mardi 28 décembre 2021

Sapiens Yuval Noah Harari Vandermeulen Casanave ( BD France )

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                                                    Sapiens

                                       La naissance de l'humanité

            Harari nous éclaire sur ce que nous avons su et oublié. Détaillé dans de petites cases, de l'arrivée du poney, pas fortuite, rétropédalons jusqu'au grand singe et avant même le big bang. Puis les humains firent des enfants et "... la plupart des mammifères sortent de l'utérus telles des poteries émaillées d'un four...... les humains sortent de l'utérus comme du verre fondu, on peut les tourner, les étirer......  " Comment se nourriront-ils ? Avec difficulté durant deux millions d'années " ... Mais Homo Sapiens n'a atteint le sommet de la chaîne alimentaire qu'au cours des 100 000 dernières années.... " La découverte du feu offre quelques pages distrayantes " .... La nouvelle méthode facile d'Homo Polbocus....." et transformation, un beau cerveau et moins de ventre. Promenade, l'homme est un immigrant, plutôt Sapiens va rencontrer Néandertal. Dans l'histoire contée par Harari les questions sont posées et les réponses aussi au professeur Saraswati, " .... Nous les chercheurs n'avions aucune envie d'ouvrir la boîte de Pandore du racisme.... " De théorie en théorie, c'est compliqué. Et l'intolérance a eu de beaux jours bien avant nos années dites civilisées. " .... Il est difficile de dire ce qui se serait passé si les néandertaliens et les dénisoviens avaient survécu à Sapiens.... " Les Sapiens évoluent, capacités cognitives, et comparant les possibilités d'adaptation sociale entre humains, animaux divers, voici la rencontre avec le professeur Dunbar expert en communication. " ...... Les chimpanzés sont friands d'informations sociales...... Les nouvelles capacités linguistiques que le Sapiens moderne a acquises voici quelques 70 millénaires lui ont permis de bavarder des heures d'affilée....... Et Sapiens domine le monde parce que Sapiens est le seul animal sachant créer et croire en des histoires fictives..... " La société s'est construite et en construisant son histoire de Sapiens. Yuval Harari nous propose la construction et la vente de la plupart des actions de la famille Peugeot à la Chine, et cela à partir du logo, le petit lion et la proximité du premier atelier situé près de la grotte où l'on retrouva la sculpture d'un certain lion. Croire ou pas : " .... On crée une entreprise de la même manière qu'on crée des dieux. On raconte des histoires et on convainc des gens d'y croire. " Alors vivons-nous dans une société pérenne ? " En règle générale, il ne peut y avoir de changement significatif de comportement social sans mutations génétiques. Tout ce texte soutenu par les vignettes de Vandermeulen et Casanave dans cette grande BD. Yuval et la professeure Saraswati donnent des conférences, la présentatrice annonce : " Nous allons nous demander comment nous savons ce que nous croyons savoir. " Le cerveau de l'individu a-t-il régressé depuis les chasseurs-cueilleurs ? " Eh bien cela dépend à qui vous les comparez. " Dans le désert du Kalahari peut-être. Voyage en France dans la vallée de la Vézère, interrogeons-nous, théiste ou animiste ? Pour terminer le premier volume de cette longue histoire, 236 pages, retour à notre siècle de prédateurs, et arrive un procès contre le gang des Sapiens. Disparition des dodos, des lions marsupiaux et autres mastodontes, tour d'une partie du monde pour comprendre l'avancée des Sapiens sur les routes qui les a amenés du sud à l'Alaska. C'est passionnant, moins technique que dans le volume classique et retiendra l'attention de tous. Belle BD sympathique, intelligente, passant de la préhistoire à nos jours, Yuval se met en scène et conduit une petite Zoé à travers ses pérégrinations préhistoriques. Bonne lecture et bonne année 2022 !! MB









                                 

dimanche 26 décembre 2021

L'ami arménien Andeï Makine ( Roman France )

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                                        L'ami arménien

