lefigaro.fr
Versailles, le dimanche soir 1er novembre 1908
Mon cher Lionel
Je t'envoie ci-joint une lettre officielle pour ta maison. Veux-tu me permettre d'y joindre ces deux notes
1° Je voudrais que ta maison vende mes 5 Rios, si cette valeur atteint 1 800 francs ces jours-ci, ce qui semble probable.
2° Comme voici à peu près un an que je suis entré en rapport avec ta maison, je voudrais qu'elle m'envoie, en français, le compte suivant, aussi résumé et court que possible :
" Nous avons à vous depuis le.... pour tant d'Union Pacific, ayant produit pendant cette année tel revenu tant de Pennsylvania ayant produit tel revenu, etc. etc.
Total des revenus encaissés pendant cette année pour mon compte par la Maison Warburg.
De ces revenus nous déduisons telle somme avec laquelle nous avons acheté le.... tant de Chemins de fer Mexicains, ayant déjà donné depuis tel revenu. ( Ne pas oublier que la somme fournie par la Maison Warburg pour l'achat de ces Chemins de fer est inférieur au prix d'achat total, la Maison Rothschild ayant fourni une part de la somme destinée à l'achat ). Donc en résumé il nous reste à vous une somme disponible de..... représentant les revenus encaissés par nous pour votre compte, déduction faite de la somme dépensée par nous pour l'achat des Chemins mexicains. "
Et je demanderai la même chose à la maison en novembre 1910, en novembre 1911, si tant est que Dieu me laisse sur la terre jusque-là, et que ta maison continue à garder mes titres. Ce n'est pas sorcier et ne leur donnera pas beaucoup de mal mais cela aura pour moi un avantage précieux, ou plutôt deux. D'une part cela me permettra de savoir quelles sont mes disponibilités et de voir clair dans ce que je dépense. Deuxièmement cela me donnera une idée de ce que rapportait la maison du Boulevard Haussmann, du prix de vente de laquelle elles sont le remploi.
Excuse-moi mon cher Lionel de ne t'avoir écrit qu'une lettre d'affaires. Je suis si malade que même ces quatre pages m'ont exténué. Je t'aurais téléphoné mais le téléphone est dans l'hôtel et ne pouvant pas me lever je ne peux y aller.
Crois à ma profonde et tendre amitié.
Marcel Proust
Je barre la première commission car je lis que le Rio est sur le point de monter beaucoup. Donc j'aime mieux ne pas choisir ce moment pour vendre.
Si tu as à m'écrire mon adresse actuelle est 102 boulevard Haussmann faire suivre.
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Lionel Hauser à Marcel Proust
Paris le 7 novembre 1908
Mon cher ami,
Ta charmante lettre m'a bien amusé, et si déjà je regrettais de te savoir malade, je le regrette maintenant encore davantage, puisque cela me prive de lire ta comédie Le Financier Sentimental qui aurait été sûrement très spirituelle.
Si j'accepte avec plaisir ton absolution au sujet des placements que je t'ai conseillés, je ne puis accepter tes compliments au sujet de ton achat de Rio, m'étant lavé les mains, tel Ponce Pilate, lorsque tu m'as transmis cet ordre. C'est également pour cette raison que j'ai fait exécuter immédiatement ton ordre de vente, n'ayant absolument aucun jugement au sujet de la vraie nature de la hausse actuelle, qui d'après les uns serait légitime, d'après les autres purement spéculative.
J'espère d'ailleurs, que tu seras assez philosophe pour ne plus regarder les cours du Rio ou, si tu les regardes, pour ne pas te faire de mauvais sang, s'il continuait à monter.
En vertu de tes nouvelles instructions j'ai donné ordre à ma maison de Hambourg d'acheter $ 4 000
** 4% New York City Bonds, cette valeur, comme mon oncle Léon t'a si bien dit, est considéré comme de tout premier ordre. Je ne possède pas de cotes télégraphiques des New York City Bonds 4%, mais seulement des 4 1/2. Or ces derniers n'ayant pas été entraînés dans le mouvement de hausse qui s'est produit à la suite de l'élection présidentielle, j'ai lieu de supposer qu'il sera de même des 4%.
