dimanche 2 mars 2014

La balle ambitieuse et le sabot philosophe Alexandre Dumas ( nouvelle France )



Dumas

                                               La balle ambitieuse et le sabot philosophe

            Vous savez tous ce que c'est qu'une balle, mes chers petits amis, car je ne doute pas que vous sachiez déjà jouer à la balle au mur et à la balle empoisonnée.
            Vous savez tous ce que c'est qu'un sabot, ce cône arrondi que vous faites courir et tourner devant vous à grands coups de lanière.
            Ces deux questions importantes, préliminairement posées, je vais vous raconter l'histoire d'une balle et d'un sabot.
            C'était encore dans cette époque arriérée où la balle ne connaissait ni l'élastique ni le caoutchouc et se faisait avec du liège.
            Quant au sabot, le progrès a passé sur lui : l'électricité, la vapeur et le télégraphe ont été inventés sans rien changer à sa forme ni à sa matière.                                            
            C'est tout simple, la balle voyage, elle va, elle revient, elle s'élève, elle retombe, elle rebondit, fait du chemin, voit du pays, tandis que le sabot ne quitte pas la terre et se contente de tourner sur lui-même, si rapidement qu'il en est tout désorienté et qu'il ignore complètement ce qui se passe autour de lui, à plus forte raison au-dessus de lui.
            Notre balle et notre sabot appartenaient au même enfant, joli   petit garçon de dix à douze ans, et se trouvaient l'un à côté de l'autre dans une boîte où il y avait encore beaucoup d'autres joujoux.
            Un soir que le sabot et la balle venaient de rentrer à leur domicile le sabot dit à la balle :
            - Pourquoi ne nous marions-nous pas ensemble, puisque depuis les dernières étrennes nous vivons déjà côte à côte et habitons la même maison.
                                                                                                                    internaute.com
            Mais la balle, qui était de maroquin vert, lequel avant d'être balle avait été pantoufle, était toute fière de son origine, car cette pantoufle prétendait descendre de celle qui fit la fortune de Cendrillon. Mais la balle, disons-nous, non seulement ne répondit point, mais se tourna de façon à ne pas même toucher le sabot.
            Le sabot soupira et se tut.                                                
            Le lendemain, l'heure de la récréation étant arrivée, le petit garçon à qui appartenaient les joujoux prit le sabot, le peignit en raies rouges et jaunes alternées et, au centre de ces raies, planta, un beau clou de cuivre tout reluisant.                                                                                          
            Cette parure toute de luxe faisait un effet magnifique lorsque le sabot tournait.
            Aussi fit-on au sabot force compliments qui lui rendirent un peu d'espérance.
            De sorte qu'en rentrant dans la boîte le sabot dit à la balle :
            - Regardez-moi un peu, voisine : que pensez-vous ? Est-ce que ma nouvelle parure ne vous décidera point à faire de moi votre époux ? Vous êtes jaune et verte, je suis jaune et rouge, voilà pour le physique. Vous dansez, moi je valse, voici pour le moral. A mon avis nous nous convenons donc parfaitement.
            - C'est votre avis, lui répondit la balle, mais ce n'est pas le mien. D'abord, vous ne savez pas qui je suis. Je suis fille d'une pantoufle appartenant à une duchesse et qui descendait de même d'une pantoufle célèbre. Ensuite je suis faite en-dedans de véritable liège d'Espagne, tandis que vous, vous n'êtes qu'un bois grossier.
            - C'est vrai, répondit le sabot, que je ne suis ni d'acajou ni d'ébène, ni de palissandre, mais je suis de buis et le buis est un bois bien autrement solide que tous ces colifichets de bois-là. En outre j'ai été
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tourné par le bourgmestre lui-même qui a un tour chez lui et qui dans ses moments de loisir fait toutes sortes de jolis joujoux comme moi.
            - Dites-vous la vérité, demanda la balle ?
            - Que l'on me donne le fouet si je mens, répondit le sabot.
            - Eh bien alors je crois que je puis me confier à vous, dit la balle, voici ma proposition : je ne puis prendre d'engagements avec vous attendu que je suis à peu près fiancée à un moineau qui a son domicile dans le mur contre lequel je rebondis à peu près tous les jours. Chaque fois que je monte en l'air il sort la tête de son trou et me
             " - Voyons est-ce décidé et venez-vous chez moi ? J'ai un joli petit appartement tout capitonné de foin et tout tapissé de plumes. Je vous en offre la moitié, sans qu'une fois ma femme les ailes vous pousseront et que vous deviendrez oiseau. Voilà des avantages, n'est-ce pas ? "
            - Si bien que vous avez dit oui ? demanda le sabot.
            - Tout bas, répondit la balle, sinon tout haut. De sorte que je me tiens pour engagée. Mais soyez tranquille, même si je deviens oiseau je ne vous oublierai pas.
            - Belle consolation, fit le sabot.
            Mais, comme tout sabot de buis qu'il était il avait sa fierté. A partir de ce moment il n'adressa plus une seule parole à la balle qui, préoccupée de son moineau, garda le silence.
            Le lendemain, le petit garçon prit la balle et son sabot pour jouer comme d'habitude mais, comme son caprice était de commencer par la balle, il posa son sabot dans un coin en lui disant :
            - Tiens-toi tranquille, ton tour viendra tout à l'heure.
            Le sabot obéit, seulement il se tourna de façon que, tout en montant, en descendant et en rebondissant, la balle pût voir sa peinture jaune et rouge et son beau clou reluisant.
            Bientôt la balle s'élança dans l'air avec tant de légèreté qu'en vérité on eût cru que les ailes commençaient à lui pousser.
