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samedi 8 septembre 2018

La Mode Marcel Proust ( Ecrits sur l'Art France )


 

                                                      La Mode
             
                                                                                          
            En vous promettant l'autre jour de parler de la robe de bal, je me suis mis, je crois, dans un mauvais cas. L'article Mode doit, avant tout, viser à l'a-propos ; il lui fait un peu devancer son époque. Or la robe de bal est, à l'heure qu'il est, en pleine fonction, et tout ce que j'en dirais serait sans effet. N'est-il pas plus sage d'avouer que je suis en retard ? L'aveu franc de ma parole mal donnée me fera sans doute pardonner ma parole mal tenue ; mais si je ne vous parle pas dûment de la robe de bal et des neiges d'antan, me serait-il permis pourtant, en passant, d'en exprimer un regret ? C'est à propos de la robe de bal des jeunes filles. La jeune fille avait un privilège dont elle n'aurait pas dû se départir : elle pouvait être simple. Elle portait au bal du tulle, des fleurs. Le tulle, dans sa fragile apparence, l'enveloppait gracieusement et formait pour ainsi dire une fragile barrière au contact par trop immédiat de son entourage ; on l'approchait avec moins d'assurance, moins de hardiesse, de peur de friper cette délicate enveloppe. Aujourd'hui l'obstacle est tombé : la jeune fille est presque devenue une jeune femme, et je le déplore.Ce sont, paraît-il, les Américains qui nous valent ce changement ; n'aurions-nous pas pu, à nous tout seuls, trouver mieux sans leur faire cet emprunt ? Mais me voici loin de mon sujet, et j'oublie presque " le Prince Charmant ", le printemps, avec toutes ses grâces, nous est arrivé. Il s'est bien, depuis quelque temps, retiré sous sa tente, laissant libre cours au vent et aux giboulées ; mais il n'en est pas moins là, et a bien voulu me laisser fouiller dans ses trésors. Il y en a tant, que c'est à ne pas savoir par où commencer, et à en perdre la tête. Commençons donc avec elle, - par le chapeau.
            De plus en plus petit, le chapeau se hisse sur les frisures comme un accent circonflexe. C'est tantôt un papillon, une aigrette en jais, tantôt des ailes d'or se perdant dans du tulle ou dans un bouquet de fleurs.
            - Au-dessous le vêtement.
            La grande jaquette est toujours la préférée des tailles élégantes ; on peut la porter longue, genre Louis XV avec revers, en drap simple ou richement brodée de jais mélangé de broderie mate.
            La pèlerine demi-longue continue à faire fureur ; mais, les magasins de nouveautés s'étant emparés de cette création, la mission de nos grandes faiseuse est devenue de plus en plus délicate : triompher de la banalité, tout est là ! elles y sont parvenues. - La pèlerine en drap léger ou en sicilienne avec sa forme méphistophélesque ou, si vous préférez, Henri II, ses appliques de jais mélangé d'or, ses franges de jais ou de larges dentelles, son col Médicis moins haut pour laisser plus de liberté au mouvement du cou, doublée d'une étoffe souple claire ou foncée, tel est " le dernier cri ". Surtout évitez le vêtement brodé de cabochons de jais, le clou de la saison ! il est tombé dans la vulgarité ; c'est le clou de la pièce d'hier, comme dirait Sarcey.
            La robe printanière n'est pas encore dans tout son éclat ; mais les quelques spécimens que j'ai vus chez nos grandes faiseuses m'autorisent à vous en parler avec conviction. Avant tout, félicitons-nous de la liberté qui y règne. On porte de tout ; on accepte tout sous l'escorte de la grâce et du goût, aussi bien la grande basque à pattes avec gilet brodé dessin de style, que le corsage à ceinture brodé ou simple laissant à l'étoffe même faire ses fredaines sous forme de plissages et de jabots.
            La toilette en question est d'un ton gris clair ; le tissu de laine légère rappelle par son velouté le côtelé de velours si recherché  cet hiver, et est en même temps aussi léger au porter que le foulard. La jupe, petite traîne, est doublée de taffetas ; cette dernière innovation évite le fond de jupe et simplifie le programme de celles qui ne se sont pas donné celui de soulager la municipalité et de balayer les rues.
            Une dentelle en imitation vieux Venise garnit le bas de cette jupe, dont l'étoffe est entièrement prise en biais ce qui ajoute beaucoup à sa grâce. La garniture de ruban qui retient cette dentelle rappelle celle du corsage tout semé de broderies en perles d'acier et dont le devant se termine en plis sur un gilet de dentelle Venise, gilet qui se continue autour de la taille en forme de basque.
            Une toilette noire a su me charmer également. Mais ne vaut-il pas mieux rester sur la note grise ?
" Peut-être ". C'est sur ce mot que se termine une comédie d'Alexandre Dumas, Le Supplice d'une femme. Pourquoi n'en pas dire autant et vous délivrer de 


                                                                                                       Étoile filante ? 

                                                                                                   Marcel Proust 1891



dimanche 3 avril 2016

Oxford Paul Verlaine ( Poèmes Anecdotes et réflexions d'hier pour aujourd'hui France )

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kbr.prezly.com


            ( Dans ses Confessions Paul Verlaine décrit en quelques lignes certains professeurs sa vie à divers degrés de ses études et son sentiment sur l'université :
                               L'ennui naquit un jour de l'uni... versité 
            Puis, ....../
           ....... Pour en finir avec cette partie de mes Confessions qui concerne la bêtise et l'ennui de l'instruction... bizarre qu'on... donnait de mon temps, aux petits des bourgeois, en attendant peut-être pis, passons à mon passage du baccalauréat.                                                          bnf.gallica.com
Afficher l'image d'origine            Voici, dans toute sa gloire cette chose :
            La Vieille Sorbonne, noire comme l'encre du discours latin, vermoulue comme le style de la dissertation française... et si pitoyablement comparable à cet exquis Oxford...
            Oxford sur qui j'ai fait des vers absolument inédits en France, et que voici, parce qu'ils expriment un mien " état d'âme " assez récent.
            ( Les notes qui suivent la présentation du texte, dans l'édition des Oeuvres complètes en prose aux éditions Gallimard, soulignent que le poète a donné une conférence à Oxford le 23 novembre 1893. Le poème avait été publié  dans le Pall Mall Magazine, mai 1894 . )

                                                        
                                                       Oxford

            Oxford est une ville qui me consola,
            Moi, toujours rêvant de ce Moyen Âge -là.                                    southoxford.org
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            En fait de Moyen Âge on n'est pas difficile
            Dans ce pays d'architecture un peu fossile.

