurence m'a sauvé la vie. Je suis admirablement bien soigné et il paraît que ce ne sera pas grave. J'écrirai quand je pourrai.

                                                                                                                   Ton Gui
Ambulance 1/ 55 Secteur 34








                                                                                                                       
      

samedi 2 mars 2013

Le coq de basse-cour et le coq de girouette - Le schilling d'argent Andersen ( nouvelle Danemark )





                                                    Le coq de basse-cour et
                                                                      le coq de girouette

            Il y avait deux coqs, l'un sur le tas de fumier et l'autre sur le toit, orgueilleux l'un et l'autre ; mais lequel se rendait le plus utile ? Donne-nous ton avis... nous conserverons le nôtre malgré tout.
            Une palissade séparait la basse-cour d'une autre ferme où il y avait un tas de fumier et sur celui-ci poussait un gros concombre qui était conscient d'être une plante de couche :
            " On est né pour cela, disait une voix en lui-même. Tout le monde ne peut pas naître concombre, il faut aussi qu'il y ait d'autres espèces vivantes ! Les poules, les canards et tout le bétail de la ferme d'à côté sont aussi des créatures. J'ai beaucoup de considération pour le coq de basse-cour sur la palissade, il est vraiment autrement important que le coq de girouette qui a été placé si haut et qui ne sait même pas grincer, et encore moins chanter ! Il n'a ni poules ni poussins, il ne pense qu'à lui-même et sue du vert-de-gris ! Non, le coq de basse-cour, ça c'est un coq ! Regardez-le marcher au pas, c'est de la danse ! Écoutez-le chanter, c'est de la musique ! Partout où il va on sait ce que c'est qu'un clairon ! S'il venait ici et s'il me dévorait avec mes feuilles et ma tige, si j'étais absorbé dans son corps, ce serait une bien belle mort ! " dit le concombre.
            Au cours de la nuit, il y eut un orage terrible : les poules, les poussins et le coq lui-même cherchèrent où se mettre à l'abri ; la palissade entre les deux fermes fut renversée par le vent au milieu d'un grand vacarme ; les tuiles tombèrent, mais le coq de girouette ne bougea pas, il ne tourna même pas, il ne pouvait pas, et pourtant, il était jeune, avait été fondu récemment, mais il était réfléchi et posé ; il était né vieux, ne ressemblait pas aux oiseaux du ciel qui voletaient, aux mouettes et aux hirondelles, il les méprisait, ses " petits oiseaux de faible taille et tout à fait ordinaires ! " Les pigeons étaient gros, luisants et brillants comme de la nacre, ils faisaient penser à une sorte de coq de girouette, mais ils étaient gras et bêtes, toutes leurs pensées se limitaient à se mettre quelque chose dans le ventre, disait le coq de girouette, on s'ennuyait à leur contact. Les oiseaux migrateurs étaient aussi venus en visite, avaient parlé de pays étrangers, de caravanes aériennes et d'épouvantables histoires de brigands et d'oiseaux de proie, c'était nouveau et intéressant la première fois, mais le coq de girouette savait qu'ils se répétaient par la suite, que c'était toujours la même chose, et ça c'est ennuyeux ! Ils étaient ennuyeux et tout était ennuyeux, il n'y avait personne à fréquenter, tout le monde était insipide et dénué d'intérêt.
            - Le monde ne vaut rien, dit-il. Tout n'est qu'un fatras de sottises !
            Le coq de girouette était ce qu'on appelle, blasé, et cela l'aurait certainement rendu intéressant pour le concombre si ce dernier avait été au courant, mais il n'avait de considération que pour le coq de basse-cour et voilà qu'il était maintenant dans sa ferme, tout près de la palissade renversée par le vent, mais les éclairs et le tonnerre avait cessé.
            - Que dites-vous de ce chant de coq ? dit le coq de basse-cour aux poules et aux poussins. C'était un peu vulgaire, ça manquait d'élégance.
            Et les poules et les poussins vinrent sur le tas de fumier, le coq arriva en marchant au pas de cavalier
            - Plante de jardin, dit-il au concombre, et par ce seul mot celui-ci mesura l'étendue de sa culture et oublia qu'il lui donnait des coups de bec et qu'il le mangeait.
            Une bien belle mort !
            Et les poules vinrent, et les poussins vinrent, et quand l'un court les autres courent aussi, et ils gloussaient et ils pépiaient et ils regardaient le coq, ils étaient fiers de lui, il était de leur espèce.
           - Cocorico ! chanta-t-il. Les poussins se transforment tout de suite en grandes poules : il suffit pour cela que je le dise dans la basse-cour du monde !
           Et les poules et les poussins le suivaient en gloussant et en pépiant.
           Et le coq annonça une grande nouvelle.
           - Un coq peut pondre un oeuf ! Et savez-vous ce qu'il y a dans cet oeuf ? Il y a un basilic ! Personne ne peut en supporter la vue, les hommes le savent et maintenant, vous le savez aussi, vous savez ce qui habite en moi... vous savez que je suis un gaillard du tonnerre !
           Et le coq de basse-cour battit des ailes, dressa sa crête et chanta de nouveau, et un frémissement parcourut toutes les poules et tous les petits poussins, mais ils étaient terriblement fiers de ce que l'un des leurs était un gaillard du tonnerre. Ils gloussèrent et ils pépièrent tant et si bien que le coq de girouette fut obligé de l'entendre, et il l'entendit, mais il ne bougea pas pour autant.
            - Tout n'est qu'un fatras de sottises ! disait une voix à l'intérieur du coq de girouette. Le coq de basse-cour ne pond jamais d'oeufs et moi, je n'en ai aucune envie ! Si je le voulais je pourrais sûrement pondre un oeuf clair ! Tous n'est qu'un fatras de sottises !!! Maintenant je n'ai même plus envie de rester là !
            A ces mots le coq de girouette se cassa, mais il ne tua pas le coq de basse-cour, - bien qu'il ait tout calculé pour cela ! - dirent les poules. Et que dit la morale ?
            " Il est tout de même préférable de chanter que d'être blasé et de se casser. "


