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1er Juillet 1664
Levé et chez moi toute la matinée. D'abord descendu mon virginal dans mon cabinet de travail où j'ai fait faire un châssis neuf pour le mettre dessus. Tantôt arrive le Dr Burnet. Il m'assure que j'ai un ulcère, soit dans les reins, soit dans la vessie car dans mon urine, qu'il a vue hier, il est sûr que le sédiment n'est pas une boue formée par la chaleur, mais directement du pus. Il me composa une prescription pour y remédier, sans que j'en fusse aussi content que je pensais l'être. Je lui donnai une pièce, espérant toutefois que son conseil me sera utile, quoiqu'il soit étrange que Mr Hollier ne m'ait de sa vie jamais dit mot de cet
ulcère.
Lui parti, à la Bourse, puis rentré dîner. Ensuite à mon bureau à travailler jusqu'au soir. Puis, comme convenu, arrivèrent Mr Hill, Andrews et un certain Cheswick, un musicien qui joue fort bien de l'épinette, pour chanter des psaumes jusqu'à 9 heures du soir, puis on se sépara avec grand plaisir. Ce sont de très bons compagnons et j'espère avoir de temps en temps leur compagnie. Eux partis au bureau jusque vers minuit et rentré chez moi et, au lit.
A la Bourse, aujourd'hui, j'ai vu combien l'humeur du peuple est inconstante. Parce que nous avons débarqué quelque 200 hommes qui demeuraient oisifs, leur travail fini sur certains des navires qui devaient être équipés pour le service, on dit en ville que le roi débarque tous ses hommes : 200 hier et 800 aujourd'hui, et que maintenant qu'il a 100 000 livres à sa disposition il se soucie peu de faire la guerre aux Hollandais. Mais j'en détrompe un grand nombre en leur disant ce qu'il en est.
2 juillet
Levé et au bureau toute la matinée. A midi à la Bourse où, ce qui est surprenant, je ne rencontrai personne que je puisse inviter chez moi à goûter mon pâté de venaison, à part Mr Alsop et et Mr Lanyon que j'avais invités hier soir, et un ami qu'ils amenèrent avec eux.
A la maison, donc, et avec notre pâté de venaison nous eûmes d'autres bonnes viandes et une agréable conversation. Après dîner, à huis clos, causer de notre affaire de subsistances pour la garnison de Tanger. Je note les prix de toutes leurs fournitures. J'espère bien arranger les choses de sorte qu'ils y trouvent leur compte et moi aussi. Ce qui me plaît fort, car j'espère gagner noblement et honnêtement, le roi ayant son profit.
Eux partis arriva sir William Warren. Nous causâmes longuement de mâts. Le soir venu, au bureau où restai tard à écrire des lettres, puis à la maison pour parcourir certains papiers concernant Brampton, que j'ai fait serment d'expédier avant de passer une demi-heure à aucun plaisir ou d'aller au lit avant minuit, serment auquel, avec l'aide de Dieu je serai fidèle puis, au lit.
Rentré chez moi je vis que, puisque c'est demain dimanche, je ne gagnerais rien à le faire ce soir et que demain ce sera mieux. J'allai donc au lit avant l'heure dite, mais bien résolu à le faire demain plus utilement.
3 juillet
Jour du Seigneur
Levé et dispos, toute la matinée dans mon cabinet de travail à parcourir et à régler quelques-unes des affaires de Brampton. A midi dîner des restes de la venaison d'hier et d'une couple de beaux oisons qu'il nous faut bien manger seuls, parce qu'ils ne se garderont pas, ce que nous trouvâmes fâcheux.
Après dîner enfermé à mon travail. Je terminai avant le soir à ma grande satisfaction et l'esprit en paix. Puis je me levai et passai la soirée à me promener et à deviser avec ma femme. Grand fracas de tonnerre et d'éclairs toute la soirée. Il y a eu plus de tonnerre et d'éclairs cette année, à ce qu'on dit, qu'en aucune autre de mémoire d'homme. Et il en est de même, paraît-il, en France et partout ailleurs. Sur ce, prières et, au lit.