            A dessein, c'est la mode et qui s'en moque fault ;
           Mais Oxford, c'est sincère, et tout l'art y prévaut,

            Mais Oxford a la foi, du moins en a la mine
            Beaucoup, et sa science en joyau se termine,

            En joyau précieux, délicieux : les cieux
            Ici couronnent d'un prestige précieux

            L'étude et le silence exigés comme on aime
            Et la sagesse récompense le problème.

            La sagesse qu'il faut, c'est, douce, la raison
            Que la cathédrale termine en oraison

            Sous les arceaux romans qui virent tant de choses
            Et les rinceaux gothiques, fins d'apothéoses

            De saints mieux vénérés peut-être qu'on ne croit,
            Et mon coeur s'humilie et mon désir s'accroît

            De devenir et de redevenir, loin d'elle,                                           tes.com
Afficher l'image d'origine            Cette cité, glorieuse d'être infidèle,

            Paris ! l'enfant ingrat qui s'imaginerait
            Briser les sceaux sacrés et tenir le secret -

           De devenir et de redevenir la chose
           Agréable au Seigneur, quelle qu'en soit la cause,

            Et par cela même être encore doux et fort,
            O toi, cité charmante et mémorable, Oxford !


  pinterest.com                                                                                 Verlaine
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Il ajoute : - Je commis dans cet amphithéâtre d'un sale à se brosser toute la vie, un discours latin, une dissertation française, que je voudrais bien ravoir aujourd'hui pour les vendre comme autographes.......

.

            

lundi 7 juillet 2014

Recettes et Propos d'Alexandre Dumas - Caviar ( France )


ici.radio-canada.ca


                                            CAVIAR 
                                                           " Sorte d'esturgeon "*

            J'ai assisté pendant un mois à la pêche du caviar sur les bords de la mer Caspienne, dans toute la longueur de son rivage qui s'étend de l'Oural à la Volga. Rien de plus curieux que cette pêche où l'on détruit en six semaines ou deux mois des milliers de poissons du poids de 300 livres et de la taille de 12 à 15 pieds. On en trouve dans le Danube qui ont jusqu'à 20 pieds de long, ils viennent de la mer Noire et remontent pour frayer jusqu'à Bade. La chair du caviar a une saveur délicate, qualité fort rare dans les poissons cartilagineux, il est facile de la faire prendre pour de la chair de veau, mais nous devons avouer que les nations modernes n'ont pas pour cette chair le même enthousiasme qu'avaient les peuples anciens qui, non seulement couronnaient ce poisson de fleurs, mais encore ceux qui le servaient et qui l'apportaient sur la table au son des flûtes. Au rapport d'Athénée on regardait en Grèce l'esturgeon comme le meilleur plat du festin. Ovide a dit de lui :
                            " Esturgeon, pèlerin des plus illustres ondes "
            On le trouve dans l'Océan, dans la Méditerranée, dans la mer Rouge, dans tous les grands fleuves. Au XVIè siècle il était si commun en Provence qu'il ne valait qu'un sou la livre. L'esturgeon grandit et s'engraisse dans les fleuves où il trouve la tranquillité, la température et les aliments qui lui conviennent. En Russie où en fait les pêches les plus nombreuses, on les prend au moment où ils essayent de remonter la Volga et l'Oural.                                                                                                         luxuo.fr
            D'après la manière dont on prend ce poisson on peut se faire une haute idée de son intelligence : on ferme les fleuves avec des barricades, ce qui est d'autant plus facile que les fleuves n'ont pas de profondeur. Les esturgeons viennent par troupes de mille ou deux mille pour remonter les fleuves, ne pouvant y réussir ils se promènent de long en large devant l'embouchure où l'on a tendu des espèces de gros hameçons suspendus à des traverses et flottant à deux pieds, trois pieds, quatre pieds sous l'eau. Quelques-uns de ces hameçons sont amorcés, mais cela ne m'a jamais paru nécessaire. Les esturgeons en allant et en venant s'accrochent à un obstacle qu'ils veulent forcer, l'obstacle leur entre dans la chair et ils sont pris. Des hommes qui se promènent en bateau entre les sillons que forment les poutres placées transversalement sur le fleuve recueillent les esturgeons qui sont pris. Quand la barque est pleine on la conduit à l'abattoir, véritable abattoir, où l'on assomme à coups de marteau, à coups de masse, deux ou trois mille esturgeons par jour. L'animal, quoique très fort et pouvant renverser d'un coup de queue l'homme le plus robuste, ne fait aucune résistance. Il pousse seulement un cri lorsqu'on lui arrache la moelle épinière, il fait un bond de quatre ou cinq pieds de haut et retombe mort. Avec cette moelle épinière que l'on appelle " visigha " on fait des pâtés fort estimés.Mais ce qui est plus estimé que le pâté à la moelle épinière, ce sont les milliers d'oeufs que l'on recueille pour faire le Caviar ( car on appelle particulièrement caviar une préparation d'oeufs d'esturgeon ); privés d'air les oeufs se conservent quelque temps dans leur fraîcheur. Outre ceux-là que l'on expédie le jour même où ils ont été enfermés dans des barils pareils à nos barils de poudre de huit, de quinze et vingt livres, il y en a encore qu'on prépare à demi-sel et à sel entier,que l'on envoie à leur heure.
            Les esturgeons arrivent à un développement énorme. En 1769 on pêcha un de ces poissons qui avait 20 mètres de long, qui pesait 1 155 kilogrammes, et l'on en tira 30 kilogrammes d'oeufs. Le calcul fait on suppose qu'il y en avait 30 412 860. Henri Cloquet dit qu'on en pêche souvent de 1 400 kilogrammes et qu'ils peuvent atteindre une longueur de 13 mètres.
  fr.dreamstime.com
            La pêche d'hiver a lieu en janvier et se fait avec un grand cérémonial. C'est celle-là que j'ai vue. Le jour en est fixé à l'assemblée publique. Des lettres de convocation sont adressées, on se réunit sur la place avant le jour, on nomme un chef qui, avant le départ, passe les pêcheurs en revue, ainsi que leur armement qui consiste en un crochet d'acier fixé à une longue perche. Au lever du soleil deux coups de canon donnent le signal de se mettre en route, c'est à qui arrivera le premier à la meilleure place. Une décharge de mousqueterie annonce le commencement de la pêche. Mais, à notre grand étonnement et à celui des pêcheurs, nous ne trouvâmes, en arrivant au rivage,  ni la Volga ni la mer Caspienne prises, mais au contraire toutes les préparations de la pêche d'été qui avait continué, quand on avait vu que le froid ne prenait pas. C'est donc une pêche d'été que j'ai racontée, parce que c'est une pêche d'été que j'ai vue.


