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jeudi 15 août 2024

Lettres de Proust à Reynaldo Hahn ( 78/86/87 ) ( Correspondance France )

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                                ( Lettre 78 )

                               Décembre 1906

            Versailles

                                       Air du Pont des Soupirs

            Un jour l'ermite de Versailles
            Ecrivit à son Reynaldo :
            Comme je suis sans sou ni mailles a, ailles
            Ah !  ne crois pas à un Kasdeau
            Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
            C'est une action de tramway électrique
            Que pour toi j'ai su bien placer,
            Et tu ne vas pas, je m'en pique,
            Me refuser, refuser !
             Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
            Cette affaire où ma science unique
            A bien su pour toi spéculer
                            ( Avec force )
            C'est le tramway électrique
            Je vais, je vais te l'envoyer !
            Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah           


                   ( Lettre sans signature )


                                             ( Lettre 86 )

                            7 janvier 1907

                             Lundi

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      Mon petit Reynaldo,
            Je suis triste de n'être pas en état de vous dire plutôt, ce que je vous écris. Si vous écrivez à Montesquiou dîtes-lui que la vérité est hors de son dilemme, en pleine invraisemblance pour qui ne suit pas ma vie. La vérité c'est qu'arrivé à Versailles le 6 Août, je n'ai pas pendant ces cinq mois été une seule fois capable de sortir. Je n'ai pas été une seule fois au Château, pas une seule fois à Trianon ( mais du reste vous savez bien tout cela ), pas une seule fois au cimetière des Gonards. Si je n'avais eu qu'un seul jour de bon je serais allé plutôt qu'au Château et à Trianon, aux Gonards, surtout M. de Montesquiou n'étant pas à Versailles, ne pouvant pas y aller, j'aurais eu un sentiment très doux en me disant que je le remplaçais, que je venais de sa part auprès du pauvre Yturi comme lui si souvent vint de la part de M. de Montesquiou auprès de moi. Et puis je savais par vous, par d'autres, que c'était une tombe unique d'émotion et de beauté. Et comme je ne pense plus guères qu'aux tombeaux j'aurais bien voulu voir ce que Montesquiou avait fait là et comment son goût avait réussi à donner plus de noblesse encore à sa douleur.. Quand il sera revenu à Paris ou à Versailles, je me soignerai pour tâcher de le voir un soir, mais outre que c'est impossible pour tout le monde, la difficulté avec lui grandit encore, car c'est la personne du monde avec qui je me gêne le plus, dans le mauvais sens du mot. Et même s'il se prête pour une fois à mes heures, la possibilité d'une crise intempestive m'empêche d'oser lui donner un rendez-vous que j'aimerais mieux mourir que rompre, tandis que d'autres comprendraient. Vous pouvez lui dire que j'ai eu une gde joie à recevoir Les Hortensias bleus que je n'avais jamais tant aimés. Les pièces du début m'ont paru plus exquises qu'autrefois. Quant à l'Ancilla dont je vous ai appliqué ce fragment dernièrement, c'est une chose admirable, un magnifique pendant de la servante au grand cœur. Il me semble ( mais je n'en suis pas sûr ) que la pièce à Yturi a été retouchée et peut-être pas améliorée. Elle est peut'être ce qu'il a jamais écrit de mieux mais je ne me rappelle pas que la couronne fut verte la première fois et je ne sais pas si c'est mieux ainsi. Inutile de lui dire cela, d'abord parce qu'il s'en ficherait complètement, ensuite parce que c'est un doute très vague, et que je ne suis pas du tout sûr d'avoir raison. Avez-vous été interrogé par Les Lettres au sujet de Shakespeare, Tolstoï. Je suis trop souffrant pour répondre, je ne peux pas vous dire ce que rien qu'une lettre comme celle-ci m'épuise. Plusieurs personnes ( notamment Mme G. de Caillavet ) m'ont écrit que votre Noël  état adorable, j'aurais bien voulu l'entendre, et suis triste de n'avoir pas pu. Dîtes à M. de Montesquiou que je n'ai même pas pu aller à l'enterrement de mon pauvre oncle.
            Tendrement à vous
                                    Marcel
            Vous pouvez dire à M. de Montesquiou que je n'ai pas été une seule fois assez bien pour voir Miss Deacon qui habitait le même hôtel. Dîtes à Montesquiou que d'ailleurs cela n'intéressera pas que je commence à aimer beaucoup les objets.


                               Lettre 87

                        Janvier 1907,
            Jeudi soir
                                                                                                                                       eBay
            Est-ce que vous êtes encore phasché mon Bunchtbuls ? Pauvre Buncht pas croyez que j'ai de
moi une idée extraordinaire sous mon " apparente modestie ". Hélas, niduls, je voudrais bien, mais j'ai certainement de moi une moins grande idée qu'Antoine ne peut avoir de lui-même ou Jean Blanc (  l'un concierge du bd Hausman le second valet de chambre de la famille Proust, nte de l'éd. ). Je serais peut'être un peu moins malheureux sans cela. Du reste tout le monde est phasché contre moi ce soir. Cardane a dit à Ulrich :
            " - Suk croit que quelqu'un lira son article en-dehors de lui et de quelques personnes qui le connaissent ! "
            Je voudrais pour vous desrider et desfascher vous écrire mille gentillesses, mais j'ai une crise qui commence et dans la promesse des heures cruelles fait déjà taire m
 