                                                                                                             ( parut en 1859 )

                                                                          **************
                                                              Le schilling d'argent

             Il y avait un schilling, il sortait tout brillant de la Monnaie, il sautait et il tintait: " Hourra ! disait-il, je vais partir dans le vaste monde ! " et c'est ce qu' il fit.
            L'enfant le serrait dans ses mains chaudes, et l'avare dans ses mains froides et moites. Le vieillard le tournait et le retournait de nombreuses fois, tandis que la jeunesse le laissait tout de suite filer entre ses doigts. Le schilling était en argent, il avait très peu de cuivre en lui, et cela faisait déjà toute une année qu'il était dans le monde, c'est-à-dire qu'il circulait dans le pays où il avait été frappé. Puis il fit un voyage hors du pays, c'était la dernière pièce du pays, c'était la dernière pièce de monnaie du pays qui restait dans le porte-monnaie que son maître avait emportée avec lui. Celui-ci ne savait pas lui-même qu'il l'avait, jusqu'au moment où il lui vint entre les doigts.
            " Voilà un schilling de chez nous ! dit-il. Il va pouvoir être du voyage, lui aussi ! "et le schilling tinta et sauta de joie lorsqu'il le remit dans le porte-monnaie. Il y resta, parmi des camarades étrangers qui allaient et venaient. L'un faisait place à l'autre, mais le schilling qui venait de chez nous restait toujours, c'était une distinction.
            Plusieurs semaines avaient déjà passé et le schilling était loin dans le monde, sans bien savoir où. Il entendait les autres pièces dire qu'elles étaient françaises et italiennes. L'une disait qu'ils étaient maintenant dans telle ville, l'autre disait qu'ils étaient dans telle autre, mais le schilling ne pouvait pas s'en faire une idée. On ne voit pas le monde quand on passe son temps dans un sac, et c'était bien son cas. Mais un jour, alors qu'il était là, il remarqua que le porte-monnaie n'était pas fermé, et il se glissa jusqu'à l'ouverture pour jeter un petit coup d'œil à l'extérieur. Il n'aurait pas dû le faire, mais il était curieux, ce genre de choses ne restent pas impunies. Il glissa dans la poche du pantalon, et lorsque le soir on rangea le porte-monnaie le schilling était encore où il était et il sortit avec les habits dans le couloir, et là il tomba tout de suite sur le plancher. Personne ne l'entendit, personne ne le vit.
            Le matin les habits entrèrent,  le monsieur les mit, s'en alla, et le schilling ne suivit pas. Quelqu'un le trouva, il dût reprendre du service, il sortit  avec trois autres pièces.
            " C'est tout de même bien de voir un peu le monde ! Pensait le schilling, de faire connaissance avec d'autres gens, d'autres mœurs !
            - Qu'est-ce que ce schilling,  dit quelqu'un aussitôt. Ce n'est pas une pièce du pays ! Elle est fausse ! Elle ne vaut rien!
            Et c'est maintenant que commence l'histoire du schilling, telle qu'il l'a racontée par la suite.
            - Fausse elle ne vaut rien !
            - Un frisson m'a parcouru, dit le schilling.  Je savais que j'étais fait de bon argent,  que je tintais bien et que ma frappe était authentique. Les autres se trompaient certainement, ce n'était pas à moi qu'ils pouvaient penser, mais c'était pourtant bien à moi  qu'ils pensaient ! C'est moi qu'ils trouvaient faux, je ne valais rien !