                                                                                               Alexandre Dumas
texte extrait de " Mon dictionnaire de cuisine "

         


jeudi 15 mai 2014

Dictionnaire des idées reçues Gustave Flaubert extrait 4 ( anecdotes et réflexions d'hier pour aujourd'hui )



                                                                                                 
                                            Dictionnaire des idées reçues
             A. -
            Abélard -
                            Inutile d'avoir la moindre idée de sa philosophie, ni même de connaître le titre de ses ouvrages. Faire une allusion discrète à la mutilation opérée sur lui par Fulbert. Tombeau d'Héloïse et d'Abélard : si l'on vous prouve qu'il est faux s'écrier : " Vous m'ôtez mes illusions ! "

            Absalon -
                            S'il eût porté perruque Joab n'aurait pu le tuer. Nom facétieux à donner à un ami chauve.

            Achille -
                            Ajouter : " Aux pieds légers", cela donne à croire qu'on a lu Homère.

            Alcibiade -
                            Célèbre par la queue de son chien. Type de débauché. Fréquentait Aspasie.

            Allemagne -
                            Toujours précédé de blonde, rêveuse. Mais quelle organisation militaire !

            Amérique -
                            Bel exemple d'injustice ! C'est Colomb qui la découvrit et elle tire son nom d'Améric Vespuce. Sans la découverte de l'Amérique, nous n'aurions pas la syphilis et le phylloxéra. L'exalter quand même, surtout quand on n'y a pas été. Faire une tirade sur le self-government.

            Androclès -
                            Citer le lion d'Androclès à propos de dompteurs.

            Antiquité ( et tout ce qui s'y rapporte ) -
                             Poncif. Embêtant.

            Archimède -
                             Dire à son nom : " Eurêka ! Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai le monde ! " Il y a encore la vie d'Archimède, mais on n'est pas tenu de savoir en quoi elle consiste.

            B. -

            Bagnolet -
                             Pays célèbre par ses aveugles.

            Basques -
                             Le peuple qui court le mieux.
                                                                                                           
            Beethoven -
                             Ne prononcez pas " Bitovan ". Se pâmer quand même lorsqu'on exécute l'une de ses oeuvres.

            Bretons -                                                                                      wat.tv
                             Tous braves gens, mais entêtés.

            C. -

            Cujas -
                             Inséparable de Bartole. On ne sait pas ce qu'ils ont écrit, n'importe. Dire à tout homme étudiant le droit : " Vous êtes enfermé dans Cujas et Bartole ".

            D. -

            Damas -
                             Seul endroit où l'on sache faire les sabres. Toute bonne lame est de Damas.

            Danton -
                             " De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ! "

            Darwin -
                             Celui qui dit que nous descendons du singe.

            Diane -
                             Déesse de la chasse-teté.

            Diogène -
                             " Je cherche un homme... Retire-toi de mon soleil... "

            Directoire ( le ) -
                             Les hontes du Directoire. " Dans ce temps-là l'honneur s'était réfugié aux armées. " Les femmes, à Paris, se promenaient toutes nues.

            Dix ( Conseil des ) -
                             On ne sait pas ce que c'est, mais c'était formidable ! Délibérait masqué. En trembler encore.

            Djinn -
                             Nom d'une danse orientale.
                                                                                                                                                                
            Docteur -
                            Toujours précédé de bon et, entre hommes, dans la conversation familière, de " foutre. Ah, foutre docteur ! " Est-ce un aigle quand il a votre confiance, n'est plus qu'un âne dès que vous êtes brouillés ? Tous matérialistes. " C'est qu'on ne trouve pas la foi au bout d'un scalpel ".

            Doge -
                            Épousait la mer . On n'en connaît qu'un, Marino Faliero.

            Dupuytren -
                            Célèbre par sa pommade et son musée.
                                                                                                                communique-de-presse-gratuit.com     
           E -

           Épargne ( caisse d' ) -
                            Occasion de vol pour les domestiques.                          

           Epicure -
                            Le mépriser.                                                                                                                                                                                    

           Évangiles ( les ) -
                            Livres divins, sublimes, etc...

          F. -

          Figaro ( le mariage de ) -
                           Encore une des causes de la Révolution.

          Fornarina ( la ) -
                           C'était une belle femme. Inutile d'en savoir plus long.

          Français -
                           Le premier peuple de l'univers. " Il n'y a qu'un Français de plus ", a dit le comte d'Artois. " Ah, qu'on est fier d'être français ! Quand on regarde la colonne ! "

          Franc-maçonnerie -
                           Encore une des causes de la Révolution ! Les épreuves de l'initiation sont terribles. Cause de dispute dans les ménages. Mal vue des ecclésiastiques. Quel peut bien être son secret ?