            Cependant elle redescendait toujours, mais bondissait si fort en touchant la terre que l'on sentait le désir qu'elle avait de vivre définitivement dans le domaine des oiseaux.
            Enfin, une belle fois, la balle s'éleva si haut que le petit garçon l'attendit vainement : la balle ne retombait plus.
            Le petit garçon la chercha longtemps. Enfin, ennuyé de ne pas réussir à la retrouver  il alla ramasser son sabot en disant :                                                                                
            - Maudite balle, où diable peut-elle être ?
            - Ah ! Je le sais bien où elle est, soupira le sabot, elle a épousé le moineau et elle demeure dans son nid. Puisse-t-elle être heureuse ! Mais je doute qu'une balle soit faite pour être la femme d'un moineau. Quant à moi, j'avais eu tort de penser un instant à elle, et si je rencontre quelque jolie toupie qui veuille de moi, noble ou non, je l'épouse.                                                                                                                                   museumspace.com
            Le hasard servit admirablement les désirs du sabot. Aux étrennes nouvelles on fit cadeau au petit garçon d'une quantité de joujoux, parmi lesquels se trouvait une toupie d'Allemagne.
            Le sabot fut d'abord un peu intimidé du gros ventre et de l'humeur grondeuse de sa nouvelle amie, mais au demeurant, il s'aperçut bientôt qu'elle était bonne fille, que si elle grondait c'était quand on la faisait tourner, mais que le reste du temps elle demeurait muette et, après s'être bien assuré de son humeur pacifique, il lui fit les mêmes propositions qu'il avait faites à la balle et qui cette fois furent acceptées.
            Ils vécurent trois ans dans la plus étroite et la plus heureuse union.
            Quelquefois, et surtout pendant la première année, le sabot avait pensé à la balle, au printemps surtout. il avait vu sortir du trou du moineau une foule d'oisillons, et il s'était dit :
             " Voilà les enfants de mon ancienne amie et de son pierrot. Il paraît que décidément les ailes lui ont poussé et qu'elle est heureuse là-haut,.Tant mieux ! "
            Puis, reportant son regard sur sa toupie d'Allemagne, il la trouvait si majestueuse avec son gros ventre, qu'il se regardait comme le plus heureux sabot qu'il y eût au monde.
            Au bout de trois ans le petit garçon devenu plus fort tira un jour avec sa toupie d'Allemagne si violemment la ficelle que la toupie alla heurter l'angle d'un mur et, comme elle était évidée en dedans, s'y brisa.
            Le sabot se trouva veuf.
            Le petit garçon qui avait remarqué une certaine intimité entre le sabot et la toupie d'Allemagne, eut alors une singulière idée. C'était de faire porter le deuil de la toupie au sabot.
            Il peignit alors le sabot tout en noir.
            Le sabot trouva une grande consolation à ce vêtement qui était selon son coeur.
            De son côté, le petit garçon, pour lui donner le plus de distraction possible, le faisait tourner de toutes ses forces. Enfin, un beau jour, il le fouetta si bien qu'il l'envoya à perte de vue, et que le sabot disparut à son tour, comme avait disparu la balle.
            Le petit garçon, qui aimait beaucoup son sabot, le chercha inutilement.
            Il était tombé dans une immense caisse aux ordures placée sous une gouttière dans un angle de la cour.
            Le sabot fut d'abord un peu étourdi de sa chute, mais en reprenant ses sens et en regardant autour de lui il se vit au milieu de toutes sortes de balayures parmi lesquelles foisonnaient les trognons de choux, les fanes de carottes et les queues d'artichaut.
            Puis, en regardant plus attentivement, il remarqua un objet rond qui ressemblait à une pomme ratatinée mais qu'après un examen plus approfondi, il reconnut être une vieille balle.
            - Dieu merci ! dit celle-ci en apercevant le sabot qu'elle ne reconnut point d'abord comme son vieil ami à cause de son vêtement de deuil, voici au moins un de mes pareils avec lequel je pourrai causer.
            Puis, se tournant vers le sabot qui la regardait avec étonnement :
            - Monsieur, lui dit-elle, pourriez-vous me donner des nouvelles du monde d'où vous venez ?
            - Volontiers, lui répondit le sabot qui commençait à reconnaître à qui il avait affaire. Mais d'abord, à qui ai-je l'honneur de parler ?                                                                                                                                   kokomokka.fr
            - Je suis une balle de bonne maison, répondit la balle. J'ai refusé de me marier avec un individu de votre espèce, attendu que j'étais fiancée à un moineau. Mais un jour que j'avais fait un effort pour monter sur le toit où il était je retombai dans la gouttière où je restai trois ans. Le dernier grand orage m'emporta et je tombai où vous êtes tombé vous-même, à ce qu'il paraît, c'est-à-dire dans la caisse aux ordures..
            Quoiqu'il trouvât la balle énormément changée, son liège ayant gonflé, son maroquin étant pourri dans la gouttière, le sabot qui était bon garçon allait lui répondre et se faire reconnaître. Mais en ce moment, la servante qui venait pour vider la caisse aux ordures, ce qu'elle faisait tous les mois, aperçut le sabot et s'écria :
            - Ah ! Voilà le sabot que monsieur Paul a tant cherché.
            Et, sans faire attention à la balle, elle prit le sabot et le rapporta à son jeune maître qui lui rendit à l'instant même tous les honneurs et toute sa considération.
            Mais de la balle il n'en fut pas question, et plus jamais le sabot n'en entendit parler.
            De cet événement naquit le proverbe allemand qui dit :
            " Une balle qui veut épouser un moineau risque à moisir dans une gouttière.



