jeudi 24 novembre 2016

Ce que disent les fleurs George Sand ( nouvelle France )

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                                                  Ce que disent les fleurs

            Quand j'étais enfant, ma chère Aurore, j'étais très tourmentée de ne pouvoir saisir ce que les fleurs disaient entre elles. Mon professeur de botanique m'assurait qu'elles ne disaient rien. Soit qu'il fût sourd, soit qu'il ne voulût pas me dire la vérité, il me jura qu'elles ne disaient rien du tout.
            Je savais bien le contraire. Je les entendais babiller confusément, surtout à la rosée du soir ; mais elles parlaient trop bas pour que je pusse distinguer leurs paroles ; et puis elles étaient méfiantes, et, quand je passais près des plates-bandes du jardin ou sur le sentier du pré, elles s'avertissaient par une espèce de psitt qui courait de l'une à l'autre. C'était comme si l'on eût dit sur toute la ligne : " Attention ! Taisons- nous, voilà l'enfant curieux qui nous écoute ".
            Je m'y obstinai. Je m'exerçai à marcher si doucement, sans frôler le plus petit brin d'herbe, qu'elles ne m'entendirent plus et que je pus m'avancer tout près, tout près ; alors me baissant sous l'ombre des arbres pour qu'elles ne vissent pas la mienne, je saisis enfin des paroles articulées.
            Il fallait beaucoup d'attention ; c'était de si petites voix, si douces, si fines, que la moindre brise les emportait et que le bourdonnement des sphinx et des noctuelles les couvrait absolument.
            Je ne sais pas quelle langue elles parlaient. Ce n'était ni le français, ni le latin qu'on m'apprenait alors ; mais il se trouva que je comprenais fort bien. Il me sembla même que je comprenais mieux ce langage que tout ce que j'avais entendu jusqu'alors.
Afficher l'image d'origine *          Un soir, je réussis à me coucher sur le sable et à ne plus rien perdre de ce qui se disait auprès de moi dans un coin bien abrité du parterre. Comme tout le monde parlait dans tout le jardin, il ne fallait pas s'amuser à vouloir surprendre plus d'un secret en une fois. Je me tins donc là bien tranquille et voici ce que j'entendis dans les coquelicots :
            - Mesdames et Messieurs, il est temps d'en finir avec cette platitude. Toutes les plantes sont également nobles ; notre famille ne le cède à aucune autre, et, accepte qui voudra la royauté de la rose, je déclare que j'en ai assez et que je ne reconnais à personne le droit de se dire mieux né et plus titré que moi.
            A quoi les marguerites répondirent toutes ensemble que l'orateur coquelicot avait raison. Une d'elles, qui était plus grande que les autres et fort belle, demanda la parole et dit :
            - Je n'ai jamais compris les grands airs que prend la famille des roses. En quoi, je vous le demande, une rose est plus jolie et mieux faite que moi ? La nature et l'art se sont entendus pour multiplier le nombre de nos pétales et l'éclat de nos couleurs. Nous sommes même beaucoup plus riches, car la plus belle rose n'a guère plus de deux cents pétales et nous en avons jusqu'à cinq cents. Quant aux couleurs, nous avons le violet et presque le bleu pur que la rose ne trouvera jamais.
            - Mais, dit un grand pied-d'alouette vivace, moi le prince Delphinium, j'ai l'azur des cieux dans ma corolle, et mes nombreux parents ont toutes les nuances du rose. La prétendue reine des fleurs a donc beaucoup à nous envier, et, quant à son parfum si vanté...
            - Ne parlez pas de cela, reprit vivement le coquelicot. Les hâbleries du parfum me portent sur les nerfs. Qu'est-ce, je vous prie, que le parfum ? Une convention établie par les jardiniers et les papillons? Moi, je trouve que la rose sent mauvais et que c'est moi qui embaume.
            - Nous ne sentons rien, dit la marguerite, et je crois que par là nous faisons preuve de tenue et de bon goût. Les odeurs sont des indiscrétions ou des vanteries. Une plante qui se respecte ne s'annonce pas par des émanations. Sa beauté doit lui suffire.
            - Je ne suis pas de votre avis, s'écria un gros pavot qui sentait très fort. Les odeurs annoncent l'esprit et la santé.                                                                dreamstime.com
Oiseau, fleurs et papillons d aquarelle            Les rires couvrirent la voix du gros pavot. Les oeillets s'en tenaient les côtes et les résédas se pâmaient. Mais, au lieu de se fâcher, il se remit à crititique la forme et la couleur de la rose qui ne pouvait répondre ; tous les rosiers venaient d'être taillés et les pousses remontantes n'avaient encore que de petits boutons bien serrés dans leurs langes verts. Une pensée fort richement vêtue critiqua amèrement les fleurs doubles, et, comme celles-ci étaient en majorité dans le parterre, on commença à se fâcher. Mais il y avait tant de jalousie contre la rose, qu'on se réconcilia pour la railler et la dénigrer. La pensée eut même du succès quand elle compara la rose à un gros chou pommé, donnant la préférence à celui-ci à cause de sa taille et de son utilité. Les sottises que j'entendais m'exaspérèrent et, tout à coup, parlant leur langue :
            - Taisez-vous, m'écriai-je en donnant un coup de pied à ces sottes fleurs. Vous ne dîtes rien qui vaille. Moi qui m'imaginais entendre ici des merveilles de poésie, quelle déception vous me causez avec vos rivalités, vos vanités et votre basse envie !
            Il se fit un profond silence et je sortis du parterre.
            " Voyons donc, me disais-je, si les plantes rustiques ont plus de bon sens que ces péronnelles
cultivées qui, en recevant de nous une beauté d'emprunt, semblent avoir pris nos préjugés et nos travers. "
            Je me glissai dans l'ombre de la haie touffue, me dirigeant vers la prairie ; je voulais savoir si les spirées qu'on appelle reines-des-prés avaient aussi de l'orgueil et de l'envie. Mais je m'arrêtai auprès d'un grand églantier dont toutes les fleurs parlaient ensemble.
            " Tâchons de savoir, pensa ou-je, si la rose sauvage dénigre la rose à cent feuilles et méprise la rose pompon. "
            Il faut vous dire que, dans mon enfance, on n'avait pas créé toutes ces variétés de roses que les jardiniers suivants ont réussi à produire depuis, par la greffe et les semis. La nature n'en était pas plus pauvre pour cela. Nos buissons étaient remplis de variétés nombreuses de roses à l'état rustique : la canina, ainsi nommée parce qu'on la croyait un remède contre la morsure des chiens enragés ; la rose cannelle, la musquée, la rubiginosa ou rouillée qui est une des plus jolies ; la rose pimprenelle,
la tomentosa ou cotonneuse, la rose alpine, etc., etc. Puis, dans les jardins nous avions des espèces permanentes à peu près perdues aujourd'hui, une panachée rouge et blanc qui n'était pas très fournie en pétales, mais qui montrait sa couronne d'étamines d'un beau jaune vif et qui avait le parfum de la bergamotte. Elle était rustique au possible, ne craignant ni les étés secs ni les hivers rudes ; la rose
pompon, grand et petit modèle, qui est devenue excessivement rare ; la petite rose de mai, la plus précoce et peut-être la plus parfumée de toutes, qu'on demanderait aujourd'hui en vain dans le commerce, la rose de Damas ou de Provins que nous savions utiliser et qu'on est obligé, à présent, de demander au midi de la France ; enfin, la rose à cent feuilles ou, pour mieux dire, à cent pétales, dont la patrie est inconnue et qu'on attribue généralement à la culture.          deavita.fr
jardin-ornement-chilienne-fleuri-fleurs-roses-mauves            C'est cette rose centifolia qui était alors, pour moi comme pour tout le monde, l'idéal de la rose, et je n'étais pas persuadée, comme l'était mon précepteur, qu'elle fût un monstre dû à la science des jardiniers. Je lisais dans mes poètes que la rose était de toute antiquité le type de la beauté et du parfum. A coup sûr, ils ne connaissaient pas nos roses thé qui ne sentent plus la rose, et toutes ces variétés charmantes qui, de nos jours, ont diversifié à l'infini, mais en l'altérant essentiellement, le vrai type de la rose. On m'enseignait alors la botanique. Je n'y mordais qu'à ma façon. J'avais l'odorat fin et je voulais que le parfum fût un des caractères essentiels de la plante ; mon professeur qui prenait du tabac, ne m'accordait pas de critérium de classification. Il ne sentait plus que le tabac, et, quand il flairait une autre plante, il lui communiquait des propriétés sternutatoires tout à fait avilissantes. J'écoutai donc de toutes mes oreilles ce que disaient les  églantiers au-dessus de ma tête, car, dès les premiers mots que je pus saisir, je vis qu'ils parlaient des origines de la rose.
            - Reste ici, doux zéphir, disaient-ils, nous sommes fleuris. Les belles roses du parterre dorment encore dans leurs boutons verts. Vois, nous sommes fraîches et riantes, et, si tu nous berces un peu, nous allons répandre des parfums aussi suaves que ceux de notre illustre reine.
            J'entendis alors le zéphir qui disait :
            - Taisez-vous, vous n'êtes que des enfants du Nord. Je veux bien causer un instant avec vous, mais n'ayez pas l'orgueil de vous égaler à la reine des fleurs.
            - Cher zéphir, nous la respectons et nous l'adorons, répondirent les fleurs de l'églantier ; nous savons comme les autres fleurs du jardin en sont jalouses. Elles prétendent qu'elle n'est rien de plus que nous, qu'elle fille de l'églantier et qu'elle ne soit sa beauté qu'à la greffe et à la culture. Nous sommes des ignorantes et ne savons pas répondre. Dis-nous, toi qui es plus ancien que nous sur la terre, si tu connais la véritable origine de la rose.
            - Je vous la dirai, car c'est ma propre histoire, écoutez-la et ne l'oubliez jamais.
            Et le zéphir raconta ceci :
Résultat de recherche d'images pour "eglantier"**          - Au temps où les êtres et les choses parlaient encore la langue des dieux, j'étais le fils aîné du roi des orages. Mes ailes noires touchaient les deux extrémités des plus vastes horizons, ma chevelure immense s'emmêlait aux nuages. Mon aspect était épouvantable et sublime, j'avais le pouvoir de rassembler les nuées du couchant et de les étendre comme un voile impénétrable entre la terre et le soleil.