          G. -

          Girondins -                                                                                                                    
          Plus à plaindre qu'à blâmer.

come4news.com                                      Gobelins ( tapisserie des )-
                                                               Est une oeuvre inouïe et qui demande cinquante ans à finir. S'écrier devant :
" C'est plus beau que la peinture ! " L'ouvrier ne sait pas ce qu'il fait.

            Gog -
                           Toujours suivi de Magog.

            Gulf-Stream -
                            Ville célèbre de Norvège, nouvellement découverte.

            Gymnase ( le ) -
                             Succursale de la Comédie-Française.

            H. -
            
            Henri III - Henri IV -
                              A propos de ces rois, ne pas manquer de dire : " Tous les Henri ont été malheureux. "

            Hercule -
                              Les Hercules sont du Nord.

            Hérode -
                              Être vieux comme Hérode.

            Hérostrate -
                              A employer dans toute conversation sur les incendies de la Commune.

            Hippocrate -
                              On doit toujours le citer en latin parce qu'il écrivait en grec, excepté dans cette phrase :
" Hippocrate dit oui, mais Galien dit non. "

            Hippolyte -
                               La mort d'Hippolyte, le plus beau sujet de narration que l'on puisse donner. Tout le monde devrait savoir ce morceau par coeur.

            Hydre -
                              De l'anarchie, du socialisme et ainsi de suite, pour tous les systèmes qui font peur. Tâcher de la vaincre.

            I. -
            Inquisition -                                                                                            alittlemarket.com
                              On a bien exagéré ses crimes.                                            
Fiche/ grille au point de croix : Broderie ITALIE
            Italie -                                                                                          
                              Doit se voir immédiatement après le mariage. Donne bien des déceptions, n'est pas si belle qu'on dit.

            Italiens -
                              Tous musiciens. tous traîtres.

            J. -
            Japon -
                              Tout y est en porcelaine.

           Jésuites -
                              Ont la main dans toutes les révolutions. On ne se doute pas du nombre qu'il y en a. Ne point parles de " la bataille des Jésuites ".

           Jockey-Club -
                              Ses membres sont tous des jeunes gens farceurs et très riches. Dire simplement " le Jockey ". Très chic, donne à croire qu'on en fait partie.

            John Bull -
                              Quand on ne sait pas le nom d'un Anglais, on l'appelle John John Bull.

            Juif -
                              Fils d'Israël. Les Juifs sont tous marchands de lorgnettes.

            L. -
            La Fayette -
                              Général célèbre pour son cheval blanc.

            Louis XVI -
                              Toujours dire : " Cet infortuné monarque... "

            M. -
            Machiavel -
                              Ne pas l'avoir lu, mais le regarder comme un scélérat.

            Malthus -

  brioude.free.fr                                              " L'infâme Malthus ".

            Mameluks -
                             Ancien peuple de l'Orient, Egypte.

            Marseillais -
                             Tous gens d'esprit.

            Méridionaux -
                             Tous poètes.

             Mexique -
                             " La guerre du Mexique est la plus grande pensée du règne. " Rouher.

             Midi, la cuisine du -
                             Toujours à l'ail. Tonner contre.

             N. -
             Naples  -
                             Si vous causez avec des savants dire " Parthénope ". Voir Naples et mourir.

             Normands - 
                             Croire qu'ils prononcent des hâvresâcs, et les blaguer sur le bonnet de coton.

             O. -
             Odéon -
                             Plaisanteries sur son éloignement.

             Offenbach -                                                                                          
                             Dès qu'on entend son nom il faut fermer deux doigts de la main droite pour se préserver du mauvais oeil. Très parisien, bien porté.

             P. -
             Paganini -
                             N'accordait jamais son violon. Célèbre par la longueur de ses doigts.

             Palmyre -
                             Une reine d'Egypte ? Des ruines ? On ne sait pas.         
                                                  
             Paris -
                             La grande prostituée. Paradis des femmes. Enfer des chevaux.

             Pérou -
                            Pays où tout est en or.

            Phaéton -
            Inventeur des voitures de ce nom.

            Philippe d'Orléans-Égalité -
                             Tonner contre. Encore une des causes de la Révolution. A commis tous les crimes de cette époque néfaste.

            Ponsard -
                             Seul poète qui ait eu du bon sens.

            Popilius -
                             Inventeur d'une espèce de cercle.

            Port-Royal -
                             Sujet de conversation très bien porté.

            Pradon -
                             Ne pas lui pardonner d'avoir été l'émule de Racine.

            Providence -
                             Que deviendrions-nous sans elle ?

            S. -
            Saint-Barthélemy -
                              Vieille blague.

            Sainte-Hélène -
                              Île connue par son rocher.

            Scudéry -
                             On doit le blaguer sans savoir si c'était un homme ou une femme.

            Séville -
                             Célèbre par son barbier. Voir Séville et mourir.

            Sombreuil ( melle de ) -
                             Rappeler le verre de sang.

            Stuart ( Marie ) -
                             S'apitoyer sur son sort.

            T. -
             Talleyrand ( prince de ) -
                             S'indigner contre.

            V.-
             Verrès -
                            On ne lui a pas encore pardonné.

