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Une Jeune Pucelette
Une jeune pucelette,
Pucelette, grasselette,
Qu'esperdument j'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux,
A la moitié de ma vie
Esperdument asservie
De son grasset en-bon-point ;
Mais fasché je ne suis point
D'estre serf pour l'amour d'elle,
Pour l'en-bon-point de la belle,
Qu'esperdument j'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux.
Las ! une autre pucelette,
Pucelette maigrelette,
Qu'esperdument j'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux,
Esperdument a ravie
L'autre moitié de ma vie
De son maigret en-bon-point.
Mais fasché je ne suis point
D'estre serf pour l'amour d'elle,
Pour la maigreur de la belle,
Qu'esperdument j'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux.
Autant me plaît la grassette
Comme me plaît la maigrette,
Et l'une à son tour autant
Que l'autre me rend contant.
Je puisse mourir, grassette,
Je puisse mourir, maigrette,
Si je ne vous aime mieux
Toutes deux que mes deux yeux,
Ny qu'une jeune pucelle
N'aime un nid de tourterelle
Ou son petit chien mignon
Du passereau compagnon,
Petit chien, qui point ne laisse
De faire importune presse
Au passereau qui toujours
A pour fidèle secours
Le tendre sein de la belle,
Quand le chien plume son aile,
Ou de travers regardant
Après l'oiseau va grondant.
Et si je ments grasselette,
Et si je ments, maigrelette,
Si je ments, Amour archer
fr.muzeo.com
Dans mon coeur puisse cacher
Ses fleches d'or barbelées,
Et dans vous les plombelées,
Si je ne vous aime mieux
Toutes deux que mes deux yeux.
Bien est-il vray, grasselette,
Bien est-il vray, maigrelette,
Que l'appast trop doucereux
De l'hameçon amoureux
Dont vous me sçavez attraire,
Est l'une à l'autre contraire.
L'une d'un sein grasselet,
Et d'un bel oeil brunelet
Dans ses beautez tient ma vie
Esperdument asservie,""
Or' luy tastonnant le flanc,
Or' le bel yvoire blanc
De sa cuisse rondelette,
Où les doux troupeaux ailez
Des frères en-carquelez
Dix mille fleches decochent
Aux ribaux qui s'en approchent.
Mais par dessus tout m'espoint
Un grasselet en-bon-point,
Une fesse rebondie,
Une poitrine arrondie,
En deux montelets bossus
Où l'on dormirait dessus
Comme en cent fleurs décloses,
Ou dessus un lit de roses.
Puis avecques tout cela
Encor d'avantage elle a
Je ne sçay quelle feintise,
Ne sçay quelle mignotise,
Que mon coeur ny que mes yeux.
L'autre maigre pucelette
A voir n'est pas si belette,
Elle a les yeux verdelets
Et les tétins maigrelets ;
Son flanc, sa cuisse, sa hanche
N'ont pas la neige si blanche
Comme a l'autre, et si ondez
Ne sont ses cheveux blondez ;
Le rempart de sa fossette
N'a l'enflure si grossette,
Ny son ventrelet n'est pas
Si rebondi ne si gras ;
Si bien que quand je la perce,
Je sens les dents d'une herse,
J'enten mille ossets cornus
Qui me blessent les flancs nus.
Mais en lieu de beautez telles,
Elle en a d'autres plus belles,
Un chant qui ravit mon coeur,
Et qui dedans moy, veinqueur,
Toutes mes veines attise ;
Une douce mignotise,
Un doux languir de ses yeux,
Un doux souspir gracieux,
Quand sa douce main manie
La douceur d'une harmonie.
Nulle mieux qu'elle au dancer
Ne sçait ses pas devancer,
Ou retarder par mesure ;
Nulle mieux ne me conjure
Par les traits de Cupidon,
Par son arc, par son brandon,
Si j'en aime une autre qu'elle ;
Nulle mieux ne m'emmielle
La bouche, quand son baiser
Vient mes lèvres arroser,
Begayant d'un doux langage.
Que diray-je d'avabtage ?
D'un si plaisant maniment
Soulage nostre uniment
Lors que tout elle tremousse
Que sa tremblante secousse
A fait que je l'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux.
Jamais une ne me fasche
Pour ne la servir à tasche ;
Car quand je suis my-lassé
Dù premier plaisir passé,
Dès le jour je laisse celle
Qui m'a fasché dessus elle,
Et m'en vois prendre un petit
Dessus l'autre d'appetit,
A fin qu'après la dernière
Je retourne à la première,
Pour n'estre recreu d'amours.
Aussi n'est-il bon tousjours
De gouster une viande,
Car tant soit elle friande,
Sans quelquefois l'eschanger
On se fache d'en manger.
Mais d'où vient cela, grassette,
Mais d'où vient cela, maigrette,
Que depuis deux ou trois mois
Je n'embrassay qu'une fois
( Encore ce fut à l'emblée,
Et d'une joye troublée )
Vostre estomac grasselet,
Et vostre sein maigrelet ?
A-vous peur d'estre nommées
Pucelles mal renommées ?
A-vous peur qu'un blasonneur
Caquette de vostre honneur ?
Et qu'il die : " Ces deux belles
Qui font de jour les pucelles,
Toute nuict d'un bras mignon
Eschaufent un compaignon,
Qui les paye en chansonnettes,
En rimes et en sornettes " ?
Las ! mignardes, je scay bien
Qui vous empêche, et combien
Le seigneur de ce village
Vous souille de son langage,
Mesdisant de vostre nom
Qui plus que le sien est bon.
Ah ! à grand tort, grasselette,
Ah ! à grand tort, maigrelette,
Ah ! à grand tort, cest ennuy
Me procède de celuy
Qui me deust servir de pere,
De soeur, de frère et de mère.
Mais luy voyant que je suis
Vostre coeur, et que je puis
D'avantage entre les Dames,
Farcist vostre nom de blâmes,
D'un mesdire trop amer,
Pour vous engarder d'aimer
Celuy qui gaillard vous aime
Toutes deux plus que soy-même,
Celuy qui vous aime mieux
Toutes deux que ses deux yeux
Bien-bien, laissez-le mesdire :
Deust-il tout vif crever d'ire
Et forcené se manger,
Il ne sçauroit estranger
L'amitié que je vous porte,
Tant elle est constante et forte :
Ny le temps ny son effort,
Ny violence de mort,
Ny les mutines injures,
Ny les mesdisans parjures,
Ny les outrageux brocars
De vos voisins babillars,
Ny la trop soigneuse garde
D'une cousine bavarde,
Ny le soupçon des passans,
Ny les maris menaçans,
Ny les audaces des frères,
Ny les preschemens des meres,
Ny les oncles sourcilleux,
Ny les dangers périlleux
Qui l'amour peuvent desfaire,
N'auront puissance de faire
Que tousjours je n'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux
L'une et l'autre pucelette,
Grasselette et maigrelette.
Pierre de Ronsard