vendredi 6 novembre 2015

L'Auteur Tristan Bernard ( nouvelle France )

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                                             L'Auteur

            Si, pendant les répétitions de sa pièce, l'auteur n'était pas préoccupé du résultat final, s'il ne se demandait pas constamment :  
            " - Ca va-t-il marcher ? " en passant alternativement par le pronostic adorable du succès triomphal et l'affreux pressentiment de la tape noire, si, au lieu de se dire :
            " - Oh ! que cette scène est longue et ennuyeuse ! "  ou bien :
            " - Les personnages n'on aucun intérêt. " il pensait, en somme, à sa pièce avec plus d'insouciance, s'il ne croyait pas, comme il le croit, que Paris et le monde entier attendent avec angoisse l'événement qui se prépare, s'il avait le courage, la lâcheté, la sagesse de laisser aller les choses comme elles vont, ah ! comme il s'amuserait à l'avant-scène ! Mais il n'a pas le coeur à s'amuser.
            Il n'y a pas au monde un autocrate plus absolu, un dictateur plus inflexible que ce personnage souverain qui s'appelle le metteur en scène. Il est jaloux de son autorité à un point que l'on ne saurait dire.
            Quelquefois, des artistes de grand renom se permettent de ne pas être tout à fait de son avis. Comme ce sont des personnages à ménager, il veut bien entrer en discussion avec eux. Mais que cet être misérable, minable, infime, au-dessous de rien, qui s'appelle l'auteur de la pièce, esquisse une timide intervention, ou bien le metteur en scène ( s'il est bon enfant ) enverra dinguer l'importun, ou bien il affectera un ton plein de condescendance ironique et dira à l'acteur :
            - Ecoutez les indications de Monsieur, Monsieur est l'auteur de la pièce. Il a le droit de faire jouer sa pièce comme bon lui semble. Parlez donc cher ami. Je ne vois pas la pièce comme vous. Montrez ce que vous désirez...
            Alors, au milieu d'un silence de mort, l'auteur, blême de timidité, avec des gestes courts, hésitants, avec des paroles vacillantes et troublées, fait un essai d'indication, sous les regards apitoyés du metteur en scène et de tous les interprètes.                                                                                paul gauguin
Afficher l'image d'origine            D'ailleurs, il s'enhardit, s'il surmonte sa gêne, s'il indique à tous ces gens hostiles quelque chose que l'on puisse imiter, le metteur en scène a bientôt fait de quitter l'avant-scène, de se désintéresser de toute la suite de cette aventure. Sous prétexte d'un ordre à donner, il disparaîtra brusquement ; ou bien sans quitter le plateau, il ira s'entretenir à voix basse avec un des artistes qui attendent leur tour de répéter. L'important pour lui, capitaine de bord, est de ne pas accorder, par sa présence, même silencieuse, l'apparence d'une approbation aux funestes conseils que ce passager sans mandat a l'audace de donner à l'équipage.
            Quelquefois, le metteur en scène ne reviendra pas de tout l'après-midi. Et peut-être, le lendemain, quand l'auteur, tremblant d'être en retard, arrivera à l'heure juste sur la scène, il verra la chaire dictatoriale inoccupée. Le régisseur dirigera, ce jour-là, la répétition. Peut-être même le régisseur s'abstiendra-t-il par ordre et n'y aura-t-il, à l'avant-scène, que le souffleur ( jeune homme distrait ou vieillard à bout de souffle ). Les artistes ressembleront à de pâles naufragés... Ils s'en iront, au hasard, à droite et à gauche, sans guide et sans direction... Un texte incolore coulera mollement de leurs lèvres désenchantées...
            Il ne restera plus à l'auteur qu'à se déchausser, à passer autour de son col un fil emprunté à un des machinistes, et à courir effectuer sa soumission aux pieds du metteur en scène. Celui-ci sera bon prince, d'ailleurs, si l'auteur est très repentant. Il reviendra à son poste, fera signe à l'auteur de s'asseoir à côté de lui, et recommencera son travail avec la hâte fébrile d'un monsieur qui doit rattraper le temps perdu.
            " - Je ne peux pas attendre davantage. On mange de l'argent tous les soirs. Il faut que nous passions jeudi en huit. "
            L'auteur sait que ce n'est pas vrai, qu'on passera huit jours plus tard, mais il se trouve mal tout de même.
            Vous pensez bien qu'à partir de cet instant il se tiendra toujours coi. Il se décide à tout tolérer... Que l'on pousse au comique des scènes sentimentales, qu'on fasse disparaître tous ses " mots " dans un " mouvement vertigineux ", c'est bien, c'est parfait, le metteur en scène sait son métier, il a toujours raison. Et quand, magnanime, le Maître l'interpelle brusquement pour lui demander ;
             "- C'est bien votre avis, Untel ? " il sait qu'il faut répondre, " - Oui, oui, absolument ! " sans la moindre hésitation, sans la plus petite réticence.
         
