Journal
28 janvier 1847
Il y a aujourd'hui dix-neuf ans que j'ai perdu mon père.
29 janvier
Le grand lama actuellement régnant est un enfant de huit ans. Il habite Lassa, ville où aucun Européen n'a encore pénétré.
31 janvier
Il y a quelques années, rue de Vendôme, dans le jardin turc on trouva une petite source sulfureuse, très chaude et très chargée. Des spéculateurs achetèrent le terrain un prix fou, et l'on se mit à y bâtir une immense maison de bains, toute en pierre de taille. La maison terminée, il n'y eut plus qu'un petit inconvénient, la source avait disparu. Le poids de la maison avait tassé le terrain, et la source thermale avait fusé ailleurs
Cartouche avait été condisciple de Voltaire. Mandrin naquit l'année de la mort de Louis XIV, en 1715. Ils moururent tous deux sur la roue. Cartouche en 1721, à l'âge de vingt-huit ans, Mandrin en 1755, à l'âge de quarante ans.
1er février
2 févrie Voici le mois de février
Toute bête lève le nez.
3 février
Concert chez le roi. J'y suis allé. Un de mes chevaux s'est abattu rue Saint-Antoine devant le portail de Saint-Paul. La foule s'est amassée. J'étais en habit de l'Institut. Un gamin de dix ans s'haussé sur la pointe des pieds, a regardé dans la voiture et s'est écrié ; " Ah! ce marquis ! "
Faits contemporains
Hier, 5 février, j'étais aux Tuileries. Il y avait spectacle. Après l'Opéra, tout le monde alla dans les galeries où était dressé le buffet, et l'on se mit à causer.
M. le baron de Billing passa auprès de moi, donnant le bras à une femme que je ne voyais pas.
- Bonjour, me dit-il. Que pensez-vous du discours ?Je répondis :
- J'en suis content. J'aime à voir qu'on se relève enfin, dans ce pays-ci. On dit que cette fierté est imprudente, je ne le pense pas. Le meilleur moyen de n'avoir pas la guerre, c'est de montrer qu'on ne la craint pas. Voyez, l'Angleterre a plié devant les Etats-Unis il y a deux ans. Elle pliera de même devant la France. Soyons insolents, on sera doux ; si nous sommes doux on sera insolent. guizot
En ce moment, la femme à laquelle il donnait le bras s'est tournée vers moi, et j'ai reconnu l'ambassadrice d'Angleterre.
Elle avait l'air très fâchée ; elle m'a dit :
- Oh ! monsieur !...
J'ai répondu :
- Ah ! madame !...
Et la guerre a fini là. Plaise à Dieu que ce soit là aussi tout le dialogue entre la reine d'Angleterre et le roi de France !
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Au spectacle de la cour qui eut lieu le 5 février 1847 on donnait l'Elixir d'amour deDonizetti. C'étaient les chanteurs italiens, la Persiani, Mario, Tagliafico. Ronconi jouait ( jouait est bien le mot car il jouait très bien ) le rôle de Dulcamara, habituellement représenté par Lablache. C'était pour la taille, non pour le talent, un nain à la place d'un géant. La salle de spectacles des Tuileries avait encore en 1847 sa décoration Empire, des lyres, des griffons, des cous de cygne, des palmettes et des grecques, d'or sur fond gris, le tout froid et pâle.
Il y avait peu de jolies femmes : Mme Cuvillier-Fleury était la plus jolie, Mme V. H. la plus belle. Les hommes étaient en uniforme ou en habit habillé. Deux officiers de l'empire se faisaient remarquer par le costume de leur époque. Le comte Dutaillis, manchot de l'empire et pair de France, avait son vieil uniforme de général de division, brodé de feuilles de chêne jusque sur les retroussis. Le grand collet droit lui montait jusqu'à l'occiput ; il avait une vieille plaque de la Légion d'honneur tout ébréchée ; sa broderie était rouillée et sombre. Le comte de Lagrange, ancien beau, avait un gilet blanc à paillettes, une culotte courte de soie noire, des bas blancs, c'est-à-dire roses, des souliers à boucles, l'épée au côté, le frac noir, et le chapeau de pair à plume blanche. Le comte Dutaillis eut plus de succès que le comte de Lagrange. L'un rappelait la Monaco et la Trenitz ; l'autre rappelait Wagram. donizetti
Mme la duchesse de Montpensier, qui avait quinze ans depuis huit jours, portait une large couronne de diamants et était fort jolie.M. de Joinville était absent. Les trois autres princes étaient là en lieutenants généraux, avec la plaque et le grand cordon de la Légion d'honneur. M. de Montpensier seul portait la Toison d'or.
Mme Ronconi, belle personne, mais d'une beauté effarée et sauvage, était dans une loge sur la scène, derrière le manteau d'arlequin. On la regardait beaucoup. Du reste, on n'applaudissait personne, ce qui glaçait les chanteurs et tout le monde.
Cinq minutes avant la fin du spectacle, le roi commençait à faire son petit ménage. Il pliait son bulletin satiné et le mettait dans sa poche, puis il essuyait les verres de ses jumelles, les refermait avec soin, cherchait son étui sur son fauteuil et remettait les jumelles dans l'étui en ajustant fort scrupuleusement les agrafes. Il y avait tout un caractère dans cette façon méthodique. .
M. de Rambuteau y était. On se racontait ses derniers rambutismes ( le mot était d'Alexis de Saint-Priest ). On prétendait que M. de Rambuteau, au dernier jour de l'an, avait mis sur ses cartes :
" M. de Rambuteau est Vénus. " Ou par variante : " M. de Rambuteau; Vénus en personne. "
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Mme de Chateaubriand mourut le 11 février.
C'était une personne maigre, sèche; noire, très marquée de petite vérole, laide, charitable sans être bonne, spirituelle sans être intelligente.
M. de Chateaubriand, au commencement de 1847, était paralytique ; Mme Récamier était aveugle. Tous les jours, à trois heures, on portait M. de Chateaubriand près du lit de Mme Récamier. Cela était touchant et triste. La femme qui ne voyait plus cherchait l'homme qui ne sentait plus ; leurs deux mains se rencontraient. Que Dieu soit béni ! on va cesser de vivre qu'on s'aime encore.
Journal
20 février 1847
Samedi. Ouverture du Théâtre-Historique. J'en suis sorti à trois heures et demie du matin.
Mlle Mars était la seule personne vivante qui figurât dans les peintures du porche du Théâtre-Historique. Mme d'A... en entendant dire cela, a dit :
- Ceci range Mlle Mars parmi les morts. Elle n'a pas longtemps à vivre.
Mlle Mars est morte le 20 mars, un mois jour pour jour après l'ouverture du Théâtre-Historique.
Victor Hugo
Victor Hugo
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