            L'ami arménien, Vardan, a quatorze ans lorsque l'auteur ( le livre est écrit à la première personne ) qui n'a que 13 ans mais est plus grand, le rencontre. Nous sommes en 1970 et l'Arménie est alors sous la coupe de l'URSS. Un certain nombre d'Arméniens révolutionnaires ont été arrêtés, envoyés en Sibérie où ils seront jugés. Pour certains, amis et familles ont suivi n'ayant plus rien à perdre hormis quelques biens qu'ils vendront en dernier ressort attendant le verdict. Ils logent dans un quartier excentré, dans des cabanes en tôle ou en rondins, appelé le Bout du diable. Vardan habite avec sa mère dans une pièce louée à une voisine, les murs sont couverts des voiles du pays abandonné et le garçon dort sur un lit fait de deux grosses valises. Ils sont une petite communauté regroupée au pied de la prison, à 5 000 kilomètres de l'Arménie. Au collège, l'adolescent arménien est la cible des élèves, bousculé, sans réaction sous les premiers coups et les quolibets ce qui agace les plus forts et Vardan sera sauvé par celui plus jeune mais plus fort, habitué aux brutalités des élèves et ramené au logis, et le nouveau camarade sera accepté par le petit groupe qui pour l'intégrer à leur conversation parle russe devant lui. Le soir venu, il rentre à l'orphelinat où il loge. De jour en jour les deux amis s'apprécient d'autant plus que Vardan semble atteint d'une maladie incurable alors, la maladie arménienne dit-on, il étouffe, sa respiration douloureuse l'oblige à rester étendu parfois plusieurs jours. Rétabli le jeune garçon fragile fait découvrir un passage au pied d'un rempart qui entoure la prison. D'une écriture retenue Andreï Makine décrit les ombres et la lumière en septembre, puis sans insistance mais clairement le génocide arménien. Ce vieux pays qui fut grand et n'était plus qu'enclavé entre la Géorgie et l'Azerbaïdjan. " La population du Bout comptait bon nombre d'anciens prisonniers, d'anciens aventuriers vieillis et fourbus, de déracinés hagards qui, comme souvent en Sibérie, avaient pour toute biographie, la seule géographie de leurs errances. "  Il faut quitter la taïga. Bonne lecture.
         

vendredi 24 décembre 2021

Monsieur Dentscourt ou le Cuisinier d'un grand Homme Gérard de Nerval ( Théâtre France)


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                                               Monsieur Dentscourt,

                                ou Le Cuisinier d'un grand Homme


            Personnages
            
M. Dentscourt aîné, cuisinier.
Son Frère cadet.
Un gros Monsieur.
Le sous-chef de cuisinier.
Troupe de cuisiniers et de fournisseurs.

Décor
            Une grande cuisine. Au-dessus de la porte est inscrit : " Bureaux culinaires, 1è division".
Cuisiniers en nombre, marmitons, etc. Monsieur Dentscourt, bonnet sur la tête, est assis. Deux fourneaux brûlent près de lui comme cassolettes. Les fournisseurs de vivres défilent.

                                              Scène Première

                              M. Dentscourt, son Frère cadet,
                                      Le Sous-Chef, cuisiniers,
                                  Fournisseurs, Marmitons, etc.

                                                  M. Dentscourt

            Cuisiniers, fournisseurs, je suis content de vous ;
            Nos affaires vont bien, en dépit des jaloux ;
            Et d'excellents dîners, remèdes efficaces,
            De nos derniers échcs ont effacé les traces ;
            Quelques mauvais esprits ont en vain prétendu
            Que nous dévorons tout, que l'Etat est perdu,
            Que notre pot-au-feu cuit aux dépens des autres,
            Et bientôt cuira seul ; qu'hormis nous et les nôtres,            
            Tous les Français rentiers, perdant leurs capitaux,
            Iront, vides de sang, garnir les hôpitaux.
            Quelle horreur !... Cependant, qu'ont les Français à craindre ?
            De mauvais procédés ils n'ont point à se plaindre :
            De tous leurs envoyés nous nous sommes chargés ;
            Ne sont-ils pas nourris, et quelquefois logés ?
            Et n'avons-nous pas même, en mainte circonstance,
            Offert de les blanchir, s'ils ne l'étaient d'avance ?
            Qui, comme nous encor, avec un tel succès,    
            A su faire fleurir le commerce français ?
            Les vins que la province en nos celliers envoie,
            Ces produits de Strasbourg, de Bayonne et de Troie,
            De toute autre cuisine orgueilleux ornements,
            Ne sont de nos valets que les vils aliments.
            Des mets plus délicats à nos palais conviennent ;
            Du Périgord jaloux les fruits nous appartiennent.