            Au fond, toutes les qualités du metteur en scène se résument en une seule : l'infaillibilité ! Il peut indiquer des choses absurdes, il est admis qu'il ne se trompe jamais, et si, un jour, il pense qu'il se trompe, il faut qu'il donne à l'interprète l'indication contraire avec la même autorité.
            - Mais, Monsieur, vous m'avez dit de faire ça ?
            - C'est possible. Mais, d'après la suite du texte, je vois qu'il faut jouer ça autrement.
            ... C'est toujours la faute du texte. L'auteur fait semblant de ne pas écouter et de penser à autre chose.
Afficher l'image d'origine            Il est bizarre que ces mots : " auteur " et " autorité " paraissent avoir la même racine. Personne, dans un théâtre, n'a moins d'importance que l'auteur de la pièce... Il semble toujours qu'on l'ait fait venir là, parce qu'il fallait un auteur, comme il faut un pompier de service, ou un sergent de ville à la location. Les artistes s'adressent quelquefois à lui pour avoir un mot de sortie, parce que leur scène finit mal. Une petite soubrette lui demande de la faire revenir au troisième acte, ou un acteur de second plans, qui voudrait être libre de bonne heure, désire, au contraire, qu'on lui coupe ses deux mots du " trois ", afin de ne pas être obligé d'attendre la fin. Mais les grosses légumes de la maison directeur et artistes en vedette, ne tolèrent l'auteur parmi eux que s'il se montre soumis, doux et plein de réserve. Quand la pièce a du succès, on le félicite de sa chance. Mais on ne pense pas qu'il ait rien fait pour ça.

            Un jour, tout arrive, un vaudeville d'un auteur que je connais remporta, à la répétition générale, un succès marqué. Or on n'y avait pas cru dans la maison. A la lecture aux artistes, le " un " avait beaucoup porté ; les " mots " avaient fait rire. Le " deux " tout en situation avait semblé très morne, surtout au directeur.
            Le premier acte, à la générale, porta gentiment, sans excès. Mais le second acte fut un long éclat de rire. La pièce eut un très beau départ, fit le maximum tous les soirs, et pas mal de location d'avance.
            A une des premières représentations, le directeur et l'auteur se trouvaient sur la scène derrière un portant. C'était pendant le deuxième acte, et l'on entendait d'énormes vagues de rire se soulever dans la salle...
            - Voilà, dit agressivement le directeur à l'auteur, voilà où le public s'amuse !...
            Et il ajouta avec mépris :
            - Ce n'est pas à vos " mots " du premier acte.
            Et l'auteur, très confus, dut penser que si le second acte amusait autant les gens, c'était sans que lui l'eût prévu ; et il se dit très humblement que son succès était produit en dehors de ses intentions, comme un cataclysme...


                                                     
                                                                                    Tristan Bernard
                                                          ( in Auteurs Acteurs Spectateurs )
           

jeudi 5 novembre 2015

Correspondance Proust Gide 5 ( lettres France )


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                                                                                                        20 Janvier 1918