 











mardi 9 février 2016

Correspondance Proust Lionel Hauser ( lettres France )

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        lefigaro.fr

                                                           Versailles, le dimanche soir 1er novembre 1908

             Mon cher Lionel
         Je t'envoie ci-joint une lettre officielle pour ta maison. Veux-tu me permettre d'y joindre ces deux notes
         1° Je voudrais que ta maison vende mes 5 Rios, si cette valeur atteint 1 800 francs ces jours-ci, ce qui semble probable.
         2° Comme voici à peu près un an que je suis entré en rapport avec ta maison, je voudrais qu'elle m'envoie, en français, le compte suivant, aussi résumé et court que possible :
         " Nous avons à vous depuis le.... pour tant d'Union Pacific, ayant produit pendant cette année tel revenu tant de Pennsylvania ayant produit tel revenu, etc. etc.
         Total des revenus encaissés pendant cette année pour mon compte par la Maison Warburg.
         De ces revenus nous déduisons telle somme avec laquelle nous avons acheté le.... tant de Chemins de fer Mexicains, ayant déjà donné depuis tel revenu. ( Ne pas oublier que la somme fournie par la Maison Warburg pour l'achat de ces Chemins de fer est inférieur au prix d'achat total, la Maison Rothschild ayant fourni une part de la somme destinée à l'achat ). Donc en résumé il nous reste à vous une somme disponible de..... représentant les revenus encaissés par nous pour votre compte, déduction faite de la somme dépensée par nous pour l'achat des Chemins mexicains. "
          Et je demanderai la même chose à la maison en novembre 1910, en novembre 1911, si tant est que Dieu me laisse sur la terre jusque-là, et que ta maison continue à garder mes titres. Ce n'est pas sorcier et ne leur donnera pas beaucoup de mal mais cela aura pour moi un avantage précieux, ou plutôt deux. D'une part cela me permettra de savoir quelles sont mes disponibilités et de voir clair dans ce que je dépense. Deuxièmement cela me donnera une idée de ce que rapportait la maison du Boulevard Haussmann, du prix de vente de laquelle elles sont le remploi.
          Excuse-moi mon cher Lionel de ne t'avoir écrit qu'une lettre d'affaires. Je suis si malade que même ces quatre pages m'ont exténué. Je t'aurais téléphoné mais le téléphone est dans l'hôtel et ne pouvant pas me lever je ne peux y aller.
          Crois à ma profonde et tendre amitié.

                                                                        Marcel Proust

          Je barre la première commission car je lis que le Rio est sur le point de monter beaucoup. Donc j'aime mieux ne pas choisir ce moment pour vendre.
          Si tu as à m'écrire mon adresse actuelle est 102 boulevard Haussmann faire suivre.


                                                            ¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

                                               Lionel Hauser à Marcel Proust

                                                                                               Paris le 7 novembre 1908
            Mon cher ami,
            Ta charmante lettre m'a bien amusé, et si déjà je regrettais de te savoir malade, je le regrette maintenant encore davantage, puisque cela me prive de lire ta comédie Le Financier Sentimental qui aurait été sûrement très spirituelle.
            Si j'accepte avec plaisir ton absolution au sujet des placements que je t'ai conseillés, je ne puis accepter tes compliments au sujet de ton achat de Rio, m'étant lavé les mains, tel Ponce Pilate, lorsque tu m'as transmis cet ordre. C'est également pour cette raison que j'ai fait exécuter immédiatement ton ordre de vente, n'ayant absolument aucun jugement au sujet de la vraie nature de la hausse actuelle, qui d'après les uns serait légitime, d'après les autres purement spéculative.
            J'espère d'ailleurs, que tu seras assez philosophe pour ne plus regarder les cours du Rio ou, si tu les regardes, pour ne pas te faire de mauvais sang, s'il continuait à monter.
            En vertu de tes nouvelles instructions j'ai donné ordre à ma maison de Hambourg d'acheter $ 4 000
Afficher l'image d'origine** 4% New York City Bonds, cette valeur, comme mon oncle Léon t'a si bien dit, est considéré comme de tout premier ordre. Je ne possède pas de cotes télégraphiques des New York City Bonds 4%, mais seulement des 4 1/2. Or ces derniers n'ayant pas été entraînés dans le mouvement de hausse qui s'est produit à la suite de l'élection présidentielle, j'ai lieu de supposer qu'il sera de même des 4%.
            J'ai prié Messieurs Warburg de m'indiquer le montant qui sera alors disponible et pour lequel nous tacherons de trouver quelque chose  d'intéressant.                                                                                                    Il y a l'emprunt 5% de Saint Domingue garanti par les droits de douane, lesquels droits sont encaissés par les fonctionnaires des Etats Unis, cette valeur cotant environ 96 1/2 à 97 %, mais je ne sais pas si ce sera un placement à te recommander. Enfin, d'ici là nous avons encore quelques jours pour réfléchir
            Est-ce que tu as déjà du Japonais 4 1/2 % garanti pas le tabac qui cote actuellement à Londres environ 93 1/4 ?
            Bien sincèrement à toi