            Ces fruits, que le gourmet sait priser aujourd'hui,
            L'étranger voudrait bien les emporter chez luI :
            Mais il ne l'aura point, cette plante chérie,
            Ce précieux produit du sol de la patrie !
            Français ! Gardons nos droits, frustrons-en nos voisins ;
            C'est assez qu'on leur donne et nos blés et nos vins.
            Non, ces mets délicats, que nous offre la terre,
            N'iront point engraisser les porcs de l'Angleterre !
            Les notres désormais en auront le régal ;
            Montrons que nous avons l'esprit national !                                       cadeaux-hightech.fr  

            Ces bienfaits éclatants, qu'à peine on apprécie,
            Contre notre puissance ont éveillé l'envie ;
            De nos bruyants amis l'héroïque valeur ; 
            Contre tant d'ennemis sent glacer son ardeur :
            Monseigneur au lever m'a fait, avec prudence,
            Dans son appartement, admettre en sa présence ;
            Et maîtrisant à peine un trop juste courroux :
            " Il est temps, m'a-t-il dit, de frapper les grands coups,
            De plus puissants efforts sont enfin nécessaires ;
            Assemble, ce matin, mes bureaux culinaires,
            Je veux, désappointant mes nombreux ennemis,
            D'un splendide repas réveiller mes amis.
            Tu sais, ainsi que moi, que ces messieurs du centre
            Sont des gens de tout coeur, mais ont le coeur au ventre,
            Trop longtemps, par un mets à grands frais acheté,
            Nous avons cru flatter leur sensalualité :
            Leurs palais sont usés ; leur goût blasé sommeille 
            Il nous faut inventer un mets qui le réveille.
            Il m'est venu, Dentscourt, un singulier projet :
            Je ne redoute point d'en gonfler mon budget ;
            Je m'appauvirais peu par de telles vétilles :
            Le mets qu'il faut offrir, c'est... - Eh quoi ? - Des lentilles.
            - Des lentilles ! Grand Dieu ! repris-je, tout surpris.
            - Oui, Dentscourt ; tous diront que le mets est exquis. 
            Mais les montrer à nu serait une imprudence :
            Il faut adroitement en sauver l'apparence. 
            - Je comprends, Monseigneur, ai-je alors répondu ;
            Je vais me signaler, et tout n'est pas perdu,
            On verra si mon art brave les destinées,
            Ou si, dans les fourneaux, j'ai perdu trente années.

            Cuisiniers, fournisseurs, l'honneur en est à nous :
            Votre zèle m'annonce un triomphe bien doux.
            Trop longtemps dans nos murs a régné l'anarchie,
            Ces temps-là reviendraient ; sauvons la monarchie !
            Et que notre bourgeois, grandi par nos succès,
            Soit le restauranteur du royaume français.
            De nos amis, qu'arrête une indigne épouvante,
            Gorgeons la conscience affamée et béante ;
            Et comme au triple chien qui garde les damnés,
            Jetons-lui la pâtée et les gâteaux sacrés !

                                                     Scène II

                                    M. Dentscourt, son frère cadet

                                                       Le cadet
            Mon frère, embrassez-moi ; pour mon coeur quelle fête
            De vous revoir ici, quand si longtemps...

                                                        M.Dentscourt
            Chapeau bas, mon cadet, devant ton frère aîné !
            Tu vois de quels honneurs je marche environné.

                                                        Le cadet
            Il est vrai : quel éclat ! quelle magnificence !
            Jusqu'où d'un cuisinier peut aller la puissance !
            Mon frère, est-ce bien vous que je vis autrefois,                                  lesfoodamour.com
            Maigre subordonné d'un cuisinier bourgeois,
            Récurer les chaudrons et laver les assiettes ?
            Les temps sont bien changés !

                                                         M.Dentscourt
                                                       Ignorant que vous êtes !
            Dans l'état où jadis le sort m'avait jeté,
            Un cuistre comme vous serait toujours resté ;
            Moi, j'en ai su bientôt laver l'ignominie,
            Il n'est point d'état vil pour l'homme de génie ;
            Afin de s'élever, il faut ramper, dit-on :
            On devient cuisinier, mais on naît marmiton.                            

            Longtemps je végétai dans cette classe obscure,
            Où, comme en un creuset, me jeta la nature ;  
            Mais un feu, plus ardent que celui des fourneaux,
            Vint épurer en moi des sentiments nouveaux.
            Nous étions dans un temps où de nobles cuisines
            Effrayèrent les yeux de leurs vastes ruines.
            Voyant de possesseurs tant de tables changer,
            Le peuple qui jeûnait crut avoir à manger :
            Mais les nouvelles dents n'étaient pas moins actives :
            Ces grandes tables-là sont pour peu de convives ;
            Ce sont de gros gaillards, ayant bon appétit :
            L'un tient la poêle à frire, et puis le peuple cuit.
            Alors on nous disait que les hommes sont frères,
            Que les distinctions ne sont qu'imaginaires,
            Et que, si le destin l'environne d'éclat,
            L'homme le doit à soi, mais non à son état
            Et je me dis : " Il faut que je sois quelque chose " ;
            Et de peur qu'à ma gloire un obstacle s'oppose,
            Je transporte en un lieu plus propre à mon emploi,
            Les dieux de mon foyer, mon art sublime et moi.
            Je pars de la Gascogne, et... Mais ma vie entière
            Serait à te conter une trop longue affaire.
            Qu'il me suffise donc de te dire qu'enfin,
            Quelquefois malheureux, mais bravant le destin
            Et sans être jamais du parti qu'on opprime,
            Je changeai de ragoûts ainsi que de régime.

