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L'Aventure de la Pierre de Mazarin
Le Dr Watson eut plaisir à se retrouver une fois de plus dans le salon sens dessus dessous du premier étage de
Baker Street, qui avait été le point de départ de tant d'aventures étonnantes. Il contempla autour de lui les graphiques scientifiques affichés aux murs, la paillasse à expériences chimiques rongée par les acides, l'étui du violon debout dans un coin, le seau à charbon contenant de longue date pipes et tabac. Pour finir, son regard se posa sur le minois frais et souriant de Billy, le jeune groom, au demeurant fort avisé et plein de considération dont la présence avait aidé à combler le vide de solitude et d'isolement qui entourait la personnalité morose du grand détective.
- Rien ne semble avoir changé, Billy. Vous-même ne changez pas non plus. J'espère que l'on peut en dire autant de lui ?
Billy jeta un bref regard plein d'une certaine sollicitude vers la porte close menant à la chambre.
- Je crois qu'il est couché et endormi, dit-il.
Il était 7 heures du soir un splendide jour d'été, mais le Dr Watson était suffisamment accoutumé aux horaires irréguliers de son vieil ami pour n'éprouver aucune surprise à cette constatation.
- Ce qui dénote une enquête, je suppose ?
- Oui, monsieur. Il y travaille d'arrache-pied en ce moment. Je crains pour sa santé. Il devient de plus en plus pâle et mince, et ne mange rien. " - Quand souhaiterez-vous dîner Mr Holmes ? lui demandait Mrs Hudson. - A 7h30 , après-demain, lui a-t-il répondu. " Vous savez comment il est quand il travaille dur à une enquête ?
- Oui Billy, je sais.
- Il est aux trousses de quelqu'un. Hier il est sorti déguisé en ouvrier cherchant du travail. Aujourd'hui c'était en vieille femme. Il a bien failli me rouler, ça oui, je devrais pourtant connaître ses manières à l'heure qu'il est.
Avec un grand sourire, Billy désigna une ombrelle fort ventrue appuyée contre le sofa.
- Ça fait partie du costume de la vieille femme, expliqua-t-il.
- Mais de quoi est-il donc question, Billy ?
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Le groom baissa la voix, comme qui débat de grands secrets d'Etat.
- Je ne vois pas de mal à vous le dire, monsieur, mais il faut que ça reste entre nous. Il s'agit de cette histoire à propos du diamant de la Couronne.
- Quoi... le cambriolage dont le butin atteint les 100 000 livres ?
- Oui monsieur. Il faut le récupérer, monsieur. Alors, ma foi, le Premier Ministre et le Ministre de l'Intérieur sont venus s'asseoir tous deux précisément sur ce sofa. Mr Holmes fut très aimable avec eux. Il les mit vite à leur aise et promit qu'il ferait tout ce qu'il pouvait. Là-dessus lord Cantlemere...
- Ah !
- Oui monsieur, vous savez ce que ça signifie. Celui-là c'est un coriace, monsieur, si je peux m'exprimer ainsi. Je m'accommode du Premier Ministre, et je n'ai rien contre le Ministre de l'Intérieur, qui semble être quelqu'un de très civil et aimable, mais je ne peux pas supporter Sa Seigneurie, Mr Holmes est comme moi, monsieur. C'est que lord Cantlemere, vous savez, ne fait pas confiance à Mr Holmes, d'ailleurs il était contre l'idée de l'employer. Il " préférerait " le voir échouer.
- Et Mr Homes le sait ?
- Mr Holmes sait toujours tout ce qu'il y a à savoir.
- Ma foi, souhaitons qu'il n'échoue pas et que lord Cantlemere soit déçu. Mais, dîtes-moi Billy, à quoi sert cette tenture qui masque la fenêtre ?
- Mr Holmes l'a fait suspendre là il y a trois jours. Il y a quelque chose de drôle installé derrière.
Billy s'avança et tira la tenture qui dissimulait l'alcôve que formait la fenêtre en encorbellement.
Le Dr Watson ne put retenir un cri de stupéfaction. Il y avait là une réplique de son vieil ami, robe de chambre et tout inclus, le visage tourné aux trois-quarts vers la fenêtre, incliné vers le bas comme pour lire quelque livre invisible, et le corps enfoncé dans les profondeurs d'un fauteuil. Billy détacha la tête et l'éleva en l'air.
- On l'oriente selon des angles différents pour qu'elle ait l'air plus réel. Je n'oserais pas y toucher si le store n'était pas baissé. Quand il est relevé on aperçoit cette silhouette de l'autre côté de la rue.
- Nous nous étions déjà servi une fois d'un dispositif du même genre.
- Avant mon époque, constata Billy.
Entrebâillant les rideaux de la fenêtre il jeta un coup d'oeil dans la rue.
- Des gens nous surveillent de là-bas, en face. Pour le moment je vois un type à la fenêtre. Venez voir vous-même.
Watson s'était à peine avancé d'un pas quand la porte de la chambre s'ouvrit et que la longue et mince silhouette de Holmes surgit, le teint pâle et les traits tirés, mais la démarche et le maintien plus vifs que jamais. D'un bond il fut à la fenêtre et en referma le store.
