lundi 15 juin 2015

Mémoires d'un père suivi de Pendant la Révolution Marmontel suite et fin ( extraits 11 France )

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                                                  Mémoires d'un père
                                                       Livre onzième ( fin )
                  A notre retour à Paris, l'Académie ayant été convoquée pour l'élection de son secrétaire perpétuel, sur vingt-quatre voix électives j'en réunis dix-huit.....
            Le succès de Didon fut le même à Paris qu'il avait été à la cour, et cet opéra fit pour nous les plaisirs de l'hiver, comme avaient fait Roland et Atys dans leur nouveauté.
            L'ancien banquier de la cour, M de la Borde, ajouta ses concerts à ceux de la comtesse d'Houdetot et de madame de la Briche. Ce fut l'occasion de ma connaissance avec lui.
            Il avait deux filles à qui la nature avait accordé tous les charmes de la figure et de la voix et qui, écolières de Piccini, rendaient l'expression de son chant plus douce et plus touchante encore.
            Prévenu par les politesses de M de la Borde, j'allais le voir, j'allais dîner quelquefois avec lui. Je le voyais honorable, mais simple, jouir de ses prospérités sans orgueil, sans jactance, avec une égalité d'âme d'autant plus estimable qu'il est bien difficile d'être aussi fortuné sans un peu d'étourdissement. De combien de faveurs le Ciel l'avait comblé ! Une grande opulence, une réputation universelle de droiture et de loyauté, la confiance de l'Europe, un crédit sans bornes, et dans son intérieur six enfants bien nés......
                                 " Che non trova l'invidia ove l'emende ( Ariost. "
            Que manquait-il aux voeux d'un homme aussi complètement heureux ?
             Il a péri sur un échafaud, sans autre crime que sa richesse, et dans cette foule de gens de bien qu'un vil scélérat envoyait à la mort.                                                                  
            Cette affreuse calamité ne nous menaçait point encore, et dans mon humble médiocrité, je me croyais heureux moi-même. Ma maison de campagne avait pour moi dans la belle saison, encore plus d'agrément que n'avait eu la ville. Une société choisie composée au gré de ma femme y venait successivement varier nos loisirs et jouir avec nous de cette opulence champêtre que nous offraient dans nos jardins, l'espalier, le verger, la treille, les légumes, les fruits de toutes les saisons, présents dont la nature couvrait sans frais une table frugale et qui changeaient un dîner modique en un délicieux festin.
            Là régnaient une innocente joie, une confiance, une sécurité, une liberté de penser dont on connaissait les limites, et dont on n'abusait jamais.......
            " - Nous sommes trop heureux, me disait ma femme, il nous arrivera quelque malheur. "
            Elle avait bien raison. Apprenez, mes enfants, combien, dans toutes les situations de la vie, la douleur est près de la joie.
            Cette bonne et sensible mère avait nourri le troisième de ses enfants. Il était beau, plein de santé. Nous croyions n'avoir plus qu'à le voir croître et s'embellir encore, quand tout à coup il est frappé d'une stupeur mortelle. Bouvart accourt. Il emploie, il épuise tous les secours de l'art sans pouvoir le tirer de ce fumeux assoupissement. L'enfant avait les yeux ouverts, mais Bouvart s'aperçut que la prunelle était dilatée. Il fit passer une lumière, les yeux et la paupière restèrent immobiles.
            " - Ah ! me dit-il, l'organe de la vue est paralysé, le dépôt est formé dans le cerveau, il n'y a plus de remède. "
            Et en disant ces mots le bon vieillard pleurait, il ressentait le coup qu'il portait à l'âme d'un père.
            Dans ce moment cruel, j'aurais voulu éloigner la mère, mais à genoux au bord du lit de son enfant, les yeux remplis de l'armes, les bras étendus vers le Ciel, et suffoquée de sanglots :
            " - Laissez-moi, disait-elle, ah ! laissez-moi du moins recevoir son dernier soupir. "
            Et combien ses larmes, ses cris redoublèrent lorsqu'elle le vit expirer ! Je ne vous parle point de ma douleur, je ne puis penser qu'à la sienne. Elle fut si profonde que de plusieurs années elle n'a pas eu la force d'en entendre nommer l'objet. Si elle en parlait elle-même, ce n'était qu'en termes confus : " Depuis mon malheur, disait-elle " sans pouvoir se résoudre à dire " Depuis la mort de mon enfant."
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            Ce fut vers ce temps-là qu'à sa quatrième grossesse, ma femme convint avec moi de la nécessité de prendre son ménage. Mais comme la séparation se fit de bon accord avec ses oncles et sa mère, nous nous éloignâmes le moins qu'il fut possible. Ma femme ne fut pas insensible à l'agrément d'être chez elle à la tête de sa maison. Pour moi j'éprouvai, je l'avoue, un grand soulagement de vivre avec l'abbé Morellet dans une pleine indépendance, et il en fut lui-même bien plus à son aise avec moi......  
            Ce qui rendait notre nouvelle situation encore plus agréable, c'était l'aisance où nous avait mis un accroissement de fortune. Sans parler du casuel assez considérable que me procuraient mes ouvrages, la place de secrétaire de l'Académie française jointe à celle d'historiographe des bâtiments que mon ami M d'Angeviller m'avait fait accorder à la mort de Thomas, me valaient un millier d'écus. Mon assiduité à l'Académie y doublait mon droit de présence. J'avais hérité à la mort de Thomas de la moitié de la pension de deux mille livres qu'il avait eue et qui fut partagée entre Gaillard et moi, comme l'avait été celle de l'abbé Batteux. Mes logements de secrétaire au Louvre et d'historiographe de France à Versailles, que j'avais cédés volontairement, me valaient ensemble dix-huit cents livres. Je jouissais de mille écus sur le Mercure. Mes fonds dans l'entreprise de l'île des Cygnes étaient avantageusement placés. Ceux que j'avais mis dans les octrois de la ville de Lyon me rendaient l'intérêt légal, comme ceux que j'avais placés dans d'autres caisses. Je me voyais donc en état de vivre agréablement à Paris et à la campagne, et dès lors je me chargeai seul de la dépense de Grignon. La mère de ma femme, sa cousine et ses oncles y avaient leur logement, lorsqu'ils leur plaisaient d'y venir, mais c'était chez moi qu'ils venaient......
            Dès lors, jusqu'à l'époque de la révolution je ne puis exprimer combien la vie et la société eurent pour nous d'agrément et de charme.
            Ma femme était heureusement accouchée de son quatrième enfant. M et Mme d'Angiviller l'avaient tenu sur les fonts de baptême......
Résultat de recherche d'images pour "d'ormesson 18è siècle"*            Nous fîmes peu de temps après l'heureuse acquisition d'une nouvelle société d'amis dans M et Mme de Sèze...... A l'égard de M de Sèze, je ne crois pas qu'il y ait au monde une société plus désirable que la sienne......
            De Brevane, où de Sèze dans la belle saison, passait ses moments de repos, de Brevane, dis-je, à Grignon, il n'y avait guère que la Seine à passer, et que la plaine qu'elle arrose. Nos deux coteaux se regardaient..
            Les changements de ministres apportèrent encore quelques améliorations dans ma fortune.
            Le traitement d'historiographe de France qui, autrefois était de mille écus, avait été réduit à dix-huit cents livres par je ne sais quelle mesquine économie. Le contrôleur général d'Ormesson trouva juste de le remettre sur l'ancien pied.
           L'on sait qu'en arrivant au contrôle général, M de Calonne annonça son mépris pour une étroite parcimonie. Il voulut en particulier, que les travaux des gens de lettres fussent honorablement récompensés. En ma qualité de secrétaire perpétuel de l'Académie française, il me fit prier de l'aller voir. Il me témoigna l'intention de bien traiter l'Académie, me demanda s'il y avait pour elle des pensions, comme il y en avait pour l'Académie des sciences et pour l'Académie des belles lettres. Je lui répondis qu'il n'y en avait aucune. A quoi pouvait monter pour les plus assidus, le produit du droit de présence. Je l'assurai qu'il ne pouvait aller jusqu'à huit ou neuf cents livres, le jeton n'étant que de trente sous. Il me promit d'en doubler la valeur. Il voulut savoir quel était le traitement du secrétaire. Je répondis qu'il était de douze cents livres. Il trouva que c'était trop peu. En conséquence il obtint du roi que le jeton serait de mille écus. Ainsi mon revenu d'académicien put se monter à quatre mille cinq ou six cents livres.
            J'obtins encore un nouveau degré de faveur et de nouvelles espérances sous le ministère de M de Lamoignon, garde des sceaux.

            Bientôt les intérêts de la chose publique et les inquiétudes sur le sort de l'Etat s'emparèrent de mes esprits. Ma vie privée changea de face et prit une couleur qui, nécessairement, va se répandre sur le reste de mes Mémoires.


                                                                                       Fin des Mémoires 
                                                                             

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Résultat de recherche d'images pour "1789"                         Je n'écris pas l'histoire de la Révolution...... Mais, si la vie de l'homme est un voyage, puis-je vous raconter la mienne, sans dire à travers quels événements et par quels torrents, quels abîmes, quels lieux peuplés de tigres et de serpents elle a passé ? Car c'est ainsi que je me retrace les dix années de nos malheurs, presque en doutant si ce n'est pas un violent et funeste songe.
            Quoique Paris fût comme le foyer de la fermentation excitée dans le royaume, les assemblées y furent assez tranquilles et ne parurent occupées qu'à se donner de bons électeurs pour avoir de bons députés
            J'étais du nombre des électeurs nommés par la section des Feuillants. Je fus aussi l'un des commissaires chargés de la rédaction du cahier des demandes, et je puis dire que dans ces demandes il n'y avait rien que d'utile et de juste. Ainsi l'esprit de cette section fut raisonnable et modéré.
            Il n'en fut pas de même de l'assemblée électorale, la majeure partie était saine en arrivant, mais nous y vîmes fondre une nuée d'intrigants qui venaient souffler parmi nous l'air contagieux qu'ils avaient respiré aux conférences de Duport, l'un des factieux du parlement.