                                                                                             Alexandre Dumas
                          

samedi 22 février 2014

Poèmes Guillaume Apollinaire ( Poèmes France )


trinité et arche d'alliance
anonyme


                                                  69 6666 ...6  9

            Les inverses 6 et 9
            Se sont dessinés comme un chiffre étrange
            69
            Deux serpents fatidiques
            Deux vermisseaux
            Nombre impudique et cabalistique
            6  3 et 3
            9  3  3 et 3
            La trinité
            Qui se retrouve
            La trinité partout
            Avec la dualité
            Car 6 deux fois 3
            Et trinité 9 trois fois 3
            69 dualité trinité
            Et ces arcanes seraient plus sombres
            Mais j'ai peur de les sonder
            Qui sait si là n'est pas l'éternité
            Par-delà la mort camuse
            Qui s'amuse à faire peur
            Et l'ennui m'emmantelle
            Comme un vague linceul de lugubre dentelle
            Ce soir

paru en 1914 Quelconqueries )




                                                                             Acousmate                                                                                     

            Paix sur terre aux hommes de bonne volonté
            Les maris voudraient agir l'outil n'a pas de manche
            Sur les doigts de cet homme on voit des tâches d'encre            
            Les hommes et les Femmes sont tous tourmentés                                   hellocoton.fr                           

            Les bergers écoutaient ce que disaient les anges
            Leurs âmes s'apaisaient comme un midi d'été
            Les bergers comprenaient ce qu'ils croyaient entendre
            Car ils savaient déjà tout ce qu'ils écoutaient

            Sur cette assiette Hélas ! j'aperçois trois chiffres
            Mais presque toutes les mouches sont mortes de froid
            Car c'est l'hiver oui mon vieux ça va bien ça va même
                   très bien
            Ces pâtres sachant qu'un enfant venait de naître
                   Près de là
            Sur ce coup de minuit d'un jour alcyonien
            Se mirent tous en route au son de leurs musettes


1915 Poème de Jeunesse

                                                             
                                                                    ucpa-vacances.com                    Sans titre

            Avril qui rit ici connait-il votre Nord
            Les aurores y sont aurores boréales
            Mais les femmes s'en vont libres et n'ont pas tort ;
            Libres, l'homme et la femme un jour vaincront la mort.
            Ah!. mais, pensez au Nord où les cheveux sont pâles

1900 Poèmes inédits



                                                                                       Mareye                                   

           Mareye était très douce étourdie et charmante
           Moi je l'aimais d'Amour m'aimait-elle, qui sait ?
           Je revois parfois à la lueur tremblotante
           Des lointains souvenirs cet Amour trépassé

           Sur ma bouche je sens celle de mon amante
           Je sens ses petites mains sur mon front glacé
           Ses mains dont doucement elle me caressait
           Ses rares mains de sainte pâle ou bien d'infante

           Mon amante d'antan dans quels bras t'endors-tu                                                        Mucha
           Pendant l'hiver saison d'amour où les vents pleurent                                            
           Où les amants ont froid où des passants se meurent                                                  

           Sous les tristes sapins meurent en écoutant
           Les elfes rire au vent et corner aux rafales ?
           Songes-tu quelquefois quand les nuits sont bien pâles
           Que telles nos amours sont mortes les étoiles ?


1900 Poèmes inédits



                                                     Toujours

                                                     Toujours
            Nous irons plus loin sans avancer jamais

            Et de planète en planète
            De nébuleuse en nébuleuse
            Le Don Juan des mille et trois comètes                              
            Même sans bouger de la terre
            Cherche les forces neuves
            Et prend au sérieux les fantômes                                         

            Et tant d'univers s'oublient                                
            Quels sont les grands oublieurs
            Qui donc saura nous faire oublier telle ou telle                  
                   partie du monde                                                                       ciel étoilé Van Gogh
            Où est le Christophe Colomb à qui l'on devra
                  l'oubli d'un continent

                                                 Perdre
            Mais perdre vraiment
            Pour laisser place à la trouvaille
                                                 Perdre
            La vie pour trouver la Victoire


A Madame Faure-Favier
in Case d'Armons 1915 
et 1917 dans La Grande Revue Poèmes de Guerre et d'Amour 
voir éd La Pléiade
                                                                                           
        

vendredi 21 février 2014

Correspondance Marcel Proust Reynaldo Hahn 5 ( Lettres France - sélection - )


futura-sciences.com
                 
                                                      Lettres

                                                                                                                     Fin 1902
            Dordrecht endroit si beau
                    Tombeau
            De mes illusions chéries
            Quand j'essaie à dessiner
            Tes canaux, tes toits, ton clocher
            Je me sens comme aimer
                  Des patries.
           Ton ciel toujours un peu bleu
            Le matin souvent un peu pleut
            Mais le soleil et les cloches
           Ont bien vite resséché
           Pour la grand'messe et les brioches
           Ton luisant clocher.
           Le pâtissier sur la place
           Où seul un pigeon bouge
           Reflète sur le canal bleu
                 Comme de la glace
           Son grand moule rouge.
           Un chaland s'avance et dérange
           Un nénuphar et du soleil
           Qui dans la glace du pâtissier
           Fiche le camp sur la tarte aux groseilles
           Et fait peur à la mouche qui la mange
           Voici la fin de la messe tout le monde sort
                  Alléluia Sainte-Mère-des-Anges
           Allons faire un tour en barque sur le canal
           Après une heure de sommeil.