- Suffit Billy ! lança-t-il. Vous étiez en danger de mort, mon garçon or, pour l'instant, je ne peux pas me passer de vous. Eh bien ! Watson cela fait plaisir de vous voir réintégrer vos quartiers de naguère. Vous arrivez au moment critique.
- C'est ce que j'ai cru comprendre.
- Vous pouvez disposer, Billy. Ce garçon pose un problème, Watson. Dans quelle mesure puis-je légitimement lui faire courir un danger ?
- Quel danger, Holmes ?
- La mort subite. Je m'attends à quelque chose dans la soirée.
- A quoi donc ?
- A ce qu'on m'assassine, Watson.
- Non, non, vous plaisantez, Holmes !
- Même le sens de l'humour limité dont je suis doué saurait concevoir meilleure plaisanterie que celle-là. Mais d'ici à ce soir, nous sommes tranquilles, n'est-ce pas ? L'alcool n'est pas prohibé ? Le siphon et les cigares sont à l'heure place habituelle. Vous n'en êtes pas venu, j'espère, à nourrir du mépris pour ma pipe et mon pitoyable tabac ? Il faut que cela me tienne lieu de nourriture ces jours-ci.
- Mais pourquoi ne pas manger, Holmes ?
- Parce que les sens s'aiguisent quand on les affame ? Ça, en tant que médecin, mon cher Watson, vous devez assurément admettre que ce que la digestion accapare en matière de capacité sanguine, c'est autant de perdu pour le cerveau, Watson. Le reste de ma personne n'est qu'un simple appendice. Par conséquent, c'est le cerveau que je dois prendre en considération.
- Mais, ce danger, Holmes ?
- Ah ! oui, pour le cas où il se matérialiserait, il vaudrait peut-être mieux que vous vous encombriez l'esprit du nom et de l'adresse de l'assassin. Vous pourrez en faire part à Scotland Yard, avec mon amitié et une bénédiction d'adieu. Le nom en question est Sylvius... comme Negretto Sylvius. Prenez-en note, mon ami, prenez-en note ! 136 Moorside Gardens, N. W. C'est bon ?
L'inquiétude crispait l'honnête visage de Watson. Le docteur ne savait que trop bien quels risques immenses Holmes prenait et se rendait compte que les propos de son ami sous-estimaient plus vraisemblablement le danger qu'ils ne les exagéraient. Homme d'action depuis toujours, Watson se montra à la hauteur de la situation.
- Considérez que je suis du nombre, Holmes. Je n'ai rien à faire durant un jour ou deux.
- Votre moralité ne s'arrange pas, Watson. Vous ajoutez les menteries à vos autres vices. Tout en vous révèle l'homme de l'art sollicité que des visites appellent à toute heure.
- Rien de si important que cela. Mais ne pouvez-vous pas faire arrêter l'individu en question ?
- Si Watson, je le pourrais. C'est bien ce qui l'inquiète si fort.
- C'est que j'ignore où se trouve le diamant.
- Ah ! Billy m'a expliqué... le joyau de la Couronne récemment disparu !
- En effet. La merveilleuse pierre jaune de Mazarin. J'ai lancé mon filet et je tiens mes poissons. Mais je n'ai pas attrapé la pierre. A quoi sert de les prendre, eux ? Le monde gagnerait à ce que nous les fassions écrouer. Mais ce n'est pas ce que je recherche. C'est la pierre qu'il me faut.
- Et ce comte Sylvius fait partie de vos poissons ?
- Oui. C'est d'ailleurs un requin. Qui mord. L'autre est Sam Merton, le boxeur. Sam n'est pas un mauvais bougre, mais le comte se sert de lui. Sam, lui, n'est pas un requin. C'est un grand et gros idiot de goujon, têtu comme une mule. Cela dit, il n'en gigote pas moins dans mon filet.
- Où se trouve le comte Sylvius ?
- Je l'ai côtoyé dont ne peut plus près toute la matinée. Vous m'avez déjà vu en vieille femme, Watson. Jamais je ne fus plus convaincant. A un moment donné, le comte a même ramassé mon ombrelle pour moi. " - Si vous le permettez, madame... " ajouta-t-il. Il est à moitié Italien, vous savez, et doté des gracieuses manières du Sud lorsqu'il est d'humeur charmante, mais dans le cas contraire, c'est un démon incarné. La vie regorge de situations loufoques, Watson.
- C'aurait pu tourner à la tragédie.
- Ma foi, peut-être. Je l'ai suivi jusqu'à l'atelier du vieux Sraubenzee, dans le quartier des Minories, Straubenzee a fabriqué le fusil à air comprimé, de la fort belle ouvrage, ai-je cru comprendre. Or j'ai idée qu'à cette heure il s'en trouve un posté à la fenêtre d'en face. Avez-vous le mannequin ? Mais Billy vous l'a montré, bien sûr. Eh bien ! une balle est susceptible de venir à tout moment se loger dans sa belle tête. Ah ! Billy qu'y a-t-il ?