            Mais après la journée où certain grand bouillon,
            Pour l'avoir trop chauffé, but un mauvais bouillon,
            Un noble personnage où j'étais fort à l'aise,
            Se sentant prêt à cuire, et les pieds sur la braise,
            Sans rien dire à ses gens, s'enfuit à l'étranger,
            Me laissant lourd de graisse, et d'argent fort léger..
            Alors je m'accostai d'un homme à faible trogne,
            Tout récemment encor arrivé de Gascogne,
            Audacieux, fluet, médiocre et rampant,
            Toujours grand ennemi du premier occupant,
            Très vide de vertu, mais gonflé d'espérance,
            Qui sur sa route avait laissé sa conscience,
            Comme un poids incommode à qui fait son chemin.
            Le poids n'était pas lourd, il est vrai ; mais enfin,
            A ravoir le paquet, comme il pouvait prétendre,
            Bientôt, grâce à mes soins, il en eut à revendre.            
            Je ne te dirai pas nos immenses succès,
            Si de notre destin nous sommes satisfaits,                                                        pinterest.fr

            Si nous savons flatter les appétits des hommes :
            Lève les yeux, cadet ; et vois ce que nous sommes !
            Jusqu'au faîte élevé, par mes nobles travaux,
            Monseigneur a dompté ses plus fameux rivaux.
            L'un d'eux, plus rodomont, voulait faire le crâne 
            Mais nous avons prouvé que ce n'était qu'un âne :
            Et, comme il refusait d'aller à sa façon,   
            Monseigneur l'a chassé comme un petit garçon.
            Puis, étouffant enfin d'audacieux murmures,
            Nous avons en tous lieux semé nos créatures :
            Comme les spectateurs ne battaient plus des mains,
            Nous avons au parterre envoyé des romains.
            En vain quelques railleurs attaquaient notre empire,
            Nous les avons, sous main, muselés sans rien dire.
            Sur le ventre fondé, nourri par l'appétit,
            L'appétit, roi du monde, et d'autant plus terrible
            Qu'il cache au fond des coeurs sa puissance invisible.

                                                Le cadet
            Je conviens qu'un tel sort peut avoir des appas ;
            Mais un abîme s'ouvre, et bâille sous vos pas :
            La France trop longtemps a tremblé sous un homme,
            Son pouvoir abattu...

                                                     M. Dentscourt
                                                            Mais il faudra voir comme
   
                                                    Le cadet
            Eh bien, nous le verrons ; il n'est pas très aimé ;
            Le peuple, contre lui dès longtemps animé,
            Portant au pied du trône une plainte importune...
                                                  

                                                   M. Dentscourt
            Et comptes-tu pour rien César et sa fortune ?
            Me comptes-tu pour rien moi-même ? et nos amis
            A nos moindres désirs ne sont-ils pas soumis ?

                                                           Le cadet
            Ne comptez pas sur eux, si le sort vous traverse.
            Amis du pot-au-feu, tous fuiront, s'il renverse.
           Tremblez qu'un grand échec n'abaisse votre ton
            Car... Plus grand ministre est mort à Montfaucon.

                                                            M. Dentscourt
            Il faut faire une fin ; et pour nous quelle gloire,
            Quand la postérité lira dans notre histoire :
             " Ces deux héros sont morts ; la France les pleura,
             L'un fut grand diplomate, et l'autre... "

                                                          Le cadet
                                                                                  Et caetera
            L'histoire sur son compte en aurait trop à dire :
            Pensons-le seulement, gardons-nous de l'écrire.

                                                            M. Dentscour
            Qu'entendez-vous par là ? Pas tant de libertés,
            Cadet : on n'aime point toutes les vérités ;
            Mais on doit avouer que sa digne excellence
            Sait fort bien travailler un royaume en finance :
            On se plaint qu'en ses mains, sans s'en apercevoir,
            Le monarque trompé laisse trop de pouvoir :
            Mais on sait que jadis, sur un autre rivage,
            De l'art d'administrer il fit l'apprentissage ;
            Ainsi...