                                                                                            Lionel Hauser


                                                                ¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤


                                                       à Lionel Hauser

                                                                                                   Vers le 1er décembre 1908
            Mon cher Lionel
            Veux-tu me permettre, malade comme je suis de t'écrire une simple d'affaires ? et de sous-entendre ma tendre et profonde reconnaissance pour toutes tes bontés.
            1° La Maison Warburg devait m'acheter environ 20 000 francs de NewYork City, 20 000 francs Harpener, 10 000 francs Smelting Refining ( je ne sais pas le nom ). Je pense qu'elle a dû le faire car la Maison Rothschild m'a dit lui avoir versé environ 52 000 francs. Mais la Maison Warburg m'a avisé de l'achat de 20 000 francs de New York City Bonds, et 7 000 marks ( environ ) de Harpener, enfin l'équivalent de 10 000 francs de Harpener au lieu de 20 000. De Refining Smelting etc. aucune nouvelle.
            J'espère qu'il n'y a pas eu d'erreur, mais à l'occasion, sans leur écrire exprès pour cela, tu serais gentil de t'informer si cela a été fait. Mais il n'y a rien qui presse ! Voilà longtemps que je voulais te poser la question mais tu sais, je suis dans un état de santé, à crever !
            2° Je te joins une feuille de la Maison Warburg disant les revenus des valeurs pendant cette année. Depuis elle m'a avisé d'un supplément touché pour le Rio Tinto. Mais à vue d'oeil, pour l'Union Pacific et le Pennsylvania cela doit faire plus. Et je suppose qu'il a dû y avoir ou va y avoir un supplément d'intérêts. Car même en mettant le mark à 1,25 il me semble que cela ferait environ 840  francs pour 2 000 dollars d'Union Pacific. Or comme elle était à 85, cela doit faire un peu plus. Ne me répond pas pour tout cela, et vois comme mes pauvres parents qui étaient si inquiets de me croire si peu pratique et incapable de lire une lettre d'affaires se trompaient ! Cela me fait du chagrin de penser qu'ils se sont tant tourmentés à faux.
Afficher l'image d'origine            3° Tu es un ange  de me chercher des placements. Tout ***
ce que tu me dis me semble parfait, Saint Domingue, San Paulo, et un certain Rio Grande do Sul qui est à 450. Mais je voudrais quand tu aurais l'occasion de rencontrer Monsieur Léon Neuburger que tu lui demandes si à son avis ces placements sont aussi sûrs et plus sûrs que ma petite Banque del Rio de la Plata qu'il approuve et qui donne du 6 1/2 ou que les Chemins de fer unifiés de La Havane. Je serais d'autre part bien curieux de savoir ce qu'il pense d'une banque que monte un Anglais connu paraît-il, qui s'appelle Cassel, banque ayant un nom que j'ai oublié mais quelque chose comme Mortgage Egyptian Company. On me fait entrevoir comme une faveur la possibilité encore incertaine de m'en livrer quelques actions. Est-ce vraiment à désirer ? J'espère que Madame Hauser aura trouvé dans ta tendre et forte affection l'énergie de surmonter son chagrin de cet été et que votre intérieur, que j'imagine avec admiration et envie est heureux.
            Je reçois souvent des lettres de mon ami Hahn, le disant : " Je dois voir M. Luzzato. - j'ai vu M. Luzzato. J'ai reçu une lettre de M. Luzzato " Pourvu que cela ne soit pas que des visites et des lettres et ait une utilité quelconque, puisque tu l'aimes.
                    Tout à toi de coeur,


                                                                                          Marcel Proust


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                                                 Lionel Hauser à Marcel Proust

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            Mon cher Marcel,
            Merci de ta bonne lettre que j'ai lue avec grand intérêt et en réponse à laquelle je m'empresse de te fournir quelque lumière sur les différents points qui te paraissent quelque peu nébuleux.
            Tout d'abord je me permets de te faire remarquer.  que dans la lettre de Messieurs Warburg du 5 Novembre où ils te confirment l'achat de M. 8 400 actions Harpener, ils t'avisent également l'achat de $ 10 000 actions de préférence American Smelting and Refining. Si tu n'as pas cette lettre sous la main, je puis t'en fournir la copie. Voici un premier point éclairci.
            Pour ce qui est de l'argent employé dans l'achat des Harpener, il est vrai que le montant nominal acheté est seulement de M. 8 400, mais comme ces actions ( qui ont distribué en dernier lieu un dividende de
11 % sur le nominal ) ont été achetées au cours de 192 1/4 ( soit près de 200 % ) l'argent employé dans cette opération a bien été d'environ  Frs 20 000 comme indiqué par toi. A ce cours-là le rendement effectif sur la base du dernier dividende est encore supérieur à 5 1/2 %.
Afficher l'image d'origine ****      Quant à l'intérêt sur l'Union Pacific 4 %  il est certain que ce placement au cours de 85  te rapporte 4, 70 % du montant effectivement versé, mais ce montant effectif n'étant que de $ 100, l'intérêt produit sera de 4,70 % sur 85, ce qui est la même chose que 4% sur le nominal de $ 100 ; en d'autres mots, les Union Pacific te rapportent chaque année 4 % de $ 4 000, soit $ 160, soir au cours moyen de $ 515 environ
Frs 824.
            En ce qui concerne le surplus de ta lettre, je puis te confirmer que Monsieur Léon Neuburger est du même avis que moi en ce qui concerne l'emprunt de San Paulo. Si donc il ne peut pas obtenir l'assurance de recevoir le montant intégral à souscrire pour toi, je transmettrai ta souscription à Hambourg.
            Je serai le dernier à vouloir taper sur la Banque de Rio de la Plata dont tu m'entretiens, d'autant plus que je crois qu'elle marche d'une façon très satisfaisant, mais je te conseille de ne pas perdre de vue une chose très importante, savoir qu'une Banque est une entreprise industrielle comme une autre dont le succès dépend dans une très grande mesure du cerveau de ses directeurs ; par conséquent, l'emploi d'argent en actions de banques quelles que soient ces dernières, comporte un risque généralement plus élevé que celui inhérent à une obligation d'Etat ou de Chemins de fer.
            C'est pourquoi je te prie de ne pas me rendre complice de tes placements dans ce genre de valeurs.
         Pour une fois que, cédant à tes instincts spéculatifs j'ai fait acheter pour toi des actions de la Paketfarht, j'ai éprouvé trop d'angoisses pour que je songe à te suivre de nouveau dans cette voie.
            Reçois, mon cher Marcel, avec mes meilleurs voeux de santé, mes compliments les plus affectueux.