4 juillet
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Levé et beaucoup de monde autour de moi pour affaires. Sorti ensuite, allé en plusieurs endroits et à midi chez milord Crew, où je dînai, milord Crew se montrant tout à fait aimable. Il offrit de me vendre une de ses terres dans le Cambridgeshire, un achat de quelque 1 000 livres que, si j'en trouve le moyen, je ferai. Après dîner je rentrai chez moi à pied, faisant encore quelques courses en chemin.
A la maison je trouve ma femme qui a aujourd'hui, de son propre chef dépensé 23 shillings pour s'acheter une paire de pendants d'oreilles. Ce qui me contraria et nous échauffa l'un contre l'autre très fort, elle m'adressant des paroles très grossières, telles qu'il me chagrine de penser qu'elles puissent sortir de sa bouche, et rappelant notre vieille querelle, dont je déteste qu'on me fasse me ressouvenir.
( note de l'éd. : " Le couple se sépara quelque temps avant le début du Journal qu'entreprit Samuel Pepys en 1661 ). Je jurai de les briser à moins qu'elle ne les revende pour ce qu'elle pourrait en tirer.
Sur cette résolution je sortis. La pauvre femme, un moment plus tard, envoya sa servante les rendre et reprendre son argent. Je suivis Bess; sa messagère, à la Bourse et là, après considération, je la renvoyai. Je ne voulus pas qu'elles fussent rendues, étant satisfait que ma femme eût cédé. Rentré donc et, réconciliés, mais les paroles je ne pus les chasser de mon esprit et m'en fus donc au lit le soir, mécontent. Elle vint se coucher avec moi, mais rien ne put me radoucir. Je dormis et me réveillai le matin en colère.
Aujourd'hui le roi et les reines ont visité milord Sandwich et la flotte à l'appareillage, dans le Hope.
5 juillet
Levé et au bureau toute la matinée. A midi un moment à la Bourse. Puis rentré avec Will Howe et dîné. Ensuite à mon bureau où restai tard travailler dans la soirée, ayant eu, entre autres, une longue conversation avec Gregory le jeune au sujet de l'affaire de la Caisse des Invalides, dans laquelle sir William Batten se montre si grand scélérat. Aussi, avec Alsop et Lanyon à propos des subsistances pour Tanger, dont j'espère tirer quelque profit.
Rentré tard, souper et, au lit. L'esprit tout rempli d'une résolution aujourd'hui prise à la Bourse, de descendre demain jusqu'au Hope.
6 juillet 1664
Levé très tôt, ma femme aussi, et nous nous préparons. Vers 8 heures, ayant pris quelques bouteilles de vin et de bière, et des langues de boeuf, nous rejoignîmes notre barque à la Tour où Mr Pearse, sa soeur, sa femme et une parente, avec Mr Clerke, sa soeur et sa cousine, devaient nous attendre. Nous voilà partis vers le Hope, jouant tout le long du chemin aux cartes et à d'autres jeux, passant le temps assez joyeusement. Arrivés à Hope vers une heure, je leur montrai tous les navires et nous prîmes une collation d'anchois, de lard fumé, etc.
Après être restés une heure ou plus, embarquement pour rentrer et jeux de cartes et autres jusqu'à l'arrivée à Greenwich où Mrs Clerke, ma femme et moi descendons dans une taverne pour faire leur commission, puis nous remontons dans la barque après que je leur ai montré le bateau de plaisance du roi.
Retour donc au pont où nous amenons la nuit avec nous, et il pleut à averse, mais nous les conduisons à pied à la taverne de l'Ours où nous les mettons dans un bateau. Je retrouvai ma femme dans la barque et nous revenons à l'appontement de la Tour, et puis chez nous, fort content aujourd'hui de la compagnie et surtout de Mrs Pearse, qui garde un teint aussi beau que jamais, et possède, à ce jour je crois, le plus joli teint que j'aie jamais vu de ma vie, à une femme jeune, vieille ou enfant. La parente de Mrs Clerke chante très joliment, mais elle a trop d'assurance. Mrs Clerke elle-même a de l'esprit, mais le gâte à être si affectée et à papillonner de la sorte, avec quelques jolis atours et des ornements de pacotille qu'elle porte avec.
Mais la location de la barque est bien lourde pour moi, ce qui me contrarie. Mais ce n'est que pour une fois et je puis inciter Pearse à me rendre la politesse.