Le groom revenu dans la pièce, apportait une carte sur un plateau. Holmes la regarda brièvement, sourcils haussés, un sourire amusé aux lèvres.
- Notre homme en personne ! Je ne m'attendais guère à cela. Le taureau par les cornes, Watson ! Un homme de sang-froid. Il est possible que vous ayez eu vent de sa réputation en tant que chasseur de gros gibier. Ce serait assurément une conclusion triomphale à son splendide tableau de chasse que d'ajouter mon nom au palmarès. Cela prouve que le comte sent que je le talonne de près.
- Faites appeler la police.
- Je le ferai probablement. Mais pas tout de suite. Voudriez-vous jeter un coup d'oeil par la fenêtre, Watson, pour voir si quelqu'un ne baguenaude pas dans la rue ?
Watson glissa un regard prudent au bord du rideau.
- Il y a en effet une grosse brute près de la porte.
- Ce doit être Sam Merton... le fidèle quoique stupide Sam. Où est le monsieur en question Billy ,
- Dans la salle d'attente, monsieur.
- Quand je sonnerai, faites-le monter.
- Bien monsieur.
- Si je ne suis pas dans la pièce, faites-le entrer quand même.
-Bien monsieur.
Watson attendit que la porte se fût refermée puis se tourna avec une fervente conviction vers son compagnon.
- Écoutez Holmes, c'est tout bonnement impossible. Il s'agit d'un forcené, qui ne recule devant rien. Il se peut qu'il soit venu pour vous assassiner.
- Je n'en serais pas étonné.
- J'insiste pour rester avec vous.
- Votre présence compliquerait épouvantablement les choses.
- Les
lui compliquerait ?
- Me les compliquerait, à moi, mon cher ami...
- Ma foi, je ne peux tout simplement pas vous abandonner.
- Mais si, vous le pouvez, Watson. D'ailleurs vous allez le faire, car vous n'avez jamais manqué de jouer le jeu. Je suis certain que vous accepterez de la jouer jusqu'au bout. Cet homme est venu avec un dessein qui lui est propre, mais il pourrait qu'il reste pour servir le mien.
Holmes sortit son calepin et griffonna quelques lignes.
- Allez en fiacre à Scotland Yard et donnez ceci à Youghal, de la brigade criminelle. Puis revenez avec la police. L'arrestation de cet individu ne manquera pas de suivre.
- Ce sera avec joie.
- D'ici à votre retour, j'aurai peut-être juste assez de temps pour découvrir où se trouve la pierre.
Il effleura la sonnette.
- Je crois que nous allons sortir par la chambre. Cette seconde issue est extrêmement utile. J'ai grande envie de voir mon requin sans que lui ne me voit, et pour cela, si vous vous en souvenez, j'ai ma propre méthode.
Ce fut donc dans un salon vide qu'un instant plus tard Billy fit entrer le comte Sylvius. Le tireur et sportif réputé, la coqueluche de la ville, était un grand gaillard basané dont la redoutable moustache noire abritait une bouche aux lèvres minces et cruelles que surplombait un nez busqué tel un bec d'aigle. Il était bien vêtu, mais sa cravate moirée, son épingle brillante et ses bagues scintillantes produisaient un effet tapageur. Comme la porte se refermait dans son dos, il jeta autour de lui un regard farouche, suspicieux, comme qui flaire un piège à tout bout de champ. Puis il tressaillit violemment à la vue de la tête impassible et du col de la robe de chambre dépassant par-dessus le dossier du fauteuil, dans l'embrasure de la fenêtre. Son visage exprima d'abord une pure stupéfaction. Puis un horrible espoir luit dans son regard noir meurtrier. Après un nouveau coup d'oeil alentour pour s'assurer qu'il n'y avait là aucun témoin, il s'approcha de la silhouette muette sur la pointe des pieds, brandissant à demi sa lourde canne. Ramassé sur lui-même il se préparait à bondir, puis au coup final, lorsqu'une voix froide et sarcastique le salua de la porte ouverte qui donnait sur la chambre :
- Ne le cassez pas, comte ! ne le cassez pas !
L'assassin recula en titubant, un profond ahurissement peint sur son visage crispé. Derechef, l'espace d'un instant, il brandit à demi sa canne plombée, comme pour retourner contre l'original la violence destinée à l'effigie, mais quelque chose dans le ferme regard gris et le sourire moqueur, fit retomber sa main.
- C'est une jolie petite pièce, fit Holmes en s'avançant vers le mannequin. C'est Tavernier, le modeleur français, qui l'a fabriquée. Il est aussi doué pour les figures de cire que votre ami Straubenzee pour les fusils à air comprimé.
- Les fusils à air comprimé ! Qu'entendez-vous par là, monsieur ?
- Posez votre chapeau et votre canne sur la desserte. Merci ! Prenez un siège, je vous en prie. Cela vous gênerait-il de déposer également votre revolver ? Fort bien, ma foi, si vous préférez vous asseoir dessus. Votre visite vient vraiment à point nommé, car j'avais cruellement besoin d'échanger quelques mots avec vous.
Le comte fronça ses épais sourcils en une mimique menaçante.