                                                            Le cadet
                    Je sais fort bien que ton maître autrefois
            Fit la traite des Noirs, et leur donna des lois :
            Belle preuve !


                                                             M. Dentscourt
                     Oh ! très belle : il est homme de tête ;
            Mais en ce moment-ci ce sont les Blancs qu'il traite :
            Et l'on peut demader à tous nos invités
            Si je ne suis qu'un cuistre, et s'ils sont bien traités.

                                                           Le cadet
            Mais le peuple l'est mal ; et bientôt sa misère
            Demandera du pain aux gens du ministère ;
            Ou dans son désespoir, pour recouvrer son bien,
            Il le menacera...

                                               M. Dentscourt
                        Nous ne redoutons rien.
            Par nos soins rétabli, Montrouge nous protège ;
            Montrouge protégé par le Sacré-Collège,
            Montrouge triomphant, et qui, malgré vos cris,
            Envahit pied à pied le pavé de Paris ;
            Ce grand ordre, qu'à peine on a senti renaître,
            Dans nos murs étonnés s'élève et rentre en maître ;
            Et bientôt ses enfants, armés de nouveaux fers,
            Vont dévorer Paris, la France et l'univers !
            Ignobile vulgus, tremblez !

                                                      Le cadet
                    Tremblez vous-même !
            On a longtemps souffert votre insolence extrême ;
            Mais on vous montrera, de la bonne façon,
            Que la majorité n'a pas toujours raison ;
            Et les Français, bravant vos pouvoirs arbitraires,
            Se plaindront... Le monarque entendra leurs prières.

                                                    M. Dentscourt
            Ceci ne peut se faire au temps où nous voilà :
            Si vous voulez crier, les gendarmes sont là !
            Des mouchards décorés, ou portant des soutanes,
            Empoignent, dans leur vol, les paroles profanes. 
            Nous irons droit au but que nous nous proposons :
            D'ailleurs, nous vous donnons les meilleures raisons ;
            Dans notre coffre-fort, si nous serrons vos pièces,
            C'est pour vous enseigner le mépris des richesses,
            Car le bon temps revient, les bons pères aussi,
            Gare à vos esprits forts ! ils sentent le roussi.                                                    agoravox.fr

            A tout cela d'ailleurs l'esprit public se prête.
            La canaille, il est vrai, comme dit la Gazette,
            Fait quelquefois du bruit, et veut montrer les dents :
            Mais, nous avons pour nous tous les honnêtes gens.
            Une dame a marché pieds nus ; une seconde
            A voulu l'imiter... Hein ? voilà du grand monde !
            Nous avons vu passer un illustre baron,
            De la nef d'une église en celle de Caron ;
            Et, dans chaque soirée, il est de bienséance
            D'entendre, avant le bal, sermon et conférence.
            Ecrivez, maintenant, messieurs les beaux esprits :
            Il est certain endroit, dans un coin de Paris,
            Où, par arrêt de cour, quand ils ont beau ramage
            Nous savons faire entrer les oiseaux dans la cage.
                              
                                                Le cadet
            Ne vous en vantez point : la cour n'est pas pour vous ;
            L'équité la conduit, et non votre courroux ;
            Déjà, plus d'une fois, sa justice prudente
            A détruit les projets que l'artifice enfante ;
            Le Tartufe puissant compte sur son appui,
            Mais les efforts du vice ont tourné contre lui :                                
            Et vous avez appris que, bravant vos caprices,
            La cour rend des arrêts, mais non pas des services.

                                                 M. Dentscourt
            Je n'ai rien à répondre à cette raison-là,
            Mais nous...

                                                        Scène III
                               M. Dentscour, son frère, le Sous-Chef

                                                        Le Sous-Chef
                                  Monsieur le chef, nos invités sont là !

                                                         M. Dentscour    
            Déjà ? La cinquième heure à peine au chateau sonne ;
            A cette heure jamais nous n'attendons personne.

