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dimanche 1 avril 2012

Lettres à Madeleine 27 Apollinaire

Lettre à Madeleine

                                                                                                               26 septembre 1915

            J'écrirai dès que je pourrai en ce moment trop à faire. Je donne de mes nouvelles c'est à peu près tout ce qui est possible. Tu es toutes mes pensées.

                                                                                                                             Gui
                                                                                          qui pense infiniment à Madeleine

                                                                                                                  26 septembre au soir
                                                                               (hors texte - lettre écrite au crayon )

            Ma très chérie. Je n'ai pas eu le temps d'écrire hier soir - d'ailleurs les lettres ne sont pas parties
hier. Aujourd'hui est partie ma lettre d'avant-hier et une carte écrite à la hâte pendant le tir. Je ne peux te donner de détails. Tout a été magnifique. Les prisonniers boches ont passé par ici et j'ai un beau bouton de ceinturon de la Garde impériale que je t'enverrai ce qui peut faire une broche amusante. - Je n'ai pas eu de lettre de toi ni hier ni aujourd'hui. D'ailleurs je n'en attendais pas. Toi que fais-tu. Je t'imagine dans ta chambre, ô belle, ma belle scholastique. Ta chambre studieuse et virginale. Moi je suis las ce soir et l'étais hier encore plus après la plus furieuse chose qu'on puisse imaginer. Nous étions tous suants couverts de poussière, l'odeur de poudre grisait. en ce moment mon paquetage est bouclé. Je n'ai plus d'enveloppes, seulement ce papier. Mon encre aussi est rentrée. Que de choses intéressantes et belles j'aurai à te raconter après la guerre - Hier on n'a pas eu le temps de manger sérieusement. Seulement du pain et du chocolat pendant le tir - D'ailleurs cette vie me plaît beaucoup - Les prisonniers étaient tous très jeunes. J'ai causé un peu avec quelques-uns d'entre eux mais j'étais si abruti - il faut dire le mot, que toute description me serait impossible. Ils étaient très mal vêtus et très obséquieux. Celui à qui j'ai coupé le bouton de ceinturon me tendait son derrière vraiment à l'allemande et avec une patience à mourir de rire. Mon couteau coupe très mal j'étais pressé pour le tir et j'en mettais tant que je pouvais - leurs officiers affectaient un air méprisant mais très étonnés de nous voir si bien habillés - Nous sommes habillés de neuf en bleu clair et casqués. Quand je pourrai me faire photographier avec le casque je le ferai. Ce casque si tu ne l'as pas encore vu

                                                                                                                                                                                           
                  
ressemble un peu à une salade casque appelé ainsi j'imagine du nom de Saladin. Je ne le trouve pas laid et il est extrêmement protecteur et agréable à porter quoiqu'assez lourd - Enfin je suis content de mon casque. Je
crois qu'il a la forme du plat de barbier que Don Quichotte prit pour l'armet de Mambrin. Mais il est gris au lieu de briller au soleil. Que fais-tu mon amour ? Je pense à tes cheveux. Ta chère photographie m'aide infiniment à rester gai - Hier il a plu tout le jour. Ce jour il a fait beau mais ce soir il fait froid et il bruine. Le feu d'artifice est beau trop beau. Je t'écris dans mon trou, bien à l'abri des marmites. Enfin quand je viendrai je te raconterai tout cela. Nous n'avons pas de journaux depuis trois jours. Les lettres sont arrivées hier à minuit avec le ravitaillement. Sitôt cette lettre finie, mon amour, je fais faire dodo. Je t'adore et n'ai pas cessé de penser à toi pendant tout le jour. Ta photo que j'ai en double, je l'avais prise dans mon carnet de tir et je la regardais tout le temps, ma chérie, ma belle, ma jolie, ma gracieuse Madeleine. Mon amour, ma chérie t'enveloppe toute. Je te prends dans mes bras doucement et vigoureusement, je te dis des mots tendres - nous sommes seuls, je suis fier de toi, mon aimée, je suis aussi fier de toi que je t'aime et ce n'est pas peu tu sais bien, mon amour. Je pense à Oran, ma petite chérie aux jolies mains - j'attends tes lettres avec impatience pour savoir les détails de ton voyage et aussi tout ce que tu m'as promis de m'écrire. Quand reprends-tu les cours. Dis-moi tout de ta vie. Ça m'intéresse tant. Tu es mon amour, ma merveilleuse, ma miraculeuse Madeleine. Ces jours où je n'ai pas de lettre de toi sont des jours sans couleur et pourtant j'aime bien ma vie en campagne. Mais sans toi tout est gris, tes lettres illuminent mon front comme les fusées le Front des Armées. Je t'adore.
            Ma Madeleine je prends ta bouche. Il me tarde aussi va d'être ton mari. Je prends ta bouche ouverte.

                                                                                                                      Gui


                                                                                            Le 28 septembre 1915
                                                                                               ( au crayon )
 Mon cher amour,

                                                    J'ai reçu hier ta lettre écrite sur le bateau et envoyée d'Oran. Je t'adore.
Notre travail est fini. Nous sommes prêts à partir. Tu as lu les journaux et tu en sais plus que nous car nous
n'avons plus de nouvelles du monde depuis le 22. Il y a eu alerte cette nuit, j'étais prêt, éperons, revolver, bidon et casque. Ma selle était prête. Mais on est pas parti. J'ai eu ta lettre à six heures je t'adore mon amour. Je t'ai envoyé hier 3 boutons boches dont un de ceinturon. pourrai pas envoyer l'encrier. En somme, ma chérie, tu as si bien fait que je n'ai été sans nouvelles de toi que deux jours. Tu es un amour. Maintenant, j'attends une longue longue lettre. Il fait très froid ce matin. J'ai les mains gelées. Je t'adore je prends ta bouche rouge à moi qui est si exquise et qui doit si bien mordre. Je t'adore. Je t'adore. Je suis bien content
que le voyage se soit bien passé. Je t'adore.

                                                                                                           Gui