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lundi 15 juin 2015

Mémoires d'un père suivi de Pendant la Révolution Marmontel suite et fin ( extraits 11 France )

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                                                  Mémoires d'un père
                                                       Livre onzième ( fin )
                  A notre retour à Paris, l'Académie ayant été convoquée pour l'élection de son secrétaire perpétuel, sur vingt-quatre voix électives j'en réunis dix-huit.....
            Le succès de Didon fut le même à Paris qu'il avait été à la cour, et cet opéra fit pour nous les plaisirs de l'hiver, comme avaient fait Roland et Atys dans leur nouveauté.
            L'ancien banquier de la cour, M de la Borde, ajouta ses concerts à ceux de la comtesse d'Houdetot et de madame de la Briche. Ce fut l'occasion de ma connaissance avec lui.
            Il avait deux filles à qui la nature avait accordé tous les charmes de la figure et de la voix et qui, écolières de Piccini, rendaient l'expression de son chant plus douce et plus touchante encore.
            Prévenu par les politesses de M de la Borde, j'allais le voir, j'allais dîner quelquefois avec lui. Je le voyais honorable, mais simple, jouir de ses prospérités sans orgueil, sans jactance, avec une égalité d'âme d'autant plus estimable qu'il est bien difficile d'être aussi fortuné sans un peu d'étourdissement. De combien de faveurs le Ciel l'avait comblé ! Une grande opulence, une réputation universelle de droiture et de loyauté, la confiance de l'Europe, un crédit sans bornes, et dans son intérieur six enfants bien nés......
                                 " Che non trova l'invidia ove l'emende ( Ariost. "
            Que manquait-il aux voeux d'un homme aussi complètement heureux ?
             Il a péri sur un échafaud, sans autre crime que sa richesse, et dans cette foule de gens de bien qu'un vil scélérat envoyait à la mort.                                                                  
            Cette affreuse calamité ne nous menaçait point encore, et dans mon humble médiocrité, je me croyais heureux moi-même. Ma maison de campagne avait pour moi dans la belle saison, encore plus d'agrément que n'avait eu la ville. Une société choisie composée au gré de ma femme y venait successivement varier nos loisirs et jouir avec nous de cette opulence champêtre que nous offraient dans nos jardins, l'espalier, le verger, la treille, les légumes, les fruits de toutes les saisons, présents dont la nature couvrait sans frais une table frugale et qui changeaient un dîner modique en un délicieux festin.
            Là régnaient une innocente joie, une confiance, une sécurité, une liberté de penser dont on connaissait les limites, et dont on n'abusait jamais.......
            " - Nous sommes trop heureux, me disait ma femme, il nous arrivera quelque malheur. "
            Elle avait bien raison. Apprenez, mes enfants, combien, dans toutes les situations de la vie, la douleur est près de la joie.
            Cette bonne et sensible mère avait nourri le troisième de ses enfants. Il était beau, plein de santé. Nous croyions n'avoir plus qu'à le voir croître et s'embellir encore, quand tout à coup il est frappé d'une stupeur mortelle. Bouvart accourt. Il emploie, il épuise tous les secours de l'art sans pouvoir le tirer de ce fumeux assoupissement. L'enfant avait les yeux ouverts, mais Bouvart s'aperçut que la prunelle était dilatée. Il fit passer une lumière, les yeux et la paupière restèrent immobiles.
            " - Ah ! me dit-il, l'organe de la vue est paralysé, le dépôt est formé dans le cerveau, il n'y a plus de remède. "
            Et en disant ces mots le bon vieillard pleurait, il ressentait le coup qu'il portait à l'âme d'un père.
            Dans ce moment cruel, j'aurais voulu éloigner la mère, mais à genoux au bord du lit de son enfant, les yeux remplis de l'armes, les bras étendus vers le Ciel, et suffoquée de sanglots :
            " - Laissez-moi, disait-elle, ah ! laissez-moi du moins recevoir son dernier soupir. "
            Et combien ses larmes, ses cris redoublèrent lorsqu'elle le vit expirer ! Je ne vous parle point de ma douleur, je ne puis penser qu'à la sienne. Elle fut si profonde que de plusieurs années elle n'a pas eu la force d'en entendre nommer l'objet. Si elle en parlait elle-même, ce n'était qu'en termes confus : " Depuis mon malheur, disait-elle " sans pouvoir se résoudre à dire " Depuis la mort de mon enfant."
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            Ce fut vers ce temps-là qu'à sa quatrième grossesse, ma femme convint avec moi de la nécessité de prendre son ménage. Mais comme la séparation se fit de bon accord avec ses oncles et sa mère, nous nous éloignâmes le moins qu'il fut possible. Ma femme ne fut pas insensible à l'agrément d'être chez elle à la tête de sa maison. Pour moi j'éprouvai, je l'avoue, un grand soulagement de vivre avec l'abbé Morellet dans une pleine indépendance, et il en fut lui-même bien plus à son aise avec moi......  
            Ce qui rendait notre nouvelle situation encore plus agréable, c'était l'aisance où nous avait mis un accroissement de fortune. Sans parler du casuel assez considérable que me procuraient mes ouvrages, la place de secrétaire de l'Académie française jointe à celle d'historiographe des bâtiments que mon ami M d'Angeviller m'avait fait accorder à la mort de Thomas, me valaient un millier d'écus. Mon assiduité à l'Académie y doublait mon droit de présence. J'avais hérité à la mort de Thomas de la moitié de la pension de deux mille livres qu'il avait eue et qui fut partagée entre Gaillard et moi, comme l'avait été celle de l'abbé Batteux. Mes logements de secrétaire au Louvre et d'historiographe de France à Versailles, que j'avais cédés volontairement, me valaient ensemble dix-huit cents livres. Je jouissais de mille écus sur le Mercure. Mes fonds dans l'entreprise de l'île des Cygnes étaient avantageusement placés. Ceux que j'avais mis dans les octrois de la ville de Lyon me rendaient l'intérêt légal, comme ceux que j'avais placés dans d'autres caisses. Je me voyais donc en état de vivre agréablement à Paris et à la campagne, et dès lors je me chargeai seul de la dépense de Grignon. La mère de ma femme, sa cousine et ses oncles y avaient leur logement, lorsqu'ils leur plaisaient d'y venir, mais c'était chez moi qu'ils venaient......
            Dès lors, jusqu'à l'époque de la révolution je ne puis exprimer combien la vie et la société eurent pour nous d'agrément et de charme.
            Ma femme était heureusement accouchée de son quatrième enfant. M et Mme d'Angiviller l'avaient tenu sur les fonts de baptême......
Résultat de recherche d'images pour "d'ormesson 18è siècle"*            Nous fîmes peu de temps après l'heureuse acquisition d'une nouvelle société d'amis dans M et Mme de Sèze...... A l'égard de M de Sèze, je ne crois pas qu'il y ait au monde une société plus désirable que la sienne......
            De Brevane, où de Sèze dans la belle saison, passait ses moments de repos, de Brevane, dis-je, à Grignon, il n'y avait guère que la Seine à passer, et que la plaine qu'elle arrose. Nos deux coteaux se regardaient..
            Les changements de ministres apportèrent encore quelques améliorations dans ma fortune.
            Le traitement d'historiographe de France qui, autrefois était de mille écus, avait été réduit à dix-huit cents livres par je ne sais quelle mesquine économie. Le contrôleur général d'Ormesson trouva juste de le remettre sur l'ancien pied.
           L'on sait qu'en arrivant au contrôle général, M de Calonne annonça son mépris pour une étroite parcimonie. Il voulut en particulier, que les travaux des gens de lettres fussent honorablement récompensés. En ma qualité de secrétaire perpétuel de l'Académie française, il me fit prier de l'aller voir. Il me témoigna l'intention de bien traiter l'Académie, me demanda s'il y avait pour elle des pensions, comme il y en avait pour l'Académie des sciences et pour l'Académie des belles lettres. Je lui répondis qu'il n'y en avait aucune. A quoi pouvait monter pour les plus assidus, le produit du droit de présence. Je l'assurai qu'il ne pouvait aller jusqu'à huit ou neuf cents livres, le jeton n'étant que de trente sous. Il me promit d'en doubler la valeur. Il voulut savoir quel était le traitement du secrétaire. Je répondis qu'il était de douze cents livres. Il trouva que c'était trop peu. En conséquence il obtint du roi que le jeton serait de mille écus. Ainsi mon revenu d'académicien put se monter à quatre mille cinq ou six cents livres.
            J'obtins encore un nouveau degré de faveur et de nouvelles espérances sous le ministère de M de Lamoignon, garde des sceaux.

            Bientôt les intérêts de la chose publique et les inquiétudes sur le sort de l'Etat s'emparèrent de mes esprits. Ma vie privée changea de face et prit une couleur qui, nécessairement, va se répandre sur le reste de mes Mémoires.


                                                                                       Fin des Mémoires 
                                                                             

 vendeensetchouans.com                                    Pendant la Révolution
Résultat de recherche d'images pour "1789"                         Je n'écris pas l'histoire de la Révolution...... Mais, si la vie de l'homme est un voyage, puis-je vous raconter la mienne, sans dire à travers quels événements et par quels torrents, quels abîmes, quels lieux peuplés de tigres et de serpents elle a passé ? Car c'est ainsi que je me retrace les dix années de nos malheurs, presque en doutant si ce n'est pas un violent et funeste songe.
            Quoique Paris fût comme le foyer de la fermentation excitée dans le royaume, les assemblées y furent assez tranquilles et ne parurent occupées qu'à se donner de bons électeurs pour avoir de bons députés
            J'étais du nombre des électeurs nommés par la section des Feuillants. Je fus aussi l'un des commissaires chargés de la rédaction du cahier des demandes, et je puis dire que dans ces demandes il n'y avait rien que d'utile et de juste. Ainsi l'esprit de cette section fut raisonnable et modéré.
            Il n'en fut pas de même de l'assemblée électorale, la majeure partie était saine en arrivant, mais nous y vîmes fondre une nuée d'intrigants qui venaient souffler parmi nous l'air contagieux qu'ils avaient respiré aux conférences de Duport, l'un des factieux du parlement.

            ... Nos fonctions ne se bornaient pas à élire des députés, nous avions encore à former dans leurs mandats des réclamations, des plaintes, des demandes. Et chacun de ces griefs donnaient lieu à de nouvelles déclamations. Les mots indéfinis d'égalité, de liberté, de souveraineté du peuple retentissaient à nos oreilles. Chacun les entendait, les appliquait à sa façon. Dans les règlements de police, dans les édits sur les finances, dans les autorités graduelles sur lesquelles reposaient l'ordre et la tranquillité publique, il n'y avait rien où l'on ne trouvât un caractère de tyrannie, et l'on attachait une ridicule importance aux détails les plus minutieux. Je n'en citerai qu'un exemple.
            Il s'agissait du mur d'enceinte et des barrières de Paris qu'on dénonçait comme un enclos de bêtes fauves, trop injurieux pour des hommes.                                                          franceinfo.fr
            " - J'ai vu, nous dit l'un des hommes, oui, citoyens, j'ai vu à la barrière Saint-Victor, sur l'un des piliers, en sculpture, le croirez-vous ? j'ai vu l'énorme tête d'un lion, gueule béante et vomissant des chaînes dont il menace les passants. Peut-on imaginer un emblème plus effrayant du despotisme et de la servitude ? "
L'orateur lui-même imitait le rugissement du lion. Tout l'auditoire était ému, et moi qui passais si souvent à la barrière Saint-Victor, je m'étonnais que cette image horrible ne m'eût point frappé. J'y fis donc ce jour-là une attention particulière. Et sur le pilastre je vis pour ornement un bouclier pendu à une chaîne mince que le sculpteur avait attaché à un petit mufle de lion, comme on en voit à des marteaux de porte ou à des robinets de fontaine.

            ... Quoique je fusse presque isolé et que, de jour en jour, mon parti s'affaiblît dans l'assemblée électorale, je ne cessais de dire à qui voulait m'entendre, combien cet art d'en imposer par d'imprudentes déclamations me semblait grossier et facile. Mes principes étaient connus, je n'en dissimulais aucun et l'on prenait soin de divulguer à l'oreille que j'étais ami des ministres et comblé des bienfaits du roi.
            Les élections se firent, je ne fus point élu. On me préféra l'abbé Sieyès. Je remerciai le Ciel de mon exclusion, car je croyais prévoir ce qui allait se passer à l'assemblée nationale, et dans peu j'en fus mieux instruit.
            Nous avions à l'Académie française un des des plus outrés partisans de la faction républicaine : c'était Chamfort, esprit fin, délié, plein d'un sel très piquant lorsqu'il s'égayait sur les vices et les ridicules de la société, mais d'une humeur âcre et mordante contre les supériorités de rang et de fortune qui blessaient son orgueil jaloux. De tous les envieux répandus dans le monde, Chamfort était celui qui pardonnait le moins aux riches et aux grands l'opulence de leurs maisons et les délices de leurs tables, dont il était lui-même fort aise de jouir. Présents, et en particulier, il les ménageait, les flattait et s'ingéniait à leur plaire. Il semblait même qu'il en aimait quelques-uns dont il faisait de pompeux éloges. Bien entendu pourtant que, s'il avait la complaisance d'être leur commensal et de loger chez eux, il fallait que, pour leur crédit, il obtint de la cour des récompenses littéraires, et il ne les en tenait quittes pour quelques mille écus de pension dont il jouissait, c'était trop peu pour lui.
            " - Ces gens-là, disait-il à Florian, doivent me procurer vingt mille livres de rente, je ne vaux pas moins que cela. "
            A ce prix, il avait des grands de prédilection qu'il exceptait de ses satires. Mais pour la caste en général, il la déchirait sans pitié, et lorsqu'il crut voir ces fortunes et ces grandeurs au moment d'être renversées, aucun ne lui étant plus bon à rien, il fit divorce avec eux tous, et se rangea du côté du peuple.
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            Dans nos sociétés nous nous amusions quelquefois des saillies de son humeur et, sans l'aimer, je le voyais avec précaution et avec bienséance, comme ne voulant pas m'en faire un ennemi.
            Un jour donc que nous étions restés seuls au Louvre, après la séance académique :
            " - Eh bien, me dit-il, vous n'êtes donc pas député ?
              - Non, répondis-je, et je m'en console, comme le renard des raisins auxquels il ne pouvait atteindre
- Ils sont trop verts.
              - En effet, reprit-il, Je ne les crois pas assez mûrs pour vous. Votre âme est d'une trempe trop douce et trop flexible pour l'épreuve où elle serait mise. On fait bien de vous réserver à une autre législature.
Excellent pour édifier, vous ne valez rien pour détruire. "
            Comme je savais que Chamfort était ami et confident de Mirabeau, l'un des chefs de la faction, je crus être à la source des instructions que je voulais avoir et, pour l'engager à s'expliquer, je feignis de ne pas l'entendre.
            " - Vous m'effrayez, lui dis-je, en parlant de détruire. Il me semblait à moi que l'on ne voulait que réparer.
              - Oui, me dit-il, mais les réparations entraînent souvent des ruines. En attaquant un vieux mur on ne peut pas répondre qu'il n'écroule sous le marteau, et franchement, ici, l'édifice est si délabré que je ne serais pas étonné qu'il fallût le démolir de fond en comble.
              - De fond en comble ! m'écriai-je.
              - Pourquoi pas, repartit Chamfort, et sur un autre plan moins gothique et plus régulier .Serait-ce, par exemple, un si grand mal qu'il n'y eût pas tant d'étages et que tout y fût de plain-pied ? Vous désoleriez-vous de ne plus entendre parler d'éminences, ni de grandeur, ni de titres, ni d'armoiries, ni de noblesse, ni de roture, ni du haut ni du bas clergé ? "
            J'observai que " l'égalité avait toujours été la chimère des républiques et le leurre que l'ambition présentait à la vanité. Mais ce nivellement est surtout impossible dans une vaste monarchie, et en voulant tout abolir, il me semble ajoutai-je, qu'on va plus loin que la nation ne l'entend, et plus loin qu'elle ne demande. "
            " - Bon, reprit-il, la nation sait-elle ce qu'elle veut ? On lui fera vouloir et on lui fera dire ce qu'elle n'a jamais pensé, et si elle en doute on lui répondra comme Crispin au Légataire : " C'est votre léthargie. " La nation est un grand troupeau qui ne songe qu'à paître et qu'avec de bons chiens les bergers mènent à leur gré. Après tout, c'est son bien que l'on veut faire à son insu car, mon ami, ni votre vieux régime, ni votre culte, ni vos moeurs, ni toutes vos antiquailles de préjugés ne méritent qu'on les ménage. Tout cela fait honte et pitié à un siècle comme le nôtre. Et pour tracer un nouveau plan on a toute raison de vouloir faire place nette. "
             " - Place nette ! insistai-je, et le trône, et l'autel ?
             "- Et le trône et l'autel, me dit-il, tomberont ensemble. Ce sont deux arcs-boutants appuyés l'un par l'autre, et que l'un des deux soit brisé, l'autre va fléchir. "      
            Je dissimulai l'impression que me faisait sa confidence et, pour l'attirer plus avant :
            " - Vous m'annoncez, lui dis-je, une entreprise où je crois voir plus de difficultés que de moyens.
Résultat de recherche d'images pour "berger troupeau brebis" **       - Croyez-moi, reprit-il, les difficultés sont prévues et les moyens sont calculés. "
           Alors il se développa, et j'appris que les calculs de la faction étaient fondés sur le caractère du roi, si éloigné de toute violence qu'on le croyait pusillanime. Sur l'état actuel du clergé où il n'y avait plus, disait-il que quelques vertus sans talents, et quelques talents dégradés et déshonorés par des vices. Enfin sur l'état même de la haute noblesse que l'on disait dégénérée et dans laquelle peu de grands caractères soutenaient l'éclat d'un grand nom.
            Mais c'était surtout en lui-même que le tiers-état devait mettre sa confiance. Cet ordre, dès longtemps fatigué d'une autorité arbitraire et graduellement oppressive jusque dans ses derniers rameaux, avait sur les deux autres ordres, non seulement l'avantage du nombre, mais celui de l'ensemble, mais celui du courage et de l'audace à tout braver.
            " - Enfin, disait Chamfort, ce long amas d'impatience et d'indignation, formé comme un orage, et cet orage prêt à crever, partout la confédération et l'insurrection déclarées, et au signal donné par la province du Dauphiné, tout le royaume prêt à répondre par acclamation qu'il prétend être libre. Les provinces liguées, leur correspondance établie, et de Paris comme de leur centre, l'esprit républicain allant porter au loin sa chaleur avec sa lumière. Voilà l'état des choses. Sont-ce là des projets en l'air ?  "
            J'avouai qu'en spéculation tout cela était imposant. Mais j'ajoutai qu'au-delà des bornes d'une réforme désirable, la meilleure partie de la nation ne laisserait porter aucune atteinte aux lois de son pays, et aux principes fondamentaux de la monarchie.
            Il convint que dans ses foyers, à ses comptoirs, à ses bureaux, à ses ateliers d'industrie une bonne partie de ces citadins casaniers trouveraient peut-être hardis des projets qui pourraient troubler leur repos et leurs jouissances.
            " - Mais, s'ils les désapprouvent ce ne sera, dit-il, que timidement et sans bruit, et l'on a, pour leur en imposer cette classe déterminée qui ne voit rien pour elle à perdre au changement, et croit y voit tout à gagner.
            Pour l'ameuter on a les plus puissants mobiles, la disette, la faim, l'argent, des bruits d'alarme et d'épouvante, et le délire de frayeur et de rage dont on frappera ses esprits. Vous n'avez entendu parmi la bourgeoisie que d'élégants parleurs. Sachez que tous nos orateurs de tribune ne sont rien en comparaison des Démosthènes à un écu par tête, qui, dans les cabarets, dans les places publiques, dans les jardins et sur les quais, annoncent des ravages, des incendies, des villages saccagés, inondés de sang, des complots d'assiéger et d'affamer Paris. C'est là ce que j'appelle des hommes éloquents. L'argent surtout et l'espoir du pillage sont tout-puissants parmi ce peuple. Nous venons d'en faire l'essai au faubourg Saint-Antoine, et vous ne sauriez croire combien peu il en a coûté au duc d'Orléans pour faire saccager la manufacture de cet honnête Réveillon qui, dans ce même peuple, faisait subsister cent familles. Mirabeau soutient plaisamment qu'avec un millier de louis on peut faire une jolie sédition.                                  1080plus.com
              - Ainsi, lui dis-je, vos essais sont des crimes et vos milices sont des brigands.
              - Il le faut bien, me répondit-il tranquillement. Que feriez-vous de tout ce peuple en le muselant de vos principes de l'honnête et du juste ? Les gens de bien sont faibles, personnels et timides. Il n'y a que les vauriens qui soient déterminés. L'avantage du peuple, dans les révolutions, est de n'avoir point de morale. Comment tenir contre tous les hommes à qui tous les moyens sont bons ? Mirabeau a raison : il n'y a pas une seule de nos vieilles vertus qui puisse nous servir. Il n'en faut point au peuple, ou il lui en faut d'une autre trempe. Tout ce qui est nécessaire à la révolution, tout ce qui lui est utile est juste : c'est là le grand principe.
            - C'est peut-être celui du duc d'Orléans, répliquai-je, mais je ne vois que lui pour chef à ce peuple en insurrection, et je n'ai pas, je vous l'avoue, grande opinion de son courage.
             - Vous avez raison, me dit-il, et Mirabeau qui le connaît bien dit que ce serait bâtir sur de la boue que de compter sur lui.. Mais il s'est montré populaire, il porte un nom qui en impose, il a des millions à répandre, il déteste le roi, il déteste encore plus la reine. Et si le courage lui manque, on lui en donnera. Car, dans le peuple même on aura des chefs intrépides, surtout dès le moment qu'ils se seront montrés rebelles et qu'ils se croiront criminels. Car il n'y a plus à reculer, lorsqu'on n'a derrière soi pour retraite que l'échafaud. La peur, sans espérance de salut, est le vrai courage du peuple. On aura des forces immenses, si l'on peut obtenir une immense complicité. Mais, ajouta-t-il, je vois que mes espérances vous attristent. Vous ne voulez pas d'une liberté qui coûtera beaucoup d'or et de sang. Voulez-vous qu'on vous fasse des révolutions à l'eau rose ?
            Là finit l'entretien et nous nous séparâmes, lui sans doute plein de mépris pour mes minutieux scrupules, et moi peu satisfait de sa fière immoralité. Le malheureux s'en est puni en s'égorgeant lui-même, lorsqu'il a connu ses erreurs.
            Je fis part de cet entretien à l'abbé Maury le soir même.
            " - Il n'est que trop vrai, me dit-il, que dans leurs spéculations ils ne se trompent guère et que, pour trouver peu d'obstacles, la faction a bien pris son temps. J'ai observé les deux partis. Ma résolution est prise de périr sur la brèche. Mais je n'en ai pas moins la triste certitude qu'ils prendront la place d'assaut, et qu'elle sera mise au pillage.
              - S'il est ainsi, lui dis-je, quelle est donc la clémence du clergé et de la noblesse de laisser le roi s'engager dans cette guerre ?                                                                    
              - Que voulez-vous qu'ils fassent ?                                                   classtools.net
              - Ce qu'on fait dans un incendie. Je veux qu'ils fassent la part au feu. Qu'ils remplissent le déficit en se chargeant de la dette publique, qu'ils remettent à flot le vaisseau de l'Etat, enfin qu'ils retirent le roi du milieu des écueils où ils l'ont engagé eux-mêmes et, qu'à quelque prix que ce soit, ils obtiennent de lui de renvoyer les états-généraux avant qu'ils ne soient assemblés. Je veux qu'on leur annonce qu'ils sont perdus si les états s'assemblent et qu'il n'y a pas un moment à perdre pour dissiper l'orage qui va fondre sur eux. "
            Maury me fit des objections, je n'en voulus entendre aucune.
            " - Vous l'exigez, me dit-il, eh bien ! je vais faire cette démarche. Je ne serai point écouté. "
            Malheureusement il s'adressa à l'évêque D***, tête pleine de vent, lequel traita mes avis de chimères. Il répondit :
            " - qu'on n'en était pas où l'on croyait en être, et que l'épée dans une main, le crucifix dans l'autre, le clergé défendrait ses droits. "
            Libre de ma députation de l'Assemblée électorale, j'allai chercher dans ma maison de campagne le repos dont j'avais besoin, et par là je me dérobai à une société nouvelle qui se formait chez moi. Elle était composée de gens que je me serais plu à réunir dans des temps plus paisibles : c'était l'abbé de Périgord, récemment évêque d'Autun, le comte de Narbonne, et le marquis de La Fayette. Je les avais vus dans le monde aussi libres que moi d'intrigues et de soins, l'un d'un esprit sage, liant et doux, l'autre d'une gaîté vive, brillante, ingénieuse, le dernier d'une cordialité pleine d'agréments et de grâce, et tous les trois du commerce le plus aimable.
            Mais dans leurs rendez-vous chez moi, je vis leur humeur rembrunie d'une teinte de politique et, à quelques traits échappés, je soupçonnais des causes de cette altération dont mes principes ne s'accommodaient pas. Ils s'aperçurent comme moi que dans leurs relations et dans leurs conférences, ma maison n'était pas un rendez-vous pour eux. Ma retraite nous sépara.
            Les jours de la semaine où j'allais à l'Académie je couchais à Paris et je passais assez fréquemment les soirées chez M Necker. Là, me trouvant au milieu des ministres, je leur parlais à coeur ouvert de ce que j'avais vu et de ce que j'avais appris.Je les trouvais tout stupéfaits et comme ne sachant où donner de la tête.
Ce qui se passait à Versailles avait détrompé M Necker, et je le voyais consterné. Invité à dîner chez lui avec les principaux députés des communes, je crus remarquer, à l'air froid dont ils répondaient à ses attentions et à ses prévenances, qu'ils voulaient bien de lui pour leur intendant, mais non pas pour leur directeur.
            M de Montmorin, à qui je parlai d'engager le roi à se retirer dans l'une de ses places fortes et à la tête de ses armées, m'objecta le manque d'argent, la banqueroute, la guerre civile.
            " - Vous croyez donc, ajouta-t-il, le péril bien pressant pour aller si vite aux extrêmes ?
              - Je le crois si pressant, lui dis-je, que dans un mois d'ici, je ne répondrai plus ni de la liberté du roi, ni de sa tête, ni de la vôtre. "
            Hélas ! Chamfort m'avait rendu prophète. Mais je ne fus point écouté, ou plutôt je le fus par un ministre faible, qui lui-même ne le fut pas.

            Ce fut alors que s'éloigna de moi cet ami qui, dans les travaux et les périls de la tribune, avait si dignement rempli ses devoirs et mes espérances, et qui venait d'être appelé à Rome pour y être comblé d'honneurs, l'abbé Maury, cet homme d'un talent si rare et d'un courage égal à ce rare talent.
            En vous parlant de lui, je ne vous ai donné, mes enfant, que l'idée d'un bon ami, d'un homme aimable. Je dois vous le faire connaître en qualité d'homme public et tel que ses ennemis eux-mêmes n'ont pu s'empêcher de le voir, invariable dans les principes de la justice et de l'humanité, défenseur intrépide du trône et de l'autel, aux prises tous les jours avec les Mirabeau et les Barnave, en butte aux clameurs menaçantes du peuple des tribunes, exposé aux insultes et aux poignards du peuple du dehors, et assuré que les principes dont il plaidait la cause succomberaient sous le plus grand nombre. Tous les jours repoussé, tous les jours sous les armes, sans que la certitude d'être vaincu, le danger d'être lapidé, les clameurs, les outrages d'une populace effrénée l'eussent jamais ébranlé ni lassé. Il souriant aux menaces du peuple, il répondait par un mot plaisant ou énergique aux invectives des tribunes et revenait à ses adversaires avec un sang-froid imperturbable.......
            J'ai moi-même plus d'une fois été témoin qu'il dictait de mémoire le lendemain ce qu'il avait prononcé la veille..... Tel s'était montré l'homme qui a été constamment mon ami, qui l'est encore et le sera toujours......
         
            Par un pressentiment trop fidèle de ce qui allait se passer, ma femme me pressa de quitter cette maison de campagne, qu'elle avait tant aimée et d'aller chercher loin de Paris une retraite où, dans l'obscurité, nous pourrions respirer en paix.
            Nous ne savions où diriger nos pas. Le précepteur de nos enfants décida notre irrésolution. Ce fut lui qui nous assura qu'en Normandie, où il était né, nous trouverions sans peine un asile possible et sûr, mais il fallait du temps pour nous le procurer et, en arrivant à Evreux nous ne savions encore où reposer notre tête. Le maître de l'auberge où nous descendîmes avait à deux pas de la ville, dans le hameau de Saint-Germain, une maison assez jolie située au bord de l'Iton et à la porte des jardins de Navarre. Il nous l'offrit. Charmés de cette position ce fut là que nous nous logeâmes en attendant que, plus près de Gaillon, lieu natal de Charpentier, sa famille nous eût trouvé une demeure convenable..
            Si, dans l'état pénible où étaient nos esprits, un séjour pouvait être délicieux, celui-là l'eùt été pour nous, mais à peine étions-nous arrivés à Evreux que nous apprîmes l'épouvantable événement du 10 août

            Ce fut dans ces jours d'épouvante et de frémissement que vint loger auprès de nous, dans le hameau de Saint-Germain, un homme que je croyais m'être inconnu. Dans son déguisement j'eus tant de peine à me rappeler où j'avais pu le voir qu'il fut obligé de se nommer ; c'était Lorry, évêque d'Angers......
Résultat de recherche d'images pour "21 septembre 1789"            Nous voilà donc en société et en communauté de table comme il le désira lui-même, et, dans un meilleur temps, cette liaison fortuite nous aurait été réciproquement  agréable. Logés ensemble au bord d'une jolie rivière, dans la plus belle saison de l'année, ayant pour promenade des jardins enchantés et une superbe forêt, parfaitement d'accord dans nos opinions, dans nos goûts et dans nos principe..... mais toutes ces douceurs étaient empoisonnées par les chagrins dont nous étions continuellement abreuvés.                                     ***
            La Convention prit, le 21 septembre, la place de la législature. Son premier décret fut   l'abolition de la royauté.                      
            Cependant, au nom de la liberté républicaine, des colonnes de volontaires accouraient aux armes. Nous nous trouvions sur leur passage, et notre repos en était troublé. D'ailleurs l'approche de l'hiver rendait humide et malsain le lieu où nous étions. Il fallut le quitter, et ce ne fut pas sans regret que nous y laissâmes le bon évêque. Nous nous retirâmes, ma femme et moi, à Couvicourt.