            Longtemps je régnai sur la planète inféconde. Notre mission était de détruire et de bouleverser. Mes frères et moi, déchaînés sur tous les points de ce misérable petit monde, nous semblions ne devoir jamais permettre à la vie de paraître sur cette scorie informe que nous appelons aujourd'hui la terre des vivants. J'étais le plus robuste et le plus furieux de tous. Quand le roi mon père était las, il s'étendait sur le sommet des nuées et se reposait sur moi du soin de continuer l'oeuvre de l'implacable destruction. Mais, au sein de cette terre, inerte encore, s'agitait un esprit, une divinité puissante, l'esprit de la vie, qui voulait être, et qui, brisant les montagnes, comblant les mers, entassant les poussières, se mit un jour à surgir de toutes parts. Nos efforts redoublèrent et ne servirent qu'à hâter l'éclosion d'une foule d'êtres qui nous échappaient par leur petitesse ou nous résistaient par leur faiblesse même ; d'humbles plantes flexibles, de minces coquillages flottants prenaient place sur la croûte encore tiède de l'écorce terrestre, dans les limons, dans les eaux, dans les détritus de tout genre. Nous roulions en vain les flots furieux sur ces créations ébauchées. La vie naissait et apparaissait sans cesse sous des formes nouvelles, comme si le génie patient et inventif de la création eût résolu d'adapter les organes et les besoins de tous les êtres au milieu tourmenté que nous leur faisions.
            Nous commencions à nous lasser de cette résistance passive en apparence, irréductible en réalité. Nous détruisions des races entières d'êtres vivants, d'autres apparaissaient pour nous subir sans mourir. Nous étions épuisés de rage. Nous nous retirâmes sur le sommet des nuées pour délibérer et demander à notre père des forces nouvelles                      depositphotos.com                       
Résultat de recherche d'images pour "vent zephyr"            Pendant qu'il nous donnait de nouveaux ordres, la terre un instant délivrée de nos fureurs se couvrit de plantes innombrables ou de myriades d'animaux ingénieusement conformés dans leurs différents types, cherchèrent leur abri ou leur nourriture dans d'immenses forêts ou sur les flancs de puissantes montagnes, ainsi que dans les eaux épurées de lacs immenses.
            - Allez, nous dit mon père, le roi des orages, voici la terre qui s'est parée comme une fiancée pour épouser le soleil. Mettez-vous entre eux. Entassez les nuées énormes, mugissez, et que votre souffle renverse les forêts, aplanisse les monts et déchaîne les mers. Allez, et ne revenez pas, tant qu'il y aura encore un être vivant, une plante debout sur cette arène maudite où la vie prétend s'établir en dépit de nous.
            Nous nous dispersâmes comme une semence de mort sur les deux hémisphères, et moi, fendant comme un aigle le rideau des nuages, je m'abattis sur les antiques contrées de l'extrême Orient, là où de profondes dépressions du haut plateau asiatique s'abaissant vers la mer sous un ciel de feu, font éclore, au sein d'une humidité énergique, les plantes gigantesques et les animaux redoutables. J'étais reposé des fatigues subies, je me sentais doué d'une force incommensurable, j'étais fier d'apporter le désordre et la mort à tous ces faibles qui semblaient me braver. D'un coup d'aile, je rasais toute une contrée ; d'un souffle j'abattais toute une forêt, et je sentais en moi une joie aveugle, enivrée, la joie d'être plus fort que toutes les forces de la nature.
            Tout à coup un parfum passa en moi comme par une aspiration inconnue à mes organes, et, surpris d'une sensation si nouvelle, je m'arrêtai pour m'en rendre compte. Je vis alors pour la première fois un être qui était apparu sur la terre en mon absence, un être frais, délicat, imperceptible, la rose !
            Je fondis sur elle pour l'écraser. Elle plia, se coucha sur l'herbe et me dit :
            - Prends pitié ! Je suis si belle et si douce ! respire-moi, tu m'épargneras.
            Je la respirai et une ivresse soudaine abattit ma fureur. Je me couchai sur l'herbe et je m'endormis auprès d'elle.
            Quand je m'éveillai, la rose s'était relevée et se balançait mollement, bercée par mon haleine apaisée.    pinterest.fr
Résultat de recherche d'images pour "roses et jardins"            - Sois mon ami, me dit-elle. Ne me quitte plus. Quand tes ailes terribles sont pliées, je t'aime et te trouve beau. Sans doute tu es le roi de la forêt. Ton souffle adouci est un chant délicieux. Reste avec moi, ou prends moi avec toi, afin que j'aille voir de plus près le soleil et les nuages.
            Je mis la rose dans mon sein et je m'envolai avec elle. Mais bientôt il me sembla qu'elle se flétrissait ; alanguie, elle ne pouvait plus me parler ; son parfum, cependant, continuait à me charmer, et moi, craignant de l'anéantir, je volais doucement, je caressais la cime des arbres, j'évitais le moindre choc. Je remontai ainsi avec précaution jusqu'au palais de nuées sombres où m'attendait mon père.
            - Que veux-tu ? me dit-il, et pourquoi as-tu laissé debout cette forêt que je vois encore sur les rivages de l'Inde ? Retourne l'exterminer au plus vite.
            - Oui, répondis-je en lui montrant la rose, mais laisse-moi te confier ce trésor que je veux sauver.
            - Sauver ! s'écria-t-il en rugissant de colère ; tu veux sauver quelque chose ?
            Et, d'un souffle il arracha de ma main la rose, qui disparut dans l'espace en semant ses pétales flétris.
            Je m'élançai pour ressaisir au moins un vestige ; mais le roi, irrité et implacable, me saisit à mon tour, me coucha, la poitrine sur son genou, et, avec violence, m'arracha mes ailes, dont les plumes allèrent  dans l'espace rejoindre les feuilles dispersées de la rose.
            - Misérable enfant, me dit-il, tu as connu la pitié, tu n'es plus mon fils. Va-t-en rejoindre sur la terre le funeste esprit de la vie qui me brave, nous verrons s'il fera de toi quelque chose, à présent que, grâce à moi, tu n'es plus rien.
            Et, me lançant dans les abîmes du vide, il m'oublia à jamais.
            Je roulai jusqu'à la clairière et me trouvai anéanti à côté de la rose, plus riante et plus embaumée que jamais.
Afficher l'image d'origine ***        - Quel est ce prodige ? Je te croyais morte et je te pleurais. As-tu le don de renaître après la mort ?
            - Oui, répondit-elle, comme toutes les créatures que l'esprit de vie féconde. Vois ces boutons qui m'environnent. Ce soir, j'aurai perdu mon éclat et je travaillerai à mon renouvellement, tandis que mes soeurs te charmeront de leur beauté et te verseront les parfums de leur journée de fête. Reste avec nous ; n'es-tu pas notre compagnon et notre ami ?
            J'étais si humilié de ma déchéance, que j'arrosais de mes larmes cette terre à laquelle je me sentais à jamais rivé. L'esprit de la vie sentit mes pleurs et s'en émut. Il m'apparut sous la forme d'un ange radieux et me dit :
             - Tu as connu la pitié, tu as eu pitié de la rose, je veux avoir pitié de toi. Ton père est puissant, mais je suis plus que lui, car il peut détruire et, moi, je peux créer.
            En parlant ainsi, l'être brillant me toucha et mon corps devint celui d'un bel enfant avec un visage semblable au coloris de la rose. Des ailes de papillon sortirent de mes épaules et je me mis à voltiger avec délices.
            - Reste avec les fleurs, sous le frais abri des forêts, me dit la fée. A présent, ces dômes de verdure te cacheront et protégeront. Plus tard, quand j'aurai vaincu la rage des éléments, tu pourras parcourir la terre, où tu seras béni par les hommes et chanté par les poètes. Quant à toi, rose charmante qui, la première, a su désarmer la fureur par la beauté, sois le signe de la future réconciliation des forces aujourd'hui ennemies de la nature. Tu seras aussi l'enseignement des races futures, car ces races civilisées voudront faire servir toutes choses à leurs besoins. Mes dons les plus précieux , la grâce, la douceur et la beauté risqueront de leur sembler d'une moindre valeur que la richesse et la force. Apprends-leur, aimable rose, que la plus grande et la plus légitime puissance est celle qui charme et réconcilie. Je te donne ici un titre que les siècles futurs n'oseront pas t'ôter. Je te proclame reine des fleurs ; les royautés que j'institue sont divines et n'ont qu'un moyen d'action, le charme.                                                          babel-voyages.com
Afficher l'image d'origine            Depuis ce jour, j'ai vécu en paix avec le ciel, chéri des hommes, des animaux et des plantes ; ma libre et divine origine me laisse le choix de résider où il me plaît, mais je suis trop l'ami de la terre et le serviteur de la vie à laquelle mon souffle bienfaisant contribue, pour quitter cette terre chérie où mon premier et éternel amour me retient. Oui, mes chères petites, je suis le fidèle amant de la rose et par conséquent votre frère et votre ami.
            - En ce cas, s'écrièrent toutes les petites roses de l'églantier, donne-nous le bal et réjouissons-nous en chantant les louanges de madame la reine, la rose à cent feuilles de l'Orient.
            Le zéphyr agita ses jolies ailes et ce fut au-dessus de ma tête une danse effrénée, accompagnée de frôlements de branches et de claquements de feuilles en guise de timbales et de castagnettes : il arriva bien à quelques petites folles de déchirer leur robe de bal et de semer leurs pétales dans mes cheveux ; mais elles n'y firent pas attention et dansèrent de plus belle en chantant :
            - Vive la belle rose dont la douceur a vaincu le fils des orages ! vive le bon zéphyr qui est resté l'ami des fleurs !
        Quand je racontai à mon précepteur ce que j'avais vu, il déclara que j'étais malade et qu'il fallait m'administrer un purgatif. Mais ma grand-mère m'en préserva en lui disant :
            - Je vous plains si vous n'avez jamais entendu ce que disent les roses. Quant à moi, je regrette le temps où je l'entendais. C'est une faculté de l'enfance. Prenez garde de confondre les facultés avec les maladies !


