jeudi 4 décembre 2014

Mémoires d'un père Marmontel ( extraits1 roman France )

Portrait par Alexandre Roslin. Paris, Musée du Louvre.

Marmontel - 1723-1799
                                                   Mémoires d'un père

                                                        Livre premier

            C'est pour mes enfants que j'écris l'histoire de ma vie, leur mère l'a voulu. Si quelque autre y jette les détails, qu'il me pardonne les détails minutieux pour lui, mais que je crois important pour eux. Mes enfants ont besoin de recueillir les leçons que le temps, l'occasion, l'exemple, les situations diverses par où j'ai passé, m'ont données. Je veux qu'ils apprennent de moi à ne jamais désespérer d'eux-mêmes, mais à s'en défier toujours. A craindre les écueils de la bonne fortune, et à passer avec courage les détroits de l'adversité.
            J'ai eu sur eux l'avantage de naître dans un lieu où l'inégalité de condition et de fortune ne se faisait presque pas sentir. Un peu de bien, quelque industrie ou un petit commerce, formaient l'état de presque tous les habitants de Bort, petite ville de Limosin, où j'ai reçu le jour. La médiocrité y tenait lieu de richesse. Chacun était libre et utilement occupé. Ainsi la fierté, la franchise, la noblesse du naturel n'y étaient altérées par aucune sorte d'humiliation, et nul part le sot orgueil n'était plus mal reçu ni plus tôt corrigé. Je puis donc dire que durant mon enfance, quoique né dans l'obscurité je n'ai connu que mes égaux. De là peut-être un peu de roideur que j'ai eue dans le caractère et que la raison même et l'âge  n'ont jamais assez amollie.
            Bort, situé sur la Dordogne, entre l'Auvergne et le Limosin, est effrayant au premier aspect pour le voyageur qui, de loin, du haut de la montagne, le voit au fond d'un précipice, menacé d'être submergé par les torrents que forment les orages, ou écrasé par une chaîne de rochers que forment les orages, ou écrasé par une chaîne de rochers volcaniques, les uns plantés comme des tours sur la hauteur qui domine la ville, et les autres déjà pendants et à demi déracinés. Mais Bort devient un séjour riant, lorsque l'oeil rassuré se promène dans le vallon. Au-dessus de la ville, une île verdoyante que la rivière embrasse et qu'animent le mouvement et le bruit d'un moulin, est un bocage peuplé d'oiseaux. Sur les deux bords de la rivière, des vergers, des prairies et des champs cultivés par un peuple laborieux forment des tableaux variés. Au-dessous de la ville le vallon se déploie, d'un côté en un vaste pré que des sources d'eau vive arrosent, de l'autre en des champs couronnés par une enceinte de collines dont la douce pente contraste avec les rochers opposés.  .......
           ... C'est près de là qu'est située cette petite métairie de Saint Thomas où je lisais Virgile à l'ombre des arbres fleuris qui entourent nos ruches d'abeilles et où je faisais de leur miel des goûters si délicieux. C'est de l'autre côté de la ville, au-dessus du moulin et sur la pente de la côte, qu'est cet enclos où, les beaux jours de fête, mon père me menait cueillir des raisins de la vigne que lui-même il avait plantée, ou des cerises, des prune et des pommes des arbres qu'il avait greffés.
            Mais ce qui, dans mon souvenir, fait le charme de ma patrie, c'est l'impression qui me reste des premiers sentiments dont mon âme fut imbue et pénétrée par l'inexprimable tendresse que ma famille avait pour moi.........                                                                                              lerider.fr
            ... J'avais appris à lire dans un petit couvent de religieuses, bonnes amies de ma mère. Elles n'élevaient que des filles, mais, en ma faveur, elles firent une exception à cette règle. Une demoiselle bien née et qui, depuis longtemps, vivait retirée dans cet hospice, avait eu la bonté d'y prendre soin de moi. Je dois bien chérir sa mémoire et celle des religieuses qui m'aimaient comme leur enfant !
            De là je passai à l'école d'un prêtre de la ville, qui, gratuitement et par goût, s'était voué à l'instruction                                                  
des enfants. Fils unique d'un cordonnier, le plus honnête homme du monde, cet ecclésiastique était un vrai modèle de la piété filiale........ Dans le beau temps, un peu de promenade, et quelquefois, pour exercice , une partie de mail dans la prairie, étaient ses seuls amusements........
            ....... A cette école j'avais un camarade qui fut pour moi, dès mon enfance, un objet d'émulation. Son air sage, son application à l'étude, le soin qu'il prenait de ses livres, ses blonds cheveux toujours si bien peignés, son habit toujours propre dans sa simplicité, son linge toujours blanc, étaient pour moi un exemple. Il s'appelait Durant. Son père laboureur d'un village voisin était connu du mien..... la bonne crème, le bon lait, le bon pain bis qu'il me donnait ! .......  Vingt ans après, nous nous sommes, son fils et moi, retrouvés à Paris sur des routes bien différentes........
            Mes leçons de latin furent interrompues par un accident singulier. J'avais un grand désir d'apprendre, mais la nature m'avait refusé le don de la mémoire. J'en avais assez pour retenir le sens de ce que je lisais, mais les mots ne laissaient aucune trace dans ma tête, et pour les y fixer, c'était la même peine que si j'avais écrit sur du sable mouvant. Je m'obstinais à suppléer  par mon application à la faiblesse de mon organe. Ce travail excéda les forces de mon âge, mes nerfs en furent affectés. Je devins comme somnambule. La nuit, tout endormi, je me levais sur mon séant et, les yeux entrouverts, je récitais à haute voix les leçons que j'avais apprises.
            - Le voilà fou, dit mon père à ma mère, si vous ne lui faites pas quitter ce malheureux latin.
            Et l'étude en fut suspendue. Mais au bout de huit ou dix mois, je la repris, et au sortir de ma onzième année, mon maître ayant jugé que j'étais en état d'être reçu en quatrième, mon père consentit, quoiqu'à regret à me mener lui-même au collège de Mauriac qui était le plus voisin de Bort.
            Ce regret de mon père était d'un homme sage, et je dois le justifier. J'étais l'aîné d'un grand nombre d'enfants ; mon père, un peu rigide, mais bon par excellence sous un air de rudesse et de sévérité, aimait sa femme avec idolâtrie : il avait bien raison !...
            Mon bon évêque de Limoges, le vertueux Coëtlosquet, m'a parlé souvent à Paris, avec le plus tendre intérêt, des lettres que lui avait écrites ma mère, en me recommandant à lui..