- Moi aussi, Holmes, je souhaitais m'entretenir avec vous. C'est pourquoi je suis là. Je ne compte pas nier l'intention que j'aie eue à l'instant de vous agresser.
Holmes balança la jambe sur le bord de la table.
- J'avais bien cru comprendre que vous nourrissiez un dessein de ce genre en votre for intérieur, dit-il, cela dit, pourquoi de telles intentions à mon égard ?
- Parce que vous vous êtes donné du mal pour m'importuner. Parce que vous avez lancé vos gens sur mes traces.
- Mes gens ! je vous assure que non !
- Balivernes ! Je les ai fait suivre. Vous n'êtes pas seul à jouer à ce jeu-là, Holmes.
- C'est un détail, comte Sylvius, mais vous seriez aimable de bien vouloir user de mon titre quand vous vous adressez à moi. Vous comprenez bien que, compte tenu de ma profession, je suis à tu et à toi avec la moitié des canailles du pays, aussi admettrez-vous que les entorses à la règle soient chose irritante.
- Eh bien ! Mr Holmes, alors !
- Splendide ! Cela dit, je vous assure que vous faites erreur en ce qui concerne mes intermédiaires supposés.
Le comte Sylvius lâcha un rire méprisant.
- D'autres savent observer aussi bien que vous. Hier ce fut un ancien chasseur. Aujourd'hui une vieille femme. Ils ne m'ont pas lâché du regard de la journée.
- En vérité, monsieur, vous me faites là un compliment. Le vieux baron Dawson m'a dit la veille de sa pendaison que, dans mon cas, ce que la loi avait gagné la scène l'avait perdu. Et voilà qu'à présent, vous gratifiez mes petits rôles de vos aimables louanges ?
- C'était vous... vous en personne ?
Holmes haussa les épaules.
- Vous voyez là, contre le mur, l'ombrelle que vous m'avez si poliment remise dans les Minories avant de commencer à nourrir des doutes.
- Si j'avais su, vous n'auriez jamais...
- Revu cet humble foyer. Je m'en rendais parfaitement compte. Chacun de nous peut déplorer les occasions manquées. En l'occurrence, vous ne saviez pas. Restons-en là
Les sourcils froncés du comte se nouèrent plus sombrement encore au-dessus de ses yeux menaçants.
- Ce que vous m'apprenez aggrave encore l'affaire. Ce n'étaient donc pas vos intermédiaires mais une comédie que vous jouiez, mouche du coche que vous
laboiteverte.frêtes ! Vous reconnaissez donc m'avoir filé. Pourquoi cela ?
- Voyons comte. Vous chassiez le lion en Algérie ?
- Et alors ?
- Pourquoi cela ?
- Pourquoi ? La chasse... La passion... Le danger !
- Et, sans nul doute, la perspective de débarrasser le pays d'un nuisible ?
- Tout juste.
- En substance : les raisons qui m'animent !
Le comte se leva d'un bond et sa main se porta instinctivement à la poche de son pantalon.
- Asseyez-vous, monsieur, asseyez-vous ! Il y avait une autre raison plus pragmatique. Il me faut ce diamant jaune !
Le comte Sylvius se renversa contre le dossier de son fauteuil avec un sourire mauvais.
- Miséricorde, fit-il !
- Vous saviez que je vous recherchais dans ce but. La véritable raison pour laquelle vous êtes ici ce soir consiste à découvrir ce que je sais sur la question et dans quelle mesure il est absolument essentiel de m'éliminer. Ma foi, je dirais que, selon votre point de vue, c'est bel et bien là une chose absolument essentielle, car je sais tout de la question, à un détail près que vous êtes sur le point de me révéler.
- Vraiment ! Dites-moi donc, je vous prie, quel est ce détail manquant ?
- L'endroit où se trouve pour l'heure le diamant de la Couronne.
Le comte décocha un regard fulgurant à son vis-à-vis.
- Ah ! vous souhaitez savoir cela, n'est-ce pas ? Mais comment diable pourrais-je être en mesure de vous le dire ?
- Vous le pouvez, et le ferez.
- Vraiment !
- Il vous est impossible de m'esbroufer, comte Sylvius.
Les yeux de Holmes, rivés sur son interlocuteur, se contractèrent et s'éclaircirent jusqu'à sembler deux menaçants points métalliques.
- Vous êtes parfaitement transparent. Je vois jusqu'au tréfonds de votre esprit.
- Dans ce cas, bien entendu, vous voyez où se trouve le diamant !
Amusé Holmes frappa dans ses mains puis brandit un index moqueur.
- Ainsi donc, vous le savez. Vous venez de le reconnaître !
- Je ne reconnais rien du tout.
- Or donc, comte, si vous voulez bien vous montrer raisonnable, nous allons pouvoir conclure notre affaire. Dans le cas contraire, vous allez pâtir.
Le comte Sylvius leva les yeux au ciel.
- Et c'est vous qui parlez d'esbroufe ! répliqua-t-il..
Holmes dévisagea pensivement son visiteur, tel un champion d'échecs méditant son coup décisif, puis il ouvrit vivement le tiroir de la table et en tira un épais calepin.
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- Savez-vous ce que je serre dans ce carnet ?