                                                                                             Lionel Hauser


                                                              ¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤


                                                                               ( 27 ou 28 janvier 1909 )

            Mon cher Lionel                                                                            dona-rodrigue.eklablog.com 
Résultat de recherche d'images pour "banques 1900"            Je suis, je le sais, le plus assommant des clients et je pense que tu dois regretter amèrement le jour où '( pour le plus grand bien de ma fortune, mais pour le commencement de mes importunités ) tu m'as mis en rapport avec la Maison Warburg. Toujours est-il qu'en tâchant de te déranger le moins possible, je te dérange sans cesse. Comme je te l'ai dit je ne comprends jamais un mot de ce qu'ils m'écrivent. Et j'en ai pris mon parti. Mais quand j'en comprends assez pour comprendre qu'ils me demandent de répondre, et pas assez pour saisir de quoi il s'agit, je suis malheureux d'avoir l'air impoli en ne répondant pas, et ne pourrais que répondre des mots au hasard comme " l'Interpreter " dans " l'Anglais tel qu'on le parle ". Je te communique donc le dernier billet doux de ces messieurs pour que tu aies la bonté de leur répondre pour moi ne soupçonnant pas de quoi il s'agit. Surtout ne leur dit pas de m'écrire en français, ils ne le feront pas davantage et c'est inutile.
            Le mieux serait je crois ceci. Ils me diraient nous avons à vous tant de capital et en plus tant d'argent disponible. Et à partir de ce moment-là, ils t'enverraient, ou au Crédit Industriel, tous les mois, ou deux mois, ou plutôt tous les trimestres ce qu'ils ont touché pour moi. De cette façon j'aurais les comptes les plus clairs. Le Crédit Industriel m'écrirait tous les trois mois : " Nous avons reçu tant pour vous de la Maison Warburg " et à la fin de l'année j'aurais touché mes revenus. Et quand la Maison Warburg aurait de l'argent à débourser pour moi, par exemple pour acheter des titres, jamais elle ne le prendrait chez elle pour ne pas redémolir mes pauvres comptes, mais elle demanderait la somme à la Maison Rothschild. Je crois que cette solution est la merveille des merveilles.
            Mon ami Reynaldo est parti à la première d'Electra à Dresde, sans que j'aie pu lui dire adieu. J'ai appris qu'il passerait à Hambourg. Si je l'avais su avant son départ, je lui aurais demandé de passer chez toi pour savoir si tu n'avais pas de commissions pour Hambourg. En tous cas si tu désirais qu'il y fît quelque chose pour toi fais-le moi dire, peut-être en lui télégraphiant je l'atteindrais encore à temps. La lettre de M. M. Warburg est déjà un peu ancienne, mais j'ai eu des crises si affreuses ces jours-ci que véritablement écrire une lettre m'aurait été aussi impossible qu'à un mort.
            Tout à toi


                                                                                 Marcel Proust


                                                           ¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤


                                                                                                  Paris le 29 janvier 1909

            Mon cher Marcel,
            En lisant ta charmante lettre d'hier, j'ai compris le désespoir de Charles-Quint qui ne parvenait pas à faire marcher d'accord douze pendules et l'éblouissante conclusion à laquelle il est arrivé, qu'il était encore plus difficile de gouverner les hommes que les pendules.
Afficher l'image d'origine 5*           L'Allemagne passe pourtant pour être la meilleure fabrique d'automates humains et son armée en est d'ailleurs un exemple éclatant et malgré cela Messieurs Warburg n'ont pas pu amener leur employé comptable qui a ton compte dans son registre à t'envoyer l'extrait en français deux fois de suite. Je leur écris donc pour renouveler mes instructions antérieures et j'ose espérer qu'après avoir encore réclamé six ou sept fois de suite, nous finirons par atteindre le but désiré.
            Ceci ne m'empêche pas d'ailleurs de trouver excellente ton idée en ce qui concerne les intérêts, aussi je les prie par la même occasion de remettre pour toi au Crédit Industriel à la fin de chaque trimestre le solde de ton compte chez eux.
            J'ai lu avec intérêt tes communications en ce qui concerne le voyage de Reynaldo Hahn. Je n'ai pas d'autre commission à lui faire pour Hambourg que celle de lui souhaiter de bien s'y amuser ce qui n'exige pas l'envoi d'une dépêche spéciale.
            J'espère fermement que l'état de ta santé te permettra bientôt de venir nous faire une visite et te prie de me croire, mon cher Marcel,
                                 ton sincèrement dévoué