            Mon père avait pour elle autant de vénération que d'amour. Il lui reprochait que son faible pour moi, et ce faible avait une excuse : j'étais le seul de ses enfants qu'elle avait nourri de son lait ; sa trop faible santé ne lui avait plus permis de remplir un devoir si doux. Sa mère ne m'aimait pas moins..... Économe de la maison, elle présidait au ménage, et nous donnait à tous l'exemple de la tendresse filiale ; car elle avait aussi sa mère et la mère de son mari, dont elle avait le plus grand soin...... Ajoutez au ménage trois soeurs de mon aïeule, et la soeur de ma mère, cette tante qui m'est restée ; c'était au milieu de ces femmes et d'un essaim d'enfants que mon père se trouvait seul ; avec très peu de bien, tout cela subsistait.... Un petit commerce.... Le petit jardin..... l'enclos nous donnait des fruits, et nos coings, nos pommes, nos poires, confits au miel de nos abeilles, étaient, durant l'hiver, pour les enfants et pour les bonnes vieilles, les déjeuners les plus exquis.
Le troupeau de la bergerie de Saint-Thomas habillait de sa laine.... mes tantes la filaient ; elles filaient aussi le chanvre du champ qui nous donnait du linge ; et les soirées où, à la lueur d'une lampe qu'alimentait l'huile de nos noyers, la jeunesse du voisinage venait teiller avec nous, ce beau chanvre, formaient un tableau ravissant. La récolte des grains de la petite métairie assurait notre subsistance ; la cire et le miel des abeilles, que l'une de mes tantes cultivait avec soin, étaient un revenu qui coûtait peu de frais ; l'huile, exprimée de nos noix encore fraîches, avaient une saveur, une odeur que nous préférions au goût et au parfum de celle de l'olive. Nos galettes de sarrazin , humectées, toutes brûlantes, de ce bon beurre du Mont-d'Or, étaient pour nous le plus friand régal. Je ne sais pas quel mets nous eût paru meilleur que nos raves et nos châtaignes ; et en hiver, lorsque ces belles raves grillaient le soir à l'entour du foyer, ou que nous entendions bouillonner l'eau du vase où cuisaient ces châtaignes si savoureuses et si douces, le coeur nous palpitait de joie.. Je me souviens aussi du parfum qu'exhalait un beau coing rôti sous la cendre, et du plaisir qu'avait notre grand'mère à le partager entre nous.....
            Quand je serai au collège, la prévoyance de mon père s'exagérait les frais de mon éducation ; d'ailleurs, il regardait comme un temps assez mal employé celui qu'on donnait aux études : le latin, disait-il, ne faisait que des fainéants. Peut-être aussi avait-il quelque pressentiment du malheur que nous eûmes de nous le voir ravir par une mort prématurée ; et, en me faisant de bonne heure prendre un état d'une utilité moins tardive et moins incertaine, pensait-il à laisser en un second père à ses enfants. Cependant, pressé par ma mère, qui désirait passionnément qu'au moins son fils aîné fît ses études, il consentit à me mener au collège de Mauriac.
            Accablé de caresses, baigné de douces larmes et chargé de bénédictions, je partis donc avec mon père ; il me portait en croupe, et le coeur me battait de joie ; mais il me battit de frayeur quand mon père me dit ces mots :
            - On m'a promis, mon fils, que vous seriez reçu en quatrième ; si vous ne l'êtes pas, je vous remmène, et tout sera fini.
            Jugez avec quel tremblement je parus devant le régent qui allait décider de mon sort. Heureusement c'était ce bon P. Malosse dont j'ai eu tant à me louer ; il y  avait dans son regard, dans le son de sa voix, dans sa physionomie, un caractère de bienveillance si naturel et si sensible, que son premier abord annonçait un ami à l'inconnu qui lui parlait...... pour épreuve il me donna un thème ; ce thème était rempli de difficultés presque toutes insolubles pour moi. Je le fis mal, et après l'avoir lu :
            - Mon enfant, me dit-il, vous êtes bien loin d'être en état d'entrer dans cette classe ; vous aurez même bien de la peine à être reçu en cinquième.
            Je me mis à pleurer.                                                                           cooktome.fr
            - Je suis perdu, lui dis-je, mon père n'a aucune envie de me laisser continuer mes études , il ne m'amène ici que par complaisance pour ma mère, et, en chemin, il m'a déclaré que si je n'étais pas reçu en quatrième, il me ramènerait chez lui ; cela me fera bien du tort, et bien du chagrin à ma mère ! Ah ! par pitié recevez-moi ; je vous promets, mon père, d'étudier tant, que dans peu vous aurez lieu d'être content de moi.
            Le régent touché de mes larmes...., me reçut.....
            Je fus logé, selon l'usage du collège, avec cinq autres écoliers, chez un honnête artisan de la ville ; et mon père, assez triste de s'en aller sans moi, m'y laissa avec mon paquet, et des vivres pour la semaine ; ces vivres constituaient en un gros pain de seigle, un petit fromage, un morceau de lard et deux ou trois livres de boeuf ; ma mère y avait ajouté une douzaine de pommes. Voilà, pour le dire une fois, quelle était toutes les semaines la provision des écoliers les mieux nourris du collège  Notre bourgeoise nous faisait la cuisine, et pour sa peine, son feu, sa lampe, ses lits, son logement, et même les légumes de son petit jardin qu'elle mettait au pot, nous lui donnions par tête vingt-cinq sous par mois, en sorte que tout calculé, hormis mon vêtement, je pouvais coûter, à mon père, de quatre à cinq louis pas an. C'était beaucoup pour lui, et il me tardait bien de lui épargner cette dépense.
            Le lendemain de mon arrivée, comme je me rendais le matin dans ma classe, je vis à sa fenêtre mon régent qui, du bout du doigt, me fit signe de monter chez lui :
            - Mon enfant, me dit-il, vous avez besoin d'une instruction particulière et de beaucoup d'étude pour atteindre vos condisciples ; commençons par les éléments, et venez ici, demi-heure avant la classe, tous les matins, me réciter les règles que vous aurez apprises ; en vous les expliquant, je vous en marquerai l'usage.....
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            Du mois d'octobre où nous étions, jusqu'aux fêtes de Pâques, il n'y eut pour moi ni amusement, ni dissipation ; mais, après cette demi-année, familiarisé avec toutes mes règles, ferme dans leur application, et comme dégagé des épines de la syntaxe, je cheminai plus librement. Dès lors je fus l'un des meilleurs écoliers de la classe, et peut-être le plus heureux ; car j'aimais mon devoir, et, presque sûr de le faire assez bien, ce n'était pour moi qu'un plaisir. Le choix des mots et leur emploi, en traduisant de l'une en l'autre langue, même déjà quelque élégance dans la construction des phrases, commencèrent à m'occuper ; et ce travail, qui ne va point sans l'analyse des idées, me fortifia la mémoire. Je m'aperçus que c'était l'idée attachée au mot qui lui faisait prendre racine ; et la réflexion me fit bientôt sentir que l'étude des langues était aussi l'étude de l'art de démêler les nuances de la pensée, de la décomposer, d'en former le tissu, d'en saisir avec précision les caractères et les rapports ; qu'avec les mots, autant de nouvelles idées s'introduisaient et se développaient dans la tête des jeunes gens, et qu'ainsi les premières classes étaient un cours de philosophie élémentaire bien plus riche, plus étendu et plus réellement utile qu'on ne pense, lorsqu'on se plaint que, dans les collèges, on n'apprenne que du latin.      