J'ai prié Messieurs Warburg de m'indiquer le montant qui sera alors disponible et pour lequel nous tacherons de trouver quelque chose d'intéressant. Il y a l'emprunt 5% de Saint Domingue garanti par les droits de douane, lesquels droits sont encaissés par les fonctionnaires des Etats Unis, cette valeur cotant environ 96 1/2 à 97 %, mais je ne sais pas si ce sera un placement à te recommander. Enfin, d'ici là nous avons encore quelques jours pour réfléchir
Est-ce que tu as déjà du Japonais 4 1/2 % garanti pas le tabac qui cote actuellement à Londres environ 93 1/4 ?
Bien sincèrement à toi
Lionel Hauser
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à Lionel Hauser
Vers le 1er décembre 1908
Mon cher Lionel
Veux-tu me permettre, malade comme je suis de t'écrire une simple d'affaires ? et de sous-entendre ma tendre et profonde reconnaissance pour toutes tes bontés.
1° La Maison Warburg devait m'acheter environ 20 000 francs de NewYork City, 20 000 francs Harpener, 10 000 francs Smelting Refining ( je ne sais pas le nom ). Je pense qu'elle a dû le faire car la Maison Rothschild m'a dit lui avoir versé environ 52 000 francs. Mais la Maison Warburg m'a avisé de l'achat de 20 000 francs de New York City Bonds, et 7 000 marks ( environ ) de Harpener, enfin l'équivalent de 10 000 francs de Harpener au lieu de 20 000. De Refining Smelting etc. aucune nouvelle.
J'espère qu'il n'y a pas eu d'erreur, mais à l'occasion, sans leur écrire exprès pour cela, tu serais gentil de t'informer si cela a été fait. Mais il n'y a rien qui presse ! Voilà longtemps que je voulais te poser la question mais tu sais, je suis dans un état de santé, à crever !
2° Je te joins une feuille de la Maison Warburg disant les revenus des valeurs pendant cette année. Depuis elle m'a avisé d'un supplément touché pour le Rio Tinto. Mais à vue d'oeil, pour l'Union Pacific et le Pennsylvania cela doit faire plus. Et je suppose qu'il a dû y avoir ou va y avoir un supplément d'intérêts. Car même en mettant le mark à 1,25 il me semble que cela ferait environ 840 francs pour 2 000 dollars d'Union Pacific. Or comme elle était à 85, cela doit faire un peu plus. Ne me répond pas pour tout cela, et vois comme mes pauvres parents qui étaient si inquiets de me croire si peu pratique et incapable de lire une lettre d'affaires se trompaient ! Cela me fait du chagrin de penser qu'ils se sont tant tourmentés à faux.
3° Tu es un ange de me chercher des placements. Tout ***
ce que tu me dis me semble parfait, Saint Domingue, San Paulo, et un certain Rio Grande do Sul qui est à 450. Mais je voudrais quand tu aurais l'occasion de rencontrer Monsieur Léon Neuburger que tu lui demandes si à son avis ces placements sont aussi sûrs et plus sûrs que ma petite Banque del Rio de la Plata qu'il approuve et qui donne du 6 1/2 ou que les Chemins de fer unifiés de La Havane. Je serais d'autre part bien curieux de savoir ce qu'il pense d'une banque que monte un Anglais connu paraît-il, qui s'appelle Cassel, banque ayant un nom que j'ai oublié mais quelque chose comme Mortgage Egyptian Company. On me fait entrevoir comme une faveur la possibilité encore incertaine de m'en livrer quelques actions. Est-ce vraiment à désirer ? J'espère que Madame Hauser aura trouvé dans ta tendre et forte affection l'énergie de surmonter son chagrin de cet été et que votre intérieur, que j'imagine avec admiration et envie est heureux.
Je reçois souvent des lettres de mon ami Hahn, le disant : " Je dois voir M. Luzzato. - j'ai vu M. Luzzato. J'ai reçu une lettre de M. Luzzato " Pourvu que cela ne soit pas que des visites et des lettres et ait une utilité quelconque, puisque tu l'aimes.
Tout à toi de coeur,
Marcel Proust
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Lionel Hauser à Marcel Proust
Paris le 2 décembre 1908
Mon cher Marcel,
Merci de ta bonne lettre que j'ai lue avec grand intérêt et en réponse à laquelle je m'empresse de te fournir quelque lumière sur les différents points qui te paraissent quelque peu nébuleux.
Tout d'abord je me permets de te faire remarquer. que dans la lettre de Messieurs Warburg du 5 Novembre où ils te confirment l'achat de M. 8 400 actions Harpener, ils t'avisent également l'achat de $ 10 000 actions de préférence American Smelting and Refining. Si tu n'as pas cette lettre sous la main, je puis t'en fournir la copie. Voici un premier point éclairci.