            Cher ami,
            Votre lettre me touche beaucoup, m'attriste aussi à cause de ce que vous pensez de mon indiscrétion, me rend surtout heureux parce que je crois comprendre que vous avez un bonheur. Mais ce bonheur, je vous supplie, puisque vous n'avez pas absolument confiance en moi, de ne pas me le révéler, même partiellement ( puisque actuellement je n'en soupçonne absolument rien ). La Bruyère dit très bien :
            " Toute confiance est dangereuse, si elle n'est pas entière ; il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout cacher. On a déjà trop dit de son secret à celui à qui on doit devoir en dérober une circonstance. " 
J'ajoute que je ne suis pas curieux, même dans le sens le plus élevé du mot. Je ne regretterais qu'un ami me tût un secret que dans un seul cas, celui où je pourrais directement le servir, dans un cas où son coeur ou bien son amour-propre seraient engagés. J'ai dû en effet vous dire souvent que, si maladroit pour moi-même et faisant toujours rater les choses que je désire, j'y suis fort habile pour les autres, parce que j'unis deux qualités qui ne sont généralement pas jointes dans un seul être : une certaine perspicacité d'une part,  de l'autre une absence totale d'amour-propre et l'incapacité de tromper un ami. Aussi me suis-je trompé sur ma vocation qui était d'être entremetteur ou témoin dans les duels. C'est du reste souvent la compensation des gens qui échouent à tout pour eux-mêmes, de faire réussir pour les autres. Quant au défaut que vous m'attribuez, et qui est le plus contraire à ma nature ! l' indiscrétion, votre erreur a été probablement causée par ceci : Lors de votre dernière visite, j'ai pensé à une page de vous ( dans Isabelle, je crois ) où vous disiez que Jammes vous plaisait par sa manière de raconter les histoires. Pris d'émulation, je vous en ai conté ou voulu conter quelques-unes. Mais elles avaient trait à des gens que je ne connais pas, à côté de qui j'ai pu dîner une fois et que je n'ai jamais revus. Je ne puis appeler indiscrétion le récit de leurs dires nullement confidentiels.                                                                                            
Afficher l'image d'origine            Hélas, je vois revenir à moi, touchant mes amis, des confidences d'eux qu'ils ont faites à tel qu'ils ont cru discret, qui les a redites à un autre et ainsi de suite. Or, je suis justement celui qui ne ferait pas cela. Je peux porter des jugements plus ou moins sévères sur deux indifférents. Mais sur un ami ( et depuis trois ans, il me semble que vous en êtes un pour moi ), cela me serait impossible. Cher ami, je serais désespéré que pour me montrer que je vous ai persuadé, vous me confiiez quoi que ce soit. J'en serais au contraire malheureux. Et vous, si vous êtes heureux, ayez la force de garder votre bonheur pour vous seul. Il y a déperdition dans la simple confidence. En partageant son bonheur, on ne le multiplie pas, au contraire de ce que Hugo dit si bien pour l'amour maternel. En résumé, je vous supplie de ne me rien dire. Je me figure que je ne pourrais pas vous voir à votre passage à Paris. Voici pourquoi.  En ce moment mes crises ne finissent presque jamais avant une heure avancée de la soirée. Par exemple, à l'heure où vous m'avez vu la dernière fois, personne ne pourrait entrer chez moi. Cela tient à ce que je me suis fatigué pour une personne qui a été opérée ; j'ai dû me plier aux heures que le médecin lui permettait, et mon mal a pris sa revanche comme une oscillation de pendule. Je pense que cela ira en s'améliorant - d'ailleurs il y a des jours - mais si rares - de répit relatif, et je le désire d'autant plus que je n'ai toujours pas reçu mes épreuves de la N.R.F. et que j'aurai " un coup de collier à donner " quand elles arriveront enfin. Surtout ne vous plaignez pas à la N.R.F. de ce retard ; l'imprimeur avait égaré un cahier ; à la N.R.F., on ignorait qui l'avait envoyé, etc. Je me suis déjà plaint, plus peut-être que je n'aurais dû ; je serais donc très fâché que vous ajoutiez vos reproches à mes doléances. Ce serait d'autant plus inutile que l'imprimeur a promis de faire vite.                                        crayonsdecouleur.forumactif.com 
Afficher l'image d'origine            Cher ami, vous me feriez un grand plaisir et vous me montreriez que vous en attendez un petit de mon livre en ne le lisant qu'une fois imprimé, ou du moins quand je vous dirai que les épreuves en sont à un point où il n'y aura plus que des changements insignifiants. Actuellement, ce serait vous donner l'idée la plus fausse. D'autre part, même ces épreuves informes ne sont que les épreuves d'un commencement de volume. Or je publie tout l'ouvrage à la fois, malgré tant de raisons que j'aurais de faire autrement, afin qu'on puisse me juger sur le tout. Donc cent pages, même si elles étaient définitives ( et elles sont loin de l'être ! ) lues à part, iraient à l'encontre de ce à quoi je sacrifie des intérêts fort importants. Que si cela vous amuse - bien que mon oeuvre n'en vaille guère la peine ! - de voir la figure de mon travail progressif, je ne demande pas mieux, une fois que vous connaîtrez le livre imprimé, de vous communiquer les épreuves. Mais après, je vous en prie, pas avant. Bien entendu, s'il y a tel ou tel morceau qui puisse exciter votre curiosité, je vous en communiquerai les épreuves dès qu'elles seront nettes. Mais celles que j'attends n'ont nullement trait à ce qui peut vous amuser et n'a de sens qu'à sa place dans l'ensemble. Pardonnez-moi de tant vous parler et de ma santé et de mon livre, qui tous deux ont si peu d'importance. Mais, bien qu'espérant beaucoup vous voir à votre " passage ", j'ai voulu que vous sachiez que si par hasard je ne le pouvais pas, ce ne serait pas faute du grand désir que j'en ai. Et que si je recule un peu, d'autre part, le moment de vous soumettre mon ouvrage, c'est justement parce que votre impression m'est tellement précieuse. Mais paraîtra-t-il jamais ? Cet imprimeur, qui pendant plus d'un mois dit que s'il ne m'envoie pas d'épreuves c'est parce qu'il n'a pas d'ouvriers, puis après que c'est parce qu'il m'a tout envoyé du 1er volume... La N.R.F., d'autre part, assez peu au courant pour croire qu'il en est ainsi et avoir besoin que je lui rappelle qu'il y a un cahier représentant un bon tiers du volume dont je n'ai pas eu les épreuves pour qu'elle s'en souvienne à son tour ! Enfin j'envoie cahier sur cahier dont je n'ai pas les doubles. Ne se perdront-ils pas en route ? Tout cela, je l'ai dit, écrit et téléphoné à la N.R.F., en l'espèce à Madame Lemarié, il n'y a donc plus à le redire, elle a été très gentille et nous sommes d'accord. Mais il y a eu un moment où j'ai eu bien envie de quitter cet éditeur ( la N.R.F. ) que je préfère à tous, dont l'estime est mon plus grand honneur, pour quelque autre plus modeste, où du moins ma pensée eût été assurée d'être transmise. Enfin, je crois que je vais recevoir pas mal d'épreuves d'un jour à l'autre. Dans l'état de santé où je suis, il ne faut pas trop perdre de temps, d'autant plus que mes manuscrits sont fort peu déchiffrables, que les premières épreuves arriveront toujours n'ayant aucun rapport avec un texte qu'on n'aura pu lire, et que, moi disparu, personne ne s'y retrouverait. Au revoir, cher ami, je ne vous ai parlé que de moi, et pourtant je ne pense qu'à vous.
            Votre admirateur, votre ami,