                                                                                 Lionel Hauser


                                                             ¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤


                                                                                                    Le 1er février 1909

            Mon cher Lionel                                                                                      larousse.fr
Résultat de recherche d'images pour "lettre voltaire"            Tu me donnes l'idée de la plus grande puissance qu'un homme puisse avoir sur la terre : Je viens de recevoir de la Maison Warburg un mot dont je ne sais pas si je dois dire qu'il est digne de Voltaire ou de Mérimée, ne sachant pas lequel des deux écrivains tu préfères, mais enfin écrit dans un français non seulement impeccable mais de l'élégance la plus raffinée. Je dois donc pouvoir en conclure ( pour leur emprunter une de leurs formules ) que ta volonté plus puissante et surtout plus rapide que celle de Berlitz leur a en trois jours ( sans défalquer l'aller et le retour de ton ordre ) donné non seulement la connaissance plus approfondie de la langue française et de l'usage de toutes ses finesses, de tous les " je crois pouvoir en conclure " qui font la supériorité de notre belle langue, mais encore une élégance du tour, une pureté de style qui grâce à toi va faire ressembler la culture française en Allemagne à celle qui régnait au temps de Voltaire de la Spree à la Mer du Nord et dont tu es le nouveau Frédéric le Grand. Merci de tout coeur d'avoir fait pour moi ce miracle amical et philologique et reçois toute ma grande amitié


                                                                                             Marcel Proust

            Puisque tu as un si grand pouvoir thaumaturgique pourrais-tu en employer un peu à ce que je n'aie pas en ce moment les dix crises d'asphyxie par jour qui me tuent. Jamais je n'ai été si malade. Inutile de te dire que je ne prétendais nullement plaisanter le français antérieur de la Maison Warburg. Je serais bien content d'écrire l'allemand comme ils écrivaient jusqu'ici le français. Quant à la façon dont ils l'écrivent depuis ta thaumaturgie, si j'écrivais l'allemand aussi bien je serais Shiller, Novalis ou Hoffmannsthal !

*         numasmitaics.org    
**     histclo.com   ***   numistoria.com     **** marie-antoinette.forumactif.net
 


                                                                                                                          
                                             
         
                                                   
            

samedi 9 janvier 2016

Correspondance Proust Robert de Billy - Reynaldo Hahn( lettres France )

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bebloom.com


                                                               A Robert de Billy
     
                                                                                                      Printemps  1909 ?
                                                                                     ( in Collection K
            Mon cher Robert
         Je ne sais ce que vous devez penser de moi de ne pas avoir encore répondu à votre lettre délicieuse avec cette fleur de sentiments si rare chez vous                              Et plus qu'
comme la rose d'Aubigné. Mais une fatalité, qui est précisément celle de l'Éducation Sentimentale et qui fait que mêlés l'un et l'autre à tant de vies balzaciennes la nôtre se contente ( Dieu merci ! ) d'être plutôt flaubertiste, a fait que j'attendais pour vous dire l'émotion que m'avaient causée vos pages de pouvoir vous annoncer que le petit instrument était en lieu sûr. Or il m'arrivait enfin mais d'un modèle extrêmement savant, muni de deux bourses d'un prix exorbitant pour la mienne, d'une forêt de poils, etc. Ce réalisme répugnant et dispendieux ne m'a pas semblé faire l'affaire. N'était-ce pas plutôt un plus idéaliste succédané que voulait la Veuve de l'homme de Dieu. La forme grossièrement imitée elle saurait mieux l'imaginer elle-même dans le plaisir offert par un instrument plus élémentaire et meilleur marché qui prétendrait plutôt à suppléer, voire à imaginer, qu'à décrire. Bref j'ai renvoyé cette pièce d'anatomie. Et l'autre, le simple, toujours annoncé qui me fit envoyer à sa recherche de jeunes cohortes dans des lieux trop bien faits pour elles, je ne l'ai pas encore reçu. Comme il eût été plus expéditif de m'offrir moi-même. " On ne bande pas tous les jours " comme me disait le duc de Castries, mais enfin j'aurais pu changer parfois les tristes vigiles de celle qu'un conte de La Fontaine avait fait soeur de charité, et dont votre poétique, habile aux transpositions nécessitées par les coutumes luthériennes, a fait la veuve d'un pasteur. J'ose espérer enfin que je lui ferai parvenir le " Bonheur des Dames " avant que vous ayez reçu ce poulet.
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            La vraie raison est que j'ai été très mal ces temps-ci, mon petit Robert, vous savez, par l'exemple de votre beau-père, ce que sont ces alternatives de mieux apparent, de mieux... pour la gloire, et de rechutes chaque fois plus profondes.
            Dîtes-moi donc une fois, à tout hasard, le nom exact et l'adresse du Docteur Tessier ( mais sans lui en parler ). Que faites-vous cet été ?
            Tout à vous