            ... Nos fonctions ne se bornaient pas à élire des députés, nous avions encore à former dans leurs mandats des réclamations, des plaintes, des demandes. Et chacun de ces griefs donnaient lieu à de nouvelles déclamations. Les mots indéfinis d'égalité, de liberté, de souveraineté du peuple retentissaient à nos oreilles. Chacun les entendait, les appliquait à sa façon. Dans les règlements de police, dans les édits sur les finances, dans les autorités graduelles sur lesquelles reposaient l'ordre et la tranquillité publique, il n'y avait rien où l'on ne trouvât un caractère de tyrannie, et l'on attachait une ridicule importance aux détails les plus minutieux. Je n'en citerai qu'un exemple.
            Il s'agissait du mur d'enceinte et des barrières de Paris qu'on dénonçait comme un enclos de bêtes fauves, trop injurieux pour des hommes.                                                          franceinfo.fr
            " - J'ai vu, nous dit l'un des hommes, oui, citoyens, j'ai vu à la barrière Saint-Victor, sur l'un des piliers, en sculpture, le croirez-vous ? j'ai vu l'énorme tête d'un lion, gueule béante et vomissant des chaînes dont il menace les passants. Peut-on imaginer un emblème plus effrayant du despotisme et de la servitude ? "
L'orateur lui-même imitait le rugissement du lion. Tout l'auditoire était ému, et moi qui passais si souvent à la barrière Saint-Victor, je m'étonnais que cette image horrible ne m'eût point frappé. J'y fis donc ce jour-là une attention particulière. Et sur le pilastre je vis pour ornement un bouclier pendu à une chaîne mince que le sculpteur avait attaché à un petit mufle de lion, comme on en voit à des marteaux de porte ou à des robinets de fontaine.