                                                         Le Sous-Chef            
            C'est vrai, monsieur le chef ; mais nos nobles amis
            Attendaient ce repas, depuis longtemps promis ;
            Et même tel d'entre eux que l'appétit réveille,
            Pour y mieux faire honneur, n'avait rien pris la veille.
            Vous jugez qu'un discours sur l'impôt des cotons
            N'avait nul intérêt pour des gens si profonds :
            Non plus qu'un autre encor sur les toiles écrues.
            Ensuite un monnayeur a parlé de sangsues ;
            " Lesquelles ? " a-t-on dit. - Là-dessus, grands éclats ! -
            Tous ont dit : " La clôture ! à demain les débats ! "
            Ces débats cependant promettaient des merveilles ;
            Mais un ventre affamé, dit-on, n'a point d'oreilles,
            Tous on fui jusqu'ici.

                                                   M. Dentscourt
                     Eh bien, tout est prévu ;
            On ne nous prendra pas, du moins, au dépourvu...


                                                  Le Sous-Chef 
                    C'est prêt : on a mis en purée
            Celles que ce matin vous aviez préparées.

                                                  M. Dentscourt
            On n'attend plus personne ? Ils sont tous arrivés ?
            Le potage est sur table ?

                                                  Le Sous-Chef
                   Oui, tout est prêt.

                                                     M. Dentscourt à la cantonnade.
                                                                     Servez ! 
                                                                              Le Sous-Chef sort.

                                                           Scène IV
                   
                                                M. Dentscourt, son Frère

                                                        M. Dentscourt
            Mon triomphe s'apprête, et ma gloire s'achève :
            On verra si nos plans ne sont point un vain rêve.
            Le projet cependant était audacieux,
            Le sort en a trahi de moins ambitieux ;
            La roche Tarpéienne...

                                                          Le cadet
                    Est près du Capitole.

                                                           M. Dentscourt
            Mais, si l'on tombe aussi,... c'est du ciel !

                                                             Le cadet
                                   Ca console.

                                                             M. Dentscourt
            Ah bah ! ne craignez rien, nous sommes dans le port.
                                                                             Il rêve un moment.
            Ecoute, mon cadet ; je veux te faire un sort ;
            Car, quoique parvenu, je suis encor bon frère ;
            Je te reçois ici... comme surnuméraire.

                                                           Le cadet
            Où cela conduit-il ?

                                                         M. Dentscourt
                     A de bons résultats :
            C'est comme qui dirait cadet dans les soldats.

                                                               Le cadet
            Il n'en existe plus.

                                                            M. Dentscourt
                    Nous en verrons encore.
            Les aînés n'étaient plus : Monseugneur les restaure.
            Ah ! messieurs les cadets, tremblez, vous n'aurez rien.
            Mais plutôt, soyez gais, car c'est pour votre bien :
            Le monde a, voyez-vous, un attrait bien perfide                                                       pinterest.fr
            Mais la religion vous prend sous son égide.                                 
            Vous avez faim ? L'église engraisse ses enfants.
            Vous n'avez point d'asile ? Allez dans les couvents :
            C'est là que vous pourrez mener vie agréable, 
            Prier le  ciel pour nous qui nous donnons au diable.

                                                        Le cadet
            Comment, mon frère aîné ? voici bien du nouveau !

                                                   M. Dentscourt
            Oui, pourquoi t'étonner d'un projet aussi beau ?
            Il prendra : tu verras si ma nouvelle est fausse ;
            Monseigneur l'a fait cuire, et j'en ai fait la sauce ;
            Le dîner, qu'aux ventrus nous offrons aujourd'hui,
            A notre noble cause assure leur appui :
            Oh ! nous avons compris les besoins de l'époque !

                                                       Le cadet
            On rira, c'est absurde.

                                                   M. Dentscourt
                    Oh parbleu ! qu'on s'en moque,
            Que nous importe, à nous ? Les rieurs pleureront :
            Comme a dit Mazarin : " Ils chantent, ils paieront ! "

                                                        Le cadet
            Oui, mais nos Pairs sont là ; cette assemblée auguste      
            Refusera ses voix à ce projet injuste ;
            Et les nobles fauteurs, et leurs subordonnés,
            Resteront à la porte avec un pied de nez.
            Va, tôt ou tard le temps confondra l'artifice ;
            Nous vivons sous un prince ami de la justice :
            Il a déjà montré, par d'équitables lois,
            Qu'il soutiendrait la Charte et maintiendrait nos droits ;
             Le colosse puissant, qui pèse sur la France,
            S'écroulera : tous ceux qu'opprime sa puissance
            Contemplant de leur roi la pure majesté,
            Se promettront la gloire et la félicité.

                                                      Scène V

                                        M. Dentscourt, son frère, le Sous-Chef

                                                         M. Dentscourt
            Ciel ! Qu'as-tu donc, sous-chef ? quel trouble !

                                                         Le Sous-Chef
            Ô trop malencontreuse et fatale journée !