            - Il faut que je l'écoule dans le noir ! dit l'homme qui m'avait en sa possession, et on m'écoule dans le noir puis on pesta à nouveau contre moi lorsque le jour fut revenu...
            - Fausse ! Ne vaut rien ! Il faut faire en sorte de s'en débarrasser.
            Et le schilling tremblait entre les doigts à chaque fois qu'on voulait l'écouler mine de rien et le faire  passer pour de la monnaie du pays.
            " Pauvre schilling que je suis, à quoi me servent mon argent, ma valeur, ma frappe, si les gens n'y accordent aucune importance. C'est ce que le monde pense de nous qui détermine ce que nous sommes pour lui ! Ce doit être terrible d'avoir mauvaise conscience, d'employer la ruse pour avancer sur la voie du mal, quand on pense que le simple fait de donner cette impression me met dans cet état, moi, qui suis pourtant tout à fait innocent !... À chaque fois qu' on me sortait j'avais peur des yeux qui allaient me voir. Je savais que je serais rejeté, jeté sur la table comme si j'avais été un mensonge et une supercherie.
            Une fois je suis arrivé chez une pauvre femme pour récompenser le dur labeur d'une journée, mais elle n'arriva pas à se débarrasser de moi. Personne ne voulait m'accepter, j'étais un vrai malheur pour elle.
            - Je vais être obligée de tromper quelqu'un avec cette pièce, dit-elle. Je n'ai pas les moyens de garder un faux schilling. Je vais le donner au riche boulanger, c'est lui qui pourra le mieux supporter ça.  Mais c'est tout de même une injustice ce que je vais  faire là.
          " Faut-il maintenant que je pèse sur la conscience de cette femme ! Soupira le schilling.  Est-que j'ai tellement changé, maintenant que je suis devenu vieux ?
            Et la femme alla chez le riche boulanger, mais il connaissait trop bien les schillings qui avaient cours, on ne me permit pas de rester là où j'étais, on me jeta à la face de la femme. Je ne pus pas lui servir à acheter du pain, et je fus profondément attristé d'être ainsi fait que je créais des ennuis aux autres moi qui, dans ma jeunesse avais été plein d'entrain et d'assurance conscient de ma valeur et de ma frappe authentique. Je devins aussi mélancolique que peut l'être un pauvre schilling quand personne ne veut de lui.
Mais la femme me rapporta chez elle, me regarda avec beaucoup de tendresse,  de douceur et de gentillesse.
             - Non, je ne veux tromper personne avec toi, dit-elle, je vais te percer d'un trou pour que chacun puisse voir que tu es faux, et pourtant... voilà que ça me vient tout d'un coup... tu es peut-être un schilling porte-bonheur. Oui, je le crois bien ! Cette pensée me vient comme ça subitement. Je perce un trou dans le schilling, je passe un cordon par le trou et je mets le schilling autour du cou du petit enfant de la voisine pour lui servir de porte-bonheur.
            Et elle fit un trou en moi. Ce n'est jamais agréable d'être percé d'un trou, mais quand l'intention est bonne on peut en supporter des choses ! On passa un cordon à travers moi, j'étais devenu une sorte de médaille à porter. On me pendit au cou du petit enfant, et l'enfant me sourit, m'embrassa, et je reposai toute une nuit sur la poitrine chaude et innocente de l'enfant.