*         123rf.com                                                                                          George Sand
**        monarbrelorraine.blogspot.fr  
***     123.fr
  
                                                                                                 Contes d'une grand-mère    






dimanche 20 novembre 2016

Conversations privées avec le Président Antonin André Karim Rissouli ( Document France )


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                                                           Conversations privées avec le Président

            La solitude du pouvoir, " Je n'ai confiance en personne ". François Hollande aime la solitude de son cabinet présidentiel à l'Elysée où l'ancien patron du PS a trouvé ses marques. A l'aise, il raconte à ses deux interlocuteurs " C'est vrai, je vois moins de monde. Je ne veux pas avoir à commenter la difficulté du moment, ni supporter la compassion inquiète. " Président il pense l'être devenu lorsqu'il a décidé l'intervention de la France au Mali. De ce fait son statut de Chef de l'Etat s'est imposé à l'international alors qu'en France on ne voyait que les balbutiements et les erreurs des premiers mois de sa présidence. Auteurs d'un précédent ouvrage sur le nouveau Président avant son élection, les deux journalistes obtiennent l'accord de ce dernier pour des conversations privées durant son quinquennat. Ainsi donc le 16 novembre 2013 François Hollande avoue " C'est dur, bien sûr que c'est dur. C'est beaucoup plus dur que ce que j'avais imaginé. " Perte de popularité, chômage en hausse alors qu'il s'est engagé à le réduire. Et d'ailleurs les calculs du Président, au grand étonnement des 2 journalistes, tenteraient à démontrer l'aspect positif des derniers mauvais chiffres. Le Président est optimiste, tout au long des trois années d'interviews jusqu'au 24 mai 2016, il espère. Oublier Leonarda et la médiatisation mal gérée du problème, sa lente réaction face à son premier ministre des premiers temps, Jean-Marc Ayrault, ami de longue date, mais aux déclarations en contradiction avec les siennes. Emmanuel Macron conserve sa sympathie. La présidence de Hollande marquée par les orages, crise grecque et Tsipras, les attentats, Charlie, le Bataclan, Hyper Casher alors même que ses enfants sont peut-être présents dans ces quartiers. Des événements épouvantables gérés au mieux, et les sondages de popularité remontent un peu. Le président est jaloux de sa vie intime, il craint la presse et les dérapages. Et à ce moment-là, en mai 2016, François Hollande pense que le seul candidat à droite ne peut être que Sarkozy qu'il critique abondamment par ailleurs, mais à qui il reconnaît un vrai talent politique. Face à lui je peux gagner, pense-t-il, en 2017.
            Le livre est passionnant, curieux la retranscription des propos du président, le rythme, les catastrophes annoncées, vécues, connues, tout le long absorbés avec l'étonnement de qui comme François Hollande prend du recul pour réfléchir longtemps, avant de prendre une décision, avec sang-froid, selon son fils Thomas.
           Mais Nicolas Sarkozy battu à la primaire de la droite. Que fera François Hollande face à François Fillon probable vainqueur ou Alain Juppé ?
           Se lit comme un roman où ne manquent pas les épisodes orageux, sentimentaux. Délicats épisodes.

mardi 15 novembre 2016

Le mystère du magicien disparu Ian Sansom ( Roman Angleterre )


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                                                Le mystère du magicien disparu

            Amoureux inconditionnel des livres, de la lecture, de  la littérature, Israel Armstrong vivait au nord de Londres. Doté d'une licence avec + A, il trouva peu de travail en Angleterre et s'exila en Irelande, du Nord. Ce qui donne à l'auteur l'occasion de savoureuses digressions sur la vie, les idées reçues des habitants de North Ireland, qui, entre autres, ne comprennent pas que l'on puisse porter le nom d'un pays. Mais il trouve un modeste poste de bibliothécaire, dans un bibliobus. Tout cela raconté plaisamment par l'auteur britannique issu de Cambridge et Oxford, et qui écrit ses livres dans les bibliothèques publiques ou les librairies. Dans ce deuxième ( 4 en Grande Bretagne ) volume des aventures du bibliothécaire de bibliobus paru en France, Israel, doux intellectuel rondouillard, aux "jambes potelées " habite Tundrum.  4 églises, une de chaque côté de la place, baptiste, etc. Israel l'avait promis au révérend Robert; il assise au sermon du samedi de Pâques et le pasteur rira beaucoup en apprenant qu'Israel est le premier suspect dans ce vol doublé de disparition. Le livre est extrêmement drôle. Humour anglais, et culture en parallèle. Pas de meurtre, un peu farfelu, réaliste le ciel est gris, avant, pendant et après la pluie. On boit du thé. De la bière avec Ted un peu en marge et homme à tout faire, et il y a Rosie et Linda. George ( c'est une femme, elle le croit coupable possible ). Mais comme souvent, ou toujours ? cherchez la femme. Les problèmes de la société communs à tous les pays ont atteints ce coin d'Irelande. Le système Ponzi, a-t-il un rapport avec le vol d'argent ? Mr Dixon est un prestidigitateur amateur. Un joli roman policier sans effusion de sang, qu'on lit le sourire aux lèvres. British ! so British !

vendredi 4 novembre 2016

correspondance proust à Berthe Lemarié à G Gallimard( lettres France )

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                                                                                                                Décembre 1918