Rentré à la maison très las, au lit, restant assis un moment. Le Dr Clerke était absent parce que le roi était malade hier soir et dut être saigné et n'osa donc pas s'éloigner aujourd'hui.
7 juillet
Levé. Pour la première fois cette année, j'enlève aujourd'hui mon gilet de toile, mais comme c'était une journée fraîche, j'eus peur d'attraper froid, ce qui me chagrine et qui est ce qui m'afflige le plus au monde, de songer au mauvais état de ma santé.
Au bureau toute la matinée. Dîner à la maison. A mon bureau afin de prendre quelques dispositions pour la réunion de la commission de Tanger cet après-midi. Puis à Whitehall où je trouvai le Duc et vingt autres lisant leur mandat pour les Pêcheries royales, j'en suis et on m'a aussi envoyé quérir. Il est fort étendu et c'est une charte fort sérieuse. et je crains bien que cela n'aboutisse qu'à peu de chose.
Après quoi, incapable de rien entreprendre, faute d'un serment à faire prêter au gouverneur et à ses assistants, nous levâmes la séance.
Puis notre commission des subsistances de Tanger se réunit mais ne fit pas grand chose. On se leva et Mr Coventry et moi nous promenâmes une demi-heure dans le jardin, conversâmes au sujet de nos mâts, puis je partis et me promenai une demi-heure ou plus dans le parc avec Creed. Ensuite à la nouvelle Bourse pour boire de la crème, mais il n'y en avait plus. Nous prenons congé et je rentre à la maison, prenant, chemin faisant, les livres que j'avais commandés, à savoir, le glossaire complet de sir Henry Spelman, le Lexicon de et les pièces de Shakespeare, que je paie grâce à un rabais que j'ai obtenu sur mes notes de libraires. Rentré chez moi, au bureau quelque temps, puis à la maison et, au lit, me sentant assez bien quoique j'ai ôté mon gilet aujourd'hui.
Le roi va assez bien aujourd'hui, quoique saigné avant-hier soir.
8 juillet
Levé et envoyé quérir par le valet de lord Peter Borough pour me rendre chez Mr Povey afin de discuter sur comment il recevra son argent, ce qui me concerne avec l'espoir que j'ai des 50 livres que milord m'a promises mais, en pensée, je n'ose me croire certain de les avoir tant que je ne les ai pas, car on ne peut guère compter sur ces grands seigneurs, quoique je les mérite bien. J'attends Povey chez lui et je visitai ses écuries et tout le reste. Nonobstant toutes les fois que j'y ai été, je trouve encore maintes choses à admirer.
A Whitehall un moment pour savoir comment va le roi qui a été un peu indisposé ces trois derniers jours. On me dit qu'il est assez bien rétabli. Puis à l'enclos de Saint-Paul pour mes livres et chez les relieurs où je donnai mes instructions pour la reliure de mon Chaucer, quoiqu'ils n'aient pas été assez soigneux pour moi, mais c'est assez bien, et ensuite chez le bossetier pour y mettre fermail et bosselages. A la Bourse puis à la maison pour dîner et à mon bureau jusqu'à 5 heures, puis vinrent Mr Hill et Andrews, et nous avons chanté une heure ou deux. Puis on se sépara et Mr Alsop et son compagnon vinrent consulter sur nos subsistances pour Tanger et faire bien avancer l'affaire. Ils prirent congé et j'allai souper et, au lit.
9 juillet
Levé et au bureau toute la matinée. L'après-midi en voiture à Whitehall avec sir John Mennes pour la commission des pêcheries, mais il fallait d'abord jurer fidélité à la compagnie et on nous fit tous jurer. Mais il y eut grande dispute, ce qui me parut de mauvaise augure pour la compagnie. Certains voulaient jurer fidélité dans la mesure de nos moyens, et d'autres dans la mesure de notre entendement, et c'est le dernier qui l'emporta, quoique ce soit de cette façon que nous sommes le moins capables de servir la compagnie, parce que nous ne voulions pas être tenus de vaquer à cette affaire quand nous le pouvions, mais quand il nous semblait bon. C'est une réflexion qui me parut fâcheuse, mais cela fut voté et donc passa.