           Le matin, la mère me prit entre ses doigts, me regarda et elle avait sa petite idée, je m'en aperçus tout de suite. Elle sortit une paire de ciseaux et coupa le cordon.
           - Schilling porte-bonheur, dit-elle, et bien nous allons voir. Et elle me mit dans l'acide pour que je devienne vert. Ensuite elle boucha le trou, me frotta un peu et se rendit au crépuscule chez le marchand  de billets de loterie pour se procurer un billet qui devait porter bonheur.
            " Comme je me sentais mal ! Je ressentais un pincement comme si j'allais me casser en deux. Je savais qu' on dirait que j'étais faux et qu' on rejetterait, publiquement en présence d'une quantité de schillings et d'autres pièces de monnaie qui avaient des inscriptions et des effigies dont ils pouvaient être fiers. Mais je m'en sortis bien, il y avait tellement de gens chez le marchand de billets, il était tellement occupé, je disparus en tintant dans le tiroir, parmi les autres pièces.  Je ne sais pas si ce fut un billet gagnant, mais je sais en revanche que dès le lendemain on me reconnut comme  étant un faux schilling, on me mit de coté et je fus employé pour tromper et encore tromper.  C'est insupportable quand on a un fond honnête, et je ne peux pas nier que ce soit le cas.
            Pendant des années je passai d'une main à l'autre,  d'une maison à l'autre, toujours en butte aux rebuffades, toujours mal vu. Personne ne me croyait et je ne croyais ni à moi-même, ni au monde. Ce fut une période difficile.
            Un jour, un voyageur arriva, on m'avait bien sûr donné à lui en trichant, et il fut assez naïf pour me prendre pour de la monnaie qui avait cours, mais voilà qu' il voulut m'utiliser pour payer, et j'entendis alors de nouveau ces cris : " Ne vaut rien ! Faux !"
            - On me l'a donné pour authentique, dit l'homme en m'examinant soigneusement. Un sourire lui vint alors sur le visage, d'habitude ça n'arrivait jamais aux visages qui m'examinaient soigneusement.
           - Voyez-vous cela, dit-il c'est une des pièces de monnaie de notre propre pays, un bon et honnête schilling bien de chez nous, dans lequel on a fait un trou et qu'on fait passer pour faux.Voilà qui est amusant ! Je vais te garder et te ramener à la maison.
            " Cela me remplit de joie, on disait que j'étais un bon et honnête schilling,  que j'étais de bon argent et que ma frappe était authentique.  Pour un peu j'aurais produit des étincelles de joie, mais ce n'est pas mon genre de faire des étincelles, l'acier peut le faire, mais pas l'argent.
            On m'enveloppa dans du fin papier blanc pour ne ne pas me mélanger avec les autres pièces et pour ne pas me perdre. Et ce n'est qu'à des occasions particulières, quand on se rencontrait entre compatriotes qu'on me montrait  et qu'on disait énormément de bien de moi. Les gens trouvaient que j'étais intéressant. C'est amusant de pouvoir être intéressant sans dire un seul mot !
            Et puis je revins à la maison, c'en était fini de toute ma détresse, ma joie commençait, j'étais de bon argent en effet, ma frappe était authentique, et cela ne m'ennuyait pas du tout  qu'on m'ait percé d'un trou pour montrer que j'étais faux. Ça ne fait rien quand on ne l'est pas ! Il faut persévérer jusqu'au bout. A la longue on finit par faire reconnaître sa valeur. C'est du moins ce que je crois, dit le schilling !