            Chère Madame
            Je vous assure que c'est une grande tristesse pour moi qui ai tant de sympathie pour vous , de vous adresser toujours des doléances. Et cette tristesse cela va être pour moi d'écrire à Gaston que j'aime tendrement et que je voudrais remercier au lieu de gémir, mon désespoir en ouvrant A l'ombre des jeunes filles en fleurs, de trouver un livre écrit si fin qu'il est impossible à lire ! Je comprends que mes mauvais yeux n'en puissent déchiffrer une ligne, mais personne, même de ceux qui ont de bons yeux ne le lira. Avoir tant travaillé pour ce résultat ! Gaston à qui j'avais demandé que ce fût plus gros comme caractères que Swann m'avait promis que ce serait en tous cas au moins aussi gros. Or je n'ai pas assez l'habitude des impressions pour affirmer que c'est à moitié plus fin, mais je ne dois pas me tromper de beaucoup. Gaston m'avait dit que cela faisait le même nombre de pages que Swann. Or il y en a presque 100 de moins. C'était donc si facile de mettre autant de pages que pour Swann et d'avoir des caractères aussi gros. Je ne sais que vous dire dans le 1er coup de mon ennui. Quels que soient mes ennuis d'argent, je ne reculerai pas devant un " retirage " à mes frais. En tous cas il faudrait d'abord l'avis de Gaston. Du moins je voudrais bien si ces caractères microscopiques qui suppriment purement et simplement mon livre doivent subsister, que vous n'en mettiez pas de trop gros ( et qui feraient trop contraste ) pour Pastiches et Mélanges. Ce volume de moindre importance en caractères géants et le livre important en pattes de mouche, cela prêterait à rire ( pour tout autre que moi ). Naturellement je ne souhaite tout de même pas que ce soit aussi petit et aussi serré que
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, car tout en attachant plus d'importance à ce livre naturellement, le fait qu'on ne pourrait pas lire l'autre n'améliorerait pas la lecture du 1er.
            Je ne peux pas vous dire au milieu de mon ennui de voir ce livre qui ne sera pas lu, combien surnage en moi l'ennui de penser que j'ai l'air de me plaindre à vous, alors que je voudrais l'expression de ma gratitude de mon attachement fût sans mélange. Mais que serait l'amitié sans la sincérité ?
Afficher l'image d'origine *           Autre chose de bien moindre importance. Je vous ai raconté que Grasset qd on lui demandait Swann n'indiquait pas la NRF, de sorte qu'on ne savait où le trouver. Mais voici que mon ami Etienne de Beaumont me dit qu'ayant donné aux uns et aux autres ses différents Swann, il l'avait fait demander à la NRF. Et il lui aurait été répondu, qu'on n'avait pas l'ouvrage ! J'avoue que j'en ai été stupéfait, la NRF n'ayant pas moins d'intérêt que moi à vendre  " Du côté de chez Swann ". Beaumont est des plus affirmatifs. Je n'y comprends rien. En tous cas à cela j'attache beaucoup moins d'importance, car " Du côté de chez Swann " existe, il a été lu. Je crains que " A l'ombre des jeunes filles en fleurs " à cause de la petitesse des caractères et du rapprochement des lignes, ne le soit jamais. Et j'en suis navré. Je reconnais d'ailleurs que la couverture est " ravissante ". Est-ce que je pourrais avoir encore un ou deux exemplaires. Henri Bardac a emporté le mien, et je voudrais tout de même avec des doubles lunettes essayer de voir, essayer de lire. Daignez agréer chère Madame ma respectueuse et reconnaissante amitié.


*           fnac.com

                                                                                            Marcel Proust


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                                                                                              A Gaston Gallimard
proust-personnages.fr                                                                                                               Tout début juin 1919  
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            Cher ami
            Assurément j'ai fait téléphoner ce soir rue St Lazare. Mais j'ai aussi fait téléphoner à la NRF et, même à 2 h de l'après-midi, on se concertait et on finissait par répondre que vous étiez parti depuis 1 heure. Cela faisait que vous quittiez dès 1h de l'après-midi, et comme j'évitais de faire téléphoner les samedis, veilles de fête etc, ce n'était même pas la semaine anglaise. C'était un tout petit plus commode quand vous étiez en Amérique car il y avait le bateau " qui allait partir ". Si je vous ai fait tant tourmenter ces temps-ci, vainement d'ailleurs au téléphone, c'est que Grasset me proposait divers arrangements sur lesquels j'aurais voulu vous consulter. Finalement je me suis arrangé directement avec lui. Il y avait aussi le portrait de Jacques Blanche, mais je suis incapable de vous écrire en ce moment sur tout cela, je viens de déménager, le nouveau domicile où je suis me donne des crises d'asthme terribles et ces lignes sont les 1res que je peux tracer après des heures de vrai coma. En quittant le 102 bd Haussmann j'y ai trouvé les premières épreuves de Du côté de Guermantes. Je ne croyais pas si bien dire quand je vous écrivais " Vous verrez que j'aurai mes épreuves quand je ne pourrai plus les corriger ". Je vais pouvoir tout de même car ces 1res crises se calment et laissent surtout de la fièvre qui n'empêchent nullement des corrections d'épreuves. Tout de même je n'espère pas commencer avant 48 heures et irai comme le vent après. Vous avez été impossible à atteindre je le suis en ce moment, pour peu de temps, je pense à vous avec infiniment d'amitié

*         


                                                                                                  Marcel Proust


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                                                                                                   A Gaston Gallimard    

                                                                                                                       2 décembre 1919

neobook.fr                                 Cher ami
Résultat de recherche d'images pour "goncourt jeunes filles proust"            Pardonnez-moi, on  ne devrait jamais faire de reproches sans s'expliquer immédiatement. J'ai été tellement malade ces temps-ci que vraiment écrire une ligne, signer un livre était trop pour mon odieux malaise. Aujourd'hui où je semble entrer dans une période d'accalmie, je peux écrire , moi un peu. Et pourtant entrer dans la voie des reproches, quelle difficile chose ! J'ai tâché toujours de préserver notre amitié - notre virtualité d'amitié puisque hélas nous n'avons encore jamais eu vous les loisirs, moi la santé, d'en réaliser la puissance. Elle a survécu à tant de petites choses - qui à la longue deviennent grandes -,  ( vous l'avez d'ailleurs vous-même préservée par tant de gentillesse ) que j'hésite à mettre entre nous la cristallisation brutale de griefs en suspens. Permettez-moi d'ajourner, peut-être " sine die ", ce débat. Mais je tiens à deux observations dont l'une me touche directement dans mes intérêts, dont l'autre ne me touche aucunement, elle m'a été formulée il y a qq temps par M. Boylesve et touche peut-être vos intérêts à vous. Voici d'abord la 1re celle qui me touche directement : ne croyez-vous pas ( vous ne le croyez pas, sans cela vous rectifieriez, donc disons mieux n'avez-vous pas tort de ne pas croire ) que vous êtes trompé par des subordonnés imprimeurs je ne sais qui, quant aux éditions des volumes. ( Quand je dis " vous " cela veut dire vous Gallimard et Tronche, car je crois que Rivière s'occupe seulement de la Revue et Copeau du théâtre ).
Voici pourquoi. Je ne croyais pas que A l'ombre des jeunes filles en fleurs aurait du succès. Si vous vous en souvenez je vous avais dit que j'étais un peu honteux de faire paraître tout seul cet intermède languissant. Or par un hasard extraordinaire, ce livre a cent fois le succès de Swann. J'ai été très ému des sympathies précieuses que Swann m'a values, mais elles étaient isolées, je les ai apprises indirectement. Pour Les jeunes filles en fleurs c'est tout autre chose. J'aurais l'air de copier mon propre pastiche de Goncourt en vous disant qu'elles sont sur toutes les tables en Chine et au Japon. Et c'est pourtant en partie vrai. Pour la France et les pays voisins ce n'est pas en partie vrai, cela l'est tout à fait. Je n'ai pas un banquier qui ne les ait trouvées sur la table de son caissier, aussi bien que je n'ai pas d'amies voyageant qui ne les ait vues chez ses amies dans les Pyrénées ou dans le Nord, en Normandie ou en Auvergne. Le contact direct avec le lecteur que je n'avais pas eu avec Swann, est quotidien. Les demandes d'articles dans les journaux aussi fréquentes. Je n'en tire aucune vanité sachant que la vogue va souvent aux plus mauvais livres. Je n'en tire aucune vanité, mais j'espérais en tirer qq argent. Or voici où je crains que Tronche et vous, ne soyez trompés par des subalternes. Le nombre des éditions n'est pas le seul signe de la vogue, mais il en est un, comme sont des signes les cours de la Bourse ou le degré de fièvre d'un malade. Hé bien au fur et à mesure que les jeunes filles se vendent, le nombre des éditions diminue. Dès la 1re semaine ( en Juin ou Juillet je ne me souviens plus, juillet je crois ) si on ne pouvait trouver une seule première édition, en revanche on était déjà à la 6è. Nous touchons à Décembre et on en vend surtout des 3è ! Je reconnais qu'on en vend aussi des 5è et des 6è comme en Juillet ! Mais cela signifie donc que nul pas n'a été fait pendant ces 5 mois, alors que c'est pourtant depuis la 6è édition  qu'il y a eu les articles de toutes les Revues anglaises ( dont le Times, pourtant chaleureux selon vous, a été le plus froid ) italiennes, espagnoles, belges. Tout cela, et quatre articles d'Hermant, et tout le reste n'aurait pas fait  une édition en 5 mois quand il y en avait eu six en huit jours ! J'admets qu'on en ait mis dès le début en vente avant que les précédentes eussent été consommées. Mais enfin " tout le monde " en ce moment lit le livre, et même ceux qui ne l'ont pas lu, l'ont acheté, sous prétexte que c'est le livre à la mode. Tout cela doit se traduire par des éditions. Où sont-elles ? En six mois Swann avait fait chez Grasset six éditions, et si vous vous en souvenez, vous jugiez ce chiffre très inférieur au nombre réel des éditions et vous supposiez que Grasset avait tiré beaucoup de volumes sans annoncer de nlles éditions, vous pensiez dans la proportion du double à peu près. J'ignore si Grasset est capable de cela, en tous cas je sais bien que vous, Tronche, tout autant que Rivière, Copeau, ou mon grand ami Gide, en êtes incapables, étant par-dessus tous vos autres mérites, la Probité incarnée. Mais n'êtes-vous pas trompés ? Ce qui me le ferait croire c'est l'inertie, la résistance qu'on rencontre quand on va demander un livre à la NRF. Les anecdotes seraient trop longues pour ma fatigue. Mais enfin la vente est réelle. Examinez, je vous en prie.                                                                                                               ouest-france.fr  
Résultat de recherche d'images pour "proust jeunes filles goncourt"            Par la même occasion dîtes-moi si vous avez trouvé un traducteur pour l'Angleterre. Cela a une très gde importance. Si vous n'avez pas traité avec la dame dont je vous avais donné la lettre, je pourrai le 7 vous donner le nom du traducteur de Jean Christophe qui serait peut-être bien. On aime mieux mes livres en Angleterre qu'en France, une traduction y aurait grand succès. Quant à la question qui ne me concerne en rien, la voici. J'ai reçu il y a environ un mois une lettre de M. Boylesve se plaignant beaucoup de la NRF éditeur. Accessoirement, il déplore qu'un correcteur n'ait pas éliminé les fautes de mon texte. Principalement, il s'élève avec violence contre une innovation que je ne connaissais pas et qui a pour nom qq chose comme " Les Editions originales ". Il voit là
( ceci entre nous, bien qu'il ne me demande pas le secret ) un procédé commercial de mauvais aloi par lequel on force le lecteur à souscrire à une quantité de livres, pour en avoir la 1re édition d'un seul qui vous intéresse. Il me dit ( je ne sais pas par coeur les mots et les chiffres, mais j'ai sa lettre ) : " Votre éditeur m'a forcé à verser 156 fr. pour avoir la 1re édition de vos livres. Il est cause que je ferai ce que je n'ai jamais fait de ma vie, je mettrai sur les quais tous les livres qu'il m'enverra, excepté les vôtres ". Je suis certain que cette innovation ( qui personnellement ne me touche pas et ne me regarde en rien ) a été mal interprétée par Boylesve. Mais enfin il est irrité. Si vous m'y autorisiez, je lui rendrai  ( de ma poche naturellement mais en feignant que c'est de la NRF ) les 156 fr. ( ou enfin le chiffre que je ne sais pas par coeur ) et en échange vous lui promettrez une 1re édition de chacun de mes volumes futurs. Je crois que je ne vous ai pas dit le charmant procédé de Régnier envers moi mais cher ami la fatigue m'arrête, je suis encore très malade, et c'est précisément par une brusque dépression de mes forces que je cesse, en vous assurant seulement de ma tendre et fidèle amitié.