                                                                                          ( Lettre sans signature )


                                                                                                                                                                                Février 1904

            Cher Bininibuls

            - Le plus tôt - que vous pouvez m'hensvoyer  le Gustave Moreau d'Ary Renan, ou à défaut un autre, celui de Paul Flat par


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                                                      exemple, sera le mieux. Car je voudrais le faire acheter à La Gazette des Beaux Arts si vous ne l'avez pas et elle ferme assez tôt. Et aussi si vous pouvez Vie des Abeilles *.
            Mille petits caresnuls, genstil.
            Mais ne faites " rien monter " car j'ai été très maladch et dormirai.

                                                                                                          Sans signature
* Auteur Maeterlinck



                                                                                                                                        Mars-Avril 1905

             Mon cher Genstil
            Croyais que viendriez pour parler Hesther. Sousfrant, incertain si pourrai ou si pas. En tous cas ayez gentillesse escrire 1° si c'est bien aujourd'hui, et si c'est bien la dernière répétitichon  2° à quelle heure " au plus tard "  il faut que je sois chez Mme de Guerne et où demeure icelle ( cela m'est égal d'entrer seul )
3° Si ( bien entendu ) cela ne souffre aucune difficulté et ne peut être qu'agréable aux Guerne. Si non
( Il serait trop faschant que je prenne si extrême fatigue pour faschant Guerne ) 4° si je peux ne pas vous prévenir au cas où n'irais pas  car dans ce cas, dormirai. Si j'y vais, que vous me permettiez de ne vous faire prévenir qu'à 4 heures. - Résumez-moi votre soirée de dimanche de 11 h. à 1 h. Vous Hexpliqueraihhh.


                                                                                                     BULS


venezuelatina.com                                                                                              21 avril 1906

            Cher Binchnibuls
            ( Car je ne veux plus de neveu et d'oncle en ce moment vous expliquerai retour ) c'est trop moschant qu'écrivant lettereh si gentille ne disiez pas si toussez, si voix pas enrouée, si malaise, si fièvre. Je ne suis pas si savant que mon Reynaldo qui quand on lui dit qu'on a mal à la gorge dit : " Est-ce vraiment à la gorge ? Quoi ? Vous avez mal ? Ici Marcel ? aux amygdales. " Reynaldo je n'ai jamais su où étaient les amygdales pas plus que je n'ai jamais su s'il fallait dire aéropage ou aréopage et récépissé ou récipissé. Mais je veux savoir si grippch est guérsie. La mienne l'est mon genstil et depuis que vous m'avez vu je n'ai jamais cessé d'aller très bouen et triste que soyez juste parti ce jour là (et je ne craindrais nullement odeurs en ce moment)
D'ailleurs celles de Reynaldo sont si faibles et peut'être bien chimériques car aurais mieux joui de vous et pas une fois asthmch , pas une seule crise ! -  J'ai maintenant un médecin car Bize est venu le Vendredi Saint le Mardi de Pâques, hier Vendredi et revient Vendredi prochain. Il me prescrit mille médicaments. Mais l'heure de la consultation seule est venue. Celle de l'obéissance ne viendra que plus tard. Mais j'ai obéi à Reynaldo qui voulait que Desponendiès fût auprès de moi en son absence. Il y est. Vos amis les révolutionnaires sont simplement abjects et votre ami Lewiss lui-même est outré. Je serais bien content que vous aimiez ce pays qui doit être si beau et qu'il ne vous fasse pas de mal. J'ai rêvé cette nuit que j'étais avec vous et la veuve* à St Moritz. Mais ceci plus beau, genstil. Bize m'a sans absolument le vouloir rendu excessivement pessimiste sur ma santé. Mais voyant cela il m'a donné de bonnes paroles. Cela suffit  pour me mettre de bonne humeur ( à cet égard, car chagrin augmente tous les jours de Maman ** ). Je ne sais si vous pensez encore autant à vos concerts que moi, chaque jour la pensée de leur succès m'apporte de nouveaux enchantements. Marie*** m'a écrit ( tombeau ) pour, carrément ( Reynaldo ) me demander de la reprendre. J'ai répondu comme Henri VIII : " Impossible ! " Heureusement qu'elle ne peut pas comme Anne Bolyn répliquer : " Mais pourtant vous l'aviez promis ".
            Tendresses

                                                                                                               Genstil

Le bloc de gauche poursuit son avancée lors des élections
*      Mme Lemaire tient un salon célèbre à Paris
**    Mme Proust est morte en 1905
*** Marie fut au service de la famille Proust



                                                                                                                                                      Mai 1906

            Mon cher Bininuls
            Je suis de nouveau un peu sousfrant ne faites donc rien pour ce soir, dites-moi seulement si vous seriez libre osjourd'hui ( et où devrais vous parvenir ) et si vous êtes libre demain, et si asprès-demain et si 31 - de façon que si guérsi puisse écrire sans vous consulter.
            Tendresches.