                                                                                          Marcel Proust 


                                             
                                                                                                     21 novembre 1918
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Résultat de recherche d'images pour "appartement proust paris"            Cher ami,
            ( Et vous le savez bien ) ce serait le plus grand honneur de ma vie. Un honneur douloureux peut-être, car il est si rare qu'un après-midi je me trouve en état de me lever, maintenant. Et ne pas vous entendre ce jour-là !
            Cher ami, votre lettre m'a causé une grande joie ; parce que vous ne me donniez plus depuis si longtemps signe de vie, je vous croyais, volontairement, définitivement, sans raison que je pusse imaginer, sorti de la mienne. J'ai beau être à l'état de vie ralentie, dire tout naturellement d'un ami :
            " Ah ! lui, justement, je l'ai vu tout dernièrement ! "
et quand on me demande quand, calculer et remonter à une date si éloignée que je vois rire ceux qui ne comptent pas le temps à la même échelle que moi, malgré tout, ma pensée toujours concentrée sur vous avait trouvé bien longue la distance que vous aviez mise. Certes, j'ai trop pris dans l'isolement l'habitude d'aimer rien qu'en esprit et en vérité, et mes liens avec vous sont trop impossibles à rompre, pour que l'absence prolongée distende même, relâche, amincisse mon amitié. Tout de même un peu d'amitié pratiquée, effective, eût été douce. Sans savoir quoi que ce soit, j'imagine qu'il y a des choses dans votre vie, comme dans la mienne, douces dans la vôtre, cruelles jusqu'à mourir dans la mienne. Mais le hasard inouï, " Comme un ange cruel qui fouette des soleils ", est que le pèlerin bissextile, le bon Samaritain aux rares apparitions, que vous êtes pour moi, s'éclipse pendant les mois, les années, où l'inertie par exemple des imprimeurs me laisserait tout loisir de le voir, et le jour où des difficultés difficilement surmontables surgissent qui empêchent tout rendez-vous, apparaîtra. Je dois dire que pourtant je les surmonterai et qu'un de ces soirs vous me verrez venir ( mais peut-être vous serez sorti ) rue de la Cure, à moins que vous ne préfériez venir dîner, mais très tard, car je me repose très tard maintenant, près de mon lit ( ou au Ritz " Un oasis d'horreur dans un désert d'ennui ". ) Un taxi dévoué, dont le conducteur est le beau-frère de ma femme de chambre, vous reconduirait rue de la Cure. Ce qui ajoute terriblement aux difficultés de ce rendez-vous est ceci : la maison dans laquelle j'habite vient d'être vendue à un banquier qui va en faire une banque, donc m'expulser. Or un asthmatique ne sait jamais s'il respirera, et peut être à peu près sûr d'étouffer dans un logis nouveau. Or l'état de mon coeur ( physique ) ne me permet plus de faire les frais de crises, par elles-mêmes sans gravité. Moi qui aimais malgré tout tellement la vie, je comprends que la mort est notre seul espoir et donne le courage de marcher jusqu'au soir, si au moins elle n'était pas précédée de déménagement, de la recherche d'un appartement introuvable, et d'ennuis à côté desquels ceux-là ne sont rien.                     
Résultat de recherche d'images pour "swann proust"            Cher ami, j'ai une commission à vous faire de la part de Madame Lemarié. Je ne vous parle pas d'elle dans cette lettre qui est déjà trop longue pour mes forces. Mes rapports avec elle n'ont pas toujours été excellents, et j'ai des remords de lui avoir dit, à sa prière il est vrai, ma pensée toute nue, car elle était malade et je n'aurais pas dû parler ainsi. Toujours est-il que sans l'avoir revue depuis, je suis revenu avec elle à l'expression de mes sentiments de sympathie et de reconnaissance très réelle pour de grandes peines qu'elle a prises pour moi : malheureusement, pour des résultats déplorables. En tout cas tout ceci, confidentiel de vous à moi, ne peut s'expliquer ici. Mais voici où vient la commission dont elle m'a chargé. Elle m'a dit qu'elle vous voyait souvent, et elle voudrait que vous veniez chez elle, car elle voudrait avoir votre avis sur la façon de composer les exemplaires de luxe que je compte faire de mes livres ( j'ai l'autorisation de Gaston Gallimard ), les autres étant retenus d'avance, comme tout ce que publie la N.R.F., par la Société des Bibliophiles. Elle a parfaitement admis mon idée, pour faire ces exemplaires différents, d'adjoindre à un certain nombre des pages de mon manuscrit ou de mes épreuves remaniées ( idée approuvée par Gaston, et cela me fera je pense gagner un peu d'argent ), à d'autres, une reproduction de mon portrait par Blanche. Mais elle voudrait avoir vos conseils sur ce qui vous paraît le mieux comme réalisation. J'avoue que je n'aurais jamais osé vous demander cela ; je vous transmets sa demande. Il est certain qu'en dehors même de votre goût merveilleux, comme un portrait de vous a paru en tête des Caves du Vatican, vous pouvez la renseigner sur la manière dont on devrait reproduire le portrait de Blanche ( à qui je n'ai pas encore demandé
l'autorisation, mais il me l'accordera certainement ; d'ailleurs le portrait se vend en photographie chez Braun )
            J'avais même pensé, comme depuis longtemps Sert veut faire quelque chose pour moi, portrait
( pour lequel je ne peux me fatiguer à poser ), lanterne magique sur mon liège, à lui demander quelque chose de beaucoup plus simple : un dessin pour mettre en tête d'un de ces livres qu'il voulait illustrer. Mais, bien que désirant offrir aux amateurs de livres rares des exemplaires très variés, je crois que je renoncerai à cette dernière idée, car je ne vois pas d'intermédiaire entre un dessin original ( que je ne peux vraiment pas demander à Sert de faire en plusieurs exemplaires ) et la photographie, inutile, d'un dessin. En tout cas, puisque Madame Lemarié ne veut pas des spécialistes que je lui avais proposés, et croit pouvoir vous déranger ( d'ailleurs, elle a raison en croyant que vous en savez plus que tous les spécialistes et en admirant votre goût infini ), c'est la discrétion seule qui ne me fait pas m'associer à sa demande, mais vous la transmettre seulement. Tâchez surtout qu'elle ne vous propose en aucune chose d'attendre le retour ( toujours retardé ) de Gaston. C'est ainsi qu'elle a transformé la N.R.F. en un cabinet de lecture, quatorze personnes se passant de mains en mains Swann ( je cite ce seul exemple ), alors que, si on m'avait dit qu'il était épuisé, ce dont j'étais loin de me douter, et si on l'avait réimprimé, tous les exemplaires qu'on se prête eussent été achetés, ce qui eût été avantageux, non seulement pour moi, mais pour la N.R.F.
            A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs paraîtra dans un état déplorable, certaines parties n'ayant même pas eu d'épreuves, mais il faut en finir. Je crois que les Pastiches vous feront sourire. Mais ce que je voudrais pouvoir faire paraître ( et ce n'est possible que moi vivant, parce que mes manuscrits sont illisibles et que je n'ai pas encore eu une seule épreuve ), ce sont les derniers volumes, car je voudrais tant que vous les lisiez ; Swann, A l'Ombre des Jeunes filles, etc., sont si minces à côté.
           En tous cas ces volumes-là, si toutefois on me trouve des imprimeurs, ne paraîtront que plus tard, et c'est mieux ainsi, pour ne pas donner au lecteur un aliment indigérable. Mais dans un mois, si on y met un peu de bonne volonté, paraîtront à la fois : A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs, Pastiches et Mélanges
et la réimpression du premier Swann pour que les gens qui ne l'ont pas lu puissent l'acheter en même temps qu'A l'Ombre des Jeunes Filles qui est le deuxième volume de A la Recherche du Temps Perdu. C'est ce que nous avons convenu avec Madame Lemarié. ( Ne lui parlez pas des différends que nous avons eus ensemble, car sa gentillesse extrême doit me les faire oublier ).
            Cher ami, qu'il m'est pénible de vous avoir tant parlé de moi, alors que c'est à vous que je pense sans cesse. Mon moi m'est bien haïssable et je suis bien excédé d'avoir parlé de moi. Je vais me reposer en pensant à vous, à ma tendresse, à mon admiration pour vous.                  