                                                                                        Marcel Proust

            Si vous avez reçu du Côté de Guermantes, ou de la dactylographie de Sodome et Gomorrhe vous m'aiderez, en me les communiquant sans retard, à rattraper le temps perdu.



  






mercredi 2 novembre 2016

Fagnes de Wallonie Guillaume Apollinaire ( Poème France )

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ina.fr



                                        Fragnes de Wallonie

            Tant de tristesses plénières
            Prirent mon coeur aux fagnes désolées
            Quand las j'ai reposé dans les sapinières
            Le poids des kilomètres pendant que râlait
            Le vent d'ouest
                                                                                                                       
            J'avais quitté le joli bois
            Les écureuils y sont restés
            Ma pipe essayait de faire des nuages
                            Au ciel
            Qui restait pur obstinément

            Je n'ai confié aucun secret sinon une chanson
                          énigmatique
            Aux tourbières humides

            Les bruyères fleurant le miel
            Attiraient les abeilles
            Et mes pieds endoloris
            Foulaient les myrtilles et les airelles
            Tendrement mariées
                           Nord                                                                                         viviennestringa.com
Résultat de recherche d'images pour "guillaume apollinaire portrait"                           Nord

            La vie s'y tord
            En arbres forts
                            Et tors
            La vie y mord
                            La mort
            A belles dents
            Quand bruit le vent


                                                                 Guillaume Apollinaire

lundi 31 octobre 2016

La souris Saki - J. J. Munro ( nouvelle Grande Bretagne )