                                                                                                          Sans signature

                                                                                                   

     fr.wikipedia.org                                                                                    Mai 1906
                                                          Mon cher Hibuls
            Je ne vous avais pas hescrit car je croyais resveniez dimanche. Mais Coco dit que Mercredi. Alors bonjour. Tous vos amis les socialistes unifiés sont nommés et vous devez être aussi constent que je suis fasché. Peu à peu devant ces ignominies l'âme du Mis de Dion surgit en moi. Pourtant je voterai pour vous si vous vous présentez comme un petit socialiste hunifié. Mais ne vous unifiez pas. Mieux vaut être loubéral. Je vous ai fait trente si jolis dessins que je suis on ne peut plus fasché de les avoir perdus. Je veux, " d'un trait de plume " vous donner une idée autant que je m'en souviens, car ils constituaient une critique hardie des diverses écoles de peinture. Par exemple j'essayais d'imaginer ce qu'eût été une Présentation au Temple chez les divers peintres des diverses époques. Et voici par exemple comment je suppose que Breughel dit le Vieux ( pourquoi met-on un tréma l'u, puisqu'on doit prononcer Breughel  - " Très juste " ( Reynaldo ).
            Mais c'est tellement impossible à me rappeler que je suis très fasché de vous envoyer de si mauvais quand pourrait être si genstil et de fureur ma main rate tout. Car c'était très gentil ce sujet ; et le Giotto était même etc etc. Et tout cela fait pour Nanetto*( Hommage à Sarah disons Zanetto ).

            Bonjours
                                        Buncht
                                                                         Fasché.

            Est que vous avez remarqué pou-let que font rô-tir ( assez buncht )

* diminutif  de Reynaldo 

                                                                                                              












     



                                                                                                                                                       



                                                                                                                                               



dimanche 16 février 2014

Poèmes à Lou ( 28/04/15 ) Guillaume Apollinaire ( Poèmes France )


       
    
lettresdefemmes.blogs.com           

                                             Poème à Lou

                                                                                                    28 avril 1915

            Jolie bizarre enfant chérie
            Je vois tes doux yeux langoureux
            Mourir peu à peu comme un train entre en gare
            Je vois tes seins tes petits seins au bout rose
            Comme ces perles de Formose
            Que j'ai vendues à Nice avant de partir pour Nîmes
            Je vois ta démarche rythmée de Salomé plus capricieuse
            Que celle de la ballerine qui fit couper la tête au Baptiste
            Ta démarche rythmée comme un acte d'amour
            Et qui à l'hôpital auxiliaire ou à Nice
            Tu soignais les blessés
            T'avait fait surnommer assez justement la chaloupeuse
            Je vois tes sauts de carpe aussi la croupe en l'air
            Quand sous la schlague tu dansais une sorte de kolo
            Cette danse nationale de la Serbie

            Jolie bizarre enfant chérie
            Je sens ta pâle et douce odeur de violette
           Je sens la presqu'imperceptible odeur de tes aisselles                                          Je sens l'odeur de fleur de marronnier que le mystère
                de tes jambes
            Répand au moment de la volupté                                                          
            Parfum presque nul et que l'odorat d'un amant
            Peut seul et à peine percevoir                                                              
            Je sens le parfum de rose rose très douce et
                 lointaine
            Qui te précède et me suit ma rose

            Jolie bizarre enfant chérie
            Je touche la courbe singulière de tes reins
            Je suis des doigts ces courbes qui te font faite
            Comme une statue grecque d'avant Praxitèle
            Et presque comme une Eve des cathédrales
            Je touche aussi la toute petite éminence si sensible
            Qui est ta vie même au suprême degré
            Elle annihile en agissant ta volonté tout entière
            Elle est comme le feu dans la forêt
            Elle te rend comme un troupeau qui a le tournis
            Elle te rend comme un hospice de folles
            Où le directeur et le médecin-chef deviendraient
            Déments eux-mêmes
            Elle te rend comme un canal calme changé
                  brusquement
            En une mer furieuse et écumeuse
            Elle te rend comme un savon satiné et parfumé
            Qui mousse soudain dans les mains de qui se lave

            Jolie bizarre enfant chérie
            Je goûte ta bouche ta bouche sorbet à la rose
            Je la goûte doucement
            Comme un khalife attendant avec mépris les Croisés
            Je goûte ta langue comme un tronçon de poulpe
            Qui s'attache à vous de toutes les forces de ses
                  ventouses
            Je goûte ton haleine plus exquise que la fumée
            Tendre et bleue de l'écorce du bouleau
            Ou cette fumée sacrée si bleue
            Et qu'on ne nomme pas

            Jolie bizarre enfant chérie
            J'entends ta voix qui me rappelle
            Un concert de bois musette hautbois flûtes
            Clarinettes cors anglais
            Lointain concert varié à l'infini
            Tu te moques parfois et il faut qu'on rie
            O ma chérie
            Et si tu parles gentiment
            C'est le concert des anges                                                                               Et si tu parles tristement c'est une satane triste
            Qui se plaint
            D'aimer en vain un jeune saint si joli
            Devant son nimbe vermeil
            Et qui baisse doucement les yeux
            Les mains jointes
            Et qui tient comme une verge cruelle
            La palme du martyre
         
            Jolie bizarre enfant chérie
            Ainsi les cinq sens concourent à te créer de
                 nouveau
            Devant moi
            Bien que tu sois absente et si lointaine
            O prestigieuse
            O ma chérie miraculeuse
            Mes cinq sens te photographient en couleurs
            Et tu es là tout entière
            Belle
            Câline
            Et si voluptueuse
            Colombe jolie gracieuse colombe
            Ciel changeant ô Lou ô Lou
            Mon adorée
            Chère chère bien-aimée
            Tu es là
            Et je te prends toute
            Bouche à bouche
            Comme jadis
           Jolie bizarre enfant chérie


                                                                          Apollinaire



                                                            Poème à Lou

                                                                                                                       Nuit du 27 avril 1915

                  La nuit
                  S'achève
                  Et Gui
                  Poursuit
                  Son rêve
                  Où tout
                  Est Lou
            On est en guerre
                  Mais Gui                                                                    
            N'y pense guère
                  La nuit                                                                                                       S'étoile et la paille se dore
            Il songe à Celle qu'il adore