Nous ne fîmes rien d'autre mais levâmes la séance jusqu'à ce qu'une réunion de la commission de Guinée fût finie. Puis nous nous réunîmes de nouveau pour Tanger et je fis ce qu'il fallait au sujet de l'ordre de paiement pour milord Peterborough et du mien pour mes récentes dépenses concernant la garnison.
Rentré chez moi en passant prendre mon Chaucer et d'autres livres, et cela est fait à mon goût, ce dont je fus bien aise. A mon bureau jusqu'à une heure tardive, à écrire des lettres, puis rentré à la maison rejoindre ma femme, souper et, au lit, où nous ne couchons pas ensemble depuis un bon moment à cause du temps chaud, mais aujourd'hui nous le faisons parce qu'elle va partir pour la campagne.
10 juillet
Jour du Seigneur
Lever. Vers midi, par le fleuve, à Somerset House et à pied chez milord Sandwich où nous dînons avec milady et les enfants. Après avoir bavardé avec milady de choses et d'autres, nous prîmes congé, et ma femme prit congé pour aller à la campagne demain. Mais milord ne dit à aucun moment mot de mon père ou de ma mère au sujet des enfants, ce qui me surprend, mais je n'en parlerai pas le premier.
Milady nous montra un portrait de milady Castlemaine, admirablement peint, donné à milord, et c'est un très beau portrait.
Avec milady Jem et Mr Sidney à l'église St Giles où entendu un long et médiocre sermon. Nous les déposons et allons dans leur carrosse au baptême de Kate Joyce, où grand concours de gens et friandises en abondance. Après être restés une heure retour chez nous dans le carrosse, le somptueux carrosse, de milord, et ma femme commença à ranger en vue de son départ demain. Moi à lire et puis au lit, où je ne me sentis pas bien et n'eus donc aucun plaisir au lit, cette nuit, avec ma pauvre femme.
11 juillet
Mais levés de bonne heure et une fois prêts en voiture jusqu'à Holborn où, à 9 heures, le coche se mit en route, et avec Will, mon valet, je l'accompagnai à cheval jusqu'à Barnet, une journée très agréable. Là dîné avec ses compagnons de voyage qui étaient aimables, une jolie femme de qualité qui ne va pas plus loin que Huntingdon et un de nos voisins de Londres. Nous demeurons là deux heures, puis nous nous séparons pour de bon. Ma pauvre femme me manquera bientôt, j'en suis sûr.
Allé avec Will voir la Source à un quart de lieue de là. Je bus trois verres, partis marcher, puis revins en boire deux autres. La femme voulait m'en faire boire encore trois, mais je ne pus, ayant le ventre plein, mais cela eut fort bon effet. Nous rentrâmes en faisant le tour par Kingsland, Hackney et Mile-End, au point d'être très fatigués, mon eau faisant son effet au moins sept ou huit fois, ce dont je suis fort aise. Rentré fatigué, ne me sentant pas très bien au lit de bonne heure.
Et dans la nuit, vers 11 heures, je me mets à suer furieusement puis, sachant tout l'argent que j'ai dans la maison et entendant un bruit, je commence à suer de plus en plus, au point de fondre presque tout entier. Je sonnai et ne pus pendant une demi-heure me faire entendre d'aucune des servantes, ce qui accrut ma peur qu'elles ne fussent bâillonnées. Puis je pense que c'était à dessein qu'une pierre avait été lancée contre la fenêtre au-dessus de notre escalier, ce soir, les voleurs cherchant à savoir si on leur prêterait attention et combien nous étions.
J'eus ces pensées et ces craintes, et je conçois donc les frayeurs des hommes riches et cupides qui ont quantité d'argent chez eux. Enfin Jane se leva, et je constatai que ce n'était que le chien qui voulait rentrer et qui avait aboyé. Au lit donc, mais ne dormis guère. M'endormis enfin jusqu'au matin.
12 juillet 1664
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Et me levai appelé par le valet de milord Peterborough, afin de recevoir aujourd'hui de Mr Povey l'argent de son maître. Je pris les dispositions pour que cela fût payé, et on m'apporta mes 50 livres, ce qui me réjouit le cœur.
En réunion au bureau toute la matinée, puis dîné seul à la maison, triste de ne pas avoir de compagnie, ne me sentant pas très bien, et puis je ne sais pas manger seul.