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lasouris-web.org

                                                     La souris

            Theodoric Voler avait été élevé dès son plus jeune âge et jusqu'aux confins de la maturité par une mère dévouée dont le principal souci avait été d'épargner à son fils ce qu'elle appelait les réalités grossières de l'existence. Lorsqu'elle mourut, elle laissa Théodoric tout seul dans un monde qui était aussi réel que jamais et beaucoup plus grossier qu'il ne l'estimait nécessaire. Pour un homme de son tempérament et de son éducation un simple voyage en chemin de fer représentait une aventure périlleuse parsemée d'ennuis et de désagréments mineurs ; aussi lorsqu'il s'installa un matin de septembre dans un compartiment de seconde classe, ce fut avec des sentiments mélangés et une impression générale de malaise. il venait de passer quelques jours dans un presbytère de campagne
dont les habitants n'étaient pas plus enclins à commettre des brutalités que des obscénités mais qui dans la conduite d'une maison, faisaient preuve d'une négligence des plus fâcheuses. C'est ainsi que la voiture qui devait le conduire à la gare n'avait pas été commandée à temps et qu'au moment de son départ le valet d'écurie qui aurait dû l'atteler s'avéra introuvable. Avec une répugnance qui, pour être muette, n'en était pas moins intense, Théodoric se vit donc contraint d'aider la fille du passeur à harnacher le poney, opération qui consistait à farfouiller en tâtonnant dans un appentis mal éclairé baptisé indûment du nom d'écurie et qui en avait du moins l'odeur, sauf dans les endroits qui sentaient la souris. Sans craindre à proprement parler ces bestioles, Théodoric les classait au nombre des réalités grossières de l'existence et considérait que la Providence eût pu, avec un minimum de courage moral, réaliser depuis longtemps qu'elles n'étaient pas absolument indispensables au bonheur de l'humanité et les retirer dès lors de la circulation. Tandis que le train sortait doucement de la gare, l'imagination fertile de Théodoric se reprochait d'exhaler une faible odeur d'écurie, et d'arborer peut-être deux ou trois brins de paille moisis sur ses habits d'ordinaire si bien brossés. Par bonheur, le seul autre occupant du compartiment, une dame du même âge que lui environ, semblait plus encline à somnoler qu'à détailler sa mise. Le train ne devait pas s'arrêter avant le terminus, et la voiture n'avait pas de couloir, ce qui excluait la venue de tout autre compagnon de voyage. Et pourtant le train avait à peine atteint sa vitesse normale qu'il fut bien obligé de constater qu'il n'était pas seul dans le compartiment avec la voyageuse assoupie, et qu'il n'était même pas seul dans ses propres habits. Un mouvement de reptation sur sa chair trahissait la présence inopportune et fort désagréable, invisible quoique insistante d'une souris égarée qui avait dû s'engouffrer dans sa présente retraite durant l'épisode du harnachement du poney. Des coups de pied furtifs, de brusques secousses et des pincements distribués à l'aveuglette n'arrivèrent pas à déloger l'intrus dont la devise semblait être : *
Résultat de recherche d'images pour "souris dessin couleur"* " Toujours plus haut ", si bien que l'occupant légitime des vêtements se renversa sur la banquette et chercha à trouver rapidement un moyen de mettre un terme à cette usurpation. Il était hors de question qu'il continuât pendant une heure entière à servir de loge à une colonie de souris ( son imagination fertile avait déjà doublé le nombre des envahisseurs ). D'autre part, seul un déshabillage partiel était susceptible de le débarrasser de son  tourmenteur mais l'idée de se dévêtir en présence d'une dame, fût-ce dans une intention aussi louable, suffisait à faire monter jusqu'au bout de ses oreilles le rouge écarlate d'ignominie. Il n'avait jamais pu se résoudre à exposer aux yeux du beau sexe, ne fût-ce que l'ourlet de ses bas ajourés. Et si en l'occurrence la voyageuse semblait profondément endormie, la souris, de son côté, semblait dévorée par une furieuse envie d'excursionner sur toutes les parties accessibles de son corps. Si la théorie de la métempsychose n'est pas une pure chimère, cette souris-là avait dû être dans une vie antérieure membre du Club Alpin. Parfois elle perdait pied, tant elle était fébrile, et chutait d'un ou deux pouces ; puis, tout affolée, elle se mettait à mordre méchamment. Théodoric se trouva donc dans l'obligation d'entreprendre l'action la plus téméraire de sa vie. Fixant un regard angoissé sur sa compagne de voyage endormie, tandis que son visage prenait la teinte d'une betterave, il se saisit silencieusement et prestement des extrémités de sa couverture de voyage qu'il fixa aux filets à bagage qui lui faisaient face de manière à tendre une barrière substantielle entre la passagère et lui. Dans l'étroit vestiaire qu'il s'était ainsi aménagé, il entreprit avec une hâte désordonnée de s'extirper partiellement et de déloger entièrement la souris des diverses couches de tweed et de lainage qui l'emmaillotaient. Et au moment où la souris, ainsi démaillotée, bondissait toute affolée sur le plancher, la couverture, se détachant à chacune de ses extrémités, tomba avec un bruit sourd et poignant, qui tira aussitôt la dormeuse de son sommeil. D'un mouvement presque plus prompt que celui de la souris, Théodoric bondit sur la couverture dont il ramena les larges plis jusqu'à hauteur de son menton afin d'en recouvrir sa nudité, tandis qu'il s'effondrait dans le coin opposé du compartiment. Le coeur battant, le rouge au front, les veines du cou saillantes, il attendit bouche bée qu'on tirât la sonnette d'alarme. La passagère se contenta toutefois de fixer silencieusement ce personnage étrangement accoutré qui lui faisait vis-à-vis. Que pouvait-elle avoir vu, se demanda Théodoric, et en tout cas que pouvait-elle bien penser de  la posture dans laquelle il se trouvait ?
Résultat de recherche d'images pour "souris"      * *   - J'ai dû prendre froid, hasarda-t-il en désespoir de cause.
            - J'en suis vraiment navrée, répondit-elle. Et moi qui allais vous prier de bien vouloir baisser la vitre.
            - Ce doit être la malaria, ajouta-t-il en grinçant légèrement des dents, autant par peur que par désir d'étayer sa théorie.
            - J'ai une fiasque de cognac dans mon sac, si vous voulez bien le descendre, lui proposa la dame.
            - Jamais de la vie... je veux dire que je ne prends jamais rien contre la malaria. Je laisse faire la nature et j'attends que ça passe.
            - Vous avez dû attraper ça sous les Tropiques ?
            Théodoric, dont la connaissance des Tropiques se résumait à la balle de thé qu'un oncle envoyait chaque année de Ceylan, sentit que même la malaria lui faisait faux bond. Lui serait-il possible, se demandait-il alors, de lui dévoiler la vérité par doses homéopathiques ?
            - Craignez-vous les souris ? risqua-t-il en rougissant si possible encore davantage.
            - Pas à moins qu'elles n'arrivent en torrents comme celles qui dévorèrent l'évêque Hatto. Pourquoi me posez-vous cette question ?
            - J'en avais une à l'instant qui s'était glissée à l'intérieur de mes vêtements, dit Théodoric d'une voix qu'il eut peine à reconnaître pour la sienne. C'était une situation très embarrassante.
            - Je vous crois sans peine, pour peu que vous portiez des vêtements serrés comme cela semble être votre cas, observa-t-elle. Mais les souris ont d'autres idées que nous sur le confort.
            - J'ai dû m'en débarrasser pendant que vous dormiez, poursuivit-il entre deux hoquets, et c'est en essayant de m'en débarrasser que j'en suis arrivé à cet état dans lequel vous me voyez présentement.
            - Ce n'est sûrement pas le fait d'avoir rendu sa liberté à une petite souris qui a pu vous provoquer ce refroidissement, s'exclama-t-elle avec une légèreté que Théodoric jugea abominable.
            Elle avait manifestement deviné sa situation et jouissait de sa confusion. Tout le sang qui coulait dans ses veines sembla affluer au visage de Théodoric et une vague d'humiliation, plus affreuse qu'une invasion de souris, parut lui ravager l'âme. Puis, à mesure qu'il reprenait ses esprits, l'humiliation fit place à la terreur pure et simple. Chaque seconde qui passait rapprochait le train du terminus ou une foule grouillante aux mille yeux scrutateurs remplacerait cette unique paire d'yeux paralysants qui l'observaient de l'autre coin du compartiment. Il existait encore une chance infime, c'est que sa compagne de voyage retombât dans une bienheureuse torpeur. Mais à mesure que les minutes s'écoulaient, cette chance s'amenuisait. Le regard furtif que Théodoric lui jetait de temps en temps ne décelait qu'un regard bien éveillé.                                                      
            - Nous devons approcher maintenant, dit-elle au bout d'un moment.
            Théodoric avait déjà observé avec une terreur croissante les alignements de bicoques sordides qui annonçaient le terme du voyage. Ces paroles agirent sur lui comme un signal. Telle une bête traquée qu'un chasseur vient de débusquer, et qui se précipite, éperdue, vers quelque autre havre provisoire, il rejeta sa couverture, et enfila ses vêtements avec une hâte frénétique. La gorge serrée, le coeur battant, il voyait défiler derrière la vitre dans un silence glacé les mornes gares de banlieue. Puis comme il finissait de se rajuster, le train ralentit pour s'arrêter définitivement et la femme parla.
            - Voudriez-vous avoir l'obligeance de me trouver un porteur qui puisse m'accompagner jusqu'à un taxi ? Je suis navrée de vous demander ce service alors que vous êtes souffrant, mais il est difficile de s'y retrouver dans une gare quand on est aveugle.

*             jymcicreations.canalblog.com
**           crdp-pupitre.ac-clerm

                                                                                                                   Saki
                                                                                               ( in Nouvelles complètes )
                                                                                                                                                         

dimanche 30 octobre 2016

Correspondance Proust à Gaston Gallimard 5( lettres France )

             
gallimard.fr

                                                                                                            7 novembre 1918
                                                                                                              102 bvd Haussmann

            Soyez assez gentil pour lire attentivement jusqu'au bout. Excusez ce " Lege quaeso " de collège car ma lettre est importante.
         