            ... Quoique je fusse presque isolé et que, de jour en jour, mon parti s'affaiblît dans l'assemblée électorale, je ne cessais de dire à qui voulait m'entendre, combien cet art d'en imposer par d'imprudentes déclamations me semblait grossier et facile. Mes principes étaient connus, je n'en dissimulais aucun et l'on prenait soin de divulguer à l'oreille que j'étais ami des ministres et comblé des bienfaits du roi.
            Les élections se firent, je ne fus point élu. On me préféra l'abbé Sieyès. Je remerciai le Ciel de mon exclusion, car je croyais prévoir ce qui allait se passer à l'assemblée nationale, et dans peu j'en fus mieux instruit.
            Nous avions à l'Académie française un des des plus outrés partisans de la faction républicaine : c'était Chamfort, esprit fin, délié, plein d'un sel très piquant lorsqu'il s'égayait sur les vices et les ridicules de la société, mais d'une humeur âcre et mordante contre les supériorités de rang et de fortune qui blessaient son orgueil jaloux. De tous les envieux répandus dans le monde, Chamfort était celui qui pardonnait le moins aux riches et aux grands l'opulence de leurs maisons et les délices de leurs tables, dont il était lui-même fort aise de jouir. Présents, et en particulier, il les ménageait, les flattait et s'ingéniait à leur plaire. Il semblait même qu'il en aimait quelques-uns dont il faisait de pompeux éloges. Bien entendu pourtant que, s'il avait la complaisance d'être leur commensal et de loger chez eux, il fallait que, pour leur crédit, il obtint de la cour des récompenses littéraires, et il ne les en tenait quittes pour quelques mille écus de pension dont il jouissait, c'était trop peu pour lui.
            " - Ces gens-là, disait-il à Florian, doivent me procurer vingt mille livres de rente, je ne vaux pas moins que cela. "
            A ce prix, il avait des grands de prédilection qu'il exceptait de ses satires. Mais pour la caste en général, il la déchirait sans pitié, et lorsqu'il crut voir ces fortunes et ces grandeurs au moment d'être renversées, aucun ne lui étant plus bon à rien, il fit divorce avec eux tous, et se rangea du côté du peuple.
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            Dans nos sociétés nous nous amusions quelquefois des saillies de son humeur et, sans l'aimer, je le voyais avec précaution et avec bienséance, comme ne voulant pas m'en faire un ennemi.
            Un jour donc que nous étions restés seuls au Louvre, après la séance académique :
            " - Eh bien, me dit-il, vous n'êtes donc pas député ?
              - Non, répondis-je, et je m'en console, comme le renard des raisins auxquels il ne pouvait atteindre
- Ils sont trop verts.
              - En effet, reprit-il, Je ne les crois pas assez mûrs pour vous. Votre âme est d'une trempe trop douce et trop flexible pour l'épreuve où elle serait mise. On fait bien de vous réserver à une autre législature.
Excellent pour édifier, vous ne valez rien pour détruire. "
            Comme je savais que Chamfort était ami et confident de Mirabeau, l'un des chefs de la faction, je crus être à la source des instructions que je voulais avoir et, pour l'engager à s'expliquer, je feignis de ne pas l'entendre.
            " - Vous m'effrayez, lui dis-je, en parlant de détruire. Il me semblait à moi que l'on ne voulait que réparer.
              - Oui, me dit-il, mais les réparations entraînent souvent des ruines. En attaquant un vieux mur on ne peut pas répondre qu'il n'écroule sous le marteau, et franchement, ici, l'édifice est si délabré que je ne serais pas étonné qu'il fallût le démolir de fond en comble.
              - De fond en comble ! m'écriai-je.
              - Pourquoi pas, repartit Chamfort, et sur un autre plan moins gothique et plus régulier .Serait-ce, par exemple, un si grand mal qu'il n'y eût pas tant d'étages et que tout y fût de plain-pied ? Vous désoleriez-vous de ne plus entendre parler d'éminences, ni de grandeur, ni de titres, ni d'armoiries, ni de noblesse, ni de roture, ni du haut ni du bas clergé ? "
            J'observai que " l'égalité avait toujours été la chimère des républiques et le leurre que l'ambition présentait à la vanité. Mais ce nivellement est surtout impossible dans une vaste monarchie, et en voulant tout abolir, il me semble ajoutai-je, qu'on va plus loin que la nation ne l'entend, et plus loin qu'elle ne demande. "
            " - Bon, reprit-il, la nation sait-elle ce qu'elle veut ? On lui fera vouloir et on lui fera dire ce qu'elle n'a jamais pensé, et si elle en doute on lui répondra comme Crispin au Légataire : " C'est votre léthargie. " La nation est un grand troupeau qui ne songe qu'à paître et qu'avec de bons chiens les bergers mènent à leur gré. Après tout, c'est son bien que l'on veut faire à son insu car, mon ami, ni votre vieux régime, ni votre culte, ni vos moeurs, ni toutes vos antiquailles de préjugés ne méritent qu'on les ménage. Tout cela fait honte et pitié à un siècle comme le nôtre. Et pour tracer un nouveau plan on a toute raison de vouloir faire place nette. "
             " - Place nette ! insistai-je, et le trône, et l'autel ?
             "- Et le trône et l'autel, me dit-il, tomberont ensemble. Ce sont deux arcs-boutants appuyés l'un par l'autre, et que l'un des deux soit brisé, l'autre va fléchir. "      
            Je dissimulai l'impression que me faisait sa confidence et, pour l'attirer plus avant :
            " - Vous m'annoncez, lui dis-je, une entreprise où je crois voir plus de difficultés que de moyens.
Résultat de recherche d'images pour "berger troupeau brebis" **       - Croyez-moi, reprit-il, les difficultés sont prévues et les moyens sont calculés. "
           Alors il se développa, et j'appris que les calculs de la faction étaient fondés sur le caractère du roi, si éloigné de toute violence qu'on le croyait pusillanime. Sur l'état actuel du clergé où il n'y avait plus, disait-il que quelques vertus sans talents, et quelques talents dégradés et déshonorés par des vices. Enfin sur l'état même de la haute noblesse que l'on disait dégénérée et dans laquelle peu de grands caractères soutenaient l'éclat d'un grand nom.
            Mais c'était surtout en lui-même que le tiers-état devait mettre sa confiance. Cet ordre, dès longtemps fatigué d'une autorité arbitraire et graduellement oppressive jusque dans ses derniers rameaux, avait sur les deux autres ordres, non seulement l'avantage du nombre, mais celui de l'ensemble, mais celui du courage et de l'audace à tout braver.
            " - Enfin, disait Chamfort, ce long amas d'impatience et d'indignation, formé comme un orage, et cet orage prêt à crever, partout la confédération et l'insurrection déclarées, et au signal donné par la province du Dauphiné, tout le royaume prêt à répondre par acclamation qu'il prétend être libre. Les provinces liguées, leur correspondance établie, et de Paris comme de leur centre, l'esprit républicain allant porter au loin sa chaleur avec sa lumière. Voilà l'état des choses. Sont-ce là des projets en l'air ?  "
            J'avouai qu'en spéculation tout cela était imposant. Mais j'ajoutai qu'au-delà des bornes d'une réforme désirable, la meilleure partie de la nation ne laisserait porter aucune atteinte aux lois de son pays, et aux principes fondamentaux de la monarchie.
            Il convint que dans ses foyers, à ses comptoirs, à ses bureaux, à ses ateliers d'industrie une bonne partie de ces citadins casaniers trouveraient peut-être hardis des projets qui pourraient troubler leur repos et leurs jouissances.
            " - Mais, s'ils les désapprouvent ce ne sera, dit-il, que timidement et sans bruit, et l'on a, pour leur en imposer cette classe déterminée qui ne voit rien pour elle à perdre au changement, et croit y voit tout à gagner.
            Pour l'ameuter on a les plus puissants mobiles, la disette, la faim, l'argent, des bruits d'alarme et d'épouvante, et le délire de frayeur et de rage dont on frappera ses esprits. Vous n'avez entendu parmi la bourgeoisie que d'élégants parleurs. Sachez que tous nos orateurs de tribune ne sont rien en comparaison des Démosthènes à un écu par tête, qui, dans les cabarets, dans les places publiques, dans les jardins et sur les quais, annoncent des ravages, des incendies, des villages saccagés, inondés de sang, des complots d'assiéger et d'affamer Paris. C'est là ce que j'appelle des hommes éloquents. L'argent surtout et l'espoir du pillage sont tout-puissants parmi ce peuple. Nous venons d'en faire l'essai au faubourg Saint-Antoine, et vous ne sauriez croire combien peu il en a coûté au duc d'Orléans pour faire saccager la manufacture de cet honnête Réveillon qui, dans ce même peuple, faisait subsister cent familles. Mirabeau soutient plaisamment qu'avec un millier de louis on peut faire une jolie sédition.                                  1080plus.com
              - Ainsi, lui dis-je, vos essais sont des crimes et vos milices sont des brigands.
              - Il le faut bien, me répondit-il tranquillement. Que feriez-vous de tout ce peuple en le muselant de vos principes de l'honnête et du juste ? Les gens de bien sont faibles, personnels et timides. Il n'y a que les vauriens qui soient déterminés. L'avantage du peuple, dans les révolutions, est de n'avoir point de morale. Comment tenir contre tous les hommes à qui tous les moyens sont bons ? Mirabeau a raison : il n'y a pas une seule de nos vieilles vertus qui puisse nous servir. Il n'en faut point au peuple, ou il lui en faut d'une autre trempe. Tout ce qui est nécessaire à la révolution, tout ce qui lui est utile est juste : c'est là le grand principe.
            - C'est peut-être celui du duc d'Orléans, répliquai-je, mais je ne vois que lui pour chef à ce peuple en insurrection, et je n'ai pas, je vous l'avoue, grande opinion de son courage.
             - Vous avez raison, me dit-il, et Mirabeau qui le connaît bien dit que ce serait bâtir sur de la boue que de compter sur lui.. Mais il s'est montré populaire, il porte un nom qui en impose, il a des millions à répandre, il déteste le roi, il déteste encore plus la reine. Et si le courage lui manque, on lui en donnera. Car, dans le peuple même on aura des chefs intrépides, surtout dès le moment qu'ils se seront montrés rebelles et qu'ils se croiront criminels. Car il n'y a plus à reculer, lorsqu'on n'a derrière soi pour retraite que l'échafaud. La peur, sans espérance de salut, est le vrai courage du peuple. On aura des forces immenses, si l'on peut obtenir une immense complicité. Mais, ajouta-t-il, je vois que mes espérances vous attristent. Vous ne voulez pas d'une liberté qui coûtera beaucoup d'or et de sang. Voulez-vous qu'on vous fasse des révolutions à l'eau rose ?
            Là finit l'entretien et nous nous séparâmes, lui sans doute plein de mépris pour mes minutieux scrupules, et moi peu satisfait de sa fière immoralité. Le malheureux s'en est puni en s'égorgeant lui-même, lorsqu'il a connu ses erreurs.
            Je fis part de cet entretien à l'abbé Maury le soir même.
            " - Il n'est que trop vrai, me dit-il, que dans leurs spéculations ils ne se trompent guère et que, pour trouver peu d'obstacles, la faction a bien pris son temps. J'ai observé les deux partis. Ma résolution est prise de périr sur la brèche. Mais je n'en ai pas moins la triste certitude qu'ils prendront la place d'assaut, et qu'elle sera mise au pillage.
              - S'il est ainsi, lui dis-je, quelle est donc la clémence du clergé et de la noblesse de laisser le roi s'engager dans cette guerre ?                                                                    
              - Que voulez-vous qu'ils fassent ?                                                   classtools.net
              - Ce qu'on fait dans un incendie. Je veux qu'ils fassent la part au feu. Qu'ils remplissent le déficit en se chargeant de la dette publique, qu'ils remettent à flot le vaisseau de l'Etat, enfin qu'ils retirent le roi du milieu des écueils où ils l'ont engagé eux-mêmes et, qu'à quelque prix que ce soit, ils obtiennent de lui de renvoyer les états-généraux avant qu'ils ne soient assemblés. Je veux qu'on leur annonce qu'ils sont perdus si les états s'assemblent et qu'il n'y a pas un moment à perdre pour dissiper l'orage qui va fondre sur eux. "
            Maury me fit des objections, je n'en voulus entendre aucune.
            " - Vous l'exigez, me dit-il, eh bien ! je vais faire cette démarche. Je ne serai point écouté. "
            Malheureusement il s'adressa à l'évêque D***, tête pleine de vent, lequel traita mes avis de chimères. Il répondit :
            " - qu'on n'en était pas où l'on croyait en être, et que l'épée dans une main, le crucifix dans l'autre, le clergé défendrait ses droits. "
            Libre de ma députation de l'Assemblée électorale, j'allai chercher dans ma maison de campagne le repos dont j'avais besoin, et par là je me dérobai à une société nouvelle qui se formait chez moi. Elle était composée de gens que je me serais plu à réunir dans des temps plus paisibles : c'était l'abbé de Périgord, récemment évêque d'Autun, le comte de Narbonne, et le marquis de La Fayette. Je les avais vus dans le monde aussi libres que moi d'intrigues et de soins, l'un d'un esprit sage, liant et doux, l'autre d'une gaîté vive, brillante, ingénieuse, le dernier d'une cordialité pleine d'agréments et de grâce, et tous les trois du commerce le plus aimable.
            Mais dans leurs rendez-vous chez moi, je vis leur humeur rembrunie d'une teinte de politique et, à quelques traits échappés, je soupçonnais des causes de cette altération dont mes principes ne s'accommodaient pas. Ils s'aperçurent comme moi que dans leurs relations et dans leurs conférences, ma maison n'était pas un rendez-vous pour eux. Ma retraite nous sépara.
            Les jours de la semaine où j'allais à l'Académie je couchais à Paris et je passais assez fréquemment les soirées chez M Necker. Là, me trouvant au milieu des ministres, je leur parlais à coeur ouvert de ce que j'avais vu et de ce que j'avais appris.Je les trouvais tout stupéfaits et comme ne sachant où donner de la tête.
Ce qui se passait à Versailles avait détrompé M Necker, et je le voyais consterné. Invité à dîner chez lui avec les principaux députés des communes, je crus remarquer, à l'air froid dont ils répondaient à ses attentions et à ses prévenances, qu'ils voulaient bien de lui pour leur intendant, mais non pas pour leur directeur.
            M de Montmorin, à qui je parlai d'engager le roi à se retirer dans l'une de ses places fortes et à la tête de ses armées, m'objecta le manque d'argent, la banqueroute, la guerre civile.
            " - Vous croyez donc, ajouta-t-il, le péril bien pressant pour aller si vite aux extrêmes ?
              - Je le crois si pressant, lui dis-je, que dans un mois d'ici, je ne répondrai plus ni de la liberté du roi, ni de sa tête, ni de la vôtre. "
            Hélas ! Chamfort m'avait rendu prophète. Mais je ne fus point écouté, ou plutôt je le fus par un ministre faible, qui lui-même ne le fut pas.

            Ce fut alors que s'éloigna de moi cet ami qui, dans les travaux et les périls de la tribune, avait si dignement rempli ses devoirs et mes espérances, et qui venait d'être appelé à Rome pour y être comblé d'honneurs, l'abbé Maury, cet homme d'un talent si rare et d'un courage égal à ce rare talent.
            En vous parlant de lui, je ne vous ai donné, mes enfant, que l'idée d'un bon ami, d'un homme aimable. Je dois vous le faire connaître en qualité d'homme public et tel que ses ennemis eux-mêmes n'ont pu s'empêcher de le voir, invariable dans les principes de la justice et de l'humanité, défenseur intrépide du trône et de l'autel, aux prises tous les jours avec les Mirabeau et les Barnave, en butte aux clameurs menaçantes du peuple des tribunes, exposé aux insultes et aux poignards du peuple du dehors, et assuré que les principes dont il plaidait la cause succomberaient sous le plus grand nombre. Tous les jours repoussé, tous les jours sous les armes, sans que la certitude d'être vaincu, le danger d'être lapidé, les clameurs, les outrages d'une populace effrénée l'eussent jamais ébranlé ni lassé. Il souriant aux menaces du peuple, il répondait par un mot plaisant ou énergique aux invectives des tribunes et revenait à ses adversaires avec un sang-froid imperturbable.......
            J'ai moi-même plus d'une fois été témoin qu'il dictait de mémoire le lendemain ce qu'il avait prononcé la veille..... Tel s'était montré l'homme qui a été constamment mon ami, qui l'est encore et le sera toujours......
         