                                                                                         Marcel Proust

samedi 31 octobre 2015

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 48 Samuel Pepys ( journal Angleterre )

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                                                                                                                         1er Juin 1661
                                                                                                                    samedi
            Après avoir pris congé de sir William Batten; et de milady qui se rendaient ce matin à Chatham pour la Pentecôte, sir William Penn, Mr Gauden et moi à Woolwich par le fleuve. Là nous fîmes le tour des navires pour ordonner les préparatifs de départ et juger de leur avancement. Puis à Deptford où nous fîmes de même après avoir dîné avec le capitaine Poole, à la taverne de Woolwich.
            Fîmes à pied le trajet de Deptford à Rotherhith, nous arrêtant à la Demi-Etape. Entrâmes dans une pièce où avaient été placés quantité de gâteaux fraîchement préparés pour la Pentecôte, et nous y fûmes fort gais.
            Retour par le fleuve et nous réglâmes des affaires au bureau. J'obtins, entre autres , de milord et de Mr Creed en vue du voyage, des avances de fonds de 1 000 et 10 000 livres respectivement et leur fis signer leurs lettres de change. Après quelques lettres pour la province et la lecture de quelques pages, je me mis au lit.


                                                                                                         Dimanche Pentecôte

            Sorti des mains du barbier, j'allai à l'église où j'entendis un bon sermon de Mr Mills, bien adapté à l'occasion. Rentrai dîner chez moi, puis de nouveau à l'église. De retour à la maison je trouve Greatorex, que j'attendais aujourd'hui pour dîner. Montons dans mon cabinet, buvons du vin et mangeons des anchois une ou deux heures, et devisons de maintes questions de mathématiques. Il m'explique entre autres ce qui fait la force des leviers et me montre comment ce qu'ils gagnent en force ils le perdent en temps.
            Il pleuvait à verse, comme cela se produit depuis quelque temps, au point que nous en venons à craindre la famine. Aussi fut-il obligé de rester plus longtemps que je ne le désirais.                                                  
            Le soir, après la prière, au
       
                                                                                                                                                                                                                                                                                          3 juin

Afficher l'image d'origine            A la Garde-Robe où, au cours de la conversation que j'eus avec milord, il m'instruisit des affaires de la Garde-Robe, pour le cas où pendant son absence,Mr Townshend viendrait à mourir. Me dit que maintenant, partant à la mer il entend nous associer , Mr Moore et moi. Nous nous entretînmes de nombreuses autres questions, comme avec une personne en qui il mettrait toute sa confiance, ce dont je suis fier. Ce fut une bonne occasion de lui dire, ce à quoi je pense depuis longtemps, que puisqu'il a plu à Dieu de m'accorder quelque bien, je désire en faire un peu profiter mon père. Mon choix s'est porté sur la place de Mr Young à la Garde-Robe. J'aimerais qu'en son absence milord laissât des ordres me donnant la priorité du choix, si cette place devenait vacante, ce qu'il me promit volontiers. J'en suis fort heureux, il me dit qu'il ferait au moins cela pour moi. J'accompagnai milord au canot qui allait à Whitehall, retournai chez moi en compagnie de Mr Creed. Etaient venus dîner avec moi mon père et mon cousin Scott et, avant la fin du repas, voici qu'arrivent papa Bowyer, ma mère, quatre filles, un jeune homme et sa soeur, leurs amis. Tout ce monde resta tout l'après-midi, ce qui me coûta une belle quantité de vin, et fûmes fort joyeux.
            Je fus bientôt appelé au bureau, restai quelque temps. Retour chez moi avec Mr Creed, en laissant les autres. Tous deux à la Tour pour commander des munitions de marine pour milord. Fîmes avec grand plaisir la visite de la Tour, ma première visite. Retour à la maison. Après une promenade avec ma femme sur la terrasse, nous allâmes nous coucher.
            Ce matin traversai le fleuve avec le Dr Pearse pour aller à la taverne de l'Ours, au pied du Pont, pensant rencontrer milord Hinchingbrooke et son frère qui partaient pour la France. Mais comme ils n'y étaient pas nous repassâmes le fleuve pour aller à la Garde-Robe. Apprenons que milord l'abbé Montagu n'étant pas à Paris, milord a l'intention de retarder un peu son départ.