            Cher ami,
            Quand je pense si affectueusement à vous ( il me semble en effet qu'à votre dernier passage à Paris notre amitié s'est resserrée ) cela m'ennuie de vous importuner à New York de mes doléances, hélas, trop motivées. Mais enfin vous êtes aussi mon éditeur, vous l'êtes parce que vous l'avez voulu, j'ai quitté pour vous Grasset, il faut tout de même que je vous dise des choses pratiques et précises. J'ai 3 sortes de regret. Le plus important est d'ordre purement littéraire. Vous savez mon désir de pouvoir surveiller la publication de mon oeuvre, autrement dit de tâcher de vivre jusqu'à ce qu'elle soit achevée. Je vous ai remis vers Juin , vous devez savoir les dates, le manuscrit complet du            " Côté de Guermantes ". Je ne vous l'ai pas remis plus tôt, bien qu'il fût prêt depuis des années ( commencé d'imprimer en 1913 ) parce qu'à cause de tous les ennuis que nous avions avec " A l'ombre des jeunes filles en fleurs ", vous trouviez inutile que les épreuves se chevauchassent. Mais les dernières étant corrigées, vous m'avez dit qu'on pouvait tout de suite me donner des épreuves du Côté de Guermantes. Aussi je vous en ai remis le manuscrit complet, je pense en Juin. Or nous sommes le 7 Novembre et je n'ai pas reçu une seule épreuve. Et ce n'est pas un hasard destiné à ne pas se reproduire. Car Madame Lemarié ( qui est infiniment gentille et que vous  ne pouvez que remercier pour moi ) me dit bien, tantôt que ce retard inexplicable est peut-être dû à la guerre, ou à la Paix, ou à la grippe ( comme j'entendais Calmette dire à un rédacteur dont il ne voulait pas publier les articles, bien entendu ce n'est pas le cas ici, qu'il n'avait pu les faire passer parce qu'il y avait eu une séance importante à la Chambre, des bruits de grève, un grand mariage, l'Actualité ), mais la raison qu'elle semble croire dominante est que la Semeuse ne veut pas commencer les épreuves du Côté de Guermantes " avant que le volume précédent, ( dont les dernières épreuves corrigées sont chez eux depuis six mois ), soit entièrement fabriqué, prêt à paraître. C'était la crainte de cela qui m'avait fait vous demander des imprimeurs différents pour les différents volumes. Vous m'aviez répondu que la fabrication du volume fini n'empêcherait nullement la Semeuse de donner des épreuves du Côté de Guermantes. Maintenant je vois qu'il ne faudra pas un an pour les 4 volumes comme vous m'aviez dit, mais huit ans ! Or ( comme les trois derniers volumes - les plus longs, les plus frappants et dont l'actuel n'était qu'un prologue un peu languissant - paraîtront ensemble ), quand ils paraîtront ( c'est-dire, de ce train-là, vers 1925, au plus tôt ), à supposer que l'auteur soit encore en vie pour corriger ses épreuves, les lecteurs auront depuis longtemps oublié l'existence de Swann, et le tout sera raté. En voyant l'imprudence de donner ainsi d'un seul coup tout mon manuscrit du Côté de Guermantes, je n'ai donné que Pastiches à composer, avant Mélanges. Mais cela ne semble pas devoir être un meilleur moyen. Et un beau jour je recevrai à la fois les épreuves de Pastiches et du Côté de Guermantes, de sorte qu'après de longs mois d'inaction, on me demandera un coup de feu dont ma santé n'est pas capable. Ce qui est moins important dans ce retard ce n'est ( comme la question toute différente dont je vais vous entretenir tout à l'heure ) qu'une question pécuniaire ( mais une profonde modification dans mon existence survenue qq semaines après votre départ donne à de telles questions une importance vitale pour moi ), si j'avais pu prévoir de pareilles lenteurs, j'eusse donné mon 1er volume ( A l'ombre des J.F. en fleurs ) en feuilleton. Le Figaro par suite d'un oubli de Bernstein n'aurait pas pu le publier au moment où je le voulais, bien qu'il l'eût autrefois annoncé et même commandé. Mais au lieu de leur dire que ( pour ne pas retarder la publication du volume ), je renonçais au feuilleton, du moment que le volume ne devait pas paraître, j'eusse retardé le feuilleton ou l'eusse donné à une revue. Maintenant je n'ai plus ni feuilleton ni volume et d'autre part tant de temps a passé que je crains de retarder tout de même en entreprenant des démarches pour un feuilleton ici où là.                                                                                                  abebooks.fr
Afficher l'image d'origine            Vous allez me trouver bien vulgaire de parler intérêt pécuniaire encore sur un tout autre point  ( mais au moment où mes ressources avaient diminué, une charge imprévisible et énorme, d'ailleurs aimée, est survenue ). Cet autre point ( j'entends celui qui concerne notre livre et non ma vie ) est celui-ci. Jacques de Lacretelle m'a écrit, il y a qq temps, que lui, M. Sembat et d'autres personnes avaient été très déçues quand elles avaient voulu souscrire des exemplaires de luxe de A l'ombre des jeunes filles en fleurs de s'entendre répondre qu'on ne pouvait en avoir un seul, le tout étant pris par la Société des Bibliophiles. J'ai alors eu l'idée suivante que je vous soumets. ( Divers amateurs de livres l'ont fort approuvée ). On ferait en dehors des exemplaires retenus par b.la Société des B., un tirage d'une vingtaine d'exemplaires à chacun desquels j'adjoindrais une vingtaine de pages de mes épreuves corrigées ( les gracieux chefs- d'oeuvre de Mlle Rallet ). Je signerais ces exemplaires qui
pourraient être vendus chacun 300 fr. Pour Pastiches et Mélanges on procéderait autrement. Comme je crois que les épreuves seront peu corrigées je pourrais écrire à la main une page du livre ( j'ai grand peur que ce livre ne m'amène des procès, entre parenthèses, car dans le pastiche de St Simon qui est nouveau et est très long il y a sur diverses " personnalités parisiennes " nommées en t lettres des passages qu'elles comprendront mal et n'aimeront pas ). Peut-être une photographie de mon portrait par Jacques Blanche avec la signature de ce dernier, ou un dessin original que je demanderais à Sert, pourraient être ajoutés à l'exemplaire mais j'avoue que je n'aime pas beaucoup que l'auteur s'exhibe ainsi. En tous cas les amateurs d'éditions de luxe en auraient d'une autre série que celle des bibliophiles, entièrement différentes et pouvant avoir leur attrait que je ne comprends pas, mais l'âme des bibliophiles m'est assez fermée. Pour en finir avec nos questions d'affaires, vous avez dû recevoir au moment de votre départ une longue lettre de moi vous communiquant toute ma correspondance                                 avec Grasset relative à mes droits d'auteur. Il se refuse à m'en payer                           gallimard.fr                   aucun tant que
" l'indemnité " n'aura pas été fixée. Il a été convenu qu'on attendrait pour cela votre retour. Comme il lui est pénible de parler de questions d'" intérêt "!, il se fera représenter par son associé, et " cela ne présentera aucune difficulté et se réglera en deux paroles " dit-il. Je n'ai pas très bien compris, ni beaucoup goûté, que le paiement de droits d'auteur par Grasset fussent subordonnés - et ajournés -  à la fixation d'une indemnité qui n'est nullement due et dont le principe même est contestable, mais bien qu'à moi il ne me soit nullement " pénible de parler de questions d'intérêts ", je n'ai pas pu insister indéfiniment.
            J'espère ( et je suis certain ) qu'aucune des personnes pour lesquelles mon St Simon est sévère, n'est de vos amies, ni ne vous intéresse à aucun degré. Je me souviens à ce propos que vous m'avez dit ( si je ne confonds pas ) que vous fréquentiez à New York M. Otto Khan. Je ne le connais pas et                    naturellement ne fait pas dans ce pastiche la moindre allusion (illusion ?) Mais je n'ai jamais oublié le fin profil de sa fille, entrevue de très loin dans je ne sais plus quel hôtel  ( l'hôtel Plaza je crois ). Je ne l'ai jamais vue de près, je ne la connais pas. Malgré cela, le souvenir persistant du profil fait que je n'aimerais pas qu'il y eût de ses amies malmenées dans ce St Simon. Or une des femmes dont je parle sans aménité se trouvant être une américaine, ( Mme Blumenthal actuellement Dsse de Montmorency ) si je pensais que la jeune fille au fin profil pût aimer cette dame compatriote, je supprimerais le passage pourtant bien essentiel. Croyez-vous qu'elle la connaisse et l'aime ? Si vous n'en savez rien, ne le lui demandez pas, car au fond ce sera plus commode et je serai plus à l'aise pour dire ce que je veux dans mon pastiche. Mon scrupule envers une inconnue est très exagéré ( et d'ailleurs elle ne doit pas connaître Mme Blumenthal ).
            Je ne peux assez vous dire combien Madame Lemarié a été charmante pour moi, d'une bonté, d'une activité, d'une sensibilité délicieuses. Mais les prodiges les moins croyables de la mythologie me semblent peu de choses à côté de ce fait qu'elle a un fils de plus de vingt ans, donc plus âgé qu'elle-même ne paraît. Je ne veux pas évoquer les incestes des Dieux et supposer que son fils soit son frère. Mais je vois moins d'objections dans le mystère de l'Eucharistie. Elle s'est fait dernièrement une foulure, ce qui ne m'étonne pas si elle joue aux jeux de son âge apparent, lesquels doivent consister à sauter à la corde, etc. Au revoir cher ami, j'espère que votre entreprise réussit à merveille sans que votre santé se fatigue. Si vous entendez parler, dans ce pays de millions, d'affaires merveilleuses, signalez-les moi ( car il ne m'est pas, comme à Grasset, " pénible de parler d'intérêts ")
Faites toutes mes amitiés à Copeau si vous vous trouvez auprès de lui. Je ne peux vous dire mon cher ami avec quelle tendresse je pense à vous. Nos derniers entretiens m'ont beaucoup attaché à vous. Et je vous suis si reconnaissant que vous et vos amis ( notamment M. Charlie du Bos, l'écho m'en revient constamment ) témoignez à mon livre. Du reste bien avant de savoir que je l'écrirais ni que vous seriez mon éditeur, j'avais vu se dessiner dans votre visage, à Cabourg, tout ce qui maintenant m'est si cher en vous.
            J'espère que la santé de Madame Gallimard est tout à fait rétablie et je vous envoie toute ma plus vive amitié.


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J'étais si souffrant en vous écrivant que craignant d'avoir été illisible, j'ai à plusieurs reprises corrigé le caractère mal formé, changé la conjonction qui pouvait rendre la phrase ambiguë. Mais ne voyez dans ces corrections et ces ajoutages, dus au désir de vous rendre la lecture moins difficile, aucune hésitation de syntaxe, encore moins aucun remaniement de pensée.
            Je ne vous dis d'amitiés que pour Copeau parce que c'est le seul je crois qui soit avec vous.

            


         


samedi 29 octobre 2016

La passion d'Edtith S. Maryse Wolinski ( roman France )


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                                                 La passion d'Edith S.

            Soeur Thérèse Bénédicte de la Croix. Edith Stein, l'une des premières femmes philosophes dans les années 20, juive, humaniste, habite avec sa famille dans une maison où la mère veuve s'occupe de la scierie et de ses enfants, en Allemagne. Contre toute attente à l'époque elle poursuit des études, enseigne pour gagner un peu d'argent, et prépare une thèse, disciple d'Husserl. Des amours incertaines, déçue, elle avoue à sa mère, un soir de Kippour, être athée. Ce sera le premier pas vers une conversion vers le catholicisme où la plongera définitivement la lecture du livre de Sainte Thérèse d'Avila. Les haines nazies poussent un certain nombre de juifs à se convertir, mais cela n'empêchera pas nombre d'arrestations lors des rafles de la dernière guerre. En 1942 Edith Stein devenue la carmélite Soeur Thérèse Bénédicte de la Croix est arrêtée au couvent, en Hollande, où elle s'était réfugiée, de même que d'autres dans des églises. Et c'est le voyage de femmes, d'hommes, d'enfants arrêtés et entassés dans un wagon sans ouverture, un train qui les mène vers cette destination inconnue d'eux alors " Auschwitz ". Edith essaie d'apaiser les inquiétudes, les malaises,
mais son voile de carmélite choque. Et malgré les horreurs du voyage en ce jour d'août, sans air, avec seulement une méchante eau noire pour toute nourriture, les colères vaines d'Hannah journaliste, et les longues heures de cet ultime voyage durant lesquels les cadavres vont s'accumuler dans un coin du wagon, Edith S. refait le parcours de ses trente dernières années. Son refus de partir en Colombie où ses conférences étaient attendues. Sa mission était-elle d'accompagner les voyageurs de ce convoi ? Difficile à raconter les souffrances de ces moments sans lueur. 