            A l'égard de notre collège, son caractère distinctif était une police exercée par les écoliers sur eux-mêmes. Les chambrées réunissaient des écoliers de différentes classes, et parmi eux l'autorité de l'âge ou celle du talent, naturellement établie, mettait l'ordre et la règle dans les études et dans les moeurs...... On travaillait ensemble et autour de la même table ; c'était un cercle de témoins qui, sous les yeux les uns des autres, s'imposaient réciproquement le silence et l'attention. L'écolier oisif s'ennuyait d'une immobilité muette, et se lassait bientôt de son oisiveté ; l'écolier inhabile, mais appliqué, se faisait plaindre ; on l'aidait, on l'encourageait ; si ce n'était pas le talent, c'était la volonté qu'on estimait en lui ; mais il n'y avait ni indulgence, ni pitié pour le paresseux incurable ; et lorsqu'une chambrée entière était atteinte de ce vice, elle était comme déshonorée ; tout le collège le méprisait.......  jamais l'amusement et la dissipation ne venaient qu'après le travail.
 
            L'esprit d'ordre et d'économie ne distinguait pas moins que le goût du travail notre police scolastique.
Les nouveaux venus, les plus jeunes apprenaient des anciens à soigner leurs habits, leur linge, à conserver leurs livres, à ménager leurs provisions. Tous les morceaux de lard, de boeuf ou de mouton que l'on mettait dans la marmite, étaient proprement enfilés comme des grains de chapelet, et si dans le mélange il survenait quelques débats, la bourgeoise en était l'arbitre. Quant aux morceaux friands qu'à certains jours de fête nos familles nous envoyaient, le régal en était commun, et ceux qui ne recevaient rien n'en étaient pas moins conviés. Je me souviens avec plaisir de l'attention délicate qu'avaient les plus fortunés de la troupe à ne pas faire sentir aux autres cette affligeante inégalité. Lorsqu'il nous arrivait quelqu'un de ces présents, la bourgeoise nous l'annonçait ; mais il lui était défendu de nommer celui de nous qui l'avait reçu, et lui-même il aurait rougi de s'en vanter. Cette discrétion faisait, dans mes récits, l'admiration de ma mère. iletaitunefoislecole.fr
            Nos récréations se passaient en exercices à l'antique ; en hiver, sur la glace, au milieu de la neige ; dans le beau temps, au loin dans la campagne, à l'ardeur du soleil ; et ni la course, ni la lutte, ni le pugilat, ni le jeu de disque et de la fronde, ni l'art de la natation n'étaient étrangers pour nous. Dans les chaleurs, nous allions nous baigner à plus d'une lieue de la ville ; pour les petits, la pêche des écrevisses dans les ruisseaux ; pour les grands, celle des anguilles et des truites dans les rivières, ou la chasse des cailles au filet après la moisson, étaient nos plaisirs les plus vifs ; et au retour d'une longue course, malheur aux champs d'où les pois verts n'étaient pas encore enlevés. Aucun de nous n'aurait été capable de voler une épingle ; mais dans notre morale il avait passé en maxime que ce qui se mangeait n'était pas un larcin ; mais sans y avoir coopéré, il est vrai cependant que j'y participais, d'abord en fournissant mon contingent de lard pour l'assaisonnement des pois, et puis en les mangeant avec tous les complices. Faire comme les autres me semblait un devoir d'état dont je n'osais me dispenser ; sauf à capituler ensuite avec mon confesseur, en restituant ma part du larcin en aumônes.