            Par un pressentiment trop fidèle de ce qui allait se passer, ma femme me pressa de quitter cette maison de campagne, qu'elle avait tant aimée et d'aller chercher loin de Paris une retraite où, dans l'obscurité, nous pourrions respirer en paix.
            Nous ne savions où diriger nos pas. Le précepteur de nos enfants décida notre irrésolution. Ce fut lui qui nous assura qu'en Normandie, où il était né, nous trouverions sans peine un asile possible et sûr, mais il fallait du temps pour nous le procurer et, en arrivant à Evreux nous ne savions encore où reposer notre tête. Le maître de l'auberge où nous descendîmes avait à deux pas de la ville, dans le hameau de Saint-Germain, une maison assez jolie située au bord de l'Iton et à la porte des jardins de Navarre. Il nous l'offrit. Charmés de cette position ce fut là que nous nous logeâmes en attendant que, plus près de Gaillon, lieu natal de Charpentier, sa famille nous eût trouvé une demeure convenable..
            Si, dans l'état pénible où étaient nos esprits, un séjour pouvait être délicieux, celui-là l'eùt été pour nous, mais à peine étions-nous arrivés à Evreux que nous apprîmes l'épouvantable événement du 10 août

            Ce fut dans ces jours d'épouvante et de frémissement que vint loger auprès de nous, dans le hameau de Saint-Germain, un homme que je croyais m'être inconnu. Dans son déguisement j'eus tant de peine à me rappeler où j'avais pu le voir qu'il fut obligé de se nommer ; c'était Lorry, évêque d'Angers......
Résultat de recherche d'images pour "21 septembre 1789"            Nous voilà donc en société et en communauté de table comme il le désira lui-même, et, dans un meilleur temps, cette liaison fortuite nous aurait été réciproquement  agréable. Logés ensemble au bord d'une jolie rivière, dans la plus belle saison de l'année, ayant pour promenade des jardins enchantés et une superbe forêt, parfaitement d'accord dans nos opinions, dans nos goûts et dans nos principe..... mais toutes ces douceurs étaient empoisonnées par les chagrins dont nous étions continuellement abreuvés.                                     ***
            La Convention prit, le 21 septembre, la place de la législature. Son premier décret fut   l'abolition de la royauté.                      
            Cependant, au nom de la liberté républicaine, des colonnes de volontaires accouraient aux armes. Nous nous trouvions sur leur passage, et notre repos en était troublé. D'ailleurs l'approche de l'hiver rendait humide et malsain le lieu où nous étions. Il fallut le quitter, et ce ne fut pas sans regret que nous y laissâmes le bon évêque. Nous nous retirâmes, ma femme et moi, à Couvicourt.

            Tout confinés que nous étions dans notre chaumière d'Abloville, où nous avions passé en quittant Couvicourt, nous ne laissions pas de redouter un siècle si corrompu pour nos enfants, et nous employions tous nos soins à les prémunir d'une éducation salutaire et préservative lorsque la mort presque soudaine de leur fidèle instituteur vint ajouter à nos chagrins une affliction domestique qui acheva de nous accabler. Une fièvre pourprée, d'une extrême malignité, nous enleva cet excellent jeune homme. Nos enfants doivent se souvenir de la douleur que nous causa sa perte, et de la frayeur que nous eûmes des les voir exposés aux-mêmes à l'air contagieux d'une maladie pestilentielle.
            Nous ne savions que devenir votre mère et moi, et notre dernière ressource était d'aller chercher un refuge dans quelque hôtellerie de Vernon, lorsqu'on nous suggéra l'idée de demander l'asile à un vénérable vieillard qui, dans le village d'Aubevoie, peu éloigné du nôtre, habitait une maison assez considérable pour nous y loger tous, sans qu'il en fût incommodé. Cette circonstance de ma vie a quelque chose de romanesque..
            Le vieillard qui, touché de notre situation, s'empressa de nous accueillir, était l'un des religieux qu'on avait expulsés de la chartreuse voisine. Son nom était " don Hobora ".Il était plus âgé que moi. Ses moeurs rappelaient celles des solitaires de la Thébaïde...... Il se permettait rarement de dîner avec nous, mais une heures, l'après-midi et un peu plus longtemps le soir, il venait nous entretenir des grands objets qu'il méditait sans cesse, de la providence divine, de l'immortalité de l'âme, de la vie à venir, de la morale de l'Evangile...... Il nous releva de l'abattement où nous avait mis la mort du roi......
            L'adoucissement qu'un pieux solitaire pouvait trouver à sa situation en communiquant avec nous importuna le maire d'Aubevoie. Au bout de dix-hui jours il vint me faire entendre qu'il serait temps de nous retirer......
            .... Il fallait tâcher de nous accommoder à notre situation et, s'il était possible, vivre aussi  honorablement dans la détresse que nous avions vécu dans l'abondance. L'épreuve était pénible. Mes places littéraires étaient supprimées, l'Académie française allait être détruite ( * 10 août 1793 ), la pension d'homme de lettres qui était le fruit de mes travaux, n'était plus d'aucune valeur. Le seul bien modique qui me restât était cette modique ferme de Paray que la sage prévoyance de ma femme m'avait fait acquérir. Il avait fallu mettre bas ma voiture et renvoyer jusqu'au domestique dont ma vieillesse aurait eu besoin. Mais dans cette masure, où nous avions à peine l'indispensable nécessaire, ma femme avait le bon esprit et l'art de restreindre notre dépense...... Le soin que je donnais à l'instruction de nos enfants et la tendre part que prenait leur mère..... L'orage passe sur leur tête, disions-nous en leur souriant, et nous avions pour eux l'espérance d'un temps plus calme et plus serein.......
       
            Tant que mon imagination put me distraire par d'amusantes rêveries, je fis de nouveaux Contes, moins enjoués...... un peu plus philosophiques..... Lorsque ces songes me manquèrent je fis usage de ma raison, et j'essayai de mieux employer le temps de ma retraite et de ma solitude en composant, pour l'instruction de mes enfants, un Cours élémentaire en petits Traités de Grammaire, de Logique, de Métaphysique et de Morale, où je recueillis avec soin ce que j'avais appris dans mes lectures en divers genres, pour en transmettre les fruits.
            Quelquefois, pour les égayer ou pour les instruire d'exemples, j'employais nos soirées d'hiver à leur raconter, au coin du feu, de petites aventures de ma jeunesse, et ma femme, s'apercevant que ces récits les intéressaient, me pressa d'écrire pour eux les événement de ma vie.
            Ce fut ainsi que je fus engagé à écrire ces volumes de mes Mémoires. J'avouerai bien, comme Mme de Stael, que je ne m'y suis peint qu'en buste, mais j'écrivais pour mes enfants.
            Ces souvenirs étaient pour moi un soulagement véritable, en ce qu'ils effaçaient au moins pour des moments, les tristes images du présent par les doux songes du passé.


*        lefigaro.fr
**      tempsreel.nouvelobs.com
***    slideshare.net


                                                       fin des Mémoires d'un père

                                                                                                      Marmontel
                 
                                                                                   



            

vendredi 12 juin 2015

La Grenouillère Guillaume Apollinaire ( Poème France )


   art-reproduction.com
                                           
                                                     La Grenouillère

            Au bord de l'île on voit
            Les canots vides qui s'entre-cognent
            Et maintenant                                                                                 alfred-sisley.com
            Ni le dimanche ni les jours de la semaine
            Ni les peintres ni Maupassant ne se promènent
            Bras nus sur leurs canots avec des femmes à
                  grosses poitrines
                                       Et bêtes comme chou                                  
            Petits bateaux vous me faîtes bien de la peine
            Au bord de l'île

                                                                                                                                                                                                                                 
                                                                               Apollinaire

                                                                              extrait " Poèmes à Lou "
                                                                                      

mercredi 10 juin 2015

Richie Gabrielle Bacqué ( biographie France )

Richie


                                             Richie

            Richard il s'appelait Descoings Richard, mais lorsqu'il obtint ce qu'il désirait le plus, la direction de l'Ecole des Sciences Politiques il devint Richie, parce que ses élèves l'adulèrent, qu'il voulait être aimé, ainsi lorsqu'il traversait l'amphithéâtre de Sciences Po les élèves l'acclamaient "Richie... Richie. " Issu d'une famille de bons bourgeois, avec ses secrets, il passa trois fois l'examen d'entrée à Sciences Po avant d'être admis. A l'ENA il se révéla brillant aux examens de fin d'études. Il faut sortir dans la botte pour ne pas se perdre dans des postes de peu d'avenir. Il entra au Conseil d'Etat, fit bonne figure, ne montra son visage de joyeux fêtard que la nuit, se débarrassant du costume-cravate pour endosser gilet et pantalon de cuir. Sous l'aspect sérieux de l'habit d'hommes travaillant dans les grandes administrations, plusieurs se reconnurent. Leur homosexualité les rapprochait, mais ils connurent les désastres des années Sida. Descoings participa activement à l'aide et aux soins balbutiants que l'on pouvait apporter aux malades. Il rencontra à ce moment celui qui sera son compagnon jusqu'à la fin de sa vie, Guillaume Pépy, actuel directeur de la SNCF. Du Palace aux boîtes du Marais, aux Bains, Richie use ses forces, boit, fume, demande à la cocaïne de l'aider à tenir jusqu'au petit matin. Mais son grand désir est de réformer l'Ecole. Faire d'elle un Harvard à la française. Pour cela il faut des moyens, de très gros budgets vont surgir l'agrandissement de la rue Saint-Guillaume. Des antennes s'ouvrent en province. Les noms des dirigeants des plus grandes sociétés parcourent le livre. Bouygyes s'occupent des caméras. Richard Descoings conserve un petit logement rue des Canettes mais partage un appartement avec Guillaume Pépy. Ensemble ils achètent une maison à Saunières. Plus tard avec Nadia, devenue son épouse, tous trois achètent une maison dans le Vaucluse. Descoings mène une vie de plus en plus agitée, la transformation de l'école est en cours, elle s'ouvre aux élèves venus de lycées et de familles peu favorisés. Les budgets, les salaires, les primes ne sont plus contenus.  Descoings victime de crises graves, notamment à Berlin, est  hospitalisé. Pressenti pour le poste de ministre de l'éducation, Nicolas Sarkozy, qui l'apprécie, craint qu'il n'ait le cuir assez dur pour entrer en politique, lui-même rejette l'idée de devenir la cible des Guignols. Richie regrettait de ne pouvoir avoir des enfants, sa rencontre avec Nadia, mère de trois enfants, sera son épouse, et une très étroite collaboratrice, mais aussi critique et critiquée. Sa vie est un roman, sa mort glaçante à NewYork. L'auteur Raphaëlle Bacqué issue du sérail et journaliste au Monde, connait bien les rouages et les personnages, politiques de tous bords qui traversent cette vie vécue au bord d'un précipice, alors que le but voulu fut en partie atteint, jusqu'à l'excès et la fin.