Pour ce qui est de l'argent employé dans l'achat des Harpener, il est vrai que le montant nominal acheté est seulement de M. 8 400, mais comme ces actions ( qui ont distribué en dernier lieu un dividende de
11 % sur le nominal ) ont été achetées au cours de 192 1/4 ( soit près de 200 % ) l'argent employé dans cette opération a bien été d'environ Frs 20 000 comme indiqué par toi. A ce cours-là le rendement effectif sur la base du dernier dividende est encore supérieur à 5 1/2 %.
**** Quant à l'intérêt sur l'Union Pacific 4 % il est certain que ce placement au cours de 85 te rapporte 4, 70 % du montant effectivement versé, mais ce montant effectif n'étant que de $ 100, l'intérêt produit sera de 4,70 % sur 85, ce qui est la même chose que 4% sur le nominal de $ 100 ; en d'autres mots, les Union Pacific te rapportent chaque année 4 % de $ 4 000, soit $ 160, soir au cours moyen de $ 515 environ
Frs 824.
En ce qui concerne le surplus de ta lettre, je puis te confirmer que Monsieur Léon Neuburger est du même avis que moi en ce qui concerne l'emprunt de San Paulo. Si donc il ne peut pas obtenir l'assurance de recevoir le montant intégral à souscrire pour toi, je transmettrai ta souscription à Hambourg.
Je serai le dernier à vouloir taper sur la Banque de Rio de la Plata dont tu m'entretiens, d'autant plus que je crois qu'elle marche d'une façon très satisfaisant, mais je te conseille de ne pas perdre de vue une chose très importante, savoir qu'une Banque est une entreprise industrielle comme une autre dont le succès dépend dans une très grande mesure du cerveau de ses directeurs ; par conséquent, l'emploi d'argent en actions de banques quelles que soient ces dernières, comporte un risque généralement plus élevé que celui inhérent à une obligation d'Etat ou de Chemins de fer.
C'est pourquoi je te prie de ne pas me rendre complice de tes placements dans ce genre de valeurs.
Pour une fois que, cédant à tes instincts spéculatifs j'ai fait acheter pour toi des actions de la Paketfarht, j'ai éprouvé trop d'angoisses pour que je songe à te suivre de nouveau dans cette voie.
Reçois, mon cher Marcel, avec mes meilleurs voeux de santé, mes compliments les plus affectueux.
Lionel Hauser
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( 27 ou 28 janvier 1909 )
Mon cher Lionel dona-rodrigue.eklablog.com
Je suis, je le sais, le plus assommant des clients et je pense que tu dois regretter amèrement le jour où '( pour le plus grand bien de ma fortune, mais pour le commencement de mes importunités ) tu m'as mis en rapport avec la Maison Warburg. Toujours est-il qu'en tâchant de te déranger le moins possible, je te dérange sans cesse. Comme je te l'ai dit je ne comprends jamais un mot de ce qu'ils m'écrivent. Et j'en ai pris mon parti. Mais quand j'en comprends assez pour comprendre qu'ils me demandent de répondre, et pas assez pour saisir de quoi il s'agit, je suis malheureux d'avoir l'air impoli en ne répondant pas, et ne pourrais que répondre des mots au hasard comme " l'Interpreter " dans " l'Anglais tel qu'on le parle ". Je te communique donc le dernier billet doux de ces messieurs pour que tu aies la bonté de leur répondre pour moi ne soupçonnant pas de quoi il s'agit. Surtout ne leur dit pas de m'écrire en français, ils ne le feront pas davantage et c'est inutile.
Le mieux serait je crois ceci. Ils me diraient nous avons à vous tant de capital et en plus tant d'argent disponible. Et à partir de ce moment-là, ils t'enverraient, ou au Crédit Industriel, tous les mois, ou deux mois, ou plutôt tous les trimestres ce qu'ils ont touché pour moi. De cette façon j'aurais les comptes les plus clairs. Le Crédit Industriel m'écrirait tous les trois mois : " Nous avons reçu tant pour vous de la Maison Warburg " et à la fin de l'année j'aurais touché mes revenus. Et quand la Maison Warburg aurait de l'argent à débourser pour moi, par exemple pour acheter des titres, jamais elle ne le prendrait chez elle pour ne pas redémolir mes pauvres comptes, mais elle demanderait la somme à la Maison Rothschild. Je crois que cette solution est la merveille des merveilles.