- Non monsieur, je l'ignore !
- Vous !
- Moi !
- Oui monsieur, Vous ! vous êtes tout entier là-dedans ; chacune des actions de votre vile et dangereuse existence.
- Le diable vous emporte, Holmes ! s'écria le comte les yeux flamboyants. Ma patience a des limites.
- Tout est là, comte. Les détails précis quant au décès de la vieille Mrs Harold qui vous légua le domaine de Blymer que vous avez si vite perdu au jeu.
- Vous errez !
- Et toute l'histoire de la vie de Miss Minnie Warrender.
- Bah ! Vous ne pourrez rien faire de cela !
- Bien d'autres choses encore là-dedans, comte. Voici le cambriolage du 13 février 1892 à bord du train de luxe à destination de la Côte d'Azur. Et le faux chèque exécuté la même année aux dépens du Crédit Lyonnais.
- Non pas, là vous vous trompez.
- Dans ce cas, j'ai raison à propos du reste ! Voyons comte, vous jouez aux cartes. Quand l'adversaire a tous les atouts, on gagne du temps à abattre son propre jeu.
- Quel rapport tous ces bavardages ont-ils avec le joyau dont vous parliez ?
- Doucement, comte ! Freinez votre esprit impatient ! Laissez-moi en venir au fait en suivant mon propre cheminement dénué de fantaisie. Je dispose de tous ces éléments-là contre vous mais, par-dessus tout, je dispose d'arguments clairement établis qui vous inculpent, vous et votre brute épaisse, dans l'affaire du diamant de la Couronne.
- Vraiment !
- J'ai le cocher qui vous conduisit à Whitehall et celui qui vous en ramena. J'ai le garçon de course qui vous vit à côté de la vitrine. J'ai Ikey Sanders qui refusa de retailler la pierre pour vous. Ikey a craché le morceau, tout est découvert.
Les veines du front du comte se gonflèrent, ses mains brunes et velues se crispèrent en un geste de colère réprimée. Il tenta de parler, mais les mots refusèrent de monter jusqu'à ses lèvres.
- Tel est le jeu dont je dispose, reprit Holmes. Je l'abats entièrement sur la table. Il y manque toutefois une carte. Le roi de carreau (
en anglais diamond ). J'ignore où se trouve la pierre.
- Vous ne le saurez jamais.
- Ah non ? Voyons comte, soyez raisonnable. Considérez la situation : vous allez passer vingt ans enfermé derrière les barreaux. Et Sam Merton de même. Quel bénéfice tirerez-vous de ce diamant ? Pas le moindre. En revanche, si vous me le remettez.... Ma foi, je traiterai à l'amiable. Nous n'avons que faire de vous-même, ni de Sam. Ce qu'il nous faut, c'est le diamant. Remettez-nous cette pierre et, pour ce qui me concerne, vous pourrez aller librement à l'avenir tant que vous respecterez la loi. Si vous commettez à nouveau un faux pas, eh bien ! ce sera le dernier. Pour cette fois, ma mission consiste à récupérer la pierre, et non votre personne.
- Et si je refuse ?
- Dans ce cas, ma foi, hélas ! il faudra que ce soit votre personne, et non plus la pierre.
Billy fit son apparition à la suite d'un coup de sonnette.
- Je crois, comte, qu'il serait tout aussi bien d'inviter votre ami Sam à cet entretien. Après tout, il faudrait que ses intérêts soient défendus. Billy, vous trouverez devant la porte un individu grand et laid. Demandez-lui de monter.
- S'il refuse, monsieur ?
- Pas de violence, Billy. Ne le maltraitez pas. Si vous lui dites que le comte Sylvius souhaite lui parler, il acceptera sans aucun doute de monter.
- Que comptez-vous faire à présent ? s'enquit Sylvius tandis que Billy disparaissait.
- Mon ami Watson était ici à l'instant. Je lui ai dit que je tenais un requin et un goujon dans mon filet. Je ramène en ce moment le filet, et les voici qui surgissent ensemble.
Le comte s'était levé, une main derrière le dos. Holmes, quant à lui, s'empara d'un objet qui dépassait à demi de la poche de sa robe de chambre.
- Vous ne mourrez pas dans votre lit Holmes.
- Je me suis souvent fait cette réflexion. Cela a-t-il grande importance ? Après tout, comte, la sortie qui vous attend sera plus vraisemblablement verticale qu'horizontale. Mais ces prévisions d'avenir anticipées sont morbides. Que ne savourons-nous sans mélange le moment présent ?
Une brutale lueur sauvage s'alluma dans les yeux noirs menaçants du maître ès crimes. La silhouette de Holmes parut croître en taille tandis qu'il se raidissait, prêt à réagir.
- Inutile de jouer avec votre revolver, mon ami, lança-t-il d'un ton paisible. Vous savez parfaitement que vous n'oserez pas vous en servir même si je vous laissais le temps de vous en servir, même si je vous laissais le temps de le sortir. Vilaines, bruyantes choses que les revolvers, comte. Mieux vaut s'en tenir aux fusils à air comprimé. Ah! je crois entendre le pas aérien de votre valeureux associé. Bonjour, Mr Merton. Plutôt morne dans la rue, n'est-ce pas ?