                                                                                     Marcel


                                                            ¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

                                                          A Reynaldo Hahn

Afficher l'image d'origine                                                                     Le 17 ou 18 juillet 1909
                                                                                    ( in collection Kolb )
            Bonjour, Metmata.
            Bunibuls comme rien n'est plus commode et " à proximité " comme bibliothèque qu'un lit quand on ne se lève pas, je relis tout le temps " faute d'autre chose " ( non, buncht, par prédilection ) vos divins articles dont l'esprit m'enivre, la rosserie me donne des transes, et le talent une jalousie infinie mais sans aigreur.
            Buncht, étranges relations cette semaine avec " l'Elisabeth ". Je reçois l'autre jour sous une même enveloppe deux lettres. L'une du secrétaire de la dite me disant que " Madame la Comtesse a la plus profonde admiration  pour mon talent (!) et que si j'écrivais quelques lignes sur Bagatelle, les personnes qui pensent m'en auraient gré etc. L'autre lettre de l'El... me disant.que.... la même chose et d'écrire quelques lignes comme je le sens c'est-à-dire exquisement poétiques. Peu habitué aux éloges même intéressés je vous redis ceci tout au long en ajoutant même un peu. Là-dessus refus navré de moi, mais ma santé, ai refusé à d'autres personnes etc..Que croyez-vous que fait l'E. Qu'elle insiste ? Nullement. Elle comprend mes raisons et m'envoie... une vigne, une magnifique vigne d'où pendent des raisins à flots. Et me dit que si je suis encore souffrant ces jours-ci elle viendra me voir quand je voudrai que je lui dise heure et jour " espérant vous trouver à la hauteur de votre vaillance " (?) - La lettre était fort littéraire avec des mots tels que "symbole parlant ". Mais parlant de la vigne elle disait " acceptez là " avec un accent grave qui m'a paru surtout grave pour elle et qui est lui aussi " un symbole parlant "... Quant à la vigne comme ici bas les plus belles choses ont le pire destin comme dit à peu près Malherbe, je l'envoie à Marie Nordlinger. Il est probable qu'elle croirait qu'une carte postale a plus de valeur. Je voulais y joindre quelques roses pour mettre le vers de Gérard " Le pampre à la rose s'allie " mais j'ai réfléchi que celui de Mallarmé
Afficher l'image d'origine               Quand des raisins j'ai sucé la clarté                                            *
ferait autant d'effet et serait plus économique puisqu'il ne nécessite pas de roses, et que les raisins y sont.

            Genstil
            Je crains que mon roman sur le vielch Sainte-Veuve
            Ne soit pas, entre nous, très goûté chez la Beuve
Mais tant pis. Genstil vous allez me renvoyer cette lettre et n'en dire mot à qui que ce soit. J'ai beaucoup de sympathie pour l'E ( moins que pour Metmata ) de plus elle a été fort gentille et cela me ferait beaucoup de peine s'il lui revenait que j'ai fait ces plaisanteries d'autant plus que je l'ai remerciée avec prosternation. Or la Winaretta trouverait cette histoire sur " la vigne " tout à fait dans sa voix et la répéterait, la nouvelle marquise de Ripon à qui j'ai envoyé des livres mais je ne lui écris pas car je ne sais que lui dire, qui déteste l'E et aime Montesquiou maintenant la lui narrerait et dans les cinq minutes l'E serait avertie car Montesquiou maintenant quand quelqu'un laisse échapper un mot contre une autre personne le lui écrit instantanément. Donc mystère, Je m'épanche avec vous comme avec Maman. Mais elle ne racontait rien.
            Je ne ferai plus demander de nouvelles de Madrazo puisqu'il sort. Mais dîtes à votre soeur, à lui et à Coco que je faisais demander chez vous
           
* perso.numericable.fr        
            

lundi 21 septembre 2015

Correspondance Proust de Lauris ( Lettres France )

                                   à Georges de Lauris
                                                                                                   fin juillet 1903