                                                                                                               4 juin

            Le contrôleur de la Marine vint ce matin pour m'emmener visiter non loin de notre bureau une ou deux maison qu'il aimerait prendre pour lui ou Mr Turner, et qu'alors je reprenne le logement de Mr Turner, tandis que lui prendrait le mien et celui de Mrs Davis. Mais les maisons ne nous plurent pas. Aussi projet abandonné pour le moment.                                                                                 cheeeers.wordpress.com
Afficher l'image d'origine            Allons ensuite jusqu'au Pont par le fleuve puis remontâmes par le quai jusqu'au quartier du Temple. Je traversai pour me rendre chez mon père, rencontrai mon cousin John Holcroft et l'emmenai avec mon père et mon frère Tom à la taverne de l'Ours, leur offris du vin. Mon cousin doit retourner à la campagne demain. De là dîner chez milord Crew. Intéressante conversation sur l'opportunité de convaincre les jeunes nobles et personnes de condition d'envisager le service à la mer comme aussi honorable que le service dans l'armée de terre. Il nous raconta, entre autres, comment du temps de la reine Elisabeth les jeunes nobles faisaient le service de la table, se tenant plat en main derrière les chaises, jusqu'à ce qu'ils eussent atteint, eux aussi, leur majorité.Il l'avait constaté pour milord Kent, alors jeune lord Kent au service de milord Bedford, alors que ce dernier avait reçu une lettre lui annonçait que le comté de Kent était échu au jeune lord qui le servait. Lord Bedford avait alors quitté sa place à table et l'avait donnée à celui-ci, prenant pour sa part un siège placé plus bas, qui était en effet celui dû à son rang.
           Après cela au Théâtre où vis Henri IV, une bonne pièce. Je rentrai chez moi passant par le fleuve et traversant les champs jusqu'à Southwark, à mon luth et le soir, au lit.


                                                                                                                     5 juin 1661

            Donnai ce matin 4 livres à ma femme pour ses dépenses personnelles, dentelles et autres achats. A la Garde-Robe, puis à Whitehall et Westminster. Dînai avec milord, seul chez lui, et Ned Pickering. Après le dîner, au bureau où nous tînmes réunion et expédiâmes des affaires. Sir William et moi rentrâmes chez nous accompagné de sir Robert Slingsby, pour faire une partie sur son terrain de boules, et nous nous divertîmes fort, puis rentrés à l'intérieur pour boire et discuter. Sir William et moi regagnâmes nos logis respectifs. comme il faisait fort chaud je montai jouer du flageolet sur la terrasse qui donne sur le jardin, et sir William sortit en bras de chemise sur la sienne. Nous restâmes là à deviser, chanter et boire de grandes rasades de bordeaux et en mangeant de la boutargue avec du pain beurré, jusqu'à minuit, au clair de lune. Au lit, à moitié ivre.
     

                                                                                                                    6 juin

            J'ai eu mal à la tête toute la nuit et pendant toute la matinée après les excès de la nuit dernière.
            Révéillé ce matin par le lieutenant Lambert, maintenant commandant du Norwich. descendîmes le fleuve jusqu'à Greewich, faisant au long du trajet observations et remarques sur l'équipement des navires. Il répondit à toutes mes questions, ce qui me fut d'un grand profit.
            Une fois arrivés, nous allâmes manger, boire et écouter de la musique au Globe. Elle était accompagnée par un mécanisme simple, représentant une femme qui tenait une baguette et suivait la musique en battant la mesure, cela me paraît peu compliqué.
Afficher l'image d'origine            Retour par le fleuve, nous arrêtant chez le capitaine Lambert. Il possède une maison fort cossue et élégante, jouissant d'une belle vue à l'étage, depuis la terrasse. Puis réunion au bureau. Ensuite le capitaine et moi retour dans le quartier de Bridewell, chez Mr Holland, où se trouvaient sa femme ( personne quelconque, sans élégance ) et sa mère. Je donnai à Mrs Holland l'argent que je devais à son mari. Visite de deux jeunes personnes. L'une jouait assez bien du violon, mais grands dieux ! quelles louanges lui firent ces ignorantes ! Nous nous divertîmes   le-mot-juste-en-anglais.typepad.com                  fort.
            Je restai souper, puis chez moi, et au lit. Temps très chaud cette nuit, j'enlevai ma chemise.