Le boxeur professionnel, jeune homme lourdement bâti, au visage en lame de couteau portant une expression stupide et butée, se tenait gauchement sur le seuil, regardant autour de lui, l'air perplexe. L'attitude débonnaire de Holmes était pour lui chose nouvelle, et bien qu'il sentît qu'il ne devait pas s'y fier, il ignorait comment y parer. Il se tourna vers son plus rusé compagnon pour solliciter son aide.
- A quoi on joue, maintenant comte ? Qu'est-ce qu'il veut ce type ? Qu'est-ce qui se passe ?
Il avait une voix basse et caverneuse.
Le comte haussa les épaules et ce fut Holmes qui répondit.
- Si je puis être bref, Mr Merton, je vous dirai que tout est " déjà " joué.
Le boxeur poursuivit, s'adressant toujours à son associé.
- Il voudrait être drôle, ce mec, ou quoi ? Je suis pas d'humeur à ça, moi.
- J'imagine que non, en effet, répliqua Holmes. Je crois pouvoir vous certifier que vous aurez encore moins envie de plaisanter à mesure que la soirée avancera. Or donc, comte Sylvius, écoutez-moi. Je suis quelqu'un de très occupé, et je ne peux pas me permettre de perdre mon temps. Je vais me retirer dans cette chambre. Pendant mon absence, je vous prierai de faire comme chez vous. Vous pourrez expliquer à votre ami comment se présente l'affaire sans subir la contrainte de ma présence. Je vais m'efforcer de jouer
la Barcarolle des Contes d'Hofmann au violon. Dans cinq minutes je reviendrai prendre connaissance de votre réponse définitive. Vous percevez bien le choix qui s'offre à vous, n'est-ce pas ? Nous emparerons-nous de la pierre, ou de vous ?
Holmes se retira, prit au passage son violon posé dans un coin. Quelques instants plus tard les notes longues et plaintives de cette mélodie si obsédante s'élevèrent faiblement au travers de la porte close de la chambre.
- Alors, qu'est-ce qui se passe ? lança Merton avec inquiétude comme son compagnon se tournait vers lui. Il sait pour la pierre ?
- Il en sait sacrément trop long. Je ne suis pas certain qu'il ne sache pas tout.
- Bonté divine !
Le teint cireux du boxeur blêmit un peu plus.
- Ikey Sanders nous a balancés.
- Ah, oui ! Si je dois tomber à cause de ça , je lui garderai un chien de ma chienne.
- Cela ne nous avancera guère. Il faut décider de ce que nous allons faire.
- Minute, répliqua le boxeur en jetant un regard soupçonneux vers la porte de la chambre. Ce mec-là c'est un bizarre, il faut le tenir à l'oeil. Je pense pas qu'il soit en train d'écouter ?
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- Comment le pourrait-il avec la musique ?
- Mais il y a peut-être quelqu'un qui se cache derrière un rideau. Trop de rideaux dans cette pièce.
Tout à coup, comme il regardait autour de lui, il aperçut pour la première fois l'effigie postée dans l'embrasure de la fenêtre, et resta figé, les yeux ronds, le bras tendu, muet de stupeur.
- Bah ! ce n'est qu'un mannequin, expliqua le comte.
- Une imitation, hein ? Alors là, ça me coupe le sifflet ! Madame Tussaud est dépassée. C'est le portrait tout craché du type, robe de chambre et tout. Mais ces bon sang de rideaux comte !
- Oh, la peste soit de ces rideaux ! Nous perdons notre temps, or il n'y a pas une seconde de trop. Il est en mesure de nous épingler à propos de cette pierre.
- Pardi mon oeil !
- Mais il nous laissera filer si nous lui disons où se trouve le butin.
- Quoi ! Renoncer ? Renoncer à 100 000 livres ?
- C'est l'un ou l'autre.
Merton gratta son crâne hérissé de cheveux court taillés.
- Il est tout seul là-dedans. Si on le liquidait ? Une fois son compte réglé on n'aurait plus rien à craindre.
Son compagnon secoua la tête.
Il est armé et prêt à agir. Si nous l'abattions nous aurions du mal à nous enfuir d'un endroit pareil. Du reste, il est très probable que la police est informée des éléments qu'il a découverts. Tiens : qu'était-ce donc?
On entendit un bruit vague semblant venu de la fenêtre. Les deux hommes firent volte-face, mais tout était calme à l'exception de la curieuse silhouette installée dans le fauteuil la pièce était assurément vide.
- Quelque chose dans la rue, lança Merton. Maintenant écoutez voir patron, c'est vous le cerveau. Vous avez sûrement moyen d'imaginer comment nous sortir de là. Si ça sert à rien de cogner, alors c'est à vous de voir.
- J'en ai roulé de plus malins que lui, répondit le comte. La pierre est là, dans ma poche secrète. Je n'ai pas voulu prendre de risques en la laissant quelque part. On peut la sortir ce soir d'Angleterre et la faire retailler en quatre morceaux à Amsterdam, avant dimanche. Holmes ignore tout de Van Seddar.