Riquet à la houppe Amélie Nothomb ( roman France )


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                                         Riquet à la houppe 

            Amélie Nothomb suit la route des oiseaux. La dernière partie du livre est consacrée à la gent aviaire. Ils vivent libres, mais fuient toujours angoissés, craintifs. De fait Déodat fils imprévu d'une maman, elle a 48 ans, petite et fluette et d'un papa cuisinier à la cantine des danseurs de l'Opéra de Paris est un bébé d'une laideur qui s'accentue en grandissant. Il subit les moqueries habituelles, les méchancetés des garçons, mais, les filles tombent dans son escarcelle comme les oiseaux qu'il découvre pré-adolescent. Il compose donc entre l'inconfort de son extrême laideur, dit l'auteur, l'amour familial et des petites amies, et, grandi trop vite une bosse, rare de nos jours, se profile dans son dos. Son intelligence le sauve de toutes les mécréantises de la vie. En parallèle une petite fille, Trémière nait d'une maman prénommée Rose, d'un papa M. Lierre, Très occupés et gênés par cette trop belle petite fille qui se tait, bouge peu, observe, les parents la confient à la maman de Rose, Passerose. Tout cela se lit bien, car l'écrivain aime ses personnages, est érudite, et sa plume alerte nous convainc de nous intéresser de très près outre aux piafs, poids de trois rochers au chocolat, et aux pigeons ventrus et boudeurs parisiens, mais à tant d'autres. Déodat visite le Larousse, seule la planche oiseaux l'émerveille "...... Il y avait autant de couleurs sur la planche des poissons, mais il ne ressentait aucune attirance pour ces espèces aux faces perplexes ou contrariées....... les poissons tiraient la gueule, les oiseaux conservaient leur mystère. " Trop belle et sotte Trémière ? L'amour de sa grand-mère, les bijoux merveilleux et rares dont elle se pare la nuit dans la vieille demeure où elles logent à Fontainebleau, aident Trémière à supporter la jalousie des filles, la gêne des hommes devant une trop grande beauté. Déodat et Trémière se rencontreront-ils ? Amélie Nothomb pointe du doigt les travers de la société, et rappelle que pour une fin heureuse il faut quelque détour par le conte si l'écrivain ne veut pas passer pour un auteur d'ouvrages très, très modestes.


mardi 25 octobre 2016

On dirait nous Didier Van Cauwelaert ( roman France )



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                                                   On dirait nous

            C'est un roman, une jolie histoire ou l'étrange mélange des réalités parisiennes et des croyances des Indiens Tligits d' Alaska. Il y a tout d'abord Soline, jeune violoncelliste et son violoncelle Marco, et Ilian, métier improbable, squatter de l'un des appartements mis en vente par l'agence immobilière où il occupe un poste à titre d'ex de la soeur du propriétaire, un grand appartement au pied de la Butte Montmartre. Et ce logement et son emplacement ont une certaine importance, car le second couple, Yoa, vieille dame atteinte d'une maladie dégénérative, Indienne Tligit, peuple et langue en perdition, amenée à Paris par Georges, retraité de la Sorbonne où il enseignait les langues rares en particulier le Tligit. Square Frédéric Dard le jeune couple s'amuse à des jeux amoureux, le vieux couple les observe discrètement. Hasard et discrétion, chacun cache des secrets, un avenir lourd d'incertitude pour les plus désargentés, et fantastique pour les amoureux arrivés au dernier stade de leurs souhaits. Ces derniers habitent l'immeuble face à celui d'Ilian et Soline, même étage. Ils savent quasiment tout et donc ont choisi ce jeune couple pour être le réceptacle de l'âme de Yoa proche de la fin de son séjour terrestre. " On dirait nous à leur âge ". Oui mais, la vie quotidienne met des obstacles en travers ce projet surprenant. Il faut par ailleurs suivre un rituel assez lourd, la mise en route ne pose certes pas de problème au jeune couple, mais encore faut-il que le futur bébé soit une fille, puis Yoa morte et incinérée, réserver des cendres dans un pot ( confiture bonne-maman), mélanger une cuillère à café dans certaines conditions. Par ailleurs Ilan pousse un projet de culture de pissenlits sous certaines conditions, pour remplacer le caoutchouc d'hévéa dans la fabrication de pneus et de capotes. Fabrication difficile, la matière éclate lorsqu'il y a surchauffe. Les voitures et l'hévéa continueront-ils leur association ? Dans une lettre Soline écrit : " Georges nous a immergés dans un monde qui n'existe plus, Ilan. La réalité de l'Alaska aujourd'hui, c'est un tiers de militaires, un tiers de pétroliers, un tiers d'irréductibles natifs qui chantent ou pêchent en tronçonnant la forêt, d'artistes en résidence...... de fuyards qui se planquent. " Un joli roman.

vendredi 21 octobre 2016

La méthode Schopenhauer Irvin D. Yalom ( Roman EtatsUnis )


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                                                             La méthode Schopenhauer

            Un mélanome découvert sous l'omoplate droite, une vilaine tâche noire qu'il ne peut apercevoir qu'à l'aide d'un double miroir et le monde de Julius s'écroule. S'il ne ressent pas encore physiquement de douleurs, moralement il atteint le fond du désespoir. Néanmoins son médecin et ami lui affirme qu'il dispose d'une année sans déclin. Julius, psychothérapeute, se remet et songe à ses réussites et à ses échecs. Le dossier de l'un de ses patients l'interpelle plus que tout autre. L'échec au bout de trois ans fut cuisant et constaté de part et d'autre. Philip était alors chimiste, avait un bon salaire, était très pointilleux quant à ses dépenses, les horaires, et était addict au sexe. Une addiction qui lui fit compter et noter les noms, numéros de téléphone et leurs préférences dans leurs jeux, tant, célibataire et de fait asocial, il consommait et condamnait sitôt utilisée les jeunes femmes et se trouvait parfois en manque. Julius appelle Philip. Plusieurs années ont passé, et l'homme qui se rend avec réticence au rendez-vous a changé, mal vêtu, il a pourtant toujours ce regard fuyant celui de son interlocuteur. Il est en passe de devenir consultant en philosophie. En quelque sorte psychothérapeute grâce à la philosophie. Philip n'aime que les grands esprits. Peu bavard il aime son soliloque avec Kant, qu'il dénigre, Epictète, et surtout Schopenhauer. Dès les premières lignes lues du philosophe salué à la toute fin de sa vie, l'ex-chimiste s'est senti complètement en osmose avec la pensée et la vie de l'auteur allemand, qui vécut solitaire, et pourtant à un moment très actif sexuellement. Mais après cette rencontre avec Schopenhauer, l'ancien patient de Julius a réussi à se défaire de son addiction. Depuis douze ans aucune femme ne l'a approché. Pour devenir psychothérapeute Philip a besoin du tutorat de Julius, et celui-ci lui propose d'intégrer le groupe qu'il dirige pour tenter d'humaniser les rapports sociaux de son ex-patient. Sept et Julius, une fois par semaine ils se racontent, il y a Gill, Bonnie, Rebecca, Tony, Stuart; Pam et Philip, tous soutenus, surveillés avec bienveillance par Julius, lui-même obligé parfois d'avouer certain secret bien enfoui, comme les autres. Issus de différents milieux, du menuisier au médecin en passant par la femme simple et le professeur d'université. Ils ont des problèmes communs à nous tous. Yalom entrecoupe les chapitres consacrés aux séances bien vivantes par certains épisodes de la vie de Schopenhauer, reconnu dès après sa mort en 1860, partout en Europe. De nombreuses citations émaillent le récit :
            " C'est justement parce que la fatale activité du système génital sommeille encore, alors que celle du cerveau est déjà tout éveillée, que l'enfance est le temps de l'innocence et du bonheur, le paradis de la vie, l'Eden perdu vers lequel, durant tout le reste de notre vie, nous tournerons les yeux avec regret. " Schopenhauer
            " La fleur répondit ; - Malheureux ! Crois-tu que je m'ouvre à seule fin d'être vue ? Je m'ouvre pour moi, parce que cela me plaît, et non pour les autres. Exister et m'ouvrir : voilà ma joie. "
            "......... Pendant des années vous avez vécu comme un reclus...... je vous jette au milieu de ce groupe qui dégage une énergie très forte....... le grand problème c'est cette pulsion sexuelle. Peut-être a-t-elle disparu........ et vous êtes peut-être entré sur les terres de la sérénité testiculaire. C'est un bel endroit........ "