                                                                                                              Hans Christian Andersen

                                                                                                             ( parut en 1862 )

lundi 25 février 2013

Lettres à Madeleine 64 Apollinaire




                                                       Lettre à Madeleine

                                                                                                          23 fév. 1916

             Mon amour très chéri,
             J'ai de tes lettres. Je t'adore mon petit Madelon.
             Il fait froid, il a neigé toute la journée.
             J'ai fait ce soir un petit tour vu de jolis balcons, jolie maison à mansarde, et avant marché dans les terrains labourés.
             Le pays est plantureux et plein d'agréables perspectives. Mais enfin c'est toujours la guerre.
             Les habitants, car il y en a, sont habitués. Nous aussi d'ailleurs.
             J'ai commencé la lecture d'une chose bien démodée et bien tordantes : " Les Chasses du fameux tueur de lions Gérard ". En ce temps-là les lions devaient se balader du côté de Lamur !
             J'ai vu aussi un journal qui m'a montré que les Boches doivent travailler salement l'opinion. Ce journal qui s'appelle Le journal du peuple est à mon avis une ignominie et que de choses louches il révèle !
Ça m'a dégoûté.
             Ah ! la suppression de la presse aurait été à mon sens plus habile que sa censure et le trop grand nombre d'embusqués permet à ce mauvais état d'esprit sûrement entretenu, attiser pour ainsi dire, de se faire jour.
             D'un côté on voit trop de particularisme réactionnaire chercher à monopoliser le patriotisme, d'un autre côté les journaux bourgeois racontent des fumisteries comme si les soldats étaient assez bêtes pour les croire. Ces 2 extrêmes ont facilité la naissance d'un mauvais esprit qui perce et qu'on devrait vite étouffer de n'importe quelle façon mais le supprimer.
            On n'imagine pas ce que les cajoleries faites aux neutres nous font du tort.
            Aimables et inflexibles voilà ce que devraient être nos gouvernements à l'égard des neutres.
            Jean ne doit pas être mal à Salonique.
            Vous a-t-il écrit depuis son arrivée ?
            Comment vont les petits ?
            Je te prends doucement dans mes bras, mon amour, et te berce, je t'aime.


