Jalousie II
Le vieil homme a sa terre le jour, et la nuit
une femme qui est à lui, qui l'était hier encore.
Il aimait la découvrir, comme on ouvre la terre,
et longuement la regarder, étendue en attente,
dans l'ombre. La femme souriait les yeux clos.
Le vieil homme est assis cette nuit sur le bord
de son champ découvert ; il n'épie pas au loin
la tache de la haie, il n'étend pas la main
pou arracher une herbe. Il contemple entre les sillons
une pensée brûlante. La terre révèle si quelqu'un
l'a touchée de ses mains et s'il l'a saccagée :
ça se voit même la nuit. Mais aucune femme vivante
ne conserve la trace de l'étreinte de l'homme.
Le vieil homme a remarqué que la femme sourit
seulement les yeux clos, quand couchée elle attend,
et il comprend soudain que sur son jeune corps
Le vieil homme dans l'ombre n'aperçoit plus le champ.
Se jetant à genoux, il a étreint la terre
comme si elle était une femme et qu'elle savait parler.
Mais, étendue dans l'ombre, la femme ne parle pas.
Là où elle est étendue les yeux clos, la femme cette nuit,
ne parle ni ne sourit, et sa bouche se tord
vers l'épaule livide : sur son corps
elle révèle enfin l'étreinte d'un homme ; la seule
qui pût la marquer, effaçant son sourire.
Pavese
( 1937 )
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire