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mercredi 19 décembre 2012

Lettres à Madeleine 58 Apollinaire


                                                 Lettre à Madeleine

                                                                                                         24 janvier 1916

            Mon amour, je suis bien en retard - je ne t'ai pas écrit hier- et parce que je n'ai pas pu, manoeuvres, grandes manoeuvres, c'est-à-dire la chose la plus barbe de l'univers, ce n'est pas assez de la guerre, il faut les manoeuvres ; enfin ! pourvu qu'elles nous mènent à la fin et la Victoire, c'est avec plaisir qu'on se livre à ce sport esquintant. Amour, avant tout ta lettre du 18 ( la dernière ). Tu juges bien Anatole France, tu le juges très bien même, ses romans sont mal composés et leurs différentes parties ne se suivent pas. La comparaison des Dieux ont soif avec Le Chevalier de Maison-Rouge de Dumas père ( presque le même sujet ) est typique et la supériorité de conteur du vieux Dumas apparaît immédiatement. Je t'adore mon amour et t'écrirai mieux quand je pourrai - je n'ai pas le temps. Dors beaucoup ma chérie, pour tes pieds masse-les doucement des orteils au cou-de-pied pendant 2 minutes chacun le soir - et passe-les au philopode, j'oubliais encore le matin soulève-toi dix fois sur la pointe des pieds ça te fera du bien.
            J'ai aussi ta lettre du 17 ne te force pas à manger du poisson.
            J'ai aussi ta lettre du 15 avec ton joli poème en prose. Je t'adore.
            J'ai aussi ta lettre du 16, ne m'envoie mes poèmes copiés d'avant que je ne te les demande.
            Demain amour nous continuons comme aujourd'hui et je suis las. Je pense à ta joliesse exquise.
            Mais je suis en ce moment dans un état de surmenage et j'en suis presque à souhaiter les tranchées.
            J'espère que ces jours-ci j'aurai une heure ou deux de libre pour pouvoir t'écrire.
            La montagne de Santa-Cruz doit être en ce moment dans tout son éclat floral. Mon amour, je t'adore. Je prends tes seins charmants et je les baise passionnément.
            Je vais aller me coucher. Souviens-toi de ce que je t'ai dit de mes lettres qui portaient la mention
" Aux Armées " et je prends follement ta bouche. 


                                                                                                           Ton Gui

                                                                                                   
                                                                                                      25 janvier 1916

            Mon amour adoré, je t'adore. J'ai reçu aujourd'hui ta lettre du 19. Non il n'y a pas de séparation par l'esprit d'avec toi et cependant j'ai en ce moment si peu de temps pour t'écrire mon amour exquis, que cela m'est comme une absence. Cependant aujourd'hui on est rentré plus tôt et j'ai plus de temps à te consacrer, aussi suis-je plus calme, comme si tu t'approchais de moi, mon Madelon. C'est même la 1è fois depuis mon départ d'Oran où j'ai une minute à te consacrer. J'ai repris ma section et apprends la manoeuvre en la commandant. Car il y a une grande différence entre les manoeuvres de l'artillerie et celles de l'infanterie.
            Le village où nous cantonnons possède une église exquise où il y a un chemin de croix qui est assez intéressant, mais c'est l'église même qui est surtout belle. Une particularité curieuse de l'endroit est qu'il y a une source par maison ( pas un puits une source ). Elle se trouve à la cave et les habitants la tiennent très propre.
            Mon amour je m'occuperai de notre mariage dès que j'aurai le temps de m'occuper de quelque chose, c'est-à-dire je pense dans une dizaine de jours. Ne m'envoie pas les poèmes maintenant car je n'ai pas le temps de m'en occuper et je ne veux pas les traîner longtemps avant que leur publication ne soit décidée. Je n'ai même pas eu le temps d'écrire au Mercure. Je t'adore mon amour. Mon amour pour les 2 o 3 poèmes secrets dont tu parles ne t'effarouche pas car ton nom ne sera pas dessus. Tu sais qu'ils sont à toi ça suffit. Les autres nous les imprimerons pour nous.


                                                                                                    Gui

   
                                                                                                            26 janvier 1916

            Mon amour tes lettres du 20 et du 21 sont là. Aujourd'hui toujours même genre de vie. Je m'accoutume et suis moins las.
            Ne parle pas de tuberculose, mon amour, nous ne serons tuberculeux ni l'un ni l'autre.
            Je suis bien content que les permissions ne soient supprimées pour l'Algérie que momentanément. Mais ceux qui espèrent des permissionnaires devraient bien faire agir les journaux pour qu'on rétablisse vite  ces permissions surtout pour les officiers puisqu'il y a toujours de la place pour eux dans les bateaux à l'aller comme au retour.
            En ce moment les hommes se font taper sur les doigts parce qu'ils n'observent pas toujours l'obligation où l'on est de ne pas indiquer les lieux où l'on cantonne.
           Il arrive même que les destinataires répètent dans leurs réponses ce nom de lieu pour indiquer qu'ils ont compris et causent ainsi du tort aux soldats auxquels ils écrivent.
           On dit même que certains officiers  n'ont pas toujours observé ces prescriptions ( nécessaires à mon sens ) et se sont vus rappeler à l'ordre.
           C'est aux familles à ne jamais demander aux soldats où ils sont. Ils sont sur le front. C'est suffisant, je crois et toutes autres précisions sont de trop.
           L'histoire de la démonstration de l'existence de Dieu par ton curé est épatante et je la mettrai dans le Mercure.
           Mon amour chéri, je t'aime infiniment.
           L'histoire du Montenegro ne m'a pas étonné du tout. Je croyais t'en avoir parlé. D'ailleurs j'en ai parlé aux officiers de ma Cie dès mon arrivée au 96. C'est étonnant comme en haut lieu on semble peu familiarisé avec la politique tortueuse des nations balkaniques même quand elles sont nos alliés.
           Mon amour embrasse ta maman pour moi et les petits aussi. Dis-moi quand les permissions seront reprises. Je voudrais bien qu'elles le soient. Et ta Directrice de lycée que dit-elle. Je prends ta bouche follement.


                                                                                                               Gui


                                                                                                      27janvier 1916

            Mon amour, je n'ai pas de lettre de toi aujourd'hui. Il fait doux et humide. Le sol est détrempé. La marche dans les terres labourées est pénible. Les lièvres abondent. Ils bouquinent. Et quand ils détalent dans les guérets, ils ont l'air de vous narguer. Quant aux perdreaux leurs compagnies font l'exercice dans les champs et ils ne se débandent même pas à notre approche changeant tout simplement de direction par quatre au pas cadencé.
            Aujourd'hui je suis fatigué. Je crois que je vais dormir profondément cette nuit.
            De nouvelles je n'en ai guère sinon que l'hiver n'est pas trop mauvais jusqu'à maintenant.
            Je t'ai parlé du caporal Gabriel Boissy  que j'ai retrouvé dans un régiment voisin. Je le plaignais énormément le croyant dans une escouade. Il est tout simplement archiviste au train de combat de son régiment.
           Je t'adore mon amour ton regard exquis, ne me quitte point.
           Je t'aime infiniment ma chère petite femme et prends ta bouche.


                                                                                                               Gui

                                                                                                            28 janvier 1916

            Mon amour,
            Je t'adore. Je vais avoir 48 heures de permission parce que pendant ma permission d'Algérie, on a perdu pas mal d'affaires et entre autres mon manteau. Aujourd'hui nous avons été présentés à un général important, il fallait être en manteau ou capote. J'ai dû venir en veste. Et mon colonel m'a dit d'aller me rééquiper. Je t'écrirai donc après-demain, vraisemblablement de Paris. Aujourd'hui donc, repos. J'ai fait " ma vie anecdotique " et je t'écris de notre popote.
            Je n'ai pas eu de lettre de toi aujourd'hui. J'en attends demain. Ma vie anecdotique a trait à Oran.
            Je t'adore mon amour, tu le sais.
            J'espère demain avoir une lettre de toi.
            Je crois qu'il y a 2 jours maintenant que je n'ai pas eu de lettre.
            Je t'embrasse, je prends ta bouche chérie et je prends profondément ton regard exquis.


                                                                                                        Ton Gui