                                                                                                                 Ton Gui


                                                                                                  Aux Armées 23 fév. 1916

            Mon amour très chéri,
            Flapi par trois jours de marche. Le repos est fini.
            Serons-nous dans un bon secteur ? J'ai guéri ma grippe avec du rhum et je vais bien maintenant. Suis frais et dispos.
            Pendant tout ce temps, mon amour, pas pu t'écrire. On est comme inexistants, des Bohémiens. Je lisais tes lettres et n'avais pas le temps pas la force de répondre. J'ai couché dans des hameaux invraisemblables. Il me semble même que je t'ai écrit en route, mais n'en suis pas sûr. Si bien qu'en tout ceci je vis dans un rêve. Il me semble que je traîne mes pieds dans la boue des grands chemins depuis un temps infini. Je deviens un automate, sans pensée véritable. J'ai oublié les noms. Si tu veux te rendre compte de cela lis Servitude et Grandeur militaires de Vigny. Quel admirable chose ! quel livre. Dire que je n'avais pas lu cet ouvrage qui est peut-être le chef-d'oeuvre de la littérature française au 19è siècle. Je le lis par petits bouts avant de dormir et il détruit l'admiration ( moyenne au demeurant ) pour Villiers de l'Isles-Adam qui sort entier de là. Mais Vigny quel merveilleux conteur qui pense et sait, dire que la scène historique du pape et de Napoléon n'est que là. Dire que chaque ligne de ce livre est un merveilleux enseignement. Que je regrette de ne m'être pas pénétré de cette merveilleuse chose avant la guerre. Comme je l'eusse encore mieux connue que je ne la connais.
            Toi mon amour sois calme, ne m'écris pas de choses inquiètes. Sois gentille. Écris-moi des choses littéraires ou autres qui peuvent élever nos pensées.
            Mais mon amour Le poète assassiné n'est pas un livre terrible : c'est un recueil comme l'Hérésiarque, mais qui contient plus de choses humoristiques que l'Hérésiarque. Il a pris titre de la première nouvelle qui est plus longue au demeurant que celle de l'Hérésiarque, et d'un genre nouveau, c'est un essai de nouvelle lyrique je l'ai tenté déjà dans " Que Vlo-ve ? " et " La Serviette des poètes " et ici c'est une tentative de nouvelle plus lyrique avec un élément de satire. J'oublie si vite en ce moment que j'ai complètement oublié les poèmes sur " Paris "  et le " Vigneron " dont tu me parles.
            L'histoire des Praille m'a amusé mais je n'aime pas autant Maupassant qu'on fait d'habitude.. Je ne sais pourquoi par exemple, mais c'est comme ça. C'est un conteur vigoureux mais son ton est à mon avis de ce ton bourgeois de nouvelles journalistiques du 19è siècle qui ne me plaisent point quoique j'en reconnaisse les mérites.
            Ne te préoccupe pas des permissions puisque je ne suis pas au moment d'en avoir.
            Je ne me souviens plus de l'histoire de la femme du chef de gare.
            D'autre par, mon cher Madelon, ta jalousie n'est pas gentille. Je te défends d'être jalouse.
            J'ai vu ce matin une jolie porte Louis XIII pas mièvre du tout, à gauche une femme mythologique à demi-nue avec tunique sous les seins jusqu'à mi-jambes et de l'autre côté un personnage Louis XIII costume du temps du Menteur, de Corneille.
            Hier dans un autre patelin une église pas très curieuse mais avec une jolie sculpture encastrée dans la muraille.
            Je crois que  bientôt j'aurai le temps de t'écrire très longuement et d'écrire longuement pour moi aussi.
            Je prends ta bouche.


                                                                                                           Gui

                                                       
                                                                                                           25 fév. 1916

            Mon amour,
            J'ai reçu les cigarettes et le carnet.
            Les permissions pr l'Algérie sont rétablies.
            Je n'ai pas le temps de t'écrire longuement, mon petit amour chéri.
            Je le ferai dès que je pourrai.
            Neige, mais ne t'inquiète pas surtout ne t'inquiète pas.
            En effet la guerre devient violente. Ce sont peut-être, qui sait ses dernières convulsions.
            Je t'enverrai désormais, des cartes ou enveloppes avec des cachets de secteur postal pr en faire collection. Ramasse-les aussi. Il faut les enveloppes ou les cartes entières.
            Je t'adore.


                                                                                                                  Ton Gui


                                                                                                               27 fév. 1916

            Mon amour, balade dans la neige. J'ai tes lettres des 19 et du 20 - l'histoire de la dame à l'esprit ouvert et de sa bonne est drôle. A ce propos, sais-tu bien ce que signifie l'expression " en bataille "  que tu as employée à propos du nez de cette dame ? Cette expression s'applique à une formation de cavalerie, dans l'infanterie on dit " en ligne ". Le contraire est en colonne. Les gendarmes portaient le bicorne " en bataille " les généraux le portent " en colonne ". Tu es mignonne comme tout, mon amour et ta lettre est très gentille. Je vais cesser de t'écrire parce que je suis fatigué et vais aller me coucher. Demain je ne sais où nous irons. Peut-être pas dans un bon endroit. Je t'embrasse ma chérie. Je t'embrasse gentiment. Je ne veux pas que Marthe t'arrache les cheveux. Je ne comprends pas qu'une fille si spirituelle qu'elle et qui a un sens si fin de la coquetterie s'amuse à se déformer le nez, arrache les cheveux etc...
            Quand je viendrai en permission c'est moi qui la tartinerai d'importance mais pas sur le visage.
            Je t'embrasse passionnément. Louise est bien gentille de faire la jolie photographie.
            Je prends ta bouche.