            Ce fut donc à Mauriac, depuis onze ans jusques à quinze, que je fis mes humanités, et en rhétorique, je me soutins presqu'habituellement le premier de ma classe....... Le plus doux de mes souvenirs est encore celui du bonheur dont je faisais jouir ma mère...... je prenais soin de lui dissimuler mes peines...... Telle fut, en troisième, la querelle que je me fis avec le P. Bis, le préfet du collège, pour la bourrée d'Auvergne,.....
            On sait quelle est à la cour des rois l'envieuse malignité que s'attirent les favoris ; il en est de même au collège. Les soins particuliers qu'avait pris de moi mon régent de quatrième, et mon assiduité à l'aller voir tous les matins m'ayant fait regarder d'abord d'un oeil jaloux et méfiant, je me piquai dès lors de me montrer meilleur et plus fidèle camarade qu'aucun de ceux qui m'accusaient de ne pas l'être et qui se défiaient de moi;
lors donc que je parvins à être fréquemment le premier en classe, grade auquel était attaché le triste office de censeur, je me fis une loi de mitiger cette censure ; et en l'absence du régent, pendant la demi-heure où je présidais seul, je commençai par accorder une liberté raisonnable : on causait, on riait, on s'amusait à petit bruit, et ma note n'en disait rien. Cette indulgence qui me faisait aimer, devint tous les jours plus facile. A la liberté succéda la licence, et je la souffris ; je fis plus, je l'encourageai, tant la faveur publique avait pour moi d'attraits...... On me citait l'un de mes camarades appelé Toury, comme le plus fort danseur de la bourrée d'Auvergne qui fut dans les montagnes ; je lui permis de la danser, et il est vrai qu'en la dansant il faisait des sauts merveilleux. Lorsqu'une fois on eu goûté le plaisir de le voir bondir au milieu de la classe, on ne put s'en passer ; et moi, toujours plus complaisant, je redemandais la bourrée. Il faut savoir que les sabots du danseur étaient armés de fer, et que la classe était pavée de dalles d'une pierre retentissante comme l'airain. Le préfet qui faisait sa ronde, entendait ce bruit effroyable ; il accourait, mais dans l'instant le bruit cessait, tout le monde était à sa place ; Toury lui-même, dans son coin, les yeux attachés sur son livre, ne présentait plus que l'image d'une lourde immobilité. Le préfet, bouillant de colère, venait à moi, me demandait la note : la note était en blanc. Jugez de son impatience ; ne trouvant personne à punir, il me faisait porter la peine des coupables par les " pensum " qu'il me donnait. Je la subissais sans me plaindre ; mais autant il me trouvait docile et patient pour ce qui m'était personnel, autant il me trouvait rebelle et résolu à ne jamais faire de peine à mes camarades......
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            Mon régent de seconde n'était plus ce P. Malosse qui m'avait tant aimé ; c'était un P. Cibier, aussi sec, aussi aigre que l'autre était liant et doux...... Il avait singulièrement l'art d'exciter notre émulation en nous piquant de jalousie.....
            Mes petites vacances de Noël se passaient à jouir, mes parents et moi, de notre tendresse mutuelle, sans d'autre diversion que celle des devoirs de bienséance et d'amitié......
            Celles de Pâques étaient un peu plus longues, et, lorsque le temps était beau, elles me permettaient quelques dissipations....... Les fille, les garçons se promenaient ensemble, le soir même, au clair de lune. Leur amusement ordinaire était le chant, et il me semble que ces jeunes voix réunies formaient de doux accords et de jolis concerts, Je fus d'assez bonne heure admis dans cette société ; mais jusqu'à l'âge de quinze ans elle ne prit rien sur mes goûts pour l'étude et la solitude.
            ....... peut-être dans l'amour de ma tante pour ses abeilles , y avait-il quelque illusion, comme il y en a dans tous les amours, et l'intérêt qu'elle prenait à leurs jeunes essaims ressemblait beaucoup à celui d'une mère pour ses enfants ; mais je dois dire aussi qu'elle semblait en être aimée autant qu'elle les aimait. Je croyais moi-même les voire se plaire à voler autour d'elle, la connaître, l'entendre, obéir à sa voix: elles n'avaient point d'aiguillon pour leur bienfaisante maîtresse ; et, lorsque, dans l'orage, elle les recueillait, les essuyait, les réchauffait de son haleine et dans ses mains, on eût dit qu'en se ranimant elles lui bourdonnaient doucement leur reconnaissance. Nul effroi dans la ruche quand leur amie les visitait ; et si, en les voyant moins diligentes que de coutume, et malades ou languissantes, soit de fatigue ou de vieillesse, sa main, sur le sol de leur ruche, versait un peu de vin pour leur rendre la force et la santé, ce même doux murmure semblait lui rendre grâces. Elle avait entouré leur domaine d'arbres à fruits, et de ceux qui fleurissent dans la naissance du printemps ; elle y avait introduit et fait rouler sur un lit de cailloux un petit ruisseau d'eau limpide, et sur les bords le thym, la lavande, la marjolaine, le serpolet, enfin les plantes dont la fleur avait le plus d'attraits pour elles, leur offraient les prémices de la belle saison........
            Depuis, et encore à présent, j'ai tant d'amour pour les abeilles, que sans douleur je ne puis penser au cruel usage où l'on est, dans certains pays, de les faire mourir en recueillant leur miel. Ah ! quand la ruche en était pleine, chez nous c'était les soulager que d'en ôter le superflu ; mais nous leur en laissions abondamment pour se nourrir jusqu'à la floraison nouvelle, et l'on savait, sans en blesser aucune, enlever les rayons qui excédaient leur besoin.
            Dans les longues vacances de la fin de l'année.... j'avais du temps à donner à la société, et je conviens que tous les ans celle de la jeunesse me plaisait davantage..... Les liaisons qu'on y formait n'inquiétaient point les familles ; il y avait si peu d'inégalité d'état et de fortune..... rarement l'hymen faisait languir l'amour......                                                                                        passion-apiculture-com
            Je voyais les coeurs se choisir et former entre eux des liens ; l'exemple m'en donna l'envie. L'une de nos jeunes compagnes, et la plus jolie à mon gré, me parut libre encore, et n'avoir comme moi que le vague désir de plaire. Dans sa fraîcheur, elle n'avait pas ce tendre et doux éclat que l'on nous peint dans la beauté, lorsqu'on la compare à la rose ; mais le vermillon, le duvet, la rondeur de la pêche, vous offrent une image qui lui ressemblent assez. Pour de l'esprit, avec une si jolie bouche, pouvait-elle n'en pas avoir ? Ses yeux et son sourire en auraient donné seuls à son langage le plus simple, et sur ses lèvres le bonjour, le bonsoir, me semblait délicat et fin. Elle pouvait avoir un ou deux ans de plus que moi, et cette inégalité d'âge qu'un air de raison, de sagesse, rendait encore plus imposante, intimidait mon amour naissant ; mais peu à peu, en essayant de lui faire agréer mes soins, je m'aperçus qu'elle y était sensible ; et, dès que je pus croire que j'en serais aimé, j'en fus amoureux tout de bon. Je lui en fis l'aveu sans détour, et sans détour aussi elle me répondit que son inclination s'accorderait avec la mienne.
            - Mais vous savez bien, me dit-elle, qu'il faut au moins, pour être amants, pouvoir espérer d'être époux ; et comment pouvons-nous l'espérer à notre âge ? Vous avez à peine quinze ans : vous allez suivre vos études ?
            - Oui, lui dis-je, telle est ma résolution et la volonté de ma mère.
            - Eh bien ! voilà cinq ans d'absence avant que vous ayez pris un état, et moi j'aurai plus de vingt ans lorsque nous ne saurons encore à quoi vous êtes destiné.
            - Hélas ! il est trop vrai, lui dis-je, que je ne puis savoir ce que je deviendrai ; mais au moins jurez-moi de ne vous marier jamais sans prendre conseil de ma mère, et sans lui demander si je n'ai pas moi-même quelque espérance à vous offrir.
            Elle me le promit avec un sourire charmant.......