- Je croyais que Van Seddar s'en allait la semaine prochaine.
- Il devait.... Mais à présent, il faudra qu'il prenne le premier bateau. Il faut que l'un ou l'autre fasse un saut à Lime Street avec la pierre et lui explique.
- Mais le double fond n'est pas prêt.
- Eh bien, il devra l'emporter comme elle est et tenter le coup. Il n'y a pas un instant à perdre.
A nouveau, avec ce sens du danger qui devient un instinct chez le chasseur, le comte marqua un temps de silence et contempla attentivement la fenêtre. Oui, c'était sans aucun doute de la rue que provenait ce léger bruit.
- Quant à Holmes, reprit-il, nous pourrons le rouler sans trop de peine. Figurez-vous que ce pauvre idiot ne nous fera pas arrêter s'il parvient à mettre la main sur la pierre. Ma foi, nous allons nous engager à la lui remettre/ Nous l'enverrons sur une fausse piste et, le temps qu'il s'en aperçoive, la pierre sera en Hollande, et nous hors du pays.
- Voilà qui me plaît, s'écria Sam Merton avec un large sourire.
- Vous, allez dire au Hollandais de filer. Moi je vais m'occuper de cet abruti et lui servir de faux aveux. Je lui dirai que la pierre est à Liverpool. La peste soit de cette musique geignarde, cela me tape sur les nerfs ! Le temps qu'il se rende compte qu'elle n'est pas là-bas, la pierre sera en quatre morceaux et à nous qui vogueront sur les mers. Mais, revenez donc ici, il n'y a rien à tirer de ce trou de serrure. Voici la pierre.
- Ça m'étonne que vous osiez la garder sur vous.
- Où serait-elle plus en sécurité ? Si nous avons été capables de la sortir de Whitehall quelqu'un d'autre pourrait la sortir de chez moi.
- Faites voir un peu ça.
Le comte Sylvius décocha un regard passablement méprisant à son associé et ignora la main malpropre que lui tendait ce dernier.
- Quoi donc... vous vous figurez que je vais essayer de vous la faucher ? Dites voir, môssieu, je commence à en avoir soupé de vos manières.
- Allons, allons, Sam, ne prenez pas la mouche. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous disputer. Venez jusqu'à la fenêtre si vous tenez à admirer comme il se doit la beauté de cette pierre. Orientez-la vers la lumière ! Là !
- Merci.
D'un seul bond Holmes jaillit du fauteuil occupé par le mannequin et s'empara du précieux joyau. Il le tint alors d'une main, et de l'autre braqua un revolver contre la tempe du comte. Les deux malfaiteurs reculèrent en titubant, complètement éberlués. Ils n'eurent pas le temps de se ressaisir que, déjà, Holmes avait appuyé sur la sonnette électrique.
- Pas de violence, messieurs.... Pas de violence, je vous en prie ! Un peu de considération pour le mobilier : Vous devez garder très clairement à l'esprit que vous vous trouvez dans une situation impossible. Ces messieurs de la police attendent en bas.
L'ébahissement l'emporta sur la rage et la frayeur du comte.
- Mais, comment diable... ? bredouilla-t-il.
- Votre surprise est fort naturelle. Vous ne saviez pas que la chambre est dotée d'une seconde porte donnant derrière cette tenture. Je croyais que vous m'aviez entendu quand j'ai déplacé le mannequin, mais la chance était avec moi. Cela m'a fourni l'occasion d'entendre votre piquante conversation que la gêne eût sans nul doute péniblement refrénée si vous aviez eu conscience de ma présence.
Le comte esquissa un geste résigné.
- Nous vous concédons l'avantage, Holmes. A mon avis vous êtes le diable en personne.
- Peu s'en faut, en tout cas, répondit Holmes avec un sourire poli.
Le lent intellect de Sam Merton appréhendait seulement à peine la situation. Alors, tandis que le brui de pas pressants dans l'escalier s'entendait, il rompit enfin son silence.
- Satané flic ! s'écria-t-il. Mais dites, qu'est-ce que c'est que ce bon sang de violon ? Je l'entends encore.
- Ah, bah ! répondit Holmes. Vous avez parfaitement raison. Laissons-le jouer ! Ces Gramophones modernes sont une invention étonnante.
Suivit une brouillonne irruption de la police, les menottes cliquetèrent puis les criminels furent conduits au fiacre qui attendait. Watson s'attarda auprès de Holmes, le félicitant de cette nouvelle feuille qu'il ajoutait à ses lauriers. Leur conversation fut à nouveau interrompue par l'imperturbable Billy muni de son plateau à cartes de visite.
- Lord Cantlemere, monsieur.
- Faites-le monter, Billy. Voici l'éminent pair représentant des intérêts on ne peut plus élevés, commenta Holmes. C'est un excellent homme, loyal, mais assez vieux jeu.Saurons-nous l'amadouer ? Oserons-nous nous permettre une petite liberté. Il ignore tout, gageons-le, de ce qui s'est produit.