                                                                 Guillaume Apollinaire 



                                                                            C'est

            C'est la réalité des photos qui sont sur mon coeur
                   que je veux
            Cette réalité seule elle seule et rien d'autre
            Mon coeur le répète sans cesse comme
                   une bouche d'orateur et le redit
                                A chaque battement
           Toutes les autres images du monde sont fausses
                  Elles n'ont pas d'autre apparence que celle
                                des fantômes
           Le monde singulier qui m'entoure métallique végétal
                                Souterrain
                                O vie qui aspire le soleil matinal
           Cet univers singulièrement orné d'artifices
                   N'est-ce point quelque oeuvre de sorcellerie
                              Comme on pouvait l'étudier autrefois                                
                                    A Tolède
           Où fut l'école diabolique la plus illustre
                  Et moi j'ai sur moi un univers plus précis plus certain                      *                                  Fait à ton image

*apollinaire peinture marie laurencin
                                                                         Apollinaire


                                                               A mon Tiercelet

            Terrible Aquilan de Mayogre
            Il me faudrait un petit noc
            Car j'ai faim d'amour comme un ogre
            Et je ne trouve qu'un faucon
                                                                                                                         

                                                            Guillaume Apollinaire        




                                                                                                                            maxisciences.com

vendredi 14 février 2014

Correspondance Proust Reynaldo Hahn 4 ( Lettres France - sélection - )



theguardian.com

                                               Lettres
                                                                                     Août-Septembre 1896

            Mon cher petit Reynaldo,
            Pardonnez-moi de ne pas vous écrire. Mais je me promène beaucoup et à la suite de ce traitement et de ce rhume pris là je suis si fatigué que je n'ai pas beaucoup le courage d'écrire. Hier j'ai fait la pagination des 90 premières pages de mon roman*. J'ai fait venir de chez mon libraire La Belle Gabrielle **, mais outre l'ennui d'échanger Dumas contre Maquet, j'ai cru voit sans couper les pages que les personnages laissés en plan dans Les 45***, Ernanton de Carminger, Rémy le Hardouin, Diane de Méricor, Henri III n'y figurent pas. Si ce n'est une suite qu'en ce sens que cela vient après dans l'ordre des temps j'aime mieux lire La Reine Margot ( y a-t-il Bussy, St Luc, Chicot etc ) ou des Dumas d'une autre époque ( et ici reconseillez-moi ) ( j'aime mieux ceux où il n'y a pas d'amour, ni de passion sombres, surtout des coups d'épée, de la police à la Chicot, de la royauté, de la bonne humeur et la victoire des Innocents ). J'ai fini La Cousine Bette. Il y a vraiment des choses étonnantes. Mais il y a à la fin du 1er volume du Pt Royal de Ste Beuve, appendice, un éreintement de Balzac, celui de la Cousine Bette, par Ste Beuve, c'est plus amusant que l'article de Lemaître sur Ohnet. J'ai été avt hier au Louvre. Aimez-vous Quentin Matsys l'homme qui a devt lui des pièces d'or, une petite glace bombée qui représente ce qui se présente dans la rue, des perles etc et à côté de lui sa femme ? Et au Jardin des Plantes avec Mme Arman. Mais la ménagerie était fermée. Nous avons pourtant vu les ours. Ces fauves, les lions etc., ce sont vraiment eux " Les rois en exil****". Et leurs jungles etc etc ce sont bien les Paradis Perdus. Tout ce jardin si exotique, et si parisien est d'une tristesse qu'augmentent encore les ravages du dernier ouragan. En revenant nous avons aperçu Mr France qui marchait le long des quais. Nous avons fait arrêter la voiture et Mme Arman lui a dit d'un air de félicitation ironique : " Hé bien, on va seul, comme cela, à ses petites affaires... C'est du joli..." Avant ils s'étaient disputés à propos d'un libraire ou je ne sais quoi. Et Mr France disait : " Non n'est-ce pas Madame vous voulez à la fois n'est-ce pas ne pas payer ce que vous devez, avoir la satisfaction de votre conscience et forcer l'estime de vos amis. Hé bien ( en riant beaucoup ) non, tout de même c'est trop, n'est-ce pas oui, enfin tout de même, vous ne paierez pas, vs aurez même la satisfaction de votre conscience, car elle n'est pas exigeante oh non, mais l'estime de vos amis, non tout de même, ça c'est impossible. " Et Mme Arman avt dit : " Monsieur vous êtes trop désagréable, fichez-moi la paix. " Qd elle a été partie M. France m'a fait son éloge et m'a dit " Elle a tout de même un joli tour d'esprit pour une femme si bonne, car elle est très bonne Mme Arman ". C'est vrai qu'elle est charmante. Mon petit écrivez-moi tt de suite si maintenant que vous réaimez la mer, vous y resterez avec moi non à Villers mais tt près au-delà du 15 etc. Détaillez, aimez-moi. Votre " sur le sable couchées " était aussi un merveilleux trait de style.
            Je vous embrasse.

                                      Marcel.

            Égayez-vous à cette vieille dépêche de Cazalis reçue au Mt Dore pour laquelle ns avons dû payer près de 3 fs et qui a exaspéré chez Maman les instincts, également lésés, de la concision et de l'économie. vous ai-je écrit que dernièrement Coco Madrazo***** rencontré à l'heure du dîner est monté dîner chez moi ? Je crois que oui mais je ne sais plus.