                                                           M. Dentscourt
            Assieds-toi, conte-nous...

                                                          Le Sous-Chef d'un ton tragique
                                                  Infendum !... sed.. quanquam...
            Meminisse horret, luctu... - Incipiam !
            La soupe n'était plus... et les bouches bourrée                                
            Avaient, sans dire un mot, envahi les entrées ;
            Tout à coup, Monseigneur se lève avec éclat,
            Et, d'un bras intrépide... il découvre le plat ;         
            On sert. - Qu'est-ce ? - On l'ignore. - Et chacun d'un air louche,
            Porte, en la flairant bien, la cuillère à la bouche.
            Des lentilles ! - Grand Dieu !- Tout ce monde à ce mot
            Frémit. " Nous offre-t-on la fortune du pot,
            Se sont-ils écriés ? Quelle horrible imposture !
            Nous ont-ils invités pour nous faire une injure ?   
            Monseigneur est confus ; ses illustres amis
            Regardent l'assemblée avec des yeux surpris ;
            L'un oppose à ce bruit, que chaque instant redouble,
            Un air indifférent qu'a démenti son trouble ;
            Un marin, l'oeil fixé sur les deux précédents,
            Reste, la bouche ouverte, et la cuiller aux dents ;
            Pendant qu'un autre encor, sentant la conséquence,
            S'appuyait sur son Turc, et fumait d'importance ;
            Enfin, c'est un tumulte !... on se lève en jurant...
            Presque tous sont partis... Monsieur l'Indifférent 
            Fait pour les retenir un effort inutile ;
            Et lui-même, en pleurant, suit la foule indocile.
            L'après-dînée en vain promettait à la fois
            Lecture édifiante et le prince Iroquois ;
            Tout s'enfuit... Resté seul, Monseigneur est perplexe,
             Et veut...

                                                   Scène VI                                    
                                Les précédents, un gros monsieur                   

                                                  Le Monsieur
                    Hé, cuisiniers, suis-je un homme qu'on vexe !
            Croit-on qu'un orateur, qu'on place entre deux feux,
            Quand il a bien parlé, n'ait pas le ventre creux ?
            Lorsque j'ai mal dîné, ma voix en est aigrie ;
            Comme mon estomac, ma conscience crie :
            Qui pourra l'apaiser ?... Est-ce pour de tels mets,
            Que j'ai de tout Paris bravé les quolibets ;
            Que, séduit par l'espoir d'un repas aussi mince,                                                  disneyclip
            J'ai trompé tous les voeux que formait ma province !                              
            Et sur tant de sujets, pour calmer mon effroi,            
            Corbleu ! monsieur le chef, des lentilles à moi !
            On ne m'aurait pas fait une pareille injure
            Dans les obscurs dîners d'une sous-préfecture.
            Quand, nourrissant l'espoir d'un dîner bien complet,
            J'avais, avant d'entrer, dessérré mon gilet ;
            A de pareils affronts aurais-je dû m'attendre ?
                                                              AM. Dentscourt qui veut sortir.
            Restez, monsieur le chef, restez ! Il faut m'entendre !
            Quoique mauvais chrétien, par l'odeur excité,
            J'avais dit hautement mon bénédicité !
                                                                          Tout essoufflé.
            Et ces dîners encor, qu'aidé de ses complices,               
            Monseigneur, l'autre jour, rogna de deux services !...
            N'est-ce pas conspirer contre notre estomac ?
            Nous avons trop longtemps supporté ce micmac :
            De sorte que, pour prix d'un généreux courage,
            Nous nous voyons réduits à trois pour tout potage.
            Les choses désormais n'en iront point ainsi ;
            Et, pour n'y plus rentrer, je m'arrache d'ici.
            Il est encor des gens, non séduits par le ventre,
            Peu nombreux, il est vrai, mais placés loin du centre...
            Je m'en vais, dans un coin, prendre place avec eux,
            On y dîne un peu moins, mais on y parle mieux !

                                               Scène VII et dernière

                          M. Dentscour, son frère, le Sous-Chef

                                                       Le cadet
            Eh bien ! tout est flambé ; qu'en dis-tu, mon cher frère ?

                                                 M. Dentscour
     
            Quel déchet !

                                                 Le sous-chef
                    Monseigneur est en grande colère ;
            De son mauvais succès c'est à vous qu'il se prend.

                                                 M. Dentscourt
            Et voilà ce que c'est que de servir un grand !
            Qu'une vaste entreprise échoue ou réussisse,
            Nous en avons les coups, ou lui le bénéfice.