La porte s'ouvrit livrant passage à une mince silhouette, sévère, surmontée d'un visage en lame de couteau orné de favoris comme il s'en portait au milieu du règne de Victoria, d'un noir lustré qui ne cadrait guère avec les épaules voûtées et la démarche chancelante. Holmes s'avança aimablement et serra une main inerte.
- Comment allez-vous lord Cantlemere ? Il fait frisquet pour la saison, quoique passablement chaud à l'intérieur. Puis-je vous débarrasser de votre pardessus ?
- Non, je vous remercie, je ne compte pas le quitter.
Holmes posa, avec insistance, la main sur la manche.
- Permettez; je vous en prie ! Mon ami, le Dr Watson, vous affirmerait que ces changements de température sont extrêmement pernicieux.
Sa Seigneurie se dégagea avec un brin d'agacement.
- Je suis parfaitement à mon aise, monsieur. Je n'ai nul besoin de m'attarder. Je suis simplement passé voir dans quelle mesure avançait cette tâche entreprise de votre propre chef.
- C'est difficile... très difficile.
- Je craignais que telle soit votre conclusion.
Un ironie hautaine perçait nettement dans les propos et l'attitude du vieux courtisan.
- Nous découvrons tous nos limites, Mr Holmes. Au moins cela nous guérit-il de notre penchant pour la suffisance satisfaite.
- Oui monsieur. Je me suis trouvé fort décontenancé.
- Assurément.
- Notamment à propos d'un détail précis. Peut-être sauriez-vous m'aider...
- La journée est bien avancée pour solliciter mes conseils. Je pensais que vous aviez vos méthodes personnelles et qu'elles se suffisaient à elles-mêmes. Je suis cependant disposé à vous aider.
- Voyez-vous, lord Cantlemere, nous pouvons certes établir une accusation à l'encontre des véritables voleurs.
- Une fois que vous les aurez capturés.
- Tout juste. Mais la question qui se pose est la suivante : de quelle manière allons-nous procéder en ce qui concerne le receleur ?
- La possession effective de la pierre.
- Vous l'arrêteriez pour cette raison ?
- Cela ne fait aucun doute.
Holmes riait rarement, mais son vieil ami Watson ne se souvenait pas l'avoir vu plus près de l'hilarité.
- Dans ce cas, mon cher monsieur, je vais me voir dans la pénible nécessité de requérir votre arrestation.
Lord Cantlemere était furieux. Un reste de la flamme ancienne monta à ses joues cireuses.
- Vous prenez bien des libertés, Mr Holmes. En cinquante ans de service officiel, je ne garde pas le souvenir d'une telle histoire. Je suis quelqu'un de très pris, monsieur, je m'occupe d'affaires importantes et je n'ai ni temps à perdre, ni affection pour les plaisanteries stupides. Je puis vous dire en toute franchise, monsieur, que je n'ai jamais cru en vos talents, et que j'ai toujours pensé que l'affaire serait bien plus en sûreté dans les mains des forces de police officielles. Votre comportement confirme entièrement mon opinion. Monsieur, j'ai l'honneur de vous souhaiter le bonsoir.
Holmes ayant prestement changé de position se retrouva entre le pair et la porte.
- Un instant, Monsieur, lança-t-il. Partir pour de bon avec la Pierre de Mazarin en poche serait un délit plus grave qu'être trouvé en sa possession momentanée.
- Voilà qui est intolérable, monsieur ! Laissez-moi passer.
- Plongez la main dans la poche droite de votre pardessus.
- Qu'entendez-vous par là ?
- Allons, faites ce que je vous demande, allons.
L'instant d'après, le pair stupéfait, battant des paupières, balbutiant, contemplait la grosse pierre jaune sur sa paume tremblante.
- Quoi ! Quoi ! Qu'est cela, Mr Holmes ?
- Ah ! misère, lord Cantlemere, misère ! s'écria Holmes. Mon vieil ami ici présent vous dira que j'ai la malicieuse manie du canular. Et que, en outre, je suis incapable de résister à l'attrait d'une mise en scène théâtrale. J'ai donc pris la liberté, la très grande liberté, je le reconnais, de glisser la pierre dans votre poche au début de notre entretien.
Le regard du vieux pair alla du diamant au visage souriant devant du détective, face à lui.
- Je suis ébahi, monsieur. Cela dit... oui... il s'agit bel et bien de la Pierre de Mazarin. Nous sommes grandement en dette envers vous, Mr Holmes. Votre sens de l'humour est peut-être, vous venez de la reconnaître, passablement dénaturé, et sa manifestation extrêmement inopportune. Il n'en reste pas moins que je retire toutes les remarques que j'ai faites à propos de vos stupéfiants talents professionnels. Mais comment...
- L'affaire n'est qu'à demi achevée, les détails peuvent attendre. Le plaisir avec lequel vous allez annoncer ce succès à l'éminent entourage auprès duquel vous retournez atténuera certainement un peu l'effet de mon canular, lord Cantlemere. Billy, vous voudrez bien raccompagner Sa Seigneurie, et annoncez à Mrs Hudson que, si elle consentait à faire monter un dîner pour deux personnes aussitôt que possible, j'en serais ravi.
Arthur Conan Doyle