Après dîner descendu inspecter avec sir George Carteret, sir George Mennes et sir William Batten. Trouvé un endroit près du chantier de Deptford bien propre à entreposer des mâts. Mr Coventry arrive tantôt et, après un moment nous descendons tous les deux à Blackwall, car il a envie de voir ce chantier. Il y a là de beaux entrepôts et de bons bassins, mais, à ce que nous en voyons, de peu de profit pour leur propriétaire.
Rentré chez moi en bateau avec lui, devisant fort bien, puis au bureau un moment et tard à la maison pour souper et, au lit.
13 juillet
Levé et à mon bureau. A midi, après avoir discuté dans une taverne proche avec un voisin nommé Mr Tyler et un certain capitaine Saunders sur la découverte que des commissaires de bord ont vendu leur provisions de vivres, chez milord Sandwich, croyant y dîner, mais comme ils ne dînent pas chez eux, avec le capitaine Ferrer chez Mr Barwell, sellier attitré du roi où, il y a à peu près un an, j'avais dîné d'un bon pâté de venaison. Nous en eûmes cette fois-ci un semblable et une excellente compagnie, Mr Tresham et d'autres.
Allé à Whitehall pour les Pêcheries. Je ne fis pas grand-chose. Rentré par le fleuve à la maison, je rencontrai Lanyon etc, à propos de Tanger, allai tard à mon bureau et de là à la maison et, au lit.
Mr Moore vint me voir tard pour me prier de me rendre chez milord Sandwich demain matin. J'irai, mais je me demande de quoi il s'agit.
14 juillet
Inquiet de savoir de quoi il pouvait s'agir, je me levai peu après 4 heures, et dehors. A pied chez milord où personne n'est levé, sauf le portier qui sortit de son lit pour moi. Retourné donc dans Fleet Street où achetai un petit livre de droit puis, entendant chanter un psaume j'entrai dans l'église St Dunstan où j'entendis lire des prières, ce qui se fait ici, paraît-il, tous les matins à 6 heures, chose que de ma vie je n'ai jamais faite dans une chapelle, sauf celle du collège.
Retourné chez milord qui, étant levé, fut envoyé quérir et lui et moi seuls : il commença par protester solennellement de la constance de son amitié et de sa confiance envers moi, puis il me dit le malheur qui nous accable moi et lui. Moi en raison du courroux dont milord le chancelier lui fit part hier soir contre moi sur le ton le plus irrité et le plus échauffé qui se puisse prendre, au point de ne rien vouloir entendre. Mais il m’assura qu'il avait dit tout ce qui se pouvait dire en faveur d'un homme sur ma loyauté et sur mon respect envers Sa Seigneurie et qu'il m'avait rendu toute la justice imaginable. Et de quoi s'agissait-il, sinon que j'avais eu le front de faire marquer pour l'abattage les arbres de Clarendon Park qu'il avait, paraît-il, achetés à milord Albemarle, alors que Dieu sait que dans tout cela je suis l'homme le plus innocent du monde et que je n'ai rien entrepris de mon propre chef, ni ne savais que cela le touchât en rien, mais n'ai fait qu'obéir aux ordres de milord le trésorier général. Il dit aussi que je m'étais conduit envers lui de la manière la plus discourtoise, que j'avais pris la défense des coquins qui avaient abattu un de ses arbres et que j'avais envoyé le plus grand fanatique d'Angleterre les marquer, tout exprès pour le narguer. Tout ceci, assurai-je à milord était complètement faux et à mille lieues de la vérité, et je lui contai toute l'histoire.
Milord paraît en être très profondément affecté, en partie pour moi, à ce que je crois, et en partie pour lui-même. Il me conseilla donc de me présenter sur-le-champ à milord, et de me justifier du mieux que je pouvais, en toute humilité et en l'assurant que j'étais son serviteur en ceci comme en toute chose, et que je reconnais que tout ce que je possède me vient de Sa Seigneurie par milord Sandwich. J'y fus donc, rempli d'horreur, et le trouvai occupé à rendre la justice dans sa grande salle. Comme c'était jour de session je n'osai rester et revins voir milord pour le lui dire. Il me recommanda de prendre milord chancelier au sortir du dîner. Je repartis chez moi, laissant milord fort soucieux pour moi.