mardi 9 juin 2015

Prévert, inventeur 1921/30 Cailleaux Bourhis ( B.D. France )

jacques prévert, inventeur tome 1 première époque - cadavre



                                             Prévert, Inventeur
                                             1921 - 1930    

                 1921. Jacques Prévert a 21 ans et fait son service militaire à Istamboul.Il se lie d'une amitié qui sera durable avec un autre Parisien, Marcel Duhamel. Les deux caporaux apprécient l'été, se promènent s'égarent à Ayastefanos, chassés par les nudistes, mais découvrent Prinkipio. Les hivers sont noirs de brumes et d'orages, de neige. Au bout d'un an retour à Paris où Prévert va retrouver Tanguy. Tous trois décident de partager une maison rue du Château. Si Marcel Duhamel travaille chez son oncle propriétaire d'un hôtel les autres vivotent plutôt mal. " Yves et moi n'avons aucun goût pour le travail, et par-dessus le marché on ne sait pas faire grand-chose. On n'a pas le sou et on passerait bien nos journées saouls à deviser en terrasse des cafés. Seulement voilà, il faut bien vivre, à défaut de vivre bien. " Jeu de mots, collages, Prévert prêt, pas compris. Duhamel emmène un jour ses amis chez Adrienne Monnier, rue de l'Odéon, " abbesse plantureuse ". La libraire fait découvrir à ces " jeune curieux mais incultes, la littérature du jour. Les mots, tous jouent avec. Au groupe se sont joints André Breton descendu de son 9è, Robert Desnos, Aragon. Ils se retrouvent à Montparnasse. Boire et fumer. Un jour la maison de la rue du Château est vendue, et un temps ils vivent chez l'un ou l'autre, notamment Prévert et son épouse Simone chez Giacometti plusieurs semaines. Ce dernier aussi fauché qu'eux demande à Prévert comment il trouve sa sculpture " ... Trop maigre ", répond le poète. Plus d'argent, le couple se retrouve à la rue, dormir sur un banc parfois, ils s'y résolvent. Mais toujours les mots tracent leur chemin dans l'esprit de Jacques Prévert. Il écrit le scénario d'un court métrage que son frère Pierre tourne. " .... Cadavres exquis... " que faire de cet embryon de phrase qui trotte dans sa tête. Un jour il trouvera. Cette délicieuse B.D. pas conventionnelle, sans case, les personnages et les bulles posées là par hasard, peut-on croire, racontée dans de jolis bleus et un peu d'ocre où Prévert clope au coin des lèvres semble nous interpeller. Premier volume d'une trilogie annoncée. Attendons le deuxième tome puisque Grimault et Trauner sont apparus.

dimanche 7 juin 2015

Ombre Edgar Allan Poe ( nouvelle EtatsUnis )

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tim-burton.net

                                                 Ombre
                                                        En vérité, quoique je marche à travers la vallée de l'Ombre...
                                                                                                    Psaumes de David XXIII

            Vous qui me lisez, vous êtes encore parmi les vivants, mais moi qui écris, je serai depuis longtemps parti pour la région des ombres. Car, en vérité, d'étranges choses arriveront, bien des choses secrètes seront révélées, et bien des siècles passeront avant que ces notes soient vues par les hommes. Et quand il les auront vues, les uns ne croiront pas, les autres douteront, et bien peu d'entre eux trouveront matière à méditation dans les caractères que je grave sur ces tablettes avec un stylus de fer.
            L'année avait été une année de terreur, pleine de sentiments plus intenses que la terreur, pour lesquels il n'y a pas de nom sur la terre. Car beaucoup de prodiges et signes avaient eu lieu, et de tous côtés, sur la terre et sur la mer, les ailes noires de la Peste s'étaient largement déployées. Ceux-là néanmoins qui étaient savants dans les étoiles n'ignoraient pas que les cieux avaient un aspect de malheur  et pour moi, entre autres, le Grec Oinos, il était évident que nous touchions au retour de cette sept cent quatre-vingt-quatorzième année, où, à l'entrée du Bélier, la planète Jupiter fait sa conjonction avec le rouge anneau du terrible Saturne. L'esprit particulier des cieux, si je ne me trompe grandement, manifestait sa puissance non-seulement sur le globe physique de la terre, mais aussi sur les âmes, les pensées et les méditations de l'humanité. light11.fr                                                                             hellokids.com  

Résultat de recherche d'images pour "lampes 7 flammes"            Une nuit, nous étions sept, au fond d'un noble palais, dans une sombre cité appelée Ptolémaïs, assis autour de quelques flacons d'un vin pourpre de Chios. Et notre chambre n'avait pas d'autre entrée qu'une haute porte d'airain et la porte avait été façonnée par l'artisan Corinnos, et elle était d'une rare main-d'oeuvre, et fermait en dedans. Pareillement, de noires draperies, protégeant cette chambre mélancolique, nous épargnaient l'aspect de la lune, des étoiles lugubres et des rues dépeuplées, mais le pressentiment et le souvenir du Fléau n'avaient pas pu être exclus aussi facilement. Il y avait autour de nous, auprès de nous, des choses dont je ne puis rendre distinctement compte, des choses matérielles et spirituelles, une pesanteur dans l'atmosphère, une sensation d'étouffement, une angoisse, et, par-dessus tout, ce terrible mode d'existence que subissent les gens nerveux, quand les sens sont cruellement vivants et éveillés, et les facultés de l'esprit assoupies et mornes. Un poids mortel nous écrasait. Il s'étendait sur nos membres, sur l'ameublement de la salle, sur les verres dans lesquels nous buvions, et toutes choses semblaient opprimées et prostrées dans cet accablement, tout, excepté les flammes des sept lampes de fer qui éclairaient notre orgie. S'allongeant en minces filets de lumière, elles restaient toutes ainsi, et brûlaient pâles et immobiles, et, dans la table ronde d'ébène autour de laquelle nous assis, et leur éclat transformait en miroir, chacun des convives contemplait la pâleur de sa propre figure et l'éclair inquiet des yeux mornes de ses camarades. Cependant, nous poussions nos rires, et nous étions gais à notre façon, une façon hystérique et nous chantions les chansons d'Anacréon, que ne sont que folie, et nous buvions largement, quoique la pourpre du vin nous rappelât la pourpre du sang. Car il y avait dans la chambre un huitième personnage, le jeune Zoïlus. Mort, étendu tout de son long, et enseveli, il était le génie et le démon de la scène. Hélas ! il n'avait point sa part de notre divertissement, sauf que sa figure convulsée par le mal, et ses yeux, dans lesquels la mort n'avait éteint qu'à moitié le feu de la peste, semblaient prendre à notre joie autant d'intérêt que les morts sont capables d'en prendre à la joie de ceux qui doivent mourir. Mais, bien que moi, Oinos, je sentisse les yeux du défunt fixés sur moi, cependant je m'efforçais de ne pas comprendre l'amertume de leur expression, et, regardant opiniâtrement dans les profondeurs du miroir d'ébène, je chantais d'une voix haute et sonore les chansons du poète de Téos. Mais graduellement mon chant cessa, et les échos, roulant au loin parmi les noires draperies de la chambre, devinrent faibles, indistincts, et s'évanouirent. Et voici que du fond de ces draperies noires où allait mourir le bruit de la chanson s'éleva une ombre, sombre, indéfinie, une ombre semblable à celle que la lune, quand elle est basse dans le ciel, peut dessiner d'après le corps d'un homme, mais ce n'était l'ombre ni d'un homme, ni d'n Dieu, ni d'aucun être connu. Et frissonnant un instant parmi les draperies, elle resta enfin, visible et droite, sur la surface la porte d'airain. Mais l'ombre était vague, sans forme, indéfinie, ce n'était l'ombre ni d'un homme, ni d'un Dieu, ni d'un Dieu de Grèce, ni d'un Dieu de Chaldée, ni d'aucun Dieu égyptien. Et l'ombre reposait sur la grande porte de bronze et sous la corniche cintrée, et elle ne bougeait pas, et elle ne prononçait pas une parole, mais elle se fixait de plus en plus, et elle resta immobile. Et la porte sur laquelle l'ombre reposait était, si je m'en souviens bien, tout contre les pieds du jeune Zoïlus enseveli. Mais nous, les sept compagnons, ayant vu l'ombre, comme elle sortait des draperies, nous n'osions pas la contempler fixement, mais nous baissions les yeux, et nous regardions toujours dans les profondeurs du miroir d'ébène. Et, à la longue, moi, Oinos, je me hasardai à prononcer quelques mots à voix basse, et je demandai à l'ombre sa demeure et son nom. Et l'ombre répondit :
            - Je suis OMBRE, et ma demeure est à côté des Catacombes de Ptolémaïs, et tout près de ces sombres plaines infernales qui enserrent l'impur canal de Charon !
            Et alors, tous les sept, nous nous dressâmes d'horreur sur nos sièges, et nous nous tenions tremblants, frissonnants, effarés, car le timbre de la voix de l'ombre n'était pas le timbre d'un seul individu, mais d'une multitude d'êtres et cette voix, variant ses inflexions de syllabe en syllabe, tombait confusément dans nos oreilles en imitant les accents connus de mille amis.                                                                                                                                                                                                                