            Tout confinés que nous étions dans notre chaumière d'Abloville, où nous avions passé en quittant Couvicourt, nous ne laissions pas de redouter un siècle si corrompu pour nos enfants, et nous employions tous nos soins à les prémunir d'une éducation salutaire et préservative lorsque la mort presque soudaine de leur fidèle instituteur vint ajouter à nos chagrins une affliction domestique qui acheva de nous accabler. Une fièvre pourprée, d'une extrême malignité, nous enleva cet excellent jeune homme. Nos enfants doivent se souvenir de la douleur que nous causa sa perte, et de la frayeur que nous eûmes des les voir exposés aux-mêmes à l'air contagieux d'une maladie pestilentielle.
            Nous ne savions que devenir votre mère et moi, et notre dernière ressource était d'aller chercher un refuge dans quelque hôtellerie de Vernon, lorsqu'on nous suggéra l'idée de demander l'asile à un vénérable vieillard qui, dans le village d'Aubevoie, peu éloigné du nôtre, habitait une maison assez considérable pour nous y loger tous, sans qu'il en fût incommodé. Cette circonstance de ma vie a quelque chose de romanesque..
            Le vieillard qui, touché de notre situation, s'empressa de nous accueillir, était l'un des religieux qu'on avait expulsés de la chartreuse voisine. Son nom était " don Hobora ".Il était plus âgé que moi. Ses moeurs rappelaient celles des solitaires de la Thébaïde...... Il se permettait rarement de dîner avec nous, mais une heures, l'après-midi et un peu plus longtemps le soir, il venait nous entretenir des grands objets qu'il méditait sans cesse, de la providence divine, de l'immortalité de l'âme, de la vie à venir, de la morale de l'Evangile...... Il nous releva de l'abattement où nous avait mis la mort du roi......
            L'adoucissement qu'un pieux solitaire pouvait trouver à sa situation en communiquant avec nous importuna le maire d'Aubevoie. Au bout de dix-hui jours il vint me faire entendre qu'il serait temps de nous retirer......
            .... Il fallait tâcher de nous accommoder à notre situation et, s'il était possible, vivre aussi  honorablement dans la détresse que nous avions vécu dans l'abondance. L'épreuve était pénible. Mes places littéraires étaient supprimées, l'Académie française allait être détruite ( * 10 août 1793 ), la pension d'homme de lettres qui était le fruit de mes travaux, n'était plus d'aucune valeur. Le seul bien modique qui me restât était cette modique ferme de Paray que la sage prévoyance de ma femme m'avait fait acquérir. Il avait fallu mettre bas ma voiture et renvoyer jusqu'au domestique dont ma vieillesse aurait eu besoin. Mais dans cette masure, où nous avions à peine l'indispensable nécessaire, ma femme avait le bon esprit et l'art de restreindre notre dépense...... Le soin que je donnais à l'instruction de nos enfants et la tendre part que prenait leur mère..... L'orage passe sur leur tête, disions-nous en leur souriant, et nous avions pour eux l'espérance d'un temps plus calme et plus serein.......
       
            Tant que mon imagination put me distraire par d'amusantes rêveries, je fis de nouveaux Contes, moins enjoués...... un peu plus philosophiques..... Lorsque ces songes me manquèrent je fis usage de ma raison, et j'essayai de mieux employer le temps de ma retraite et de ma solitude en composant, pour l'instruction de mes enfants, un Cours élémentaire en petits Traités de Grammaire, de Logique, de Métaphysique et de Morale, où je recueillis avec soin ce que j'avais appris dans mes lectures en divers genres, pour en transmettre les fruits.
            Quelquefois, pour les égayer ou pour les instruire d'exemples, j'employais nos soirées d'hiver à leur raconter, au coin du feu, de petites aventures de ma jeunesse, et ma femme, s'apercevant que ces récits les intéressaient, me pressa d'écrire pour eux les événement de ma vie.
            Ce fut ainsi que je fus engagé à écrire ces volumes de mes Mémoires. J'avouerai bien, comme Mme de Stael, que je ne m'y suis peint qu'en buste, mais j'écrivais pour mes enfants.
            Ces souvenirs étaient pour moi un soulagement véritable, en ce qu'ils effaçaient au moins pour des moments, les tristes images du présent par les doux songes du passé.


*        lefigaro.fr
**      tempsreel.nouvelobs.com
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                                                       fin des Mémoires d'un père

                                                                                                      Marmontel