             W. -
              Wagner -
                            Ricaner quand on entend son nom, et faire des plaisanteries sur la musique de l'avenir

             Y. -
             Yvetot -
                            Voir Yvetot et mourir.


                             
                                                                                                    Gustave Flaubert



                                  
                                          

                                                                                                                                                                                              




 


                                                                                                                                                               
                             

jeudi 31 octobre 2013

Les Goncourt devant leurs cadets Marcel Proust ( Anecdotes et réflexions d'hier pour aujourd'hui France )



                                     
                                        Les Goncourt devant leurs cadets
                                                                                                                             
                                                                                                                    
            Par le prix de 1919 une parcelle de la fortune de M. de Goncourt m'a été transmise. Je me trouve ainsi être à l'égard de l'auteur de Renée Mauperin dans la position difficile d'un héritier qu'il n'a pas connu, ou du moins pas désigné. Elle m'oblige, non pas à avoir chez moi un buste d'Edmond de Goncourt, comme le pauvre et cher Calmette avait au Figaro, dans ce cabinet de travail que sa mort a sanctifié, un buste de Chauchard, mais à beaucoup de respectueuse précaution quand j'ai à parler de lui.
            A vingt ans j'ai vu souvent M. de Goncourt chez Mme Alphonse Daudet et chez la princesse Mathilde, à Paris et à Saint-Gratien. La radieuse beauté d'Alphonse Daudet n'éclipsait pas celle du vieillard hautain et timide qu'était M. de Goncourt. Je n'ai jamais connu depuis d'exemples pareils, dissemblables entre eux d'ailleurs, d'une telle noblesse physique. C'est sur leur aspect prodigieux que s'est close pour moi l'ère des géants...
            Chez la princesse Mathilde, le méfiant dédain inspiré par la personne de M. de Goncourt était quelque chose d'affligeant. J'ai vu là des femmes, même intelligentes, se livrer à des manèges pour éviter de lui dire leur " jour ".                                                                           
             -  Il écoute, il répète, il fait ses Mémoires sur nous !              
             Cette subordination de tous les devoirs mondains, affectueux, familiaux, au devoir d'être le serviteur du vrai aurait pu faire la grandeur de M. de Goncourt, s'il avait pris le mot de vrai dans un sens plus profond et plus large, s'il avait créé plus d'êtres vivants dans la description desquels le carnet du croquis oublié de la mémoire vous apporte sans qu'on le veuille un trait différent, extensif et complémentaire. Malheureusement, au lieu de cela, il observait, prenait des notes, rédigeait un journal, ce qui n'est pas d'un grand artiste, d'un créateur. Ce journal, malgré tout, si calomnié, reste un livre délicieux et divertissant. Le style plein de trouvailles n'est pas, comme l'a dit selon moi à tort Daniel Halévy, d'un mauvais artisan de la langue française. De ce style j'aurais trop à parler en l'analysant. Par la synthèse j'en ai fait du reste la critique, critique laudative en somme, dans mes Pastiches et Mélanges  et surtout dans un des volumes à paraître de  La Recherche du Temps perdu, où mon héros se retrouvant à Tansonville y lit un pseudo-inédit de Goncourt où les différents personnages de mon roman sont appréciés.
            M. de Goncourt a été incomparable chaque fois qu'il a parlé de ces oeuvres d'art qu'il aimait d'une passion sincère, même des arbustes rares de son jardin, lesquels étaient pour lui de précieux bibelots encore. Au théâtre sa Germinie Lacerteux est, après l'Arlésienne, la pièce où sanglota le plus mon " enfance ", comme il aurait dit. Pour quelle part y était Réjane, je ne sais, mais je sortais les yeux si rouges que des spectateurs sensibles s'approchaient de moi croyant qu'on m'avait battu. L'émotion, les fièvres, les anxiétés de l'auteur n'étaient pas moindres. Et comme il voyait tout en fonction de sa vie d'homme de lettres, il craignait toujours que quelque changement de ministère, ou indisposition d'acteur, nouvelle méchanceté du destin acharné contre lui, ne vinssent détourner l'attention publique ou interrompre les représentations de Germinie. Car ce noble artiste, cet historien de la valeur la plus haute et la plus neuve, ce véritable romancier impressionniste si méconnu était aussi un homme d'une naïveté; d'une crédulité, d'une bonhomie inquiète et délicieuse.
            Malgré tout, la fêlure se fit entre les parties passagères de son oeuvre et les formes d'art qui  suivirent. J'en eus l'impression la plus nette pendant le banquet où M. Poincaré décora M. de Goncourt, auquel l'émotion coupait la voix. Les naturalistes présents ne cessaient de proclamer :
            - C'est un très grand bonhomme, le père Goncourt !
            Et les toasts débutaient tous par les mots : " Maître, cher Maître, illustre Maître ". Vint le tour de M. de Régnier qui devait parler au nom du symbolisme. On sait combien l'infinie délicatesse qui a dirigé toute sa vie s'enveloppe quelquefois, quand il parle, de cristalline frigidité. On peut dire, en effet que cette atmosphère surchauffée où bouillonnaient les ' maître et cher maître ", fut brusquement refroidie quand M. de Régnier debout tourné vers M. de Goncourt commença par ce mot :
            - Monsieur...
            Il dit ensuite au nouveau légionnaire qu'il aurait voulu porter sa santé dans une de ces coupes japonaises aimées du maître d'Auteuil. On devine aisément les phrases ravissantes et parfaites dont M. de Régnier sut décorer cette coupe japonaise. Malgré tout, le glacial " Monsieur " du début donnait dans les phrases mêmes qui suivirent, l'impression moins d'une coupe qu'on tend que d'une coupe qu'on brise. Il me semble que c'était la première fêlure.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

                                                                                                 Marcel Proust

                                                                                      Prix Goncourt 1919 pour
                                                                             A l'ombre des jeunes filles en fleurs

mercredi 9 octobre 2013

La Cour aux Lilas et l'Atelier des Roses Marcel Proust ( Anecdotes et Réflexions d'hier France )