                                                                                          Edgar Allan Poe
                                                                                                         1833
                                                                          ( traduction Charles Baudelaire )

dimanche 31 mai 2015

Mémoires d'un père Marmontel ( extraits 10 France )


lemondedesarts.com

                                                 Livre dixième

            Tant que le Ciel m'avait laissé dans madame Odde une soeur tendrement chérie, et qui m'aimait plutôt d'un amour filial que d'une amitié fraternelle, sûr d'avoir dans son digne et vertueux époux un véritable ami, dont la maison serait la mienne, dont les enfants seraient les miens, je savais où vieillir en paix..... n'eût-il fait que conserver l'emploi qu'il avait à Saumur, ma petite fortune ajoutée à la sienne nous aurait fait vivre dans une honnête aisance.....
            Mais lorsque j'eus perdu ma soeur et ses enfants. Lorsque dans sa douleur, Odde abandonnant une ville où il ne voyait plus que des tombeaux et, renonçant à son emploi, se fut retiré dans sa patrie, mon avenir, si serein jusqu'alors, s'obscurcit à mes yeux. Je ne vis plus pour moi que les dangers du mariage ou que la solitude d'un triste célibat et d'une vieillesse abandonnée.
            Je redoutais dans le mariage des chagrins domestiques qu'il m'aurait été impossible d'essuyer sans mourir, et dont je voyais mille exemples. Mais un malheur plus effrayant encore était celui d'un vieillard obligé, ou d'être le rebut du monde en y traînant une ennuyeuse et infirme caducité, ou de rester seul délaissé, à la merci de ses valets, livré à leur dure insolence et à leur servile domination.
            Dans cette situation pénible,j'avais tenté plus d'une fois de me donner une compagne, et d'adopter une famille qui me tînt lieu de celle que la mort avait moissonnée autour de moi. Mais, par une heureuse fatalité, aucun de mes projets ne m'avait réussi lorsque je vis arriver à Paris la soeur et la nièce de mes amis MM Morellet : ce fut un coup du Ciel.
            Cependant tout aimables qu'elles me semblaient l'une et l'autre...... je n'imaginais pas qu'à cinquante ans passés je fusse un mari convenable à une personne qui n'avait guère que dix-huit ans. Ce qui m'éblouissait en elle..... était ce qui devait éloigner de moi l'espérance, et avec l'espérance, le désir de la posséder.
            Je ne vis donc pour moi, dans cette agréable aventure, que l'avantage d'une nouvelle et charmante société.
            Soit que madame de Montigny fût prévenue en ma faveur, soit que ma bonhomie lui convînt au premier abord, elle fut bientôt avec l'ami de ses frères comme avec un ancien ami qu'elle-même aurait retrouvé. Nous soupâmes ensemble. La joie qu'ils avaient tous d'être réunis anima ce souper. J'y pris la même part que si j'eusse été l'un des leurs. Je fus invité à dîner pour le lendemain et successivement se forma l'habitude de nous voir presque tous les jours......                                        Frantz Hals
            Un matin, l'un de mes amis et des amis de MM Morellet, l'abbé Maury, vint me voir et me dit :
            " - Voulez-vous que je vous apprenne une nouvelle ? Mademoiselle de Montigny se marie.
              - Elle se marie ? avec qui ?
              - Avec vous.
              - Avec moi
              - Oui, avec vous-même.
              - Vous êtes fou, ou vous rêvez.
              - Je ne rêve pas, et ce n'est point une folie. C'est une chose très sensée et dont aucun de vos amis ne se doute.                                          
            - Ecoutez-moi, lui dis-je, et croyez-moi car je vous parle sérieusement. Mademoiselle de Montigny est charmante. Je la crois accomplie et c'est pour cela même que je n'ai jamais eu la folle idée de prétendre au bonheur d'être un époux.
            - Eh bien, vous le serez sans y avoir prétendu !
            - A mon âge !
            - Bon ! A votre âge ! Vous êtes jeune encore, et en pleine santé.                              
            Alors le voilà qui déploie toute son éloquence à me prouver que rien n'était plus convenable, que je serais aimé, que nous ferions un bon ménage et, d'un ton de prophète, il m'annonça que nous aurions de beaux enfants.
            Après cette saillie il me laissa livré à mes réflexions et, tout en me disant à moi-même qu'il était fou, je commençai à n'être pas plus sage.
            Mes cinquante-quatre ans ne me semblèrent plus un obstacle si effrayant. La santé à cet âge pouvait tenir lieu de jeunesse. Je commençai à croire que je pouvais inspirer, non pas de l'amour mais une bonne et tendre amitié, et je me rappelai ce que disaient les sages : " Que l'amitié fait plus de bons ménages que l'amour. "
            Je n'étais pas riche, mais cent trente mille francs solidement placés étaient le fruit de mes épargnes.....
*            J'étais engagé ce jour-là à dîner chez MM Morellet. Je m'y rendis avec une émotion qui m'était inconnue. Je crois même me souvenir que je mis un peu plus de soin à ma toilette, et dès lors je donnai une attention sérieuse à ce qui commençait à m'intéresser vivement. Aucun mot n'était négligé, aucun regard ne m'échappait. Je faisais délicatement des avances imperceptibles et des tentatives légères sur les esprits et sur les âmes. L'abbé ne semblait pas y faire attention, mais sa soeur, son frère et sa nièce me paraissaient sensibles à tout ce qui venait de moi.
            Vers ce temps, l'abbé fit un voyage à Brienne en Champagne chez les malheureux Loménie avec lesquels il était lié depuis sa jeunesse et, en son absence, la société devint plus familière, plus intime.....
            Je savais quelle illusion pouvait faire la grâce unie à la beauté. Deux ou trois mois de connaissance et de société étaient bien peu pour s'assurer du caractère d'une jeune personne. J'en avais vu plus d'une dans le monde que l'on avait instruite qu'à feindre et à dissimuler. Mais on m'avait dit tant de bien de celle-ci...... il fallait donc me méfier de tout et ne croire jamais à rien.
            Une promenade aux jardins de Sceaux acheva de me décider...... Jusque-là le plaisir des sens avait été le seul attrait qui m'eût conduit..... Mon émotion était d'autant plus vive qu'elle était retenue, je brûlais d'en faire l'aveu, mais à qui l'adresser ? et comment serait-il reçu ? La bonne mère y donna lieu. Dans l'allée où nous nous promenions elle était à deux pas de nous avec son frère.
            " - Il faut, me dit-elle en souriant, que j'aie bien de la confiance en vous, pour vous laisser ainsi causer avec ma fille, tête à tête.
            - Madame, lui dis-je, il est juste que je réponde à cette confiance en vous disant de quoi nous nous entretenons.. Mademoiselle me faisait la peinture du bonheur que vous goûtez à vivre ensemble tous les quatre en famille, et moi, à qui cela faisait envie, j'allais vous demander si une cinquième, comme moi par exemple, gâterait la société.                                                                **
Résultat de recherche d'images pour "parc de sceaux cerisiers"            - Je ne crois pas, me répondit-elle, demandez plutôt à mon frère.
            - Moi, dit le frère avec franchise, je trouverais cela très bon.
            - Et vous, mademoiselle ?
            - Moi, dit-elle, j'espère que mon oncle l'abbé sera de l'avis de maman. Mais jusqu'à son retour permettez-moi de garder le silence. "
            ....... L'abbé se fit attendre. Enfin il arriva. Et quoique tout se fut arrangé sans son aveu, il le donna. Le lendemain le contrat fut signé. Il y institua sa nièce son héritière après sa mort et après la mort de sa soeur
et moi, dans cet acte dressé et rédigé par leur notaire, je ne pris d'autre soin que de rendre, après moi, ma femme heureuse et indépendante de ses enfants.
            Jamais mariage ne s'est fait sous de meilleurs auspices..... Nous étions bien persuadés l'un l'autre du voeu que nous allions faire à l'autel .....
            Le dîner après la toilette fut animé d'une gaieté du bon vieux temps. Les convives étaient d'Alembert, Chastellux..... Tous étaient occupés de la nouvelle épouse, et comme moi, ils en étaient si charmés, si joyeux, qu'à les voir, on eût dit que chacun en était l'époux.
            Au sortir de table on passa dans un salon en galerie dont la riche bibliothèque de l'abbé Morellet formait la décoration. Là, un clavecin, des pupitres annonçaient bien de la musique, mais quelle musique nouvelle et ravissante on allait entendre ! L'opéra de Roland, le premier opéra français qui eût été mis en musique italienne, et pour l'exécuter, les plus belles voix et l'élite de l'orchestre de l'Opéra.
            L'émotion qu'excita cette nouveauté eut tout le charme de la surprise. Piccini était au clavecin. Il animait l'orchestre et les acteurs du feu de son génie et de son âme. L'ambassadeur de Suède et l'ambassadeur de Naples assistèrent à ce concert, ils en étaient ravis. Le maréchal Beauvau fut aussi de la fête. Cet espèce d'enchantement dura jusqu'au souper où furent invités les chanteurs et les symphonistes......
            Il était convenu que nous habiterions ensemble, les deux oncles, la mère et nous, que nous paierions un cinquième par tête dans la dépense du ménage, et cet arrangement me convenait à tous égards. Il réunissait l'avantage d'une société domestique à celui d'une société toute formée du dehors et dont nous n'avions qu'à jouir.   Necker
           J'ai fait connaître une partie de ceux que nous pouvions appeler nos amis, mais il en est encore dont je n'ai pas voulu parler comme en passant et sur lesquels mes souvenirs se plaisent à se reposer.
4471074678_b806acfa09_o.jpeg            " Vous avez, mes enfants, entendu dire mille fois par votre mère et dans sa famille quelle était pour nous l'agrément de vivre avec M de Saint-Lambert et madame la comtesse d'Houdretot, son amie. Et quelle était le charme d'une société où l'esprit, le goût, l'amour des lettres, toutes les qualités du coeur les plus essentielles et les plus désirables nous attiraient, nous attachaient, soit auprès du sage d'Eaubonne, soit dans l'agréable retraite de la Sévigné de Sanois....
            Nous avions été, Saint-Lambert et moi, des sociétés du baron d'Holbach, d'Helvétius, de madame Geoffrin. Nous fûmes aussi constamment de celle de madame Necker. Mais, dans celle-ci, je datais de plus loin que lui, j'en étais presque le doyen.
            C'est dans un bal bourgeois, circonstance assez singulière, que j'avais fait connaissance avec madame Necker. Jeune alors, assez belle et d'une fraîcheur éclatante, dansant mal mais de tout son coeur.
            A peine m'eut-elle entendu nommer qu'elle vint à moi, avec l'air naïf de la joie.
            " - En arrivant à Paris, me dit-elle, l'un de mes désirs a été de connaître l'auteur des Contes moraux.