                                                                                                                       7 juin

            Chez milord à Whithall, mais ne le trouvant pas j'allai à la Garde-Robe où je dînai avec milady qui se montra fort aimable. Au bureau et jusque tard. Retour chez moi, puis chez sir William Batten qui arrive aujourd'hui de Chatham avec milady qui a beaucoup souffert et souffre toujours des dents. Restai chez eux jusque tard. Chez moi, et au lit.


                                                                                                                     8 juin

            A Whitehall voir milord. Il aimerait que j'aille voir Mr Townshend à qui il a mandé de me révéler tous les mystères de la Garde-Robe, et à personne d'autre que moi. Il va faire de moi son fondé de pouvoir, au même titre que Mr Townshend, de crainte que ce dernier ne meure en son absence, ce qui me fait grand plaisir.
            Puis chez le rôtisseur avec Mr Shipley et Creed où nous dînâmes. J'allai ensuite au Théâtre et vis La Foire de la Saint-Barthélémy, première fois qu'on joue cette comédie à notre époque. C'est une pièce des plus admirables et bien jouée, mais trop grossière et blasphématoire.
            Après quoi, rencontrant Mr Creed à la porte, nous nous rendîmes chez le marchand de tabac sous le porche de la barrière du Temple et montâmes tout en haut de la maison, où nous restâmes longtemps à boire de la bière de Lambeth. Puis retour chez moi, m''arrêtai en chemin chez Mr Rawlinson, mon oncle Wight ayant quitté Londres, lui demandai conseil sur la réponse à faire à une lettre de mon oncle Robert qui me propose de mettre de l'argent dans l'achat d'un terrain contigu à certaines de ses terres. Me dit clairement que ce qui motive son avis c'est la facilité d'accès qu'un tel terrain donnerait à ses propres terres, ce qui me réjouit fort. Rawlinson me conseille de m'en remettre entièrement à mon oncle pour l'utilisation de mon argent. Qu'il en fasse ce qu'il veut, c'est à cela que je m'arrête. Retour chez moi, et au lit.


                                                                                                                       9 juin
                                                                                                      Jour du Seigneur
            Aujourd'hui, ma femme mit sa robe de soie noire, toute garnie maintenant de guipure noire, comme le veut la mode, fort jolie dans cette robe.                                                                artnet.fr
Afficher l'image d'origine            Nous nous rendîmes à pied chez milady à la Garde-Robe, où nous dînâmesn et on lui fit force compliments. Laissai là ma femme et allai à pied jusqu'à Whitehall, chez Mr Pearse et restai un bon moment à causer avec sa femme, toujours aussi jolie, jusqu'à son retour. Après lui, moi et Mr Symons, maître à danser qui accompagne milord à la mer, à la taverne du Cygne, où nous bûmes. Puis m'en retournai à Whitehall où je rencontrai le doyen Fuller. Nous nous promenâmes un bon moment, parlant, entre autres, de la liberté prise par l'évêque de Galloway, d'accueillir dans les ordres tous ceux qui en expriment le désir. Entre autres Roundtree, simple ouvrier, autrefois pasteur à la prison de la Flotte. Il me dit qu'il protesterait à ce sujet. Allâmes prendre un bateau, après avoir déposé Fuller à l'hôtel de Worcester, j'allai avec Will Howe jusqu'à la Garde-Robe.
            Rencontrai Mr Townshend qui se dit tout à fait prêt à me communiquer sur les affaires de milord tout ce qui pourra contribuer à les avancer. Montai à la tout de Jane Shore où je chantai avec Will Howe, puis allai chercher ma femme et rentrâmes à pied, puis au lit........


                                                                                                                       10 juin

            De bonne heure chez milord, il m'apprend en privé comment le roi lui a confié la charge d'ambassadeur pour amener ici la reine. Il doit se rendre à Alger pour régler cette affaire et préparer la flotte puis revenir à Lisbonne avec trois vaisseaux et y rencontrer la flotte qui doit l'escorter.
            Il m'avait demandé de venir pour me dire qu'il me confie le soin de veiller, en son absence, à tous les préparatifs nécessaires à cette grande affaire, conformément aux ordres que me donneront milord le chancelier et Mr Edward Montagu. Tout ceci me comble de joie pour l'honneur qui est fait à milord et le profit que j'en escompte.
            Bientôt sortis avec Mr Slingsby, Walden député de Huntingdon, Rolt, Mackworth et l'échevin Backwell pour aller boire de la bière de Lambeth dans une maison voisine. Retour à la Garde-Robe où je trouve milord prêt à se rendre à Trinity House. On élit aujourd'hui solennellement le grand maître, et c'est milord qui est choisi, il dîne donc là-bas.
            Je restai dîner avec milady. Pas plus tôt assis, arrivent des personnes de qualité, je me levai donc de table avec les enfants et nous mangeâmes entre nous, les enfants et moi, et fort gaiement. Ils me montrèrent beaucoup d'affection. Retour chez moi, et le soir, au lit. Nous couchâmes dans le logement de sir Robert Slingsby, dans leur salle à manger, dans notre lit vert, car l'on termine la peinture et le badigeonnage à la chaux de ma maison.


                                                                                                                     11 juin

            Au bureau ce matin, sir George Carteret avec nous. Nous mîmes au point une lettre au duc d'York lui exposant la condition déplorable dans laquelle se trouve notre bureau, faute d'argent. Que les gens ne peuvent continuer à nous servir sans argent, et que maintenant le crédit du bureau est tombé si bas que personne n'acceptera de nous vendre quoi que ce soit, si nous ne fournissons à cet effet notre garantie personnelle.
            Sorti tout l'après-midi pour plusieurs affaires, et le soir chez moi et au lit.