*         Proust Jean Santeuil
**       roman de Maquet
***     roman de Dumas
****   roman d'Alphonse Daudet 
***** futur beau-frère de Reynaldo Hahn
 
                                                                                                                                              Mars 1896
                                                                                               Minuit moins vingt

            Mon petit Reynaldo
            Comme Delafosse avait joué, Mlle Suzette chanté et que j'avais oublié mon cahier chez Mad Lemaire ce qui m'a obligé à revenir je ne suis arrivé chez vous qu'à onze heures. J'ai frappé et même, une seule fois sonné, Je n'ai entendu aucun bruit, vu aucune lumière, on ne m'a pas ouvert et je rentre bien triste. Dormez-vous seulement ? - On vous portera le mot demain matin et on ne me donnera votre réponse qu'à 10 heures, comme cela je serai chez M. Neveu à onze h., à moins que vous ne mettiez sur " sur l'enveloppe " qu'on me la donne avant dix heures, mais à moins que cela ne soit utile, non et alors ne mettez rien sur l'enveloppe ou enfin comme vous voudrez. Dans cette réponse vs me mettez où je dois trouver M. Neveu, si c'est ma carte ou la vôtre que je dois lui fre passer, ce que je dois lui dire, si je dois le remercier, s'il me connaissait etc, etc, etc. J'ai bien peur que cela ne marche pas, mes parents trouveront je le crains que c'est " trop peu de chose ", car j'avais dû y entrer avant ma licence. Sans cela ce serait un rêve. Que vous êtes bon Reynaldo. Maman était émue de votre gentillesse et je vous remercie et vous embrasse de tout mon coeur. Je vous avais apporté des petites choses de moi et le début du roman que Yeatman lui-même près de qui j'écrivais a trouvé très poney*. Vous m'aiderez à corriger ce qui le serait trop. Je veux que vous y soyez tout le temps mais comme un Dieu déguisé  qu'aucun mortel ne reconnaît. Sans cela c'est sur tt le roman que tu serais obligé de mettre" déchire. " Je viens d'avoir le courage de rendre un billet à Delafosse. Je trouve que les 60 ff que cela fait, suffisait, puisque cela se renouvelle tous les ans. Ton ami


                              Marcel.

* premier roman Jean Santeuil


                                                                                             
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            Reynaldo j'ai eu un mouvement de mauvaise humeur ce soir, il ne faut ni vous en étonner ni m'en vouloir. Vous m'avez dit, jamais je ne vous dirai plus rien. Ce serait un parjure si c'était vrai, ne l'étant pas c'est encore pour moi le coup le plus douloureux. Que vous me disiez tout, c'est depuis le 20 juin mon espérance, ma consolation, mon soutien, ma vie. Pour ne pas vous faire de peine je ne vous en parle presque jamais, mais pour ne pas en avoir trop j'y pense presque toujours. Aussi m'avez-vous dit la seule chose qui soit pour moi vraiment " blessante ". J'aimerais mieux mille injures. J'en mérite souvent, plus souvent que vous ne croyez. Si je n'en mérite pas c'est dans les moments d'effort douloureux où en épiant une figure, ou en rapprochant des noms, en reconstituant une scène j'essaie de combler les lacunes d'une vie qui m'est plus chère que tout mais qui sera pour moi la cause d'un trouble le plus triste tant que dans ses parties les plus innocentes elles-mêmes je ne la connaîtrai pas. C'est une tâche impossible hélas et votre bonté se prête à un travail de Danaïde en aidant ma tendresse à verser un peu de ce passé dans ma curiosité. Mais si ma fantaisie est absurde, c'est une fantaisie de malade et qu'à cause de cela il ne faut pas contrarier. On est bien méchant si on menace un malade de l'achever parce que sa manie agace. Vous me pardonnerez ces reproches parce que je ne vous en fais pas souvent et que j'en mérite toujours ce qui consolera votre amour propre. Soyez indulgent pour un poney. Aux qualités que vous exigez d'un poney trouveriez-vous beaucoup de maîtres etc.


                     MP.