Mon ami Reynaldo est parti à la première d'Electra à Dresde, sans que j'aie pu lui dire adieu. J'ai appris qu'il passerait à Hambourg. Si je l'avais su avant son départ, je lui aurais demandé de passer chez toi pour savoir si tu n'avais pas de commissions pour Hambourg. En tous cas si tu désirais qu'il y fît quelque chose pour toi fais-le moi dire, peut-être en lui télégraphiant je l'atteindrais encore à temps. La lettre de M. M. Warburg est déjà un peu ancienne, mais j'ai eu des crises si affreuses ces jours-ci que véritablement écrire une lettre m'aurait été aussi impossible qu'à un mort.
Tout à toi
Marcel Proust
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Paris le 29 janvier 1909
Mon cher Marcel,
En lisant ta charmante lettre d'hier, j'ai compris le désespoir de Charles-Quint qui ne parvenait pas à faire marcher d'accord douze pendules et l'éblouissante conclusion à laquelle il est arrivé, qu'il était encore plus difficile de gouverner les hommes que les pendules.
5* L'Allemagne passe pourtant pour être la meilleure fabrique d'automates humains et son armée en est d'ailleurs un exemple éclatant et malgré cela Messieurs Warburg n'ont pas pu amener leur employé comptable qui a ton compte dans son registre à t'envoyer l'extrait en français deux fois de suite. Je leur écris donc pour renouveler mes instructions antérieures et j'ose espérer qu'après avoir encore réclamé six ou sept fois de suite, nous finirons par atteindre le but désiré.
Ceci ne m'empêche pas d'ailleurs de trouver excellente ton idée en ce qui concerne les intérêts, aussi je les prie par la même occasion de remettre pour toi au Crédit Industriel à la fin de chaque trimestre le solde de ton compte chez eux.
J'ai lu avec intérêt tes communications en ce qui concerne le voyage de Reynaldo Hahn. Je n'ai pas d'autre commission à lui faire pour Hambourg que celle de lui souhaiter de bien s'y amuser ce qui n'exige pas l'envoi d'une dépêche spéciale.
J'espère fermement que l'état de ta santé te permettra bientôt de venir nous faire une visite et te prie de me croire, mon cher Marcel,
ton sincèrement dévoué
Lionel Hauser
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Le 1er février 1909
Mon cher Lionel larousse.fr
Tu me donnes l'idée de la plus grande puissance qu'un homme puisse avoir sur la terre : Je viens de recevoir de la Maison Warburg un mot dont je ne sais pas si je dois dire qu'il est digne de Voltaire ou de Mérimée, ne sachant pas lequel des deux écrivains tu préfères, mais enfin écrit dans un français non seulement impeccable mais de l'élégance la plus raffinée. Je dois donc pouvoir en conclure ( pour leur emprunter une de leurs formules ) que ta volonté plus puissante et surtout plus rapide que celle de Berlitz leur a en trois jours ( sans défalquer l'aller et le retour de ton ordre ) donné non seulement la connaissance plus approfondie de la langue française et de l'usage de toutes ses finesses, de tous les " je crois pouvoir en conclure " qui font la supériorité de notre belle langue, mais encore une élégance du tour, une pureté de style qui grâce à toi va faire ressembler la culture française en Allemagne à celle qui régnait au temps de Voltaire de la Spree à la Mer du Nord et dont tu es le nouveau Frédéric le Grand. Merci de tout coeur d'avoir fait pour moi ce miracle amical et philologique et reçois toute ma grande amitié
Marcel Proust
Puisque tu as un si grand pouvoir thaumaturgique pourrais-tu en employer un peu à ce que je n'aie pas en ce moment les dix crises d'asphyxie par jour qui me tuent. Jamais je n'ai été si malade. Inutile de te dire que je ne prétendais nullement plaisanter le français antérieur de la Maison Warburg. Je serais bien content d'écrire l'allemand comme ils écrivaient jusqu'ici le français. Quant à la façon dont ils l'écrivent depuis ta thaumaturgie, si j'écrivais l'allemand aussi bien je serais Shiller, Novalis ou Hoffmannsthal !
* numasmitaics.org
** histclo.com *** numistoria.com **** marie-antoinette.forumactif.net
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