Au bureau, affaire toute la matinée. A midi à la Bourse et de là à la taverne de la Tête du Pape avec Alsop et les autres. Restai un quart d'heure pour conclure le marché suivant : si je ne leur obtiens pas plus de 3 shillings 1,5 penny par semaine chacun, je ne recevrai d'eux que 150 livres par an, mais sans investissement ni frais. Mais si je leur obtiens 3 shillings et 2 pence, alors ils me donneront 300 livres dans les mêmes conditions. Je leur recommandai donc de libeller leur soumission en une ou deux lignes pour cet après-midi et de me retrouver à Whitehall.
Je les quittai et chez milord le chancelier. Je l'accostai au sortir du dîner, lui disant que j'étais cet infortuné Pepys qui avait suscité son courroux et que je venais le prier de me permettre de me faire mieux comprendre de Sa Seigneurie, en l'assurant de mon respect et de mon dévouement. Il me répondit d'un ton fort amène qu'il en était sûr, grâce au portrait que fait de moi milord Sandwich, mais qu'il avait des raisons de penser ce qu'il pensait et qu'il me priait de le visiter un prochain soir. Je proposai ce soir même et il accepta.
Le cœur léger donc, à Whitehall où, après avoir par une ruse, pris connaissance du prix de Mr Gauden, tout en feignant de ne pas vouloir le connaître quand il fit mine de me le montrer, je descendis et ajustai si bien notre soumission que tantôt, à la réunion, avec celle de Mr Gauden et celle d'Alsop qu'ils m'ont adressées dans des lettres, j'étais prêt à remettre les deux soumissions à la commission, mais comme il n'y avait là que le général Monck, Mr Coventry, Povey et moi, je ne jugeai point à propos de les montrer maintenant, remis la chose à samedi, sur ce me levai fort satisfait.
A la Demi-Lune, près de la Bourse pour mettre Lanyon et ses amis au courant de ce que nous faisons, puis chez milord le chancelier où j'entendis plusieurs jugements qui me firent penser que milord est un homme fort capable et à l'esprit prompt.
Ayant terminé, c'est lui qui m'appela :
- Venez, Mr Pepys, vous et moi, nous allons faire un tour dans le jardin.
Il se fit conduire en bas, à cause de la goutte, et se promena avec moi plus d'une heure, en bavardant très amicalement, mais avec beaucoup d'adresse. Je lui dis clairement ce qu'il en était. L'ignorance où je me trouvais que Sa Seigneurie était touchée. Que je n'avais rien fait ni dit tout seul, mais que ce qui avait été fait était l'oeuvre du Conseil tout entier. Il me dit, en le nommant, qu'il était plus en colère contre George Carteret que contre moi et aussi contre l'ensemble du Conseil. Mais c'est en réfléchissant à qui dans le Conseil le connaissait le moins que ses craintes s'étaient portées sur moi. Il voit qu'il n'a de dette envers aucun de ses amis qui y siégeait. Je crois que je l'apaisai complètement, au point qu'il me remercia de mon désir de le satisfaire et de la peine que j'avais prise pour cela. Et comme je le priai de m'indiquer avec lequel de ses serviteurs je devais aviser dans cette affaire, il me répondit " aucun ", mais qu'il serait heureux d'en avoir des nouvelles par moi directement. Il me dit qu'il ne me commanderait en rien, afin que l'on ne pût dire que le lord chancelier travaille à abuser le roi, ni, comme je le lui suggérai, n'ordonne de suspendre le rapport du service de l'approvisionnement. Mais je vois ce qu'il veut dire et ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour lui rendre ce service.
Mon Dieu ! Il faut voir comme il est irrité contre ce pauvre Deane, un fanatique, un coquin, que sais-je encore ? et ce qu'il a fait c'était par malignité envers Sa Seigneurie, parmi tous ses amis et tenanciers. Il dit fort clairement qu'il ne me commanderait en rien, parce qu'il ne voulait pas que quiconque eût pouvoir sur lui de dire qu'il avait fait ceci ou cela. Mais ses paroles signifiaient clairement qu'il serait aise que je fisse quelque chose.