Je ne croyais pas faire au bal une si heureuse rencontre. Necker, dit-elle à son mari en l'appelant, venez vous joindre à moi pour engager M Marmontel, l'auteur des Contes moraux, à nous faire l'honneur de nous venir voir.
            M Necker fut très civil dans son invitation. Je m'y rendis. Thomas était le seul homme de lettres qu'ils eussent connu avant moi. Mais bientôt, dans le bel hôtel où ils allèrent s'établir, madame Necker, sur le modèle de la société de madame Geoffrin, choisit et composa la sienne.
            Etrangère aux moeurs de Paris, madame Necker n'avait aucun des agréments d'une jeune Française. Dans ses manières, dans son langage, ce n'était ni l'air, ni le ton d'une femme élevée à l'école des arts, formée à l'école du monde. Sans goût pour sa parure, sans aisance dans son maintien, sans attrait dans sa politesse, son esprit comme sa contenance, était trop ajusté pour avoir de la grâce.
            Mais un charme plus digne d'elle était celui de décence, de la candeur, de la bonté. Une éducation vertueuse et des études solitaires lui avaient donné tout ce que la culture peut ajouter dans l'âme à un excellent naturel. Le sentiment en elle était parfait mais, dans sa tête la pensée était souvent confuse et vague. Au lieu d'éclaircir ses idées, la méditation les troublait. En les exagérant elle croyait les agrandir. Pour les étendre elle s'égarait dans des abstractions ou dans des hyperboles. Elle semblait ne voir certains objets qu'à travers un brouillard qui les grossissait à ses yeux, et alors son expression s'enflait tellement que l'emphase en eût été risible, si l'on n'avait pas su qu'elle était ingénue.
            Le goût était moins en elle un sentiment qu'un résultat d'opinions recueillies et transcrites sur ses tablettes. Sans qu'elle eût cité ses exemples, il eût été facile de dire d'après qui et sur quoi son jugement s'était formé. Dans l'art d'écrire elle n'estimait que l'élévation, la majesté, la pompe. Les gradations, les nuances, les variétés de couleur et de ton la touchaient faiblement. Elle avait entendu louer la naïveté de La Fontaine, le naturel de Sévigné. Elle en parlait par ouï-dire mais elle y était peu sensible. Les grâces de la négligence, la facilité, l'abandon lui étaient inconnus. Dans la conversation même la familiarité lui déplaisait. Je m'amusais souvent à voir jusqu'où elle portait cette délicatesse. Un jour je lui citais quelques expressions familières que je croyais, disais-je, pouvoir être reçues dans le style élevé comme :
            " Faire l'amour - aller voir ses amours - commencer à voir clair - prendre votre parti - pour bien faire il faudrait - non, vois-tu - faisons mieux, etc. "
            Elle les rejeta comme indignes du style noble.
            " - Racine, lui dis-je, a été moins difficile que vous. Il les a toutes employées. "
            Et je lui en fis voir les exemples. Mais son opinion une fois établie était invariable, et l'autorité de Thomas ou celle de Buffon était pour elle un article de foi......
            Ce n'était point pour nous, ce n'était point pour elle qu'elle se donnait tous ces soins, c'était pour son mari. Nous le faire connaître, lui concilier nos esprits, faire parler de lui avec éloge dans le monde et commencer sa renommée ; tel fut le principal objet de la fondation de sa société littéraire. Mais il fallait encore que son salon, que son dîner, fussent pour son mari un délassement, un spectacle. Car, en effet, il n'était là qu'un spectateur silencieux et froid. Hormis quelques mots fins qu'il plaçait ça et là, personnage muet il laissait à sa femme le soin de soutenir la conversation. Elle y faisait bien son possible, mais son esprit n'avait rien d'avenant à des propos de table. Jamais une saillie, jamais un mot piquant, jamais un trait qui pût réveiller
les esprits. Soucieuse, inquiète, sitôt qu'elle voyait la scène et le dialogue languir, ses regards en cherchaient la cause dans nos yeux......
            Les attentions de madame Necker et tout son désir de nous plaire n'auraient pu vaincre le dégoût de n'être à ses dîners que pour amuser son mari. Mais il en était de ses dîners comme de beaucoup d'autres où la société jouissant d'elle-même dispense l'hôte d'être aimable, pourvu qu'il la dispense de s'occuper de lui.
            Lorsque Necker a été ministre, ceux qui ne l'avaient pas connu dans sa vie privée ont attribué son silence, sa gravité, son air de tête à l'arrogance de son nouvel état. Mais je puis attester qu'avant même qu'il eût fait fortune, simple associé du banquier Thélusson, il avait le même air, le même caractère silencieux et grave, et qu'il n'était ni plus liant, ni plus familier avec nous. Il recevait civilement sa compagnie, mais il n'avait avec aucun de nous cette cordialité qui flatte et qui donne à la politesse une apparence d'amitié.
            Sa fille a dit de lui qu'il " savait tenir son monde à distance "..... Mais la vérité simple était qu'un homme accoutumé, dès sa jeunesse, aux opérations mystérieuses d'une banque, et enfoncé dans les calculs des spéculations commerciales, connaissant peu le monde, fréquentant peu les hommes, très peu même les livres, superficiellement et vaguement instruit de ce qui n'était pas la science de son état, devait, par discrétion, par prudence, par amour-propre, se tenir réservé pour ne pas donner sa mesure......
            Heureux dans mes sociétés, plus heureux dans mon intérieur domestique, j'attendais, après dix-huit mois de mariage, les premières couches de ma femme comme l'événement qui mettrait le comble à mes voeux. Hélas !..... cet enfant si ardemment désiré était mort en venant au monde..... Sa mère étonnée, inquiète de ne pas entendre ses cris, demanda à le voir, et moi immobile et tremblant, j'étais encore dans le salon voisin à attendre sa délivrance, lorsque ma belle-mère vint me dire :
            " - Venez embrasser votre femme et la sauver du désespoir, votre enfant est mort en naissant. "..... Pâle et glacé, me soutenant à peine, je me traînai jusqu'au lit de ma femme, et là, faisant un effort sur moi-même :
***         " - Ma bonne amie, lui dis-je, voici le moment de me prouver que vous vivez pour moi. Notre enfant n'est plus. Il est mort avant d'avoir vu la lumière. "
            La malheureuse jeta un cri qui me perça le coeur, et tomba évanouie entre mes bras. Comme elle lira ces Mémoires, passons sur ces moments cruels.....
            A son second enfant, je la vis résolue à le nourrir de son lait. Je m'y opposai, je la croyais trop faible encore. La nourrice que nous avions choisie était, en apparence, la meilleure possible. L'air de la santé, la fraîcheur, un teint, une bouche de rose, de belles dents, le plus beau sein, elle avait tout, hormis du lait. Ce sein était de marbre. L'enfant dépérissait, il était à Saint-Cloud et, en attendant que sa mère fut en état d'aller le voir, le curé du village nous avait promis d'y veiller. Il nous en donnait des nouvelles. Mais le cruel nous abusait.
            En arrivant chez la nourrice nous fûmes douloureusement détrompés.
           " - Mon enfant pâtit, me dit sa mère. Vois comme ses mains sont flétries. Il me regarde avec des yeux qui implorent ma pitié. Je veux que cette femme me l'apporte à Paris et que mon accoucheur le voie. "
            Elle vint, il fut appelé, il visita son sein, il n'y trouva point de lait. Sur-le-champ il alla nous chercher une autre nourrice, et aussitôt que l'enfant eut pris ce nouveau sein, où il puisait à pleine source, il en trouva le lait si bon, qu'il ne pouvait s'en rassasier. Quelle fut notre joie de le voir revenir à vue d'oeil et se ranimer comme une plante desséchée et mourante que l'on arrose ! ce cher enfant était Albert, et nous semblons avoir un doux pressentiment des consolations qu'il nous donne......                                                                            A mesure que le bon lait de notre jeune Bourguignonne faisait couler la santé dans ses veines, nous voyions sur son petit corps, sur tous ses membres délicats, les chairs s'arrondir, s'affermir, nous voyions ses yeux s'animer, nous voyions son visage se colorer et s'embellir.Nous croyions aussi voir sa petite âme se développer et son intelligence éclore. Déjà il semblait nous entendre et commençait à nous connaître, son sourire et sa voix répondaient au sourire, à la voix de sa mère. Je le voyais aussi se réjouir de mes caresses. Bientôt sa langue essaya ses premiers mots de la nature, ces noms si doux qui, des lèvres de l'enfant, vont droit au coeur du père et de la mère.                                                           memo.fr
            Je n'oublierai jamais le moment où, dans le jardin de notre petite maison, mon enfant qui n'avait encore osé marcher sans ses lisières, me voyant à trois pas de lui à genoux, lui tendant les mains, se détacha des bras de sa nourrice et, d'un pied chancelant mais résolu, vint se jeter entre mes bras...... Une femme de nos amis disait de moi, assez plaisamment : " Il croit qu'il n'y a que lui au monde qui soit père. "...... Vous concevez qu'auprès de notre enfant nous n'avions l'un et l'autre à désirer aucun autre spectacle, aucune autre société.
            Notre famille cependant et quelques-uns de nos amis venaient nous voir les jours de fête......
            Nous faisions assez fréquemment des promenades solitaires, et le but de ces promenades était communément cette châtaigneraie de Montmorency que Rousseau a rendu célèbre.
            " - C'est ici, disais-je à ma femme, qu'il a rêvé de ce roman d'Héloïse dans lequel il a mis tant d'art et d'éloquence à farder le vice d'une couleur d'honnêteté et d'une teinte de vertu. "
            Ma femme avait du faible pour Rousseau. Elle lui savait un gré infini d'avoir persuadé aux femmes de nourrir leurs enfants et d'avoir pris soin de rendre heureux ce premier âge de la vie.
            " - Il faut, disait-elle, pardonner quelque chose à celui qui nous a appris à être mères. "
Résultat de recherche d'images pour "voltaire" ****       Mais moi qui n'avais vu dans la conduite et dans les écrits de Rousseau qu'un contraste perpétuel de beau langage et de vilaines moeurs. Moi qui l'avais vu s'annoncer pour être l'apôtre et le martyre de la vérité et s'en jouer sans cesse avec d'adroits sophismes, se délivrer par la calomnie du fardeau de la reconnaissance. Prendre dans son humeur farouche et dans ses visions sinistres les plus fausses couleurs pour noircir ses amis. Diffamer ceux des gens de lettres dont il avait le plus à se louer pour se signaler seul et les effacer tous, je faisais sentir à ma femme, par le bien même que Rousseau avait fait, tout le mal qu'il aurait pu s'abstenir de faire si, au lieu d'employer son art à servir ses passions, à colorer ses haines, ses vengeances, ses cruelles ingratitudes, à donner à ses calomnies des apparences spécieuses, il eût travaillé sur lui-même à dompter son orgueil, son humeur irascible, ses sombres défiances, ses tristes animosités, et à redevenir ce que l'avait fait la nature, innocemment sensible, équitable, sincère et bon......