                                                     Le sous-chef
            Redoutez les effets de son premier courroux,
            Il sera moins terrible en pesant sur nous tous.

                                                            M. Dentscour
            Oui, vous le dompterez toujours par la famine.

                                                             Le sous-chef
            Très bien !... mais s'il allait supprimer la cuisine ?

                                                         M. Dentscourt
            Non, non.
                                                                                                                                  
                                                       Le sous-chef                                                                    pinterest.fr
                    Je l'aperçois... où fuir ? où vous cacher ?                                                                            

                                               M. Dentscourt, d'un ton tragique
            Dans les bureaux... Crois-tu qu'il m'y vienne chercher ?


                                                      FIN

                        ( in : Oeuvres complètes Gérard de Nerval )
                                     
                                               







                                                                     
   






















                              

                                                      























          





 
            

mardi 21 décembre 2021

El Eden Eduardo Antonio Parra ( Roman Policier Mexique )

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                                                          El Eden

            A El Eden, petite ville au nord du Mexique, la vie était douce et chaleureuse. Jusqu'à l'arrivée des premiers gangs, demandes de rançons à des commerçants, épiciers, artisans et autres. Le non-paiement entraînait massacre et destruction. Certains parvinrent à quitter la ville et s'établirent ailleurs, notemment à Monterrey. A Monterrey où se retrouvent deux habitants d'El Eden, Dario et son ancien professeur de lettres, dix ans après le jour funeste où deux bandes rivales fortement armées, circulant dans des pickups, des camions aux vitres teintées dont les bennes portaient des mitrailleurs cagoulés. Dans la cantine, Dario commande des seaux remplis de glaçons et de six bouteilles de bière, plusieurs fois renouvellés au cours de cette nuit de souvenirs. Ce sont des verres frais de rhum qui raviveront la mémoire du professeur. La particularité du roman tient dans la faculté qu'a l'auteur à entrer dans le sujet qu'il va traiter, tous liés à cette nuit de massacres et à raconter, mot à mot, détails en pointillés, chaque sentiment, chaque rue, l'atmosphère, les odeurs. Et le lecteur reste enfoui dans l'histoire de Norma, jeune amoureuse de Dario, et si les scènes de tueries que se rapportent les deux consommateurs sont détaillées, acharnement à tuer tout ce qui bouge, même sur les chiens et les cadavres, les amours naissantes des deux jeunes étudiants, dans un parc, dans un cinéma entre autres sont aussi minutieusement décrites, ce qui donne des scènes assez crues. Mais pour débuter cette soirée on apprend que le jeune couple se pose d'abord chez Dario, où sa mère, sa grand'mère et sa soeur s'inquiètent de l'absence du jeune frère, Santiago, car, sans que l'on sache vraiment comment, l'arrivée des gangs est annoncée par des haut-parleurs sur des camions qui parcourent les rues : rentrez chez vous, ne bougez pas, fermez les volets, si vous regardez à l'extérieur vous serez exterminés. Et la coupure d'électricité intervient. La ville est obscure, la nuit est tombée, peu étoilée. La mère convainc Dario et Norma d'aller à la rencontre, la recherche de Santiago. Et ainsi les deux hommes partis de deux points différents de la ville raconteront leur désarroi, l'epreuve que fut cette nuit de tuerie. Des cadavres amoncelés dans des bennes, croiser des personnes connues, par exemple au cinéma, gisant dans la rue, des camions roulant sur des corps, les deux équipes de narcotraficants s'entretuant pour prendre le pouvoir dans la ville. " Le couloir se remplissait rapidement de fumée...... une vague odeur de viande rôtie a atteint mes narines...... un autre cadavre était en train de griller. " Des centaines de morts, de maisons brûlées, même deux écoles. Certains restés chez eux n'ont pas été épargnés. Plus tard " la plupart.... nous installer dans les grandes villes, à Nuevo, Reynosa ou Monterrey ou de l'autre côté de la frontière, au Texas ". Tuer ne suffisait pas, les têtes de cadavres : " Les assassins avaient tenu promesse, au pied du kiosque..... deux ou trois se regardaient .... semblant sourire... " Dans le café, l'histoire s'achève bientôt, racontée à la première personne, le professeur " ... Les clients étaient calmes, vaincus par l'alcool, par la nuit. Vaincus par la vie. " Très bon livre pour qui ne craint pas les scènes un peu dures, pas très long. L'auteur Eduardo Parra, a été primé par ailleurs, et a reçu le prix Antonin Artaud. Bonne lecture.