Mon Dieu ! Quelle pitié de voir que nous autres pauvres misérables n'osons bien servir le roi par crainte de ces grands seigneurs !
Il nomma sir George Carteret et sir John Mennes et d'autres, et qu'il était aussi fâché contre eux tous que contre moi.
Mais c'était plaisir de songer que pendant qu'il causait avec moi, sir George Carteret arrive dans le jardin et que milord évita de lui parler, et le fit attendre, lui et bien d'autres, tandis que je marchais de long en large plus d'une heure, et il me pria de rester couvert.
Pourtant, après tout ceci, il y avait si peu de raison à cette irritation contre moi, que je crains par moments qu'il n'agisse ainsi que par politique, pour me mettre de son parti en me faisant peur, ou encore, ce qui serait pire, pour éprouver ma fidélité envers le roi. Mais je crois que c'est le premier cas.
Je pris congé avec les plus grandes assurances que je savais bien devoir tout ce que j'avais à Sa Seigneurie, assurances qu'il ne parut point rejeter, mais prit congé avec de grandes marques de bonté et de considération.
Rentré à la maison en voiture, m'arrêtant chez milord Sandwich, mais il n'était pas là.
Tard à mon bureau, puis à la maison pour manger avec milord quelque chose, presque mort de faim de n'avoir point dîné aujourd'hui et, au lit, la tête pleine de nombreuses et grandes affaires qui sont pour moi de conséquence.
15 juillet 1664
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Levé et chez milord Sandwich. Il me fit monter et je lui rendis compte de ce qui s'était passé avec milord le chancelier hier. Il en fut satisfait et me conseilla de porter tous mes soins à le servir au mieux dans cette affaire. Ensuite il me dit qu'il avait maintenant choisi le jour où il prendrait la mer, lundi prochain et qu'il voulait m'exposer sa propre situation. Il me dit que sa tâche dans le monde n'est plus désormais que de maintenir son crédit à la Cour, n'ayant que peu d'espoir de l'accroître considérablement. Il dit qu'il a maintenant environ 8 000 livres par an ( nte de l'éd. revenu moyen de la noblesse 3 200 livres ). Il est vrai, dit-il, qu'il en doit environ 10 000. Mais il a dû faire de grandes dépenses pour amener sa fortune à ce point, outre ce qu'il a construit et les biens meubles qu'il a achetés. Il me dit qu'il a ajusté ses comptes à la Garde-Robe jusqu'à la Saint-Michel passée et qu'il espère les régler jusqu'à l'Annonciation avant de partir. Il me dit qu'on lui doit à la Garde-Robe 7 000 livres. S'il savait comment se les faire payer, sans compter les 2 000 livres que lui doit Mr Montagu. Pour ce qui est de son crédit, il dit que tout le mal qui fut jamais fait à un homme par un ami qui sait tous ses secrets, lui a été fait par Mr Montagu. Mais il dit que le pire est passé et que Montagu est parti, haï personnellement par le roi et, croit-il, d'autant plus à cause de sa conduite envers lui, et que le duc d'York dit, il y a quelque temps dans son cabinet qu'il le haïssait pour son ingratitude envers milord Sandwich. Il me dit qu'il a la faveur du chancelier, autant et plus que jamais. Qu'il en est de même du roi, et me donna pour exemple que, tandis qu'il était autrefois du Conseil privé du roi avant sa dernière maladie, et qu'à cause de cette maladie il avait interrompu son service auprès de lui, le roi ne le convoquait plus régulièrement comme devant à son Conseil privé, mais seulement pour les affaires maritimes ou semblables. Mais récemment le roi lui avait envoyé un message par sir Henry Bennet, afin de présenter à milord les excuses du roi pour ne pas l'avoir fait quérir comme devant pour son Conseil privé ces derniers temps, car ce n'était pas par aversion, mais afin de ne point déplaire à d'aucuns, qu'il ne nomma point, mais milord suppose que ce pourrait être le prince Rupert, ou peut-être que le roi préfère que cela passe avec une excuse plutôt que d'être cru sans bienveillance. Mais que désormais il le priait de le suivre constamment, ce qu'il a fait ces derniers temps, et le roi jamais plus bienveillant de sa vie que maintenant. Et dans cette affaire récente où je devais parler à milord de son départ en mer, il me dit........... que le Duc lui-même a fait mettre sur son brevet qu'il serait amiral de la présente flotte et de celles, ou des navires qui s'y ajouteraient par la suite, ce qui est généreux de sa part. Il me dit que dans ces circonstances, avec Mr Montagu et tous les autres, il voit bien que le mieux est d'endurer patiemment, sans bruit ni tracas, et que les choses passent d'elles-mêmes et s'arrangent.