            Cher ami,                                                                                                   le-livre.com
Résultat de recherche d'images pour "jesuites"            Après le départ d'Albu, je me remets à penser à vos sacrées lois, et dans un état de dépression et de stupidité inouï, peut-être inséparable du parti dont je me fais l'avocat, je note les humbles petites réflexions, à peine réflexions de simple sens commun, très au-dessous d'Yves Guyot et j'ose le dire du degré d'altitude où s'étaient jusqu'ici situées nos discussions sur ce sujet. Aussi déchirez vite cette lettre, je rougirais trop que quelqu'un puisse la lire ! Je n'ai jamais pensé jusqu'ici qu'aux vertus et aux dangers du christianisme et à son droit à l'existence et à la liberté, mais j'essaye maintenant de descendre à l'organisme même de vos lois et à ce qu'elles peuvent représenter pour vous. Je ne me rends pas compte du tout de ce que vous voulez. Est-ce faire " une " France ( comme vos idées subsidiaires sur Saint-Cyr et celles-là trop spéciales pour que je puisse les discuter, semblent le faire supposer ) je ne pense pas que vous souhaitiez tous les Français pareils, rêve heureusement irréalisable puisqu'il est stupide, mais sans doute vous désirez que tous les Français soient amis ou du moins puissent l'être en-dehors des causes particulières et individuelles qu'ils pourront avoir de se haïr et ainsi qu'aucune inimitié a priori ne puisse, le cas échéant, fausser l'oeuvre de la justice comme il y a quelques années. Et vous pensez que les écoles libres apprennent à leurs élèves à détester les francs-maçons et les Juifs ( ce soir c'est en effet plus particulièrement l'enseignement qui a paru, joint à la présence d'Albu, éveiller votre colère jusqu'à vous faire mettre ma bonne foi en doute touchant Cochin, etc.) et il est vrai que depuis quelques années dans un monde sorti de ces écoles on ne reçoit plus de Juifs ce qui nous est égal en soi mais ce qui est le signe de cet état d'esprit  dangereux où a grandi l'Affaire. Mais je vous dirai qu'à Illiers, petite commune où mon père présidait avant-hier la distribution des prix, depuis les lois de Ferry on n'invite    plus le curé à la distribution des prix. On habitue les élèves à considérer ceux qui le fréquentent comme des gens à ne pas voir et de ce côté-là tout autant que de l'autre on travaille à faire deux France, et moi qui me rappelle ce petit village tout penché vers la terre avare, et mère d'avarice, où le seul élan vers le ciel souvent pommelé de nuages mais souvent aussi d'un bleu divin et chaque soir transfiguré au couchant de la Beauce, où le seul élan vers le ciel est encore celui du joli clocher de l'église, moi qui me rappelle le curé qui m'a appris le latin et le nom des fleurs de son jardin, moi surtout qui connaît la mentalité du beau-frère de mon père adjoint anticlérical  de là-bas qui ne salue plus le curé depuis les décrets et L'Intransigeant mais qui depuis l'Affaire y a ajouté La Libre Parole, il me semble que ce n'est pas bien que le vieux curé ne soit plus invité à la distribution des prix comme représentant dans le village quelque chose de plus difficile à  illiers-   combray.chez-alice.fr                                
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                           définir que l'Office social symbolique par le pharmacien, l'ingénieur des tabacs retiré et l'opticien mais qui est tout de même assez respectable, ne fût-ce que pour l'intelligence du joli clocher spiritualisé qui pointe vers le couchant et se fond dans ses nuées roses avec tant d'amour et qui tout de même à la première vue d'un étranger débarquant dans le village a meilleur air, plus de noblesse, plus de désintéressement, plus d'intelligence et, ce que nous voulons, plus d'amour que les autres constructions si votées soient-elles par les lois les plus récentes. En tout cas le fossé entre vos deux France s'accentue à chaque nouvelle étape de la politique anticléricale et c'est bien naturel. Seulement ici vous pouvez répondre ceci : si vous avez une tumeur et vivez avec, pour l'enlever je suis obligé de vous rendre très malade, je vous donnerai la fièvre, vous ferez une convalescence mais au moins après vous serez bien portant. C'était d'ailleurs mon raisonnement pendant l'Affaire. Si donc je pensais que les congrégations enseignantes détruites le ferment de haine entre les Français le serait aussi, je trouverais très bien de le faire, mais je pense exactement le contraire. D'abord il est trop clair que tout ce que nous pouvons détester dans le cléricalisme, d'abord l'antisémitisme et pour mieux dire le cléricalisme lui-même s'est entièrement dégagé des dogmes et de la foi catholique. Alphonse Humbert, Cavaignac, radicaux antisémites me paraissent des gens dont il ne faut pas faire souche. Et les prêtres je ne dis même pas dreyfusards mais tolérants me paraissent des gens tolérables exactement dans la mesure où ils sont tolérants. Aujourd'hui ( et c'est la honte du catholicisme d'accepter leur appui, mais rappelons-nous que nous avons accepté Gohier et combien d'autres, des méchants aussi et des antisémites au fond ) les grands électeurs du catholicisme ne sont pas croyants et les cléricaux s'en fichent car ils savent qu'un curé de campagne, qu'un moine, qu'un évêque, qu'un pape peuvent marcher avec le gouvernement, mais qu'un rédacteur à La Libre Parole ne le peut pas et les  travel.org        absolvent entièrement de ne pas aller à l'église, d'insulter à peu près tout le clergé et le pape d'abord. Les congrégations parties, le catholicisme éteint en France ( s'il pouvait s'éteindre, mais ce n'est pas par les lois que les idées et les croyances dépérissent, mais quand ce qu'elles avaient de vérité et d'utilité sociale se corrompt ou diminue ), les cléricaux incroyants d'autant plus violemment antisémites, antidreyfusards, antilibéraux, seraient aussi nombreux et cent fois pires. Les maîtres ( professeurs des écoles ) fussent-ils mauvais ce n'est pas l'influence des maîtres qui forme les opinions des jeunes gens ( excepté pour ceux qui vont jusqu'à l'enseignement supérieur et qui alors sont aussi fervents