            Ma mère était instruite de mes assiduités auprès de mademoiselle B... Elle en fut inquiète, et craignit que l'amour ne ralentît en moi le goût et l'ardeur de l'étude. Ses tantes s'aperçurent qu'elle avait du chagrin, et firent tant qu'elle ne put leur en dissimuler la cause. Dès lors, ces bonnes femmes, présageant mon malheur, s'aigrirent à l'envi contre cette jeune innocente, l'accusant de coquetterie, et lui faisant un crime d'être aimable à mes yeux. Un jour donc que ma mère me demandait, l'une d'elles se détacha, vint me chercher dans la prairie, et, m'y ayant trouvé tête à tête avec l'objet de leur ressentiment, elle accabla cette fille aimable des reproches les plus injustes.... Après cet imprudent éclat, elle partit, et nous laissa, moi furieux, et mon amante désolée.....
            - Malheureuse, s'écriait-elle, c'est moi que l'on accuse de vous avoir séduit et de vouloir vous déranger ! Fuyez-moi, ne me voyez plus : non, je ne veux plus vous revoir.
            A ces mots elle s'en alla, et me défendit de la suivre.
            Je retournai chez moi...... ma mère effrayée de mon trouble me suivit.....
            - .... Dans quel état vous me voyez !
            J'avais le front meurtri des coups que je m'étais donnés de la tête contre le mur. Quelle passion que la colère ! J'en éprouvais pour la première fois la violence et le transport.
            Toutes les femmes, hormis une seule, accoururent...... Leur désolation, le déluge de pleurs.... m'amollirent le coeur..... mais j'étouffais, le sang avait enflé toutes mes veines, il fallut me saigner..... Lorsque la saignée m'eut donné du relâche.... je fis à ma mère un récit fidèle et simple de mon amour....
            ..... Tous mes nerfs étaient ébranlés, et l'image de cette fille intéressante et malheureuse, que je croyais inconsolable, était présente à ma pensée..... Le médecin, à qui la cause en était inconnue, présageait une maladie.....  Ma mère me laissa seul, et un quart d'heure après revint accompagnée... de qui ?....
            - Sauvez mon fils, rendez-le moi, dit-elle à ma jeune maîtresse en l'amenant près de mon lit. Cet enfant vous croit offensée, apprenez-lui que vous ne l'êtes plus.....
            - Oui, monsieur.....
            Le soir, le médecin trouva mon pouls encore un peu ému, mais parfaitement bien réglé.
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            Mon père, à son retour du petit voyage qu'il venait de faire à Clermont, nous annonça qu'il allait m'y mener, non pas comme l'aurait voulu ma mère pour continuer mes études et faire ma philosophie, mais pour apprendre le commerce.
            - C'est, lui dit-il, assez d'étude et de latin, il est temps que je pense à lui donner un état solide. J'ai pour lui une place chez un riche marchand ; le comptoir sera son école.
            Ma mère combattit cette résolution de toute la force de son amour..... mais moi, voyant qu'elle affligeait mon père sans le dissuader, j'obtins qu'elle cédât.
            - Laissez-moi seulement arriver à Clermont ; j'y trouverai, lui dis-je, le moyen de vous accorder.
            Si je n'avais suivi que ma nouvelle inclination, j'aurais été de l'avis de mon père, car le commerce,  en peu d'années, pouvait me faire un sort assez heureux..... Je partis donc avec l'intention de me réserver, matin et soir, une heure et demie de mon temps pour aller en classe, et, en assurant mon patron que tout le reste de mes moments serait à lui, je me flattais qu'il serait content ; mais il ne voulut point entendre à cette composition, et il fallut opter entre le commerce et l'étude.
            - Eh quoi, monsieur, lui dis-je, huit heures pas jour d'un travail assidu dans votre comptoir ne vous suffisent pas ! Qu'exigeriez-vous d'un esclave ?
            Il me répondit qu'il dépendait de moi d'aller être plus libre ailleurs. Je ne me le fis pas redire, et dans le moment même je pris congé de lui.
            Je n'avais pour richesse que deux petits écus que mon père m'avait donnés pour mes menus plaisirs, et quelques pièces de douze sous que ma grand'mère, en me disant adieu, m'avait glissées dans la main ; mais la détresse où j'allais tomber était la moindre de mes peines. En quittant l'état que mon père me destinait, j'allais contre sa volonté, je semblais me soustraire à son obéissance ; me pardonnerait-il ? ne viendrait-il pas me réduire et me ranger à mon devoir ? et quand même, dans sa colère, il m'abandonnerait, avec quelle amertume n'accuserait-il pas ma mère d'avoir contribué à mon égarement ?...... l'âme abattue, j'entrai dans une église, je me mis en prière, dernier recours des malheureux. Là, comme par inspiration, le vint une pensée qui, tout à coup, changea pour moi la perspective de la vie et le rêve de l'avenir.
            Je commençai par me donner un gîte, en louant auprès du collège un cabinet aérien.où pour meubles j'avais un lit, une table, une chaise, le tout de dix sous pas semaine, n'étant pas en état de faire un plus long bail. J'ajoutai à ces meubles un ustensile d'anachorète, et je fis ma provision de pain, d'eau claire et de pruneaux.......                                                                                                          
            ...... Je dormis peu, et le lendemain, j'écrivis deux lettres, l'une à ma mère..... l'autre à mon père...... je le suppliais, avec larmes, de ne pas s'opposer à la résolution qui m'était inspirée de me consacrer aux autels. Le sentiment...... que j'énonçai dans ma lettre à mon père, l'espérance presque certaine de n'avoir plus dorénavant aucune dépense à lui causer ; et, pour continuer mes études, je ne lui demandais que son consentement et sa bénédiction.   zacharias.hautetfort.com
            Ma lettre fut pour l'éloquence de ma mère, elle crut voir ma route...... rayonnante de lumière, comme l'échelle de Jacob. Mon père,..... se laissa fléchir, et permit à ma mère de m'écrire qu'il adhérait à mes saintes résolutions. En même temps elle me fit passer quelques secours d'argent, dont je fis peu d'usage ; et bientôt je fus en état de les lui rendre tels que je les avais reçus.
            J'avais appris que le collège de Clermont, bien plus considérable que celui de Mauriac, faisait seconder ses régents par des répétiteurs d'études ; ce fut sur cet emploi que je fondai mon existence ; mais, pour y être admis, il fallait, au plus vite, me faire un nom dans le collège, et, malgré mes quinze ans, gagner de haute lutte la confiance des régents.
            J'ai oublié de dire qu'après la clôture des classes au collège de Mauriac, j'y étais allé prendre l'attestation de mon régent de rhétorique ; il me l'avait donnée...... lorsque je rencontrai dans le corridor qui m'avait si durement traité.....
            - Entrez, me dit-il, dans ma chambre, je veux vous faire voir que vous ne m'avez pas connu.
            J'entrai ; il se mit à sa table ; et, après avoir écrit une attestation plus exagérée en louanges que celle même de mon régent :
            - Lisez, dit-il.......
            .... Muni de ces attestations, je n'aurais eu qu'à les présenter au préfet du collège de Clermont, c'en était assez pour être envoyé en philosophie, sur-le-champ, et sans examen ; mais ce n'était pas ce que je voulais. Un éloge en paroles, même le plus exagéré, ne fait qu'une impression vague ; et il me fallait quelque chose de plus frappant, de plus intime ; je voulais être examiné.
            Je me présentai donc au préfet, et, sans lui dire d'où je venais, je lui demandai son agrément pour entrer en philosophie.
            - D'où êtes-vous, me demanda-t-il ?
            - Je suis de Bort, mon père.
            - Et où avez-vous étudié ?
            Ici je me permis de biaiser un peu.
            - Je viens, lui répondis-je, d'avoir pour maître un curé de campagne.
            Ses sourcils et ses lèvres laissèrent échapper un signe de dédain ; et, ouvrant un cahier de thèmes, il me proposa d'en faire un où il n'y avait rien de difficile. Je le fis au trait de la plume et avec assez d'élégance.
            - Et vous avez, dit-il, vous avez eu pour maître un curé de campagne ?
            - Oui, mon père.
            - Ce soir, vous composerez en version.
            Le hasard fit que ce fut un morceau de la harangue de Cicéron que j'avais vue en rhétorique ; et aussi fut-il traduit sans peine, et aussi vite que le thème avait été fait.