                                                                                                                      Gui

                                                                                                                28 février 1916

            Mon amour, je t'avise en toute hâte de notre changement de secteur postal. C'est maintenant Secteur 130 ( cent trente ).
            Je t'écrirai plus longuement demain je l'espère.

                                                                                                             Ton Gui à toi


                                                                                                                  6 mars 1916

            Mon amour
            ne t'inquiète pas. Je n'ai pas eu le temps de t'écrire. Dès que je pourrai le ferai. J'ai reçu tes chères lettres. Écris toujours et ne t'inquiète pas.
            Il fait froid. Il y a de la neige, je ne suis plus grippé. Je vais très bien mais n'ai pas de temps du tout.
            Baisers.

                                                                                                                Ton Gui

           Remets Secteur 139


                                                                                                           10 mars 1916

            Mon amour, j'ai tellement marché que je n'ai pu écrire. Une carte il y a quelques jours. C'est tout. J'ai eu tes lettres exquises. J'ai vu la ville royale, sa cathédrale et j'ai ramassé des fragments de vitraux. J'ai vécu 2 jours de cette vie singulière de la ville sous les obus. J'ai visité la cathédrale avec le gardien M. Huart l'architecte et M. Gulden, un anglais propriétaire de la marque Heidsieck. J'ai déjeuné au Lion d'Or en face, à l'intérieur la cathédrale a peu souffert au-dehors tout ce qui a été fait en bois a brûlé. Un seul obus de 77 a troué la voûte d'un très petit trou qu'on ne voit qu'à peine près d'un pilier. A l'intérieur les boiseries Louis XV près du porche ont brûlé ( incendie pas obus ) et ont découvert des statues que le feu a malheureusement très endommagées, la rose de vitrail qui était si belle a été en partie détruite du fait de l'incendie, les vitraux du choeur dits de St Louis ( 1227 ) sont quasi intacts ainsi que l'ecclesia remensis. Du reste de nos cantonnements n'ai rien à dire et n'en peux parler mais vu la jolie église. Nous repartons demain sur les routes du front et cette situation d'Errant vous crée une mentalité très détachée de tout.
            J'ai fait aujourd'hui, ce matin, quelques petits poèmes pr peintres. Il y avait longtemps que je n'avais plus rien fait.


                                                           Poèmes de Peintures
1
            2 lacs nègres
                           Entre une forêt
                                            Et une chemise qui sèche

2
            Bouche ouverte sur un Harmonium
                           C'était une voix faite d'yeux
                                     Tandis qu'il traîne de petites gens

3
            Une petite vieille au nez pointu
                        J'admire la bouillotte d'émail bleu
                                   Une femme qui a une gorge épatante

4
            Un monsieur qui se rase près de la fenêtre
                       Il est en bras de chemise
                                    Et il chante un petit air qu'il ne sait pas très bien
              Ça tout un opéra

              Inscriptions à broder sur un 
                                   ( avec d'autres ornements )

            Je suis la discrète balance
            De ce que pèse ta beauté

                                                       Inscription pour des gravures

1
            Vous qui m'écoutez Belle
            Bien que je sois bien loin

2
            Comme un grave empereur
            Qui saurait l'avenir
                                                                                                                   
3
            Une créole à La Havane
            Créée par Dieu l'amour la damne

4
            Allô la Destinée
            Comment envoyer des baisers

            Mon amour chéri, on avait parlé avec ta mère de la D.E.S. la Déesse comme on dit et on n'avait pas trouvé la signification  de cette abréviation païenne ; ça signifie Direction des Étapes et Services.
            Je t'adore mon amour et ferme ma lettre parce que je dois faire ma cantine.
            Je t'aime mon amour.


                                                                                                                     Gui