- Mais, dit-il, croyez-m'en, ne vous fiez jamais trop à aucun homme au monde, car vous vous mettez à sa merci. Et l'ami qui vous paraît le meilleur, celui qui est aujourd'hui un véritable ami, peut avoir ou trouver sujet de se brouiller avec vous, et alors tout se découvre.
Puis il me parla de sir Henry Bennet. Quoiqu'ils aient toujours été amis, leurs relations sont maintenant devenues d'une familiarité qui sort de l'ordinaire, que ces derniers mois sir Henry n'a rien fait sans prendre conseil de milord en privé, qu'il lui promet amitié fidèle et dévouement en toutes occasions.
Milord dit qu'il a l'avantage d'être capable, en raison de son expérience, de l'aider et de le conseiller, et il croit que c'est cela principalement qui incite sir Henry à le traiter ainsi.
- Or, dit milord, le seul et le plus grand embarras que j'ai au monde est de savoir comment me comporter envers sir Henry et milord le chancelier au cas où quelque chose couverait encore sous la cendre à propos de milord Bristol, ce que nul ne saurait dire. Car alors, dit-il, il faudra que je prenne parti pour l'un ou pour l'autre et je perdrai tout ce que j'ai au monde plutôt que de déserter milord le chancelier......... L'amitié de sir Henry en est venue à ce point, de même que sa confiance, qu'il a donné un code secret à milord et veut l'obliger à correspondre avec lui.
Voilà, dit-il, l'état complet de ma fortune et de mon crédit, que je vous décris parce que je ne sais pas si je vous reverrai.
Pour ce qui est de son séjour en mer, il croit que ce sera pour lui une occasion de dépenses et non de profit, mais qu'il ne doit plus désormais veiller à s'agrandir, ni l'espérer, mais mettre ses soins à assurer ce qu'il a, que ce qu'on lui doit à la Garde-Robe ou ailleurs lui soit payé, ce qui sinon ne serait pas fait et tout ce qu'il a ne serait que piètre contentement.
Alors nous prîmes, à ce qu'il semblait, congé l'un de l'autre, milord me priant de lui écrire pour l'informer en toute occasion de ce qui le touche. Ce qui, ajouté à son préambule, me donne à croire que milord me tient toujours vraiment en grande estime et désire se conserver mon dévouement. Dieu soit béni !
Au milieu de notre conversation milady Crew entra pour lui annoncer qu'il avait un nouveau fils, milady venant tout juste d'accoucher. Je ne pensais pas que son terme était si proche, mais tout s'est bien passé, Dieu soit loué, et veuille pousser milord à mettre ses soins à amasser quelque chose de plus.
Allé à St James avec Creed. Ne trouvant pas Mr Coventry à Whitehall où, comme je l'attendais dans une des galeries, voilà que sort de la salle du Trône Mrs Stewart, plus belle que jamais, avec ses cheveux tout autour des oreilles, venant de poser pour son portrait. Le roi était là avec vingt autres, je crois, ayant assisté debout à toute la séance, et dans cette robe elle paraissait une fort aimable personne.
A la Bourse en voiture, puis à la maison pour dîner, puis à mon bureau. Le soir, Mr Hill, Andrews et moi dans mon cabinet de travail pour chanter fort agréablement, puis encore à mon bureau où je reste très tard, et à la maison, avec, Dieu soit béni, l'esprit à l'aise et le corps en bonne santé, si ce n'est qu'en ces circonstances j'ai la tête tout occupée à trouver comment obtenir quelque chose, entre autres, que fera ce coquin de Creed avant de prendre la mer ? J'aimerais bien être débarrassé de lui et voir ce qu'il entend faire, car alors je me déclarerai son ami fidèle ou son ennemi.
à suivre................
16 juille 1664
Levé le matin............