            - Ainsi, dit-il encore, en lisant ma version, c'est chez un curé de campagne que vous avez étudié ?
            - Vous devez bien le voir, lui dis-je.
            - Pour le voir encore mieux, je vous ferai composer demain en amplification.
            Le sujet qu'il me proposa ne fut pas moins encourageant : ce furent les regrets et les adieux d'un écolier qui quitte ses parents pour aller au collège..... Je me rappelle encore l'expression que je donnai aux sentiments du fils et de la mère. Ces mots dictés par la nature..... furent arrosés par les larmes, et le préfet s'en aperçut......
            - Et vous avez étudié chez un curé de campagne ? s'écria plus fort mon jésuite.
            Pour cette fois je gardai le silence et ne fis que baisser les yeux.
            - Et les vers, reprit-il, ce curé de campagne vous a-t-il appris à les faire ?
            Je répondis que j'en avais quelque notion, mais peu d'usage.
            - C'est ce que je serai bien aise de savoir, me dit-il avec un sourire. Venez ce soir avant la classe.
            Le sujet des vers fut : " En quoi la feinte diffère du mensonge ? " C'était justement une excuse qu'il m'offrait peut-être à dessein.
            Je m'appliquai à faire voir dans la feinte un pur badinage, ou un artifice innocent ; un art ingénieux d'amuser pour instruire, et quelquefois un art sublime d'embellir la vérité même, et de la rendre plus aimable, plus touchante, plus attrayante, en lui prêtant un voile transparent et semé de fleurs. Dans le mensonge il me fut aisé de montrer la bassesse d'une âme qui trahit son sentiment ou sa pensée ; l'impudence d'un esprit fourbe, qui, pour en imposer, altère, dénature la vérité, et dont le langage porte le caractère de la ruse et de la malice, de la fraude et de la noirceur.
            - A présent dîtes-moi, reprit l'adroit jésuite, si c'est feinte ou mensonge ce que vous m'avez dit, qu'un curé de campagne a été votre maître ; car je suis presque sûr que c'est chez nous, à Mauriac, que vous avez étudié.
            - Quoique l'un et l'autre soient vrais, je conviens, lui dis-je, mon père, que je vous aurais fait un mensonge, si mon intention avait été de vous tromper ; mais en différant de vous dire ce que vous savez à présent, je n'ai pas eu envie de vous le déguiser, ni de vous laisser dans l'erreur. J'avais besoin d'être connu de vous, mieux que par des attestations ; j'en avais d'assez bonnes à vous produire, et les voici. ..... En étudiant il faut que moi-même j'enseigne, et que vous ayez la bonté de me faire gagner ma vie, en me donnant des écoliers. Ma famille est pauvre et nombreuse, je lui ai déjà trop coûté, je ne veux plus être un fardeau pour elle......
            - Eh ! mon enfant, me dit-il, à votre âge le moyen de se faire écouter, obéir, respecter parmi ses pareils ? Vous avez à peine quinze ans.
            - ...... Essayez de mon caractère, et vous le trouverez peut-être assez grave pour faire oublier mes quinze ans.
            - Je verrai, me dit-il, je consulterai.
            - Non, mon père, il n'y a point à consulter. Il faut dès à présent me mettre sur la liste des répétiteurs du collège, et me donner des écoliers. Il n'importe de quelles classes ; ils feront leur devoir, j'ose vous en répondre ; et vous serez content de moi.
            Il me le promit, quoiqu'un peu faiblement ; et avec un billet de sa main, j'allai étudier en logique.
            ...... Dès le lendemain je crus m'apercevoir que le professeur avait pris quelque connaissance de moi. La logique de Port Royal, et l'habitude de parler latin avec mon curé de campagne...... Cependant les semaines s'écoulaient sans que le préfet me donnât aucune nouvelle...... je l'attendais...... je le saluais d'un air de suppliant ; mais à peine étais-je aperçu...... Je m'en allais bien triste, et dans mon cabinet, voisin des nues, me livrant à mes réflexions, je faisais en pleurant ma collation d'hermite ; heureusement j'avais d'excellent pain
            Une bonne petite madame Clément,qui logeait au-dessous de moi, et qui avait une cuisine, fut curieuse de savoir où était la mienne. Elle me vint voir un matin.
            - Monsieur, je vous entends, me dit-elle, monter chez vous à l'heure des repas, et vous êtes seul, et vous êtes sans feu, et personne après vous ne monte. Pardonnez, mais je suis inquiète de votre situation.
            Je lui avouai que, pour le moment, je n'étais pas fort à mon aise ; mais j'ajoutai qu'incessamment j'allais avoir amplement de quoi vivre ; que j'étais en état de tenir une école, et que les P.P. Jésuites voulaient bien s'occuper de moi.                                                                                               
            - Bon ! me dit-elle, vos P.P. Jésuites ! ils ont bien autre chose en tête ! ils vous berceront de promesses, et ils vous laisseront languir. Que n'allez-vous à Riom, chez les P.P. de l'Oratoire ? ceux-là vous donneront moins de bonnes paroles, mais ils feront pour vous plus qu'ils n'auront promis.
            Je n'ai pas besoin de vous dire que je parlais à une janséniste. Sensible à l'intérêt qu'elle prenait à moi, je parus disposé à suivre ses conseils, et je lui demandai quelques instructions sur les P.P. de l'Oratoire.
            - Ce sont, me dit-elle, des gens de bien que les Jésuites détestent et qu'ils voudraient anéantir. Mais il est l'heure de dîner, venez manger ma soupe ; je vous en dirai davantage.
            J'acceptai son invitation..... Là j'appris dans une heure tout ce que j'avais à savoir de l'animosité des Jésuites contre les Oratoriens, et de la jalouse rivalité de l'un et l'autre collège. Ma voisine ajouta que si j'allais à Riom, j'y serais bien recommandé. Je la remerciai des bons offices qu'elle voulait me rendre ; et, fort de ses intentions et de mes espérances, j'allai voir le préfet. C'était un jour de congé pour les classes. Il parut surpris de me voir, et me demanda froidement ce qui m'amenait. Cet accueil acheva de me persuader ce que m'avait dit ma voisine.
            - Je viens, mon père, lui répondis-je, prendre congé de vous.
            - Vous vous en allez !
            - Oui, mon père, je m'en vais à Riom, où les P.P. Oratoriens me donneront dans leur collège autant d'écoliers que j'en voudrai.
             - Quoi, mon enfant ! vous nous quittez ! Vous, élevé dans nos écoles, vous en seriez transfuge !
             - Hélas, c'est à regret ; mais vous ne pouvez rien pour moi ; et j'ai l'assurance que ces bons pères...
             - Ces bons pères n'ont que trop l'art de séduire et d'attirer les jeunes gens crédules comme vous. Mais soyez bien sûr, mon enfant, qu'ils n'ont ni le crédit, ni le pouvoir que nous avons.
            - Ayez donc, mon père, celui de me donner à travailler pour vivre.
            - Oui, j'y pense, je m'en occupe, et en attendant je m'en vais pourvoir à vos besoins.
            - Qu'appelez-vous, mon père, pourvoir à mes besoins ?   Apprenez que ma mère se priverait de tout plutôt que de souffrir qu'un étranger vînt à mon aide. Mais je ne veux plus recevoir aucun secours, même de ma famille ; et c'est du fruit de mon travail que je demande à subsister. Donnez-m'en les moyens vous-même, ou je vais les chercher ailleurs.
            - Non, non, vous n'irez point, reprit-il ; je vous le défends. Suivez-moi ; votre professeur a pour vous de l'estime ; allons le voir ensemble. Et de ce pas il me mena chez mon professeur.
            - Savez-vous....... Les Oratoriens, ces hommes dangereux, veulent s'en faire un prosélyte. Il va se perdre..... Mon professeur prit feu dans cette affaire encore plus vivement..... Ils dirent l'un et l'autre des merveilles de moi à tous les préfets du collège ; dès lors ma fortune fut faite ; j'eus une école ; et, dans un mois, douze écoliers, à quatre francs par tête, me firent un état au-dessus de tous les besoins. Je fus bien logé, bien nourri, et à Pâques j'eus le moyen de me vêtir décemment en abbé, ce dont j'avais le plus d'envie, soit pour mieux assurer mon père de la sincérité de ma vocation, soit pour avoir dans le collège une sérieuse existence.                                                                                                         Greuze - les oeufs cassés