                                           La Cour aux Lilas et l'Atelier des Roses
                                    
                                              Le salon de Mme Madeleine Lemaire

            Balzac, s'il vivait de nos jours, aurait pu commencer une nouvelle en ces termes :
           " Les personnes qui, pour se rendre de l'avenue de Messine à la rue de Courcelles ou au boulevard Hausmann, prennent la rue appelée Monceau du nom d'un de ces grands seigneurs de l'ancien régime, dont les parcs privés sont devenus nos jardins publics et que les temps modernes feraient certes bien de lui envier si l'habitude de dénigrer le passé sans avoir essayé de le comprendre n'était pas une incurable manie des soi-disant esprits forts d'aujourd'hui, les personnes dis-je, qui prennent la rue Monceau au point où elle coupe l'avenue de Messine pour se diriger vers l'avenue Friedland, ne manquent pas d'être frappées d'une de ces particularités archaïques, d'une de ces survivances, pour parler le langage des physiologistes qui font la joie des artistes et le désespoir des ingénieurs. Vers le moment, en effet, où la rue Monceau s'approche de la rue de Courcelles, l'oeil est agréablement chatouillé et la circulation rendue assez difficile par une sorte de petit hôtel, de dimensions peu élevées, qui, au mépris de toutes les règles de la voirie, s'avance d'un pied et demi sur le trottoir de la rue qu'il rend à peine assez large pour se garer des voitures fort nombreuses à cet endroit et, avec une sorte de coquette insolence, dépasse l'alignement, cet idéal des ronds de cuir et des bourgeois, si justement exécré, au contraire des connaisseurs et des peintres. Malgré les petites dimensions de l'hôtel qui comprend un bâtiment à deux étages donnant immédiatement sur la rue, et un grand hall vitré, sis au milieu de lilas arborescents qui embaument dès le mois d'avril, à faire arrêter les passants, on sent tout de suite que son propriétaire doit être une de ces personnes étrangement puissantes devant le caprice ou les habitudes de qui tous les pouvoirs doivent fléchir, pour qui les ordonnances de la préfecture de police et les décisions des conseils municipaux restent lettre morte, etc... "                                                                                     amazon.fr
            Mais cette manière de raconter, outre qu'elle ne nous appartient pas en propre, aurait le grand inconvénient, si nous l'adoptions pour le cours entier de cet article, de lui donner la longueur d'un volume, ce qui lui interdirait à jamais à l'accès du Figaro. Disons donc brièvement que cet hôtel sur la rue est la demeure, et ce hall situé dans un jardin l'atelier d'une personne étrangement puissante, en effet, aussi célèbre au-delà des mers qu'à Paris même, dont le nom signé au bas d'une aquarelle, comme imprimé sur une carte d'invitation, rend l'aquarelle plus recherchée que celle d'aucun autre peintre, et l'invitation plus précieuse que celle d'aucune autre maîtresse de maison : j'ai nommé Madeleine Lemaire. Je n'ai pas à parler ici de la grande artiste dont je ne sais plus quel écrivain a dit que c'était elle " qui avait créé le plus de roses après Dieu ". Elle n'a pas moins créé de paysages, d'églises, de personnages, car son extraordinaire talent s'étend à tous les genres. Je voudrais très rapidement retracer l'histoire, rendre l'aspect, évoquer le charme de ce salon en son genre unique.
            Et d'abord ce n'est pas un salon. C'est dans son atelier que Mme Madeleine Lemaire commença par réunir quelques-un de ses confrères et de ses amis : Jean Boréaux, Puvis de Chavannes, Edouard Detaille, Léon Bonat, Georges Clairin. Eux seuls eurent d'abord la permission de pénétrer dans l'atelier, de venir voir une rose prendre sur une toile, peu à peu, et si vite, les nuances pâles ou pourprées de la vie. Et quand la princesse de Galles, l'impératrice d'Allemagne, le roi de Suède, la reine des Belges venaient à Paris, ils demandaient à venir faire une visite à l'atelier, et Mme Lemaire n'osait leur en refuser l'accès. La princesse Mathilde son amie et la princesse d'Arenberg son élève y venaient aussi de temps en temps. Mais peu à peu, on apprit que dans l'atelier avaient lieu quelquefois de petites réunions où, sans aucun préparatif, sans aucune prétention à la " soirée ", chacun des invités " travaillant de son métier " et donnant de son talent, la petite fête intime avait compté des attractions que les " galas " les plus brillants ne peuvent réunir. Car Réjane, se trouvant là par hasard en même temps que Coquelin et Bartet, avait eu envie de jouer avec eux une saynète, Massenet et Saint-Saëns s'étaient mis au piano, et Maurice même avait dansé. untitledmag.fr
Résultat de recherche d'images pour "mondanités 1900"            Tout Paris voulut pénétrer dans l'atelier et ne réussit pas du premier coup à en forcer l'entrée. Mais dès qu'une soirée était sur le point d'avoir lieu, chaque ami de la maîtresse de maison venant en ambassade afin d'obtenir une invitation pour un de ses amis, Mme Lemaire en est arrivée à ce que tous les mardis de mai, la circulation des voitures est à peu près impossible dans les rues Monceau, Rembrandt, Courcelles, et qu'un certain nombre de ses invités restent inévitablement dans le jardin, sous les lilas fleurissant dans l'impossibilité où ils sont de tenir tous dans l'atelier si vaste pourtant, où la soirée vient de commencer. La soirée vient de commencer au milieu du travail interrompu de l'aquarelliste, travail qui sera repris demain matin de bonne heure et dont la mise en scène délicieuse et simple, reste là, visible, les grandes roses vivantes " posant " encore dans les vases pleins d'eau, en face des roses peintes, et vivantes aussi, leurs copies, et déjà leurs rivales. A côté d'elles un portrait commencé, déjà magnifique de jolie ressemblance, et d'après Mme Kinen et un autre qu'à la prière de Mme d'Haussonville Mme Lemaire peint d'après le fils de Mme de la Chevrelière née