            ..... Si j'avais eu la passion de la célébrité deux grands exemples m'en auraient guéri, celui de Voltaire et celui de Rousseau. Exemples différents, opposés sous bien des rapports, mais pareils en ce point, que la même soif de louanges et de renommée avait été le tourment de leur vie.
            Voltaire, que je venais de voir mourir, avait cherché la gloire par toutes les routes ouvertes au génie, et l'avait méritée par d'immenses travaux et par des succès éclatants. Mais sur toutes ces routes il avait rencontré l'envie et toutes les furies dont elle est escortée. Jamais homme de lettres n'avait essuyé tant d'outrages, sans autre crime que de grands talents et l'ardeur de les signaler. On croyait être ses rivaux en se montrant ses ennemis. Ceux qu'en passant il foulait aux pieds l'insultaient encore dans leur fange. Sa vie entière fut une lutte, et il y fut infatigable. Le combat ne fut pas toujours digne de lui et il eut encore plus d'insectes à écraser que de serpents à étouffer. Mais il ne sut jamais ni dédaigner ni provoquer l'offense. Les plus vils de ses agresseurs ont été flétris de sa main. L'arme du ridicule fut l'instrument de ses vengeances, et il s'en fit un jeu redoutable et cruel. Mais le plus grand des biens, le repos, lui fut inconnu. Il est vrai que l'envie parut enfin lasse de le poursuivre et l'épargner au moins sur le bord du tombeau.
Résultat de recherche d'images pour "rousseau voltaire et montesquieu"            Dans le voyage qu'on lui permit de faire à Paris après un long exil, il jouit de sa renommée et de l'enthousiasme de tout un peuple reconnaissant des plaisirs qu'il lui avait donnés. Le débile et dernier effort qu'il faisait pour lui plaire, Irène, fut applaudie comme l'avait été Zaïre, et ce spectacle où il fut couronné fut pour lui le plus beau triomphe. Mais dans quel moment lui venait cette consolation, ce prix de tant de veilles !                                                                              *****
Le lendemain je le vis dans son lit :
            " - Eh bien ! lui dis-je, enfin, êtes-vous rassasié de gloire ?
              - Ah, mon ami ! s'écria-t-il, vous me parlez de gloire et je suis au supplice, et je me meurs dans des
tourments affreux ! "
            Ainsi finit l'un des hommes les plus illustres dans les lettres et le plus aimable dans la société. Il était sensible çà l'injure, mais il l'était à l'amitié. Celle dont il a honoré ma jeunesse fut la même jusqu'à sa mort et, un dernier témoignage qu'il m'en donna fut l'accueil plein de grâce et de bonté qu'il fit à ma femme lorsque je la lui présentai. Sa maison ne désemplissait pas du monde qui venait le voir, et nous étions témoins de la fatigue qu'il se donnait pour répondre convenablement à chacun. Cette attention continuelle épuisait ses forces et, pour ses vrais amis, c'était un spectacle pénible. Mais nous étions de ses soupers et là nous jouissions des dernières lueurs de cet esprit qui allait s'éteindre.
            Rousseau était malheureux comme lui et par la même passion. Mais l'ambition de Voltaire avait un fonds de modestie. Vous pouvez le voir dans ses lettres, au lieu que celle de Rousseau était pétrie d'orgueil. La preuve en est dans ses écrits.
            Je l'avais vu dans la société des gens de lettres les plus estimables, accueilli et considéré. Ce ne fut pas assez pour lui. Leur célébrité l'offusquait, il les crut jaloux de la sienne. Leur bienveillance lui fut suspecte. Il commença par les soupçonner, et il finit par les noircir. Il eut malgré lui des amis, ces amis lui firent du bien. Leur bonté lui fut importune. Il reçut leurs bienfaits, mais il les accusa d'avoir voulu l'humilier, le déshonorer, l'avilir. Et la plus odieuse diffamation fut le prix de leur bienfaisance.
            On ne parlait de lui dans le monde qu'avec un intérêt sensible. La critique elle-même était pour lui pleine d'égards et tempérée par des éloges. Elle n'en était, disait-il, que plus adroite et plus perfide. Dans le repos le plus tranquille, il voulait toujours, ou se croire, ou se dire persécuté. Sa maladie était d'imaginer dans les événements les plus fortuits, dans les rencontres les plus communes, quelque intention de lui nuire, comme si dans le monde tous les yeux de l'envie avaient été attachés sur lui.
            Si le duc de Choiseul avait fait conquérir la Corse, ç'avait été pour lui ôter la gloire d'en être le législateur. Si le même allait souper à Montmorency chez la maréchale de Luxembourg, c'était pour usurper la place qu'il avait coutume d'occuper auprès d'elle à table. Hume, à l'entendre, avait été envieux de l'accueil que lui avait fait le prince de Conti. Il ne pardonnait pas à Grimm d'avoir eu sur lui quelque préséance chez madame d'Epinay, et l'on peut voir dans ses mémoires comment son âpre vanité s'est vengée de cette offense.
            ....... Assurément à aucun prix je n'aurais voulu de la condition de Rousseau. Il n'avait pu l'endurer lui-même et, après avoir empoisonné ses jours, je ne suis point surpris qu'il en ait volontairement abrégé la truste durée.
            Pour Voltaire, j'avoue que je trouvais sa gloire encore trop chèrement payée par toutes les tribulations qu'elle lui avait fait éprouver, et je disais encore : " Moins d'éclat et plus de repos ". 

            J'ai dit quelle était, depuis quarante ans, mon amitié pour d'Alembert, et quel prix je devais attacher à la sienne. Depuis la mort de mademoiselle l'Espinasse, il était consumé d'ennui et de tristesse.......
            Thomas semblait encore avoir longtemps à vivre pour la gloire et pour l'amitié.
            Mais d'Alembert commençait à sentir les déchirements de la pierre, et bientôt il n'exista plus que pour souffrir et mourir lentement dans les plus cruelles douleurs.
            Dans une faible esquisse de son éloge j'ai essayé de peindre la douce égalité de ce caractère.....
            En le pleurant, j'étais loin de penser à lui succéder dans la place de secrétaire perpétuel de l'Académie française.

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                                                                           suite et fin livre onzième....../
            A notre retour à Paris......