                                       
                                                                                                       Été 1896    blingee.com

            Notre amitié n'a plus le droit de rien dire ici, elle n'est pas assez forte pour cela maintenant. Mais son passé me crée le devoir de ne pas vous laisser commettre des actes aussi stupides aussi méchants et aussi lâches sans tâcher de réveiller votre conscience et de vous le faire sinon avouer ( puisque votre orgueil vous le défend ) au moins sentir, ce qui pour votre bien est l'utile. Quand vous m'avez dit que vous restiez à     
souper ce n'est pas la première preuve d'indifférence que vous me donniez. Mais quand deux heures après, après nous être parlé gentiment, après toute la diversion de vos plaisirs musicaux, sans colère, froidement, vous m'avez dit que vous ne reviendriez pas avec moi, c'est la première preuve de méchanceté que vous m'ayez donné ( participe de l'auteur ) . Vous aviez facilement sacrifié, comme bien d'autres fois, le désir de me faire plaisir, à votre désir qui était de rester à souper. Mais vous l'avez sacrifié à votre orgueil qui était de ne pas paraître désirer rester à souper. Et comme c'était un dur sacrifice, et que j'en étais la cause, vous avez voulu chèrement me le faire payer. Je dois dire que vous avez pleinement réussi. Mais vous agissez en tout cela comme un insensé. Vous me disiez ce soir que je me repentirais un jour de ce que je vous avais demandé. Je suis loin de vous dire la même chose. Je ne souhaite pas que vous vous repentiez de rien, parce que je ne souhaite pas que vous ayez de le peine, par moi surtout. Mais si je ne le souhaite pas, j'en suis presque sûr. Malheureux, vous ne comprenez donc pas ces luttes de tous les jours et de tous les soirs où la seule crainte de vous faire de la peine m'arrête. Et vous ne comprenez pas que, malgré moi, quand ce sera l'image d'un Reynaldo qui depuis q.q. temps ne craint plus jamais de me faire de la peine, même le soir, en nous quittant, quand ce sera cette image qui reviendra, je n'aurai plus d'obstacle à opposer à mes désirs et que rien ne pourra plus m'arrêter. Vous ne sentez pas le chemin effrayant que tout cela a fait depuis q.q. temps que je sens combien je suis devenu peu pour vous, non par vengeance, ou rancune, vous pensez que non, n'est-ce pas, et je n'ai pas besoin de vous le dire, mais inconsciemment parce que ma gde raison d'agir disparaît peu à peu. Tout aux remords de tant de mauvaises pensées, de tant de mauvais et lâches projets je serai bien loin de dire que je vaux mieux que vous. Mais au moins au moment même qd je n'étais pas loin de vous et sous l'empire d'une suggestion quelconque je n'ai jamais hésité entre ce qui pouvait vous faire de la peine et le contraire. Et si q.q. chose m'en faisait et était pour vous un plaisir sérieux comme Reviers, je n'ai jamais hésité. Pour le reste je ne regrette rien de ce que j'ai fait. J'en arrive à souhaiter que le désir de me faire plaisir ne fut pour rien, fut nul en vous. Sans cela pour que de pareilles misères auxquelles vous êtes plus attaché que vous ne croyez aient pu si souvent l'emporter il faudrait qu'elles aient sur vous un empire que je ne crois pas. Tout cela ne serait que faiblesse, orgueil, et pose pour la force. Aussi je ne crois pas tout cela, je crois seulement que de même que je vous aime beaucoup moins, vous ne m'aimez plus du tout, et de cela mon cher petit Reynaldo je ne peux pas vous en vouloir.                            
            Et cela ne change rien pour le moment et ne m'empêche pas de vous dire que je vous aime bien tout de même. Votre petit Marcel étonné malgré tout de voir à ce point
            Que peu de temps suffit à changer toutes choses *
et que cela ira de plus en plus vite. Réfléchissez sur tout cela mon petit Blaise** et si cela nourrit votre pensée de poète et votre génie de musicien, j'aurai du moins la douceur de penser que je ne vous ai pas été inutile.                                                                                                         bit.ly
            Votre petit poney qui après cette ruade rentre tristement tout seul dans l'écurie dont vous aimiez jadis à vous dire le maître.


                              Marcel.  

*   Victor Hugo Tristesse d'Olympio
** Ctsse de Ségur Pauvre Blaise   



                                                                                                             Sans date

  junkthief.blogspot 
                                                    Mon cher petit Puncht

            J'avais craint que vous n'ayez trouvé ma despêche méchante, n'y ayant pas répondu. Vous allez me trouver bien bon de trouver que vous ne me répondez pas ! si vous êtes à Dieppe, vous pourriez revenir par Trouville, ou me donner rendez-vous à un endroit entre Dieppe et Trouville. Mais plus probablement n'est-ce pas nous ne nous reverrons qu'à Paris ou du moins aux lieux où vous passerez l'automne et où je viendrai aussi souvent que me le permettront les nécessités qui gouvernent ma vie, parmi lesquelles je vous compte comme la plus favorable, dans le sens violent mélancolique et doux où elle s'exerce toujours, ( avec une douceur de caresse et un gémissement de plainte qui la fait ressembler au vent d'ouest ). J'ai trouvé admirable votre rapprochement des grands officiers mélancoliques et d'un coeur si noble avec Picquart*. Quand je désespère de ne plus trouver un livre qui m'élève et qui m'enseigne je reçois une telle lettre et je me retrouve avec quelque confiance dans la nature humaine et quelque allégresse dans la vie. Mon cher petit vous auriez bien tort de croire que mon silence est celui qui prépare l'oubli. C'est celui qui comme une cendre fidèle couve la tendresse intacte et ardente. Mon affection pour vous demeure ainsi et s'avive sans cesse et je vois mieux que c'est une étoile fixe en la voyant à la même place quand tant de feux ont passé. Je ne dis pas comme dans Vigny et ceux qui passeront, car il n'y en a pas d'allumé. En est-il de même pour vous ? A propos de Vigny je retiens pour vous ce qu'il dit dans une lettre de ce Moïse que vous aimez. J'ai été bien égayé quand vous m'avez écrit que Mme Lemaire s'imagine que j'ai " fait venir " Bréville* à Dieppe le jour où j'y suis venu. Comment une femme si fine peut-elle concevoir quelque chose de si baroque... J'ai su que vous avez écrit une lettre à Reinach* qu'il a déclarée écrite dans le plus admirable langage qu'il ait jamais lu. Il s'inquiétait alors, m'a dit Straus, de savoir votre adresse, mais comme il y a longtemps il a dû vous écrire. Au revoir cher âtre puisque c'est ainsi que vous appelait Mallarmé, ce qui comme dirait Yturri* est une consécration. Je vous dirai retournant les beaux vers de Baudelaire que rien aujourd'hui ni le boudoir, ni le soleil rayonnant sur la mer ne me vaut l'âtre.
            A Bientôt


                                   Marcel.

*       Voir l'affaire Dreyfus 
**      musicien                                                                                                                           
***   journaliste politique
**** compagnon de Montesquiou