Séguier, attirent tous les regards. La soirée commence à peine et déjà Mme Lemaire jette à sa fille un regard inquiet en voyant qu'il ne reste plus une chaise ! Et pourtant ce serait le moment chez une autre d'avancer les fauteuils : voici qu'entrent successivement M. Paul Deschanel, ancien président, et M. Léon Bourgeois, président actuel de la Chambre des Députés, les ambassadeurs d'Italie, d'Allemagne et de Russie, la comtesse Greffulhe, M. Gaston Calmette, la grande duchesse Vladimir avec la comtesse Adhéaume de Chevigné, le duc et la duchesse de Luynes, le comte et la comtesse de Lasteyrie, la duchesse d'Uzès douairière, le duc et la duchesse de Brissac, M. Anatole France, M. Jules Lemaitre, le comte et lacomtesse d'Haussonville, la comtesse Edmond de Pourtalès, M. Forain, M. Lavedan, MM. Robert de Flers et Gaston de Caillavet, les brillants auteurs du triomphal " Vergy ", et leurs femmes exquises ; M. Vandal, M. Henri Rochefort, M. Frédéric de Madrazo, la comtesse Jean de Castellane, la comtesse de Briey, la baronne Saint-Joseph et la marquise de Casa-Fuerté, la duchesse Grazioli, le comte et la comtesse Boni de Castellane. Cela n'arrête pas une minute, et déjà les nouveaux arrivants désespérant de trouver de la place font le tour par le jardin et prennent position sur les marches de la salle à manger où se perchent carrément debout sur des chaises dans l'antichambre. La baronne Gustave de Rothschild, habituée à être mieux assise au spectacle, se penche désespérément d'un tabouret sur lequel elle a grimpé pour apercevoir Reynaldo Hahn qui s'assied au piano. Le comte de Castellane, autre millionnaire habitué à plus d'aises est debout sur un canapé bien inconfortable. Il semblerait que Mme Lemaire ait pris pour devise, comme dans l'Evangile : " Ici les premiers sont les derniers ", ou plutôt les derniers sont les derniers arrivés, fussent-ils académiciens ou duchesses. Mais Mme Lemaire que ses beaux yeux et son beau sourire rendent tout à fait expressive fait comprendre de loin à M. de Castellane son regret de le voir si mal placé. Car elle a comme tout le monde un faible pour lui. " Jeune, charmant, traînant tous les coeurs après soi ", brave, bon, fastueux sans morgue et raffiné sans prétention, il ravit ses partisans et désarme ses adversaires ( nous entendons ses adversaires politiques, car sa personnalité n'a que des amis ). Plein d'égards pour sa jeune femme, il s'inquiète du courant d'air froid que pourrait lui envoyer la porte du jardin, laissée entrouverte par Mme Lemaire afin que les arrivants entrent sans faire de bruit. M. Grosclaude, qui cause avec lui, s'étonne de la façon, très honorable pour un homme qui pourrait ne s'occuper que de plaisirs, dont il s'est mis si sérieusement à l'étude des questions pratiques qui intéressent son arrondissement. Mme Lemaire paraît bien ennuyée aussi de voir le général Brugère debout, parce qu'elle a toujours eu un penchant pour l'armée.  Mais cela devient plus qu'une petite contrariété quand elle voit Jean Béraud ne pas même pouvoir pénétrer dans le hall ; cette fois-ci elle n'y peut tenir, fait lever les personnes qui encombrent l'entrée, et au jeune et glorieux maître, à l'artiste que le nouveau monde comme l'ancien acclament, à l'être charmant que tous les mondes recherchent sans pouvoir l'obtenir, elle fait une entrée sensationnelle. Mais comme Jean Béraud est aussi le plus spirituel des hommes, chacun l'arrête au passage, pour causer un instant  avec lui et Mme Lemaire voyant qu'elle ne pourra l'arracher à tous ces admirateurs qui l'empêchent de gagner la place qu'on lui avait réservée, renonce avec un geste de désespoir comique et retourne auprès du piano où Reynaldo Hahn attend que le tumulte s'apaise pour commencer à chanter. Près du piano, un homme de lettres encore jeune et fort snob, cause familièrement avec le duc de Luynes. S'il était enchanté de causer avec de Luynes, qui est un homme fin et charmant, rien ne serait plus naturel. Mais il paraît surtout ravi qu'on le voie causer avec un duc. De sorte que je ne puis m'empêcher de dire à mon voisin :
            - Des deux, c'est lui qui a l'air d'être honoré.
            Calembour dont la saveur échapperait évidemment aux lecteur qui ne sauraient pas que le duc de Luynes " répond ", comme disent les concierges, au prénom d'Honoré. Mais avec les progrès de l'instruction et la diffusion des lumières, on est en droit de penser que ces lecteurs, si tant est qu'ils existent encore, ne sont plus qu'une infime et d'ailleurs peu intéressante minorité.
            M. Paul Deschanel interroge le secrétaire de la légation de Roumanie, prince Antoine de Bibesco, sur la question macédonienne. Tous ceux qui disent " prince " à ce jeune diplomate d'un si grand avenir se font à eux-mêmes l'effet de personnages de Racine, tant avec son aspect mythologique il fait penser à Achille ou à Thésée. M. Mézières, qui cause en ce moment avec lui, a l'air d'un grand prêtre qui serait en train de consulter Apollon. Mais si, comme le prétend ce puriste de Plutarque, les oracles du dieu de Delphes étaient rédigés en fort mauvais langage, on ne peut en dire autant des réponses du prince. Ses paroles comme les abeilles de l'Hymette natal, ont des ailes rapides, distillent un miel délicieux, et ne manquent pas malgré cela, d'un certain aiguillon.