            Après un travail excessif, durant mon année de logique, ayant eu, sans compter mes études particulières, trois autres classes, soir et matin, à faire avec mes écoliers, j'allai chez moi prendre un peu de repos ; et ce ne fut pas, je l'avoue, sans quelque sentiment d'orgueil que je parus devant mon père..... me reçut froidement ; tout le reste de la famille fut comme enchanté de me voir.
            Mademoiselle B. n'eut pas une joie aussi pure, et je fus moi-même bien confus, bien mal à mon aise, lorsqu'en habit d'abbé il fallut paraître à ses yeux. Dans mon changement, il est vrai, je ne lui étais pas infidèle
mais j'étais inconstant : c'en était bien assez ; je ne savais comment me conduire avec elle......
            Mademoiselle B. fut douce, indulgente, et polie avec réserve et bienséance......
            La seconde année de ma philosophie fut encore plus laborieuse que la première. Mon école était augmentée, j'y donnais tous mes soins ; et, de plus, destiné à soutenir des thèses générales, il fallut prendre de longues veilles sur mes nuits pour m'y préparer......
            Après mes thèses, selon l"usage, nous faisions, mes amis et moi, dans la chambre du professeur, une collation qu'aurait dû animer la joie ; et, dans les félicitations qui m'étaient adressées, je ne vis que de la tristesse. Comme j'avais assez bien résolu les difficultés qu'on m'avait proposées,je fus surpris.....
            - Hélas ! mon cher enfant, me dit le professeur, elle est bien vraie et bien profonde cette tristesse qui vous étonne ! et plût au Ciel qu'elle n'eût pour cause qu'un succès moins brillant que celui que vous avez eu ! c'est un malheur bien plus cruel qui me reste à vous annoncer. Vous n'avez plus de père.
            Je tombai sous le coup, et je fus un quart-d'heure sans couleur et sans voix..... je voulais partir sur le champ..... il fallut attendre le point du jour. J'avais douze grandes lieues à faire sur un cheval de louage.....
            J'arrive au milieu de la nuit, à la porte de ma maison. Je frappe...... on vient m'ouvrir ; et, en entrant, je suis environné de cette famille éplorée...... Jamais je ne me suis senti si supérieur à moi-même...... J'ouvris mes bras, mon sein à cette foule de malheureux.....
            - Mes enfants, vous perdez un père ; vous en retrouvez un, je vous en servirai.....
            J'étais accablé de fatigue, je demandai un lit :
            - Hélas ! me dit ma mère, il n'y a dans la maison que celui de...
            Ses pleurs lui coupèrent la voix.
            - Eh bien ! qu'on me le donne, j'y coucherai sans répugnance.
            J'y couchai. Je ne dormis point : mes nerfs étaient trop ébranlés.....

