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La dernière cuite
Bandonéon, mon coeur blessé
ne supporte plus ta rauque malédiction ;
ta larme de rhum
m'enfonce
au plus profond du trou
d'où monte la boue.
Je sais, ne me dis rien,
tu as raison,
la vie est une blessure absurde
et tout, tout est tellement rapide
et ce ce n'est qu'une cuite, rien de plus,
ma confession.
Raconte-moi tes peines,
parle-moi de tes échecs,
tu ne vois pas la douleur qui m'a blessé,
parle-moi, simplement,
de cet amour absent
derrière un reste d'oubli.
Je sais que tu me blesses
que je te fais mal,
tu as pleuré mon serment d'ivrogne
mais c'est le vieil amour qui tremble, bandonéon.
Il cherche dans l'alcool qui abrutit
la cuite qui tout au bout
termine le spectacle
et recouvre le coeur d'un rideau.
Un peu de souvenir et sans plaisir
ton grognement maladroit s'égrène ;
ta liqueur étourdit
et accélère
la violence du coeur
à la culbute de la dernière cuite.
Ferme la fenêtre
le soleil brûle
son lent escargot de rêve.
Tu ne vois pas que je viens d'un pays
d'oubli où tout est gris
après l'alcool.
toutpourlesfemmes.com
Catuius Castilla / Anibal Troilo
( trad H.D. ) 1927
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Je te conseille de m'oublier dreamstime.com
J'ai reçu ta dernière lettre dans laquelle tu me dis :
" Je te conseille de m'oublier, tout est mort entre nous
Je te demande seulement ma photo et toutes
mes lettres.
Tu le sais, il n'est pas juste que tu gardes ça aussi "
" Tu reconnais aujourd'hui ta faute, tu as peur que
je parle,
que je raconte à ton mari notre intime amitié.
Je suis fier. Je ne te vends pas. Je suis incapable d'une
intrigue.
Je sais que si je parle je brise ton bonheur.
Mais tu ne peux pas nier
que quand tu t'es donnée à moi,
tu as dit que tu m'aimais,
que tu ne m'oublierais pas
et que, aveuglée par la tendresse,
tu m'embrassais sur la bouche,
comme si tu devenais folle,
assoiffée, ma petite, d'amour. "
Je ne vois pas de gêne à tout te renvoyer.
Pourtant, et malgré toi je garde quelque chose :
le vide que tu as laissé et l'ardeur de tes baisers,
tu le sais bien, je ne pourrai jamais te les rendre.
Je le fais pour ton bien, pour éviter les problèmes.
Je sacrifie mon amour à ton nom et à ton honneur.
Je me contente de mon sort, le destin l'a voulu ainsi ;
mais, ne l'oublie pas, mon amour, je ne le fais que par
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Jorge Curi / Pedro Maffia
( trad H.D. ) 1928
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Criquet
Par une nuit très dure d'hiver pinterest.com
les gens virent passer " Criquet ".
Sanglé dans son habit marron
de la tristesse dans le regard.
Le mégot éteint à la bouche
le vaurien se prit à songer
à Dieu sait quoi de fou au point
que les enfants l'ont vu pleurer.
Les vieilles disaient : "... sont peines d'amour
qui tôt ou tard sont à connaître ",
elles contaient qu'un jour il était de retour
ivre et parlant dans sa douleur :
" Bientôt peut-être qu'elles se tairont
pour cela je me fais confiance
et mon remède est infaillible. "
Il baisa le couteau et chantant il s'en fut.
" Ceux qui en sont venus à m'appeler Criquet
racontent que je suis mauvais
qu'ils ne m'ont jamais vu sourire,
que je regarde avec rancoeur et rage
mais je peux regarder autrement
c'est malheureux, je ne peux cacher ce que je suis blueandwhiteart.com
alors je soupire, me tais et m'en vais. "
Une nuit quelque temps après
les gens virent venir Criquet
un rapide éclat dans les yeux
le rêve mué en grimace cruelle.
Parvenu au coin où toujours
le vaurien venait à songer
il jeta le couteau dans la rue
puis sortit un portrait et se mit à pleurer.
Juan Andres Bruno/ Juan de Dios Filiberto
( trad.H.D ) 1925
Extraits Les poètes du Tango
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