            Tous les ans reprises à la même époque, celle où les salons de peinture s'ouvrent la maîtresse de la maison a moins à travailler, semblant suivre ou ramener avec elles l'universel renouveau, l'efflorescence enivrée des lilas qui vous tendent gentiment leur odeur à respirer jusqu'à la fenêtre de l'atelier et comme sur le pas de sa porte, ces soirées de Mme Lemaire prennent aux saison dont elles imitent le retour, tous les ans identiques, le charme des choses qui passent, qui passent et qui reviennent sans pouvoir nous rendre avec elles tout ce que nous avions de leurs soeurs disparues, aimé, le charme et avec le charme aussi la tristesse. Pour nous qui depuis bien des années déjà en avons vu tant passer de ces fêtes de Mme Lemaire, de ces fêtes de mai, de mois de mai tièdes et parfumés alors à jamais glacés aujourd'hui, nous pensons à ces soirées de l'atelier comme à nos printemps odorants, maintenant enfuis. Comme la vie mêlait ses charmes, souvent nous nous sommes hâtés vers les soirées de l'atelier, pas seulement peut-être pour les tableaux que nous allions y voir et les musiques que nous allions y écouter. Nous nous hâtions dans le calme étouffant des soirées sereines, et parfois sous ces averses légères et tièdes de l'été qui font pleuvoir mêlés aux gouttes d'eau les pétales de fleurs. C'est dans cet atelier plein de souvenirs que nous ravit d'abord tel charme dont le temps a peu à peu dissipé, en la découvrant, la mensongère illusion et l'irréalité. C'est là, au cours de telle de ces fêtes, que se formèrent peut-être les premiers liens d'une affection qui ne devait nous apporter dans la suite que trahisons répétées, pour une inimitié finale. En nous souvenant maintenant, nous pouvons d'une saison à l'autre compter nos blessures et enterrer nos morts. Aussi chaque fois que, afin de l'évoquer, je regarde au fond tremblant et terni de ma mémoire une de ces fêtes, aujourd'hui mélancolique d'avoir été délicieuse de possibilités irréalisées, il me semble l'entendre qui me dit avec le poète :
             " Prends mon visage, essaye si tu le peux de le regarder en face ; je m'appelle ce qui aurait pu être, ce qui aurait pu être et qui n'a pas été. "
            La grande-duchesse Vladimir s'est assise au premier rang, entre la comtesse Greffulhe et la comtesse de Chevigné. Elle n'est séparée que par un mince intervalle de la petite scène élevée au fond de l'atelier, et tous les hommes, soit qu'ils viennent successivement la saluer, soit que pour rejoindre leur place, ils aient à passer devant elle, le comte Alexandre de Gabriac, le duc d'Uzès, le marquis Vitelleschi et le prince Borghèse, montrent à la fois leur savoir-vivre et leur agilité en longeant les banquettes face à son Altesse, et reculent vers la scène pour la saluer plus profondément, sans jeter le plus petit coup d'oeil derrière eux pour calculer l'espace dont ils disposent. Malgré cela, aucun d'eux ne fait un faux-pas, ne glisse, ne tombe par terre, ne marche sur les pieds de la Grande-Duchesse, toutes maladresses qui feraient, d'ailleurs, il faut l'avouer, le plus fâcheux effet. Mlle Lemaire, si exquise maîtresse de maison, vers qui tous les regards sont tournés, dans l'admiration de sa grâce, s'oublie à écouter en riant le charmant Grosclaude. Mais au moment où j'allais esquisser un portrait du célèbre humoriste et explorateur, Reynaldo Hahn fait entendre les premières notes du " Cimetière " et force m'est de remettre à un de mes prochains salons la silhouette de l'auteur des " Gaietés de la semaine " qui depuis, avec tant de succès, évangélisa Madagascar.
            Dès les premières notes du " Cimetière ", le public le plus frivole, l'auditoire le plus rebelle est dompté. Jamais, depuis Schumann, la musique pour peindre la douleur, la tendresse, l'apaisement devant la nature, n'eut de traits d'une vérité aussi humaine, d'une beauté aussi absolue. Chaque note est une parole, ou un cri ! La tête légèrement renversée en arrière, la bouche mélancolique, un peu dédaigneuse, laissant s'échapper le flot rythmé de la voix la plus belle, la plus triste et la plus chaude qui fut jamais, cet " instrument de musique de génie " qui s'appelle Reynaldo Hahn étreint tous les coeurs, mouille tous les yeux, dans le frisson d'admiration qu'il propage au loin et qui nous fait trembler, nous courbe tous l'un après l'autre, dans une silencieuse et solennelle ondulation des blés sous le vent. Puis M. Harold Bauer joue avec brio des danses de Brahms. Puis Mounet-Sully récite des vers, puis chante M. de Soria. Mais plus d'un est encore à penser aux " roses dans l'herbe "du cimetière d'Ambérieu, inoubliablement évoqué. Mme Madeleine Lemaire fait taire Francis de Croisset qui bavarde un peu haut avec une dame, laquelle a l'air de ne pas goûter la défense qui vient ainsi d'être édictée à son interlocuteur. La marquise de Saint-Paul promet à Mme Gabrielle Krauss un éventail peint par elle-même et lui arrache en échange la promesse qu'elle chantera " J'ai pardonné " à l'un des jeudis de la rue Nitot. Peu à peu les moins intimes s'en vont. Ceux qui sont plus liés avec Mme Lemaire prolongent encore la soirée, plus délicieuse d'être moins étendue, et dans le hall à demi-vide, plus près du piano, on peut, plus attentif, plus concentré, écouter Reynaldo Hahn qui redit une mélodie pour Georges de Porto-Riche arrivé tard.
            - Il y a dans votre musique quelque chose de délicat ( geste de la main qui semble détacher l'adjectif ) et de douloureux ( nouveau geste de la main qui semble encore détacher l'adjectif ) qui me plaît infiniment, lui dit l'auteur du " Passé ", en isolant chaque épithète, comme s'il en percevait la grâce au passage.
            Il semble ainsi d'une voix qui semble heureuse de dire les mots, accompagnant leur beauté d'un sourire, les jetant avec une nonchalance voluptueuse du coin des lèvres, comme la fumée ardente et légère d'une cigarette adorée, tandis que la main droite, aux doigts rapprochés, semble être en train d'en tenir une. Puis tout s'éteint, flambeaux et musique de fête, et Mme Lemaire dit à ses amis :
            - Venez de bonne heure mardi prochain, j'ai Tamagno et Reszké.
            Elle peut être tranquille. On viendra de bonne heure.



                                                                                                              Dominique
                                                                                                                                                
                                                                                                                                   article du Figaro 11 mai 1903