                                                                                                                    12 juin 1661
                                                                                                             Mercredi
            Jour partagé entre jeûne et liesse, les évêques ne s'étant pas encore décidés à faire observer le jeûne pour conjurer le mauvais temps, lorsque le beau temps revint, si bien qu'ils se trouvèrent contraints de choisir un moyen terme.
            A Whitehall, de là les capitaines Rolt, Ferrer et moi à Lambeth pour notre boisson du matin. Descendîmes aux Trois Mariniers, établissement connu pour sa bière et y restâmes un moment, fort gais. En partîmes à la recherche d'un bateau, nous tombons sur le capitaine Bunn qui descendait le fleuve. Nous montons auprès de lui. Il était avec une dame. Il les déposa à Westminster et moi au Pont.
            A la maison toute la journée avec mes ouvriers. Rédigeai la lettre que nous avions décidé hier d'envoyer au duc.
            Puis à Whitehall où je rencontrai milord. Il me dit qu'il lui faudra faire acheter pour 300 livres d'étoffes qu'il distribuera en Barbarie, comme présents aux Turcs.
            Cette occasion qui m'est donnée de gagner quelque chose me réjouit fort.
            Rentrai souper chez moi, puis chez sir Robert Slingsby et allâmes accompagnés de son frère chez milord à la Garde-Robe, où nous attendîmes longtemps. Mais milord fait ses adieux, il tarda et ils partirent.
            Milord rentra tout de suite après et je restai longtemps avec lui. Puis dans la chambre de Mr Moore dont je partageai le lit.


                                                                                                                 13 juin

Résultat de recherche d'images pour "barques è siecle"            Allai à trois reprises chez Backwell l'échevin, mais ses gens n'étant pas levés, je retournai chez moi, mis mon costume de drap gris et mon manteau blanc à parements taillé dans un jupon de ma femme, première fois que je le portais. Ainsi vêtu en cavalier je retournai chez l'échevin, m'entretins avec Mr Shaw. L'échevin m'offre 300 livres si milord le désire, pour acheter les étoffes, ce qui me plaît fort. Ainsi donc à la Garde-Robe où j'obtins de milord qu'il ordonnât à Mr Creed de m'avancer le montant qui sera versé par l'échevin Backwell.
            A Whitehall avec milord, par le fleuve. Après avoir pris congé du roi vient nous retrouver dans ses appartements et de là se rend à l'embarcadère du Jardin où il prend le canot. A l'embarcadère l'attendait sir Robert Slingsby qui lui fit ses adieux. J'entendis milord le remercier pour la bonté qu'il me témoignait, sir Robert lui fit une réponse qui était fort à mon avantage.
            Descendis avec milord jusqu'à Deptford, là montai à bord du yacht hollandais et restai un bon moment, William Howe n'étant pas venu avec les affaires de milord, ce qui mit ce dernier en colère. Le voici qui arrive peu après et nous mettons à la voile, puis allâmes bientôt dîner.. Milord et nous tous fort gais. Après le repas j'allai plus bas, chantai et dis au revoir à William Howe, au capitaine Rolt et à mes autres amis, puis remontai et fis mes adieux à milord qui me donna la main et me quitta avec grand respect.
            Je descendis accompagné du capitaine Ferrer, dans notre barque. Milord nous fit saluer de cinq coups de canon, utilisant toutes les pièces qui se trouvaient chargées, la marque de respect la plus grande que milord pouvait me témoigner, et dont je ne fus pas peu fier. Je les quittai donc, le coeur partagé entre la joie et la tristesse tandis qu'ils s'éloignaient sans encombre d'Erith, espérant arriver tôt demain matin aux Downs.
            Et nous vers Londres en barque. Enlevâmes nos chaussettes et laissâmes tremper longtemps nos jambes dans le fleuve, ce que je n'avais fait depuis des années.
            Arrivâmes à Greenwich, pensions monter à bord du yacht du roi, mais comme le roi s'y trouvait, passâmes sans nous arrêter, et à Woolwich, descendîmes à terre en compagnie du capitaine Poole de la Jamaïque..... A la taverne où nous fîmes grande beuverie de bière comme de vin. En sortant accompagnâmes chez lui Mr Falconer qui nous donna des cerises et du bon vin. Ensuite en bateau, le jeune Poole nous fit monter à bord du Charity, où il nous servit du vin, je bus tout mon saoul. Retrouvâmes ensuite notre barque, m'y assoupis et ne me réveillai que près de la Tour. Le capitaine et moi nous séparâmes là. Retour chez moi et me couchai la tête passablement lourde du vin que j'avais bu.


                                                                                                                    14 juin

            A Whitehall chez milady, y trouve Mr Edward Montagu et sa famille venus y coucher en l'absence de milord. Envoyai chez moi, sur l'ordre de milord, sa maquette de bateau et son virginal triangulaire. Puis me rendis chez mon père à qui je demandai d'acheter les étoffes qu'il faut envoyer à milord. Mais ne pus rester avec lui car, fort enrhumé pour avoir sottement barboté hier dans l'eau, je me sentais fort mal et rentrai chez moi en voiture pour me mettre au lit et ne mis pas les pieds au bureau de la journée. En restant au chaud je me libérai de mes vents, ce qui m'apporta quelque soulagement. Levé pour manger un peu au souper et retour au lit.


                                                                                                      à suivre...../
                                                                                                             15 juin 1661
            Mon père.....