                                                                        à suivre........
                                                              Livre deuxième......../
            J'ai lieu de croire..........



         

mardi 25 novembre 2014

Suzanne Anatole France nouvelle ( 1è partie - Le coq et l'étoile France )


                                                          Le Coq

            Suzanne ne s'était pas encore mise à la recherche du beau. Elle s'y mit à trois mois et vingt jours avec beaucoup d'ardeur.
            C'était dans la salle à manger. Elle a, cette salle, un faux air d'ancienneté à cause des plats de faïence, des bouteilles de grès, des buires d'étain et des fioles des verres de Venise qui chargent les dressoirs. C'est la maman de Suzanne qui a arrangé tout cela en Parisienne entichée de bibelots. Suzanne, au milieu de ces vieilleries, paraît plus fraîche dans sa robe blanche brodée, et l'on se dit, en la voyant là.
            - C'est, en vérité,  une petite créature toute neuve !
            Elle est indifférente à cette vaisselle d'aïeux, aux vieux portraits noirs et aux grands plats de cuivre pendus aux murs. Je compte bien que, plus tard, toutes ces antiquités lui donneront des idées fantastiques et feront germer dans sa tête des rêves bizarres, absurdes et charmants. Elle aura ses visions. Elle y exercera, si son esprit s'y prête, cette jolie imagination de détails et de style qui embellit la vie. Je lui conterai des histoires insensées qui ne seront pas beaucoup plus fausses que les autres, mais qui seront beaucoup plus belles ; elle en deviendra folle. Je souhaite à tous ceux que j'aime un petit grain de folie. Cela rend le coeur gai. En attendant, Suzanne ne sourit même pas au petit Bacchus assis sur son tonneau. On est sérieux à trois mois et vingt jours.
            Or, c'était un matin, un matin d'un gris tendre. Des liserons emmêlés à la
vigne vierge encadraient la fenêtre de leurs étoile diversement nuancées. Nous avions fini de déjeuner, ma femme et moi, et nous causions comme des gens qui n'ont rien à dire. C'était une de ces heures où le temps coule comme un fleuve tranquille. Il semble qu'on le voit couler et que chaque mot qu'on dit soit un petit caillou qu'on y jette. Je crois bien que nous parlions de la couleur des yeux de Suzanne. C'est un sujet inépuisable.
            - Ils sont d'un bleu d'ardoise.
            - Ils ont un ton de vieil or et de soupe à l'oignon.
            - Ils ont des reflets verts.                                                                    
            - Tout cela est vrai, ils sont miraculeux.                                              
            En ce moment Suzanne entra ; ils étaient, pour cette fois, de la couleur du temps, qui était d'un si joli gris. Elle entra dans les bras de sa bonne. L'élégance mondaine voudrait que ce fût dans les bras de sa nourrice. Mais Suzanne fait comme l'agneau de La Fontaine et comme tous les agneaux ; elle tête sa mère. Je sais bien qu'en pareil cas et dans ces excès de rusticité, on doit sauver au moins les apparences et avoir une nourrice sèche. Une nourrice sèche a de grosses épingles et des rubans à son bonnet comme une autre nourrice ; il ne lui manque que du lait. Le lait cela regarde seulement l'enfant, tandis que tout le monde voit les rubans et les épingles. Quand une mère a la faiblesse de nourrir, elle prend, pour cacher sa honte, une nourrice sèche.
            Mais la maman de Suzanne est une étourdie qui n'a pas songé à ce bel usage.
            La bonne de Suzanne est une petite paysanne qui vient de son village, où elle a élevé sept ou huit petits frères, et qui chante du matin au soir des chansons lorraines. On lui accorda une journée pour voir Paris ; elle revint enchantée : elle avait vu de beaux radis. Le reste ne lui semblait point laid, mais les radis l'émerveillaient : elle en écrivit au pays. Cette simplicité la rend parfaite avec Suzanne, qui, de son côté, ne semble remarquer dans la nature entière que les lampes et les carafes.
            Quand Suzanne parut, la salle à manger devint très gaie. On rit à Suzanne ;  Suzanne nous rit : il y a toujours moyen de s'entendre quand on s'aime. La maman tendit ses bras souples, sur lesquels la manche du peignoir coulait dans l'abandon d'un matin d'été. Alors Suzanne tendit ses petits bras de marionnette qui ne pliaient pas dans leur manche de piqué. Elle écartait les doigts, en sorte qu'on voyait cinq petits rayons roses au bout des manches. Sa mère, éblouie, la prit sur ses genoux, et nous étions tous trois parfaitement heureux; ce qui tient peut-être à ce que nous ne pensions à rien. Cet état ne pouvait durer. Suzanne, penchée vers la table, ouvrit les yeux tant et si bien, qu'ils devinrent tout ronds, et secoua ses petits bras comme s'ils eussent été en bois, ainsi qu'ils en avaient l'air. Il y avait de la surprise et de l'admiration dans son regard. Sur la stupidité touchante et vénérable de son petit visage, on voyait se glisser je ne sais quoi de spirituel.
            Elle poussa un cri d'oiseau blessé.
            " C'est peut-être une épingle qui l'a piquée ", pensa sa mère, fort attachée, par bonheur, aux réalités de la vie.
           Ces épingles anglaises se défont sans qu'on s'en aperçoive et Suzanne en a huit sur elle !
           Non,  ce n'était pas une épingle qui la piquait. C'était l'amour du beau.
           - L'amour du beau à trois mois et vingt jours ?
           Jugez plutôt : coulée à demi hors des bras de sa mère, elle agitait les poings sur la table et, s'aidant de l'épaule et du genou, soufflant, toussant, bavant, elle parvint à embrasser une assiette. Un vieil ouvrier rustique de Strasbourg ( ce devait être un homme simple, la paix soit à ses os ) avait peint sur cette assiette un coq rouge.
            Suzanne voulut prendre ce coq ; ce n'était pas pour le manger, c'était donc parce qu'elle le trouvait beau. Sa mère à qui je fis ce simple raisonnement, me répondit :
            - Que tu es bête ! si Suzanne avait pu saisir ce coq  elle l'aurait mis tout de suite à sa bouche au lieu de la contempler. Vraiment, les gens d'esprit n'ont pas le sens commun !            recettessimples.fr
            - Elle n'y eut point manqué, répondis-je ; mais qu'est-ce que cela prouve, sinon que ses facultés diverses et déjà nombreuses ont pour principal organe la bouche ? Elle a exercé sa bouche avant d'exercer ses yeux, et elle a bien fait ! Maintenant sa bouche exercée, délicate et sensible, est le meilleur moyen de connaissance qu'elle ait encore à son service. Elle a raison de l'employer. Je vous dis que votre fille est la sagesse même. Oui, elle aurait mis le coq dans sa bouche ; mais elle l'aurait mis comme une belle chose et non comme une chose nourrissante. Notez que cette habitude, qui existe en fait chez les petits enfants, reste en figure dans la langue des homme . Nous disons goûter un poème, un tableau, un opéra.
             Pendant que j'exprimais ces idées insoutenables que le monde philosophique accepterait toutefois, si elles étaient émises dans un langage inintelligible, Suzanne frappait l'assiette avec ses poings, la grattait de l'ongle, lui parlait ( et dans quel joli babil mystérieux ! ) puis la retournait avec de grandes secousses.
            Elle n'y mettait pas beaucoup d'adresse ; non ! et ses mouvements manquaient d'exactitude. Mais un mouvement, si simple qu'il paraisse, est très difficile à faire quand il n'est pas habituel. Et quelles habitudes voulez-vous qu'on ait à trois mois et vingt jours. Songez à ce qu'il faut gouverner de nerfs, d'os et de muscles pour seulement lever le petit doigt. Conduire tous les fils des marionnette de M Thomas Holden n'est, en comparaison, qu'une bagatelle. Darwin, qui est un observateur sagace, s'émerveillait de ce que les petits enfants pussent rire et pleurer. Il écrivit un gros volume pour expliquer comment ils s'y prenaient. Nous sommes sans pitié, " nous autres savants ", comme dit M Zola.
            Mais je ne suis pas, heureusement, un aussi grand savant que M Zola. Je suis superficiel. Je ne fais pas des expériences sur Suzanne, et je me contente de l'observer, quand je puis le faire sans la contrarier.
            Elle grattait son coq et devenait perplexe, ne concevant pas qu'une chose visible fût insaisissable. Cela passait son intelligence, que d'ailleurs tout passe. C'est même cela qui rend Suzanne admirable. Les petits enfants vivent dans un perpétuel miracle ; tout leur est prodige ; voilà pourquoi il y a une poésie dans leur regard. Près de nous, ils habitent d'autres régions que nous. L'inconnu, le divin inconnu les enveloppe.
            - Petite bête ! dit sa mère.
            - Chère amie, votre fille est ignorante, mais raisonnable. Quand on voit une belle chose, on veut la posséder. C'est un penchant naturel, que les lois ont prévu. Les Bohémiens de Béranger qui disent que " voir c'est avoir ", sont des sages d'une espèce fort rare. Si tous les hommes pensaient comme eux, il n'y aurait pas de civilisation et nous vivrions nus et sans arts, comme les habitants de la Terre de Feu. Vous n'êtes point de leur sentiment ; vous aimez les vieilles tapisseries où l'on voit des cigognes sous des arbres et vous en couvrez tous les murs de la maison. Je ne vous le reproche pas, loin de là. Mais comprenez donc Suzanne et son coq.
            - Je la comprends , elle est comme Petit Pierre qui demanda la lune dans un seau d'eau. On ne la lui donna pas. Mais, mon ami, n'allez pas dire qu'elle prend un coq peint pour un coq véritable, puisqu'elle n'en a jamais vu.
            - Non ; mais elle prend une illusion pour une réalité. Et les artistes sont bien peu responsables de sa méprise. Voilà bien longtemps qu'ils cherchent à imiter, par des lignes et des couleurs, la forme des choses. Depuis combien de milliers d'années est mort ce brave homme des cavernes qui grava d'après nature un mammouth sur une lame d'ivoire ! La belle merveille qu'après tant et de si longs efforts dans les arts d'imitation, ils soient parvenus à séduire une petite créature de trois mois et vingt jours ! Les apparences ! Qui ne séduisent-elles pas ? La science elle-même, dont on nous assomme, va-t-elle au-delà de ce qui semble ? Qu'est-ce que M le Professeur Robin trouve au fond de son microscope ? Des apparences et rien que des apparences. " Nous sommes vraiment agités par des mensonges ", a dit Euripide.
             Je parlais ainsi et, me préparant à commenter le vers d'Euripide, j'y aurais sans doute trouvé des significations profondes auxquelles le fils de la marchande d'herbes n'avait jamais pensé. Mais le milieu devenait tout à fait impropre aux spéculations philosophiques ; car, ne pouvant parvenir à détacher le coq de l'assiette. Suzanne se jeta dans une colère qui la rendit rouge comme une pivoine, lui élargit le nez à la façon des Cafres, lui remonta les joues dans les yeux et les sourcils jusqu'au sommet du front. Ce front, tout à coup rougi, bouleversé, travaillé de bosses, de cavités, de sillons contraires, ressemblait à un sol volcanique. Sa bouche se fendit jusqu'aux oreilles et il en sortit entre les gencives, des hurlements barbares.
            - A la bonne heure ! m'écriai-je. Voilà l'éclat des passions ! Les passions, il n'en faut pas médire. Tout ce qui se fait de grand en ce monde est fait par elles. Et voici qu'un de leurs éclairs rend un tout petit bébé presque aussi effrayant qu'une menue idole chinoise. Ma fille, je suis content de vous. Ayez des passions fortes, laissez-les grandir et croissez avec elles. Et si plus tard vous devenez leur maîtresse inflexible, leur force sera votre force et leur grandeur votre beauté. Les passions, c'est toute la richesse morale de l'homme.
             - Quel vacarme ! s'écria la maman de Suzanne. On ne s'entend plus dans cette salle, entre un philosophe qui déraisonne et un bébé qui prend un coq peint pour je ne sais quoi de véritable. Les pauvres femmes ont bien besoin de sens commun pour vivre avec un mari et des enfants !    webmarchand.com
            - Votre fille, répondis-je, vient de chercher le beau pour la première fois. C'est la fascination de l'abîme, dirait un romantique ; c'est, dirai'je, l'exercice naturel des nobles esprits. Mais il ne faut pas s'y livrer trop tôt et avec des méthodes trop insuffisantes. Chère amie, vous avez des charmes souverains pour calmer les douleurs de Suzanne. Endormez votre fille.



                                                                      II

                                                             Âmes Obscures

                    Tout dans l'immuable nature
                    Est miracle aux petits enfants ;
                    Ils naissent, et leur âme obscure
                    Eclôt dans des enchantements.

                    Le reflet de cette magie
                    Donne à leur regard un rayon.
                    Déjà la belle Illusion
                    Excite leur frêle énergie.
                                                                                                           
                   L'inconnu, l'inconnu divin,
                   Les baigne comme une eau profonde ;
                   On les presse, on leur parle en vain ;
                   Ils habitent un autre monde ;

                   Leurs yeux purs, leurs yeux grands ouverts,
                   S'emplissent de rêves étranges.
                   Oh ! qu'ils sont beaux ces petits anges
                   Perdus dans l'antique univers.

                   Leur tête légère et ravie
                   Songe tandis que nous pensons ;
                   Ils font de frissons en frissons
                   La découverte de la vie.

                                                                                        ( à suivre partie 2 suite et fin... )

                                                        III.......
* mère allaitant : mary cassatt
2 coq quizz.biz                                                                         
3 portrait enfant : greuze