adeptes d'un Boutroux, ou même d'un Lavisse qu'ils sortent de Stanislas ou de Condorcet ) c'est la Presse. Au lieu de restreindre la liberté de l'enseignement, si l'on pouvait restreindre la liberté de la Presse on diminuerait peut-être un peu les ferments de division et de haine, mais le "protectionnisme intellectuel " ( dont les lois actuels sont une forme méliniste cent fois plus odieuse que Méline ) aurait bien des inconvénients  aussi et dans tout cela nous ne parlons que des autres, de ceux qui nous haïssent mais nous-mêmes nous avons donc le droit de haïr ? Et une seule France ça ne voudra pas dire l'union de tous les Français mais la domination, etc., Je n'en puis plus. Je veux prendre un exemple où il n'y a aucune haine et au contraire une petite malice gentille de vous et de Bertrand. Quand Bertrand rigole en pensant à des " religieuses " obligées de voyager, quand vous êtes agacé en voyant un clérical lire La Libre Parole, tout de même votre état d'esprit sans être atroce, n'est pas sensiblement différent de celui d'un officier très gentil agacé de voir un Juif dans un wagon qui lit L'Aurore et qui à son tour lit La Libre Parole, croyez que pour les intelligences qui ne s'ouvriront pas, le maître c'est Écho, c'est L'Eclair, c'est le journal où la société qui à son tour alimente et forme les conversations, les idées, si cela peut s'appeler ainsi dans cette société, et pour l'intelligence qui s'ouvre c'est le Maître en Sorbonne ou l'abbé à " idées modernes ", et alors qu'il soit né Fénelon, Radziwill, Lauris, Gabriel de La Rochefoucauld, Guiche ou simplement Marcel Proust les idées sont pareilles ( ou même celles des congréganistes plus avancés ).  tripadvisor.org         Soyez sûrs que le fait d'exiger la Licence ès lettres pour le service militaire a plus fait pour la cause de la République libérale avancée, que toutes les expulsions de moines. Les autres, ceux qui n'ont pas " travaillé " en restent aux idées politiques de leur société, c'est-à-dire de leurs journaux. Du reste tout cela n'effleure même pas la question. Et elle est moins simple que vous ne croyez. Ainsi nous parlons, et moi le premier et Albu de même, très légèrement des Jésuites. Or si nous étions plus instruits nous saurions sur les Jésuites des choses qui donnent à réfléchir notamment celle-ci qu'Auguste Comte, que le Général André admire mais qu'il connaît sans doute imparfaitement, avait une telle admiration pour l'Ordre des Jésuites, et croyait tellement que rien en France ne pourrait être fait de bon que par eux qu'il s'aboucha avec le Général de l'Ordre pour fondre en une seule organisation l'école positiviste et l'ordre des Jésuites. Le Général de l'Ordre se méfiant, les pourparlers échouèrent. On nous dit toujours que les monarchies absolues n'ont pu tolérer les Jésuites mais est-ce bien là quelque chose de très grave contre les Jésuites ? Tout de même, je crois qu'en fin      de compte je serais contre eux mais au moins que les anticléricaux fassent un peu plus de nuances et visitent au moins, avant d'y mettre la pioche, les grandes constructions sociales qu'ils veulent démolir. Je n'aime pas l'esprit jésuite mais enfin il y a une philosophie jésuite, un art jésuite, une pédagogie jésuite, y aura-t-il un art anticlérical, tout cela est beaucoup moins simple que cela ne paraît. Quel est l'avenir du catholicisme en France et dans le monde, je veux dire combien de temps et sous quelles formes son influence s'exercera-t-elle encore, c'est une question que nul ne peut même poser car il grandit en se transformant et depuis le dix-huitième sièce où il paraissait le refuge des Ignorantins, il a pris même sur ceux qui devaient le combattre et le nier une influence que n'aurait pu prévoir le siècle précédent. Même au point de vue de l'antichristianisme, de Voltaire à Renan le chemin parcouru ( parcouru dans le sens du catholicisme ) est immense. Renan est bien encore un antichrétien mais christianisé : " Graecia capta " ou plutôt " Christianimus captus ferum victorem cepistianit "* . Le siècle de Carlyle, de Ruskin, de Tolstoï même fût-il le siècle d'Hugo, fût-il le siècle de Renan ( et je ne dis même pas s'il devait jamais être le siècle de Lamartine ou de Chateaubriand ) n'est pas un siècle antireligieux. Baudelaire lui-même tient à l'Eglise au moins par le sacrilège, mais en tous cas cette question n'a rien à voir avec celle des écoles chrétiennes. D'abord parce que l'on ne tue pas l'esprit chrétien en fermant des écoles chrétiennes et que s'il doit mourir il mourra même sous une théocratie. Ensuite parce que l'esprit chrétien, et même le dogme catholique n'a rien à voir avec l'esprit de Parti que nous voulons détruire ( et que nous copions ). Je suis excédé et je vous serre la main en vous conjurant de brûler illico cette lettre idiote.
              Tout à vous.

                                                                                                        Marcel Proust

            Quant à Denys Cochin ( je ne parle pas d'Aynard qui est un homme admirable, un grand esprit ) il doit être, je suppose bien infecté de conservatisme, de réaction et de cléricalisme. Comme il parle admirablement et exprime les idées qui me plaisent et est d'autant plus libéral qu'en ce moment il ne désire naturellement que la liberté ( comme nous ne parlions que de justice et d'amour quand nous ne demandions qu'un acte de justice et d'amour ) ses discours m'enchantent. Je n'irais pas jusqu'à lui offrir un portefeuille mais un ministère soutenu par lui ne l'effraierait pas plus, quoique je sois très avancé, qu'en 1898 Monsieur de Witt quoique royaliste n'était effrayé d'un ministère soutenu par les collectivistes car l'intérêt pressant était alors de réviser les injustices du Gouvernement, si nous ne voulons pas qu'un formidable parti se dresse contre nous avec cette puissance de croissance qu'ont les partis qu'enfle la Justice ( exemple le socialisme dreyfusard ). En ce moment, les socialistes, en étant anticléricaux, font la même faute qu'en 1897 les cléricaux en étant antidreyfusards. Ils l'expient aujourd'hui, nous l'expierons demain.

* La Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur