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jeudi 19 mai 2022

Brassens Jeanne et Joha Maryline Martin ( Document France )











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                                                             Brassens Jeanne et Joha 

            Il aurait fêté un siècle de vie quelques mois plus tôt. Né le 2 octobre 1921, à Sète. La guerre le surprit à Paris où il commença à produire textes et musique grattée sur sa guitare. Il trouva le gîte chez une parente, et entre Plaisance et Alésa rencontra Jeanne, sa Jeanne, la Jeanne de la chanson, et la bibliothèque du 14è  arrondissement qu'il fréquenta assidument. Jeanne, son aînée de quelques décennies, le cacha, le nourrit, fut sa mère, sa compagne, dans l'inconfort du logement et la sévérité du rationnement. A la sortie du métro Alésia il croisa Joha, mais ils ne se parlèrent que passées les années de guerre. Joha était juive, estonienne. La vie fut difficile pour elle. De plus elle dut s'accommoder du partage, Brassens ne quitta jamais Jeanne et les copains des premières années de galère. Puis, alors qu'il pensait qu'un chanteur choisirait certaines de ses chansons, Patachou la première lui offrit de chanter dans son cabaret, à Montmartre. Elle-même enregistra, entre autres, Les bancs publics. Acceptés enfin, textes et musique, ce fut le début des tournées. Et d'une première maladie. Victime de coliques néphritiques. Les calculs ne le lâchèrent qu'après avoir subi des opérations. Joha et Jeanne surmontèrent l'épisode Patachou, se contentant de se jalouser l'une l'autre, c'est ainsi que décrit l'auteur dans la présentation de la vie d'inoubliables chansons. Vie romancée mais très proche de la réalité. Brassens enregistre, radio RTL, Europe 1, tourne Porte des Lilas et s'installe à la campagne dans un premier temps, puis s'éloigne et achète Lézardrieux, pas très éloigné de Paimpol chère à Jeanne. Avec Joha, mais chambres séparées, chacun ses aises et ses moments de solitude. Et malgré l'air marin et l'amour de ceux qu'il a chantés, Les copains d'abord, la maladie sournoise, un cancer, eut raison de celui que les femmes en particulier décrivaient comme grand, fort. Il souffrit beaucoup. Il mourut le 29 octobre 1981. Dix-huit ans plus tard celle qu'il appelait Püpchen, Joha, mourut à son tour et fut enterrée dans le caveau des Brassens, à Sète, au cimetière du Py, qui n'est pas celui du bord de mer. Bonne lecture, bonnes musiques. Souvenirs heureux d'un chanteur bon homme, et textes devenus des classiques Agréable lecture malgré les souffrances que nombre de personnages qui vécurent dans son entourage étaient blessés 








jeudi 16 septembre 2021

Les aventures de l'infortuné marrane Juan de Figueras Jean-Pierre Gattegno ( Roman France )


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                                       Les aventures de l'infortuné marrane Juan de Figueras

            Un roman d'aventures. De Séville à Madrid, passant par Tolède et Malaga et quantité d'autres petites villes et villages, Juan de Figueras sauvé de l'Inquisition, nous sommes en XVII è siècle, par des parents prévoyant les massacres de juifs en particulier ici, mais aussi de musulmans, par le roi Philip II qui voulait une Espagne catholique, est placé au Collège du Saint Sacrement à Valence, contre une somme confortable. Fils de marranes, Juan est élevé dans la religion catholique, ses parents convertis au catholicisme ont néanmoins conservé une petite partie de ce logement de famille fortunée ( importations de meubles, objets et autres provenant des Indes ) fermée à clef. Les enfants ni les domestiques, hormis Filogeno, n'y eurent jamais accès. Le vendredi soir on entendait quelque bruit et chant, bruits sourds. Juan est donc interné dans ce collège, de mauvaise réputation, le père supérieur reçoit surtout les ducats, mais Juan se prépare à la prêtrise. Et apprend toutes les traitrises. Du mensonge au vol et à la sexualité. Un jour, il s'enfuit, revêtu de la robe de prêtre, décidé à retourner chez lui, à Seville. A pied, évidemment, mendiant il s'arrête parfois devant l'église et reçoit la soupe du pauvre, toujours ignorant de la véritable religion de sa famille. Mais il apprend toutes les traitrises auprès de compagnons de hasard qui parfois font route avec lui. Le vol, la lutte pour un pain, et surtout la délation. Son habit l'oblige à d'étranges pactes pour sauver sa vie, fréquemment traité de marrane, arrêté par un Inquisiteur. Il ne sauve pas l'étoile de David que sa mère avait accrochée à son cou, pourtant plus tard grâce aux initiales JF, un fil ténu que Filogeno suivra pour le retrouver. Beaucoup, beaucoup de méchanceté, de nombreux tueurs croisent sa route, qui ne mène pas toujours à Séville, et un personnage important, Pepe, joueur de bonneteau, Tres cartas, chef d'une bande de gangsters. Juan, malgré ses efforts, s'étant fait voler les quelques maravédis gagnés, et sa mule, accepte d'intégrer l'équipe de malfrats. Il ajoute alors le meurtre, les assassinats. Tout cela avec la crainte des arrestations, des tortures très craintes de la population, chacun dénonçant sans vergogne et sans preuve, juifs et musulmans. L'inquisition fait des ravages. L'Espagne s'appauvrit, beaucoup quittent un pays qu'ils aiment, vont à Salonique, sous gouvernance ottomane. 400 pages de cavale à pied, dans la neige et sous un soleil ardent, des chapitres courts. L'auteur est Juan, nous sommes Juan, un peu essoufflés. Plusieurs livres de l'auteur, Jean-Pierre Gattegno, ont été adaptés pour le cinéma, celui-ci paru en 1918 est drôle, lucide, facile.










jeudi 27 février 2020

Poil de Carotte , 14 Fin La Tempête de feuilles - La Révolte Le mot de la fin Jules Renard ( Roman France )

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julesrenard.fr

 
                                                  La tempête de feuilles

            Il y a longtemps que Poil de Carotte, rêveur, observe la plus haute feuille du grand peuplier.
            Il songe creux et attend qu'elle remue.
            Elle semble détachée de l'arbre, vivre à part, seule, sans queue, libre.
            Chaque jour, elle se dore au premier et au dernier rayon du soleil.
            Depuis midi, elle garde une immobilité de morte, plutôt tâche que feuille, et Poil de Carotte perd patience, mal à son aise, lorsque enfin, elle fait signe.                    voyagerloin.com 
            Au-dessous d'elle, une feuille proche fait le même signe. D'autres feuilles le répètent, le communiquent aux feuilles voisines qui le passent rapidement.
            Et c'est un signe d'alarme, car, à l'horizon, paraît l'ourlet d'une calotte brune.
            Le peuplier déjà frissonne ! Il tente de se mouvoir, de déplacer les pesantes couches d'air qui le gênent.
            Son inquiétude gagne le hêtre, un chêne, des marronniers, et tous les arbres du jardin s'avertissent, par gestes, qu'au ciel, la calotte s'élargit, pousse en avant sa bordure nette et sombre.
Résultat de recherche d'images pour "steinlen poil de carotte" *          D'abord, ils excitent leurs branches minces et font taire les oiseaux, le merle qui lançait une note au hasard, comme un pois cru, la tourterelle que Poil de Carotte  voyait tout à l'heure, verser, par saccades, les roucoulements de sa gorge peinte et la pie insupportable avec sa queue de pie.
            Puis ils mettent leurs grosses tentacules en branle pour effrayer l'ennemi.
            La calotte livide continue son invasion lente.
            Elle voûte peu à peu le ciel. Elle refoule l'azur, bouche les trous qui laisseraient pénétrer l'air, prépare l'étouffement de Poil de Carotte. Parfois, on dirait qu'elle faiblit sous son propre poids et va tomber sur le village : mais elle s'arrête à la pointe du clocher, dans la crainte de s'y déchirer.
            La voilà si près que, sans autre provocation, la panique commence, les clameurs s'élèvent.
            Les arbres mêlent leurs masses confuses et courroucées au fond desquelles Poil de Carotte imagine des nids pleins d'yeux ronds et des becs blancs. Les cimes plongent et se redressent comme des têtes brusquement réveillées. Les feuilles s'envolent par bandes, reviennent aussitôt, peureuses, apprivoisées, et tâchant de se raccrocher. Celles de l'acacia, fines, soupirent ; celles du bouleau écorché se plaignent ; celles du marronnier sifflent, et les aristoloches grimpantes clapotent en se poursuivant sur le mur.
            Plus bas, les pommiers trapus secouent leurs pommes, frappent le sol de coups sourds.
            Plus bas, les groseilliers saignent des gouttes rouges, et les cassis des gouttes d'encre.
           Et plus bas, les choux ivres agitent leurs oreilles d'âne et les oignons montés se cognent entre eux, cassent leurs boules gonflées de graines.
            Pourquoi ? Qu'ont-ils donc ? Et qu'est-ce que cela veut dire ? Il ne tonne pas. Il ne grêle pas. Ni u**n éclair, ni une goutte de pluie. Mais c'est le noir orageux d'en haut, cette nuit silencieuse au milieu du jour qui les affole, qui épouvante Poil de Carotte.
            Maintenant, la calotte s'est toute déployée sous le soleil masqué.
Résultat de recherche d'images pour "aristoloches"  **        Elle bouge, Poil de Carotte le sait ; elle glisse et, faite de nuages mobiles, elle fuira : il reverra le soleil. Pourtant, bien qu'elle plafonne le ciel entier, elle lui serre la tête, au front. Il ferme les yeux et elle lui bande douloureusement les paupières.
            Il fourre aussi ses doigts dans ses oreilles. Mais la tempête entre chez lui, du dehors, avec ses cris, son tourbillon.
            Elle ramasse son coeur comme un papier de rue.
            Elle le froisse, le chiffonne, le roule, le réduit.
            Et Poil de Carotte n'a bientôt plus qu'une boulette de coeur.

*           montmartre-secret.com
**         google.fr


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                                                                                                                    .sculpturepublique.be
Image associée                                                          La Révolte

                                                               I

                                                     Madame Lepic
            - Mon petit Poil de Carotte chéri, je t'en prie, tu serais bien mignon d'aller me chercher une livre de beurre au moulin. Cours vite. On t'attendra pour se mettre à table.
                                                     Poil de Carotte
            - Non, maman.
                                                     Madame Lepic
            - Pourquoi réponds-tu : non, maman ? Si, nous t'attendrons.
                                                     Poil de Carotte
            - Non, maman, je n'irai pas au moulin.
                                                      Madame Lepic
            - Comment ! tu n'iras pas au moulin ? Que dis-tu ? Qui te demande ?... Est-ce que tu rêves ?
                                                    Poil de Carotte
            - Non, maman.
                                                     Madame Lepic
            - Voyons, Poil de Carotte, je n'y suis plus. Je t'ordonne d'aller tout de suite chercher une livre de beurre au moulin.
                                                    Poil de Carotte
            - J'ai entendu. Je n'irai pas.
                                                     Madame Lepic
            - C'est donc moi qui rêve ? Que se passe-t-il ? Pour la première fois de ta vie, tu refuses de m'obéir.
                                                     Poil de Carotte
            - Oui, maman.
                                                    Madame Lepic
            - Tu refuses d'obéir à ta mère.
                                                    Poil de Carotte
            -  A ma mère, oui, maman.
                                                    Madame Lepic
            - Par exemple, je voudrais voir ça. Fileras-tu ?
                                                    Poil de Carotte
            - Non, maman.
                                                    Madame Lepic
            - Veux-tu te taire et filer ?
                                                   Poil de Carotte
            - Je me tairai, sans filer.
                                                  Madame Lepic
            - Veux-tu te sauver avec cette assiette ?

                                                              II

            Poil de Carotte se tait, et il ne bouge pas.                                        etsy.com
Résultat de recherche d'images pour "beurre beurrier"            - Voilà une révolution ! s'écrie Mme Lepic sur l'escalier levant les bras.
            C'est, en effet, la première fois que Poil de Carotte lui dit non. Si encore elle le dérangeait ! S'il avait été en train de jouer ! Mais, assis par terre, il tournait ses pouces, le nez au vent, et il fermait les yeux pour les tenir au chaud. Et maintenant il la dévisage, tête haute, Elle n'y comprend rien. Elle appelle comme au secours.
            - Ernestine, Félix, il y a du neuf ! Venez voir avec votre père et Agatha aussi. Personne ne sera de trop.
            Et même, les rares passants de la rue peuvent s'arrêter.
            Poil de Carotte se tient au milieu de la cour, à distance, surpris de s'affermir en face du danger, et plus étonné que Mme Lepic oublie de le battre. L'instant est si grave qu'elle perd ses moyens. Elle renonce à ses gestes habituels d'intimidation, au regard aigu et brûlant comme une pointe rouge. Toutefois, malgré ses efforts, les lèvres se décollent à la pression d'une rage intérieure qui s'échappe avec un sifflement.
            - Mes amis, dit-elle, je priais poliment Poil de Carotte de me rendre un léger service, de pousser, en se promenant, jusqu'au moulin. Devinez ce qu'il m'a répondu ; interrogez-le, vous croirez que j'invente.
            Chacun devine et son attitude dispense Poil de Carotte de répéter.
            La tendre Ernestine s'approche et lui dit bas à l'oreille :
            - Prends garde, il t'arrivera malheur. Obéis, écoute ta soeur qui t'aime.
            Grand frère Félix se croit au spectacle. Il ne céderait sa place à personne. Il  ne réfléchit point que si Poil de Carotte se dérobe désormais, une part des commissions reviendra de droit au frère aîné
il l'encouragerait plutôt. Hier, il le méprisait, le traitait de poule mouillée. Aujourd'hui, il l'observe en égal et le considère. Il gambade et s'amuse beaucoup.
            - Puisque c'est la fin du monde renversé, dit Mme Lepic atterrée, je ne m'en mêle plus. Je me retire. Qu'un autre prenne la parole et se charge de dompter la bête féroce. Je laisse en présence le fils et le père. Qu'ils se débrouillent.
            - Papa, dit Poil de Carotte, en pleine crise et d'une voix étranglée, car il manque encore d'habitude, si tu exiges que j'aille chercher cette livre de beurre au moulin, j'irai pour toi, pour toi seulement. Je refuse d'y aller pour ma mère.
            Il semble que M. Lepic soit plus ennuyé que flatté de cette préférence. Ça le gêne d'exercer ainsi son autorité, parce qu'une galerie l'y invite, à propos d'une livre de beurre.
            Mal à l'aise, il fait quelques pas dans l'herbe, hausse les épaules, tourne le dos et rentre à la maison.
            Provisoirement l'affaire en reste là.

                                                          Le mot de la fin

            Le soir, après le dîner où Mme Lepic, malade et couchée, n'a point paru, où chacun s'est tu, non seulement par habitude, mais encore par gêne, M. Lepic noue sa serviette qu'il jette sur la table et dit :
            - Personne ne vient se promener avec moi jusqu'au baquignon, sur la vieille route ?
            Poil de Carotte comprend que M. Lepic a choisi cette manière de l'inviter. Il se lève aussi, porte sa chaise vers le mur, comme toujours, et il suit docilement son père.
            D'abord ils marchent silencieux. La question inévitable ne vient pas tout de suite. Poil de Carotte, en son esprit, s'exerce à la deviner et à lui répondre. Il est prêt. Fortement ébranlé, il ne regrette rien. Il a eu dans sa journée une telle émotion qu'il n'en craint pas de plus forte. Et le son de voix même de M. Lepic qui se décide le rassure.
                                                        Monsieur Lepic
            - Qu'est-ce que tu attends pour m'expliquer ta dernière conduite qui chagrine ta mère ?
                                                         Poil de Carotte
            - Mon cher papa, j'ai longtemps hésité, mais il faut en finir. Je l'avoue : je n'aime plus maman.                                                          Monsieur Lepic
            - Ah ! A cause de quoi ? Depuis quand ?
                                                         Poil de Carotte
            - A cause de tout. Depuis que je la connais.
                                                        Monsieur Lepic
            - Ah ! c'est malheureux, mon garçon ! Au moins, raconte-moi ce qu'elle t'a fait.
                                                         Poil de Carotte
            - Ce serait long. D'ailleurs, ne t'aperçois-tu de rien ?
                                                         Monsieur Lepic                                 studiomassoba.wordpress.com
Résultat de recherche d'images pour "poulbot triste"            - Si. J'ai remarqué que tu boudais souvent.
                                                          Poil de Carotte                                    
            - Ça m'exaspère qu'on dise que je boude. Naturellement, Poil de Carotte ne peut garder une rancune sérieuse. Il boude. Laissez-le. Quand il aura fini, il sortira de son coin, calmé, déridé. Surtout n'ayez pas l'air de vous occuper de lui. C'est sans importance.
            Je te demande pardon, mon papa, ce n'est important que pour les père et mère et les étrangers. Je boude quelquefois, j'en conviens, pour la forme, mais il arrive aussi, je t'assure, que je rage énergiquement de tout mon coeur, et je n'oublie plus l'offense.
                                                           Monsieur Lepic
            - Mais si, mais si, tu oublieras ces taquineries.
                                                            Poil de Carotte
            - Mais non, mais non. Tu ne sais pas tout, toi, Tu restes si peu à la maison.
                                                            Monsieur Lepic
            - Je suis obligé de voyager.
                                                            Poil de Carotte ( avec suffisance )     
            - Les affaires son les affaires, mon papa. Tes soucis t'absorbent, tandis que maman, c'est le cas de le dire, n'a pas d'autre chien que moi à fouetter. Je me garde de m'en prendre à toi. Certainement je n'aurais qu'à moucharder, tu me protégerais. Peu à peu, puisque tu l'exiges, je te mettrai au courant du passé. Tu verras si j'exagère et si j'ai de la mémoire. Mais déjà, mon papa, je te prie de me conseiller.
            Je voudrais me séparer de ma mère.
            Quel serait à ton avis, le moyen le plus simple ?
                                                             Monsieur Lepic
            - Tu ne la vois que deux mois par an, aux vacances.
                                                              Poil de Carotte
           - Tu devrais me permettre de les passer à la pension. J'y progresserais.
                                                             Monsieur Lepic
            - C'est une faveur réservée aux élèves pauvres. Le monde croirait que je t'abandonne. D'ailleurs, ne pense pas qu'à toi. En ce qui me concerne, ta société me manquerait.
                                                              Poil de Carotte
            - Tu viendrais me voir, papa.
                                                              Monsieur Lepic
            - Les promenades pour le plaisir coûtent cher, Poil de Carotte.
                                                              Poil de Carotte
           - Tu profiterais de tes voyages forcés. Tu ferais un petit détour.
                                                              Monsieur Lepic
           - Non. Je t'ai traité jusqu'ici comme ton frère et ta soeur, avec le soin de ne privilégier personne. Je continuerai.
                                                                Poil de Carotte
            - Alors, laissons mes études. Retire-moi de la pension, sous prétexte que j'y vole ton argent, et je choisirai un métier.
                                                               Monsieur Lepic
            - Lequel ? Veux-tu que je te place comme apprenti chez un cordonnier, par exemple ?
                                                               Poil de Carotte
            - Là ou ailleurs. Je gagnerais ma vie et je serais libre.
                                                               Monsieur Lepic
            - Trop tard, mon pauvre Poil de Carotte. Me suis-je imposé pour ton instruction de grands sacrifices, afin que tu cloues des semelles ?
                                                                Poil de Carotte
            - Si pourtant je te disais, papa, que j'ai essayé de me tuer.
                                                                Monsieur Lepic 
           - Tu charges ! Poil de Carotte.
                                                                                      Poil de Carotte                                                        unifrance.org
Image associée          - Je te jure que pas plus tard qu'hier, je voulais encore me pendre.
                                                                Monsieur Lepic
         - Et te voilà. Donc, tu n'en avais guère envie. Mais au souvenir de ton suicide manqué, tu dresses fièrement la tête. Tu t'imagines que la mort n'a tenté que toi. Poil de Carotte, l'égoïsme te perdra. Tu tires toute la couverture. Tu te crois seul dans l'univers.
                                                                 Poil de Carotte
          - Papa, mon frère est heureux, ma soeur est heureuse, et si maman n'éprouve aucun plaisir à me taquiner, comme tu dis, je donne ma langue au chat. Enfin, pour ta part, tu domines et on te redoute, même ma mère. Elle ne peut rien contre ton bonheur. Ce qui prouve qu'il y a des gens heureux parmi l'espèce humaine.
                                                                 Monsieur Lepic     
           - Petite espèce humaine à tête carrée, tu raisonnes pantoufle. Vois-tu clair au fond des coeurs ? Comprends-tu déjà toutes les choses ?
                                                                Poil de Carotte
          - Mes choses à moi, oui, papa ; du moins je tâche.
                                                                Monsieur Lepic
          - Alors, Poil de Carotte, mon ami, renonce au bonheur. Je te préviens, tu ne seras jamais plus heureux que maintenant, jamais, jamais.
                                                                Poil de Carotte
          - Ça promet.
                                                                Monsieur Lepic
          - Résigne-toi, blinde-toi, jusqu'à ce que majeur et ton maître, tu puisses t'affranchir, nous renier et changer de famille, sinon de caractère et d'humeur. D'ici là, essaie de prendre le dessus, étouffe ta sensibilité et observe les autres, ceux même qui vivent le plus près de toi, tu t'amuseras ; je te garantis des surprises consolantes.
                                                                 Poil de Carotte
           - Sans doute, les autres ont leurs peines. Mais je les plaindrai demain. Je réclame aujourd'hui la justice pour mon compte. Quel sort ne serait préférable au mien ? J'ai une mère. Cette mère ne m'aime pas et je ne l'aime pas.
          - Et moi, crois-tu que je l'aime ? dit avec brusquerie M. Lepic impatienté.
         A ces mots, Poil de Carotte lève les yeux vers son père. Il regarde longuement son visage dur, sa barbe épaisse où la bouche est rentrée comme honteuse d'avoir trop parlé, son front plissé, ses pattes d'oie et ses paupières baissées qui lui donnent l'air de dormir en marche.
          Un instant Poil de Carotte s'empêche de parler. Il a peur que sa joie secrète et cette main qu'il saisit et qu'il garde presque de force, tout ne s'envole.
          Puis il ferme le poing, menace le village qui s'assoupit là-bas dans les ténèbres, et il lui crie avec emphase :
          - Mauvaise femme ! te voilà complète. Je te déteste.
          - Tais-toi, dit M. Lepic, c'est ta mère, après tout.
          - Oh ! répond Poil de Carotte redevenu simple et prudent, je ne dis pas ça parce que c'est ma mère.


                                                                      Fin


                                      de Poil de Carotte paru en 1894    

                                                               Jules Renard
               
                                                               

         
             
                                                   

                                                                             

                                                                             
            

mercredi 26 février 2020

Poil de Carotte 13 La pièce d'argent - Les idées personnelles Jules Renard ( Roman France )

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                                                   La pièce d'argent

                                                          I

                                        Madame Lepic
            -Tu n'as rien perdu, Poil de Carotte ?
                                         Poil de Carotte
             - Non, maman.
                                         Madame Lepic
            - Pourquoi dis-tu non, tout de suite, sans savoir ? Retourne d'abord tes poches.
                                         Poil de Carotte
            Il tire les doublures de ses poches et les regarde pendre comme des oreilles d'âne.
            - Ah ! oui, maman ! Rends-le moi.
                                        Madame Lepic
            - Rends-moi quoi ? Tu as donc perdu quelque choses ? Je te questionnais au hasard et je devine ! Qu'est-ce que tu as perdu ?
                                         Poil de Carotte
            - Je ne sais pas.
                                        Madame Lepic
            - Prends garde ! tu vas mentir. Déjà tu divagues comme une ablette étourdie. Réponds lentement. Qu'as-tu perdu ? Est-ce ta toupie ?
                                        Poil de Carotte
            - Juste. Je n'y pensais plus. C'est ma toupie, oui, maman.
                                        Madame Lepic
            - Non, maman. Ce n'est pas ta toupie. Je te l'ai confisquée la semaine dernière.
                                        Poil de Carotte
            - Alors, c'est mon couteau.
                                        Madame Lepic
            - Quel couteau ? Qui t'a donné un couteau ?
                                        Poil de Carotte
            - Personne.
                                        Madame Lepic
            - Mon pauvre enfant, nous n'en sortirons plus. On dirait que je t'affole. Pourtant nous sommes seuls. Je t'interroge doucement. Un fils qui aime sa mère lui confie tout. Je parie que tu as perdu ta pièce d'argent. Je n'en sais rien, mais j'en suis sûre. Ne nie pas. Ton nez remue.
                                         Poil de Carotte
            - Maman, cette pièce m'appartenait. Mon parrain me l'avait donnée dimanche. Je la perds ; tant pis pour moi. C'est contrariant, je me consolerai. D'ailleurs je n'y tenais guère. Une pièce de plus ou de moins !
                                        Madame Lepic
            - Voyez-vous ça, péroreur ! Et je t'écoute, moi, bonne femme. Ainsi tu comptes pour rien la peine de ton parrain qui te gâte tant et qui sera furieux ?
                                        Poil de Carotte
            - Imaginons, maman, que j'ai dépensé ma pièce, à mon goût. Fallait-il seulement la surveiller toute ma vie.
                                         Madame Lepic
            - Assez, grimacier ! Tu ne devais ni perdre cette pièce, ni la gaspiller sans permission. Tu ne l'as plus ; remplace-la, trouve-la, fabrique-la, arrange-toi. Trotte et ne raisonne pas.
                                       Poil de Carotte
            - Oui, maman.
                                      Madame Lepic
            - Et je te défends de dire " oui, maman " , de faire l'original ; et gare à toi, si je t'entends chantonner, siffler entre tes dents, imiter le charretier sans souci. Ça ne prend jamais avec moi.

 .gilray.ca                                                      II
Image associée
            Poil de Carotte se promène à petits pas dans les allées du jardin. Il gémit. Il cherche un peu et renifle souvent. Quand il sent que sa mère l'observe, il s'immobilise ou se baisse et fouille du bout des doigts l'oseille, le sable fin. Quand il pense que Mme Lepic a disparu, il ne cherche plus. Il continue de marcher, pour la forme, le nez en l'air.
            Ou diable, peut-elle être, cette pièce d'argent ? Là-haut, sur l'arbre, au creux d'un vieux nid ?
            Parfois des gens distraits qui ne cherchent rien, trouvent des pièces d'or. On l'a vu. Mais Poil de Carotte se traînerait par terre, userait ses genoux et ses ongles, sans ramasser une épingle.
            Las d'errer, d'espérer il ne sait quoi, Poil de Carotte jette sa langue au chat et se décide à rentrer dans la maison, pour prendre l'état de sa mère. Peut-être qu'elle se calme, et que si la pièce reste introuvable, on y renoncera.
            Il ne voit pas Mme Lepic. Il l'appelle, timide.
            - Maman, eh! maman !
            Elle ne répond point. Elle vient de sortir et elle a laissé ouvert le tiroir de la table à ouvrage. Parmi les laines, les aiguilles, les bobines blanches, rouges ou noires, Poil de Carotte aperçoit quelques pièces d'argent.
            Elles semblent vieillir là. Elles ont l'air d'y dormir, rarement réveillées, poussées d'un côté à l'autre, mêlées et sans nombre.
            Il y en a aussi bien trois que quatre, aussi bien huit. On les compterait difficilementr. Il faudrait renverser le tiroir, secouer les pelotes. Et puis comment faire la preuve ?
            Avec cette présence d'esprit qui ne l'abandonne que dans les grandes occasions, Poil de Carotte, résolu, allonge le bras, vole une pièce et se sauve.
            La peur d'être surpris lui évite des hésitations, des remords, un retour périlleux vers la table à ouvrage.
            Il va droit, trop lancé pour s'arrêter, parcourt les allées, choisit sa place, y " perd " la pièce, l'enfonce d'un coup de talon, se couche à plat ventre, et le nez chatouillé par les herbes, il rampe selon sa fantaisie, il décrit des cercles irréguliers, comme on tourne, les yeux bandés, autour de l'objet caché, quand la personne qui dirige les jeux innocents se frappe anxieusement les mollets et s'écrie :
            - Attention ! ça brûle, ça brûle !

                                                       III

                                        Poil de Carotte
            - Maman, maman, je l'ai.
                                        Madame Lepic
            - Moi aussi.
                                        Poil de Carotte 
            - Comment ? La voilà.
                                       Madame Lepic
            - La voici.
                                       Poil de Carotte
            - Tiens ! fais voir.
                                      Madame Lepic
            - Fais voir, toi.
                                      Poil de Carotte                                                              canalacademie.com
Image associée            Il montre sa pièce, Mme Lepic montre la sienne. Poil de Carotte les manie, les compare et apprête sa phrase.
            - C'est drôle. Où l'as-tu retrouvée, toi, maman ? Moi, je l'ai retrouvée dans cette allée, au pied du poirier. J'ai marché vingt fois dessus, avant de la voir. Elle brillait. J'ai cru d'abord que c'était un morceau de papier, ou une violette blanche. Je n'osais pas la prendre. Elle sera tombée de ma poche, un jour que je me roulais sur l'herbe, faisant le fou. Penche-toi, maman, regarde l'endroit où la sournoise se cachait, son gîte. Elle peut se vanter de m'avoir causé du tracas.
                                      Madame Lepic
            - Je ne dis pas non.
            Moi je l'ai retrouvée dans un autre paletot. Malgré mes observations, tu oubliais encore de vider tes poches, quand tu changes d'effets. J'ai voulu te donner une leçon d'ordre. Je t'ai laissé chercher pour t'apprendre. Or, il faut croire que celui qui cherche trouve toujours, car maintenant tu possèdes deux pièces d'argent au lieu d'une seule. Te voilà cousu d'or. Tout est bien qui finit bien, mais je te préviens que l'argent ne fait pas le bonheur.
                                      Poil de Carotte
            - Alors, je peux aller jouer, maman ?
                                     Madame Lepic
            - Sans doute. Amuse-toi, Tu ne t'amuseras jamais plus jeune. Emporte tes deux pièces.
                                    Poil de Carotte   
            - Oh ! maman, une me suffit, et même je te prie de me la serrer jusqu'à ce que j'en aie besoin. Tu seras gentille.
                                   Madame Lepic
            - Non, les bons comptes font les bons amis. Garde tes pièces. Les deux t'appartiennent, celle de ton parrain et l'autre, celle du poirier, à moins que le propriétaire ne la réclame. Qui est-ce ? Je me creuse la tête. Et toi, as-tu une idée ?
                                    Poil de Carotte
            - Ma foi non et je m'en moque. J'y songerai demain. A tout à l'heure, maman, et merci.
                                   Madame Lepic
            - Attends ! si c'était le jardinier ?
                                  Poil de Carotte
            - Veux-tu que j'aille vite le lui demander ?
                                  Madame Lepic
            - Ici, mignon, aide-moi. Réfléchissons. On ne saurait soupçonner ton père de négligence, à son âge. Ta soeur met ses économies dans sa tirelire. Ton frère n'a pas le temps de perdre son argent, un sou fond entre ses doigts.
            Après tout, c'est peut-être moi.
                                 Poil de Carotte
            - Maman, ça m'étonnerait ; tu ranges si soigneusement tes affaires.
                                Madame Lepic
            - Des fois les grandes personnes se trompent comme les petites. Bref, je verrai. en tout cas ceci ne concerne que moi. N'en parlons plus. Cesse de t'inquiéter ; cours jouer, mon gros, pas trop loin, tandis que je jetterai un coup d'oeil dans le tiroir de ma table à ouvrage.
            Poil de Carotte qui s'élançait déjà, se retourne, il suit un instant sa mère qui s'éloigne. Enfin, brusquement, il la dépasse, se campe devant elle et, silencieux, offre une joue.
            Mme Lepic sa main droite levée, menace ruine.
            Je te savais menteur, mais je ne te croyais pas de cette force. Maintenant, tu mens double. Va toujours, on commence par voler un oeuf. Ensuite on vole un boeuf. Et puis on assassine sa mère.
            La première gifle tombe.


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                                            Les idées personnelles                  roussard.com
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            M. Lepic, grand frère Félix, soeur Ernestine et Poil de Carotte veillent près de la cheminée où brûle une souche avec ses racines, et les quatre chaises se balancent sur leurs pieds de devant. On discute et Poil de Carotte, pendant que Mme Lepic n'est pas là, développe des idées personnelles.
            - Pour moi, dit-il, les titres de famille ne signifient rien. Ainsi, papa, tu sais comme je t'aime ! or, je t'aime, non parce que tu es mon père ; je t'aime, parce que tu es mon ami. En effet, tu n'as aucun mérite à être mon père, mais je regarde ton amitié comme une haute faveur que tu ne me dois pas et que tu m'accordes généreusement.
            - Ah ! répond M. Lepic.
            - Et moi, et moi ? demandent grand frère Félix et soeur Ernestine.
            - C'est la même chose, dit Poil de Carotte. Le hasard vous a faits mon frère, et ma soeur. Pourquoi vous en serais-je reconnaissant ? A qui la faute, si nous sommes tous trois des Lepic ? Vous ne pouviez l'empêcher. Inutile que je vous sache gré d'une parenté involontaire. Je vous remercie seulement, toi, frère, de ta protection, et toi, soeur, de tes soins efficaces.
            - A ton service, dit grand frère Félix.
            - Où va-t-il chercher ces réflexions d'un autre monde ? dit soeur Ernestine.
            - Et ce que je dis, ajoute Poil de Carotte, je l'affirme d'une manière générale, j'évite les personnalités, et si maman était là, je le répéterais en sa présence.
            - Tu ne le répéterais pas deux fois, dit grand frère Félix.
            - Quel mal vois-tu à mes propos ? répond Poil de Carotte. Gardez-vous de dénaturer ma pensée ! Loin de manquer de coeur, je vous aime plus que je n'en ai l'air. Mais cette affection, au lieu d'être banale, d'instinct et de routine, est voulue, raisonnée, logique. Logique, voilà le terme que je cherchais.
            - Quand perdras-tu la manie d'user de mots dont tu ne connais pas le sens, dit M. Lepic qui se lève pour aller se coucher, et de vouloir, à ton âge, en remontrer aux autres ? Si défunt votre grand-père m'avait entendu débiter le quart de tes balivernes, il m'aurait vite prouvé par un coup de pied et une claque que je n'étais toujours que son garçon.
            - Il faut bien causer pour passer le temps, dit Poil de Carotte déjà inquiet.
            - Il vaut encore mieux se taire, dit M. Lepic, une bougie à la main.
            Et il disparaît. Grand frère Félix le suit.
            - Au plaisir, vieux camarade à la grillade ! dit-il à Poil de Carotte.
            Puis soeur Ernestine se dresse et grave :
            - Bonsoir, cher ami ! dit-elle.
            Poil de Carotte reste seul, dérouté.
            Hier, M. Lepic lui conseillait d'apprendre à réfléchir :
            - Qui ça " on " ? lui dit-il. "On " n'existe pas. Tout le monde, ce n'est personne. Tu récites trop ce que tu écoutes. Tâche de penser un peu par toi-même. Exprime des idées personnelles, n'en aurais-tu qu'une pour commencer.
            La première qu'il risque étant mal accueillie, Poil de Carotte couvre le feu, range les chaises le long du mur, salue l'horloge et se retire dans la chambre où donne l'escalier d'une cave et qu'on appelle la chambre de la cave. C'est une chambre fraîche et agréable en été. Le gibier s'y conserve facilement une semaine. Le dernier lièvre tué saigne du nez dans une assiette. Il y a des corbeilles pleines de grain pour les poules et Poil de Carotte ne se lasse jamais de le remuer avec ses bras nus qu'il plonge jusqu'au coude.
            D'ordinaire les habits de toute la famille accrochés au porte-manteau l'impressionnent. On dirait des suicidés qui viennent de se pendre après avoir eu la précaution de poser leurs bottines, en ordre, là-haut, sur la planche.
Image associée            Mais, ce soir, Poil de Carotte n'a pas peur. Il ne glisse pas un coup d'oeil sous le lit. Ni la lune, ni les ombres ne l'effraient, ni le puits du jardin creusé là exprès pour qui voudrait s'y jeter par la fenêtre.
            Il aurait peur, s'il pensait avoir peur, mais il n'y pense plus. En chemise, il oublie de ne marcher que sur les talons afin de moins sentir le froid du carreau rouge.
            Et dans le lit, les yeux aux ampoules de plâtre humide, il continue de développer ses idées personnelles, ainsi nommées parce qu'il faut les garder pour soi.

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                                                                               à suivre..........

            Il y a longtemps.........                        

         
         
                                     

lundi 24 février 2020

Poil de Carotte 12 En chasse - La mouche - La première bécasse - L'hameçon Jules Renard ( Roman France )

 Found on Bing from www.pinterest.co.uk                                


                                                                   En Chasse
                                                                           
           M. Lepic emmène ses fils à la chasse alternativement. Ils marchent derrière lui, un peu sur sa droite, à cause de la direction du fusil, et portent le carnier. M. Lepic est un marcheur infatigable. Poil de Carotte met un entêtement passionné à le suivre, sans se plaindre. Ses souliers le blessent, il n'en dit mot, et ses doigts se cordellent ; le bout de ses orteils enfle, ce qui leur donne la forme de petits marteaux.
            Si M. Lepic tue un lièvre au début de la chasse, il dit :
            - Veux-tu le laisser à la première ferme ou le cacher dans une haie, et nous le reprendrons ce soir ?
            - Non, papa, dit Poil de Carotte, j'aime mieux le garder.
            Il lui arrive de porter une journée entière deux lièvres et cinq perdrix. Il glisse sa main ou son mouchoir sous la courroie du carnier, pour reposer son épaule endolorie. S'il rencontre quelqu'un, il montre son dos avec affectation et oublie un moment sa charge.
            Mais il est las, surtout quand on ne tue rien et que la vanité cesse de le soutenir.
            - Attends-moi ici, dit parfois M. Lepic. Je vais battre ce labouré.
            Poil de Carotte, irrité, s'arrête, debout au soleil. Il regarde son père piétiner le champ, sillon par sillon, motte à motte, le fouler, l'égaliser comme avec une herse, frapper de son fusil les haies, les buissons, les chardons, tandis que Pyrame même, n'en pouvant plus, cherche l'ombre, se couche un peu et halète, toute sa langue dehors.
            - Mais il n'y a rien là, pense Poil de Carotte. Oui, tape, casse des orties, fourrage. Si j'étais lièvre gîté au creux d'un fossé, sous les feuilles, c'est moi qui me retiendrais de bouger, par cette chaleur !
            Et en sourdine il maudit M. Lepic ; il lui adresse de menues injures.
            Et M. Lepic saute un autre échalier, pour battre une luzerne d'à côté où, cette fois, il serait bien étonné de ne pas trouver quelque gars de lièvre.
            - Il me dit de l'attendre, murmure Poil de Carotte, et il faut que je coure après lui, maintenant. Une journée qui commence mal, finit mal. Trotte et sue, papa, éreinte le chien, courbature-moi, c'est comme si on s'asseyait. Nous rentrerons bredouille, ce soir.
            Car Poil de Carotte est naïvement superstitieux.
            Chaque fois qu'il touche le bord de sa casquette, voilà Pyrame en arrêt, le poil hérisse, la queue raide. Sur la pointe du pied, M. Lepic s'approche le plus près possible, la crosse au défaut de l'épaule. Poil de Carotte s'immobilise, et un premier jet d'émotion le fait suffoquer.
            Il soulève sa casquette.
            Des perdrix partent, ou un lièvre déboule. Et selon que Poil de Carotte laisse retomber la casquette ou qu'il simule un grand salut, M. Lepic manque ou tue.
            Poil de Carotte l'avoue, ce système n'est pas infaillible. Le geste trop souvent répété ne produit plus d'effet, comme si la fortune se fatiguait de répondre aux mêmes signes. Poil de Carotte les espace discrètement, et à cette condition, ça réussit presque toujours.
            - As-tu vu le coup ? demande M. Lepic qui soupèse un lièvre chaud encore dont il presse le ventre blond, pour lui faire faire ses suprêmes besoins. Pourquoi ris-tu ?
            - Parce que tu l'as tué, grâce à moi, dit Poil de Carotte.
            Et fier de ce nouveau succès, il expose avec aplomb sa méthode.
Résultat de recherche d'images pour "chasse"            - Tu parles sérieusement ? dit M. Lepic.
            Poil de Carotte
            - Mon Dieu ! je n'irai pas jusqu'à prétendre que je ne me trompe jamais.
            Monsieur Lepic
            - Veux-tu bien te taire tout de suite, nigaud. Je ne te conseille guère, si tu tiens à ta réputation de garçon d'esprit, de débiter ces bourdes devant des étrangers. On t'éclaterait au nez. A moins que, par hasard, tu ne te moques de ton père.
             Poil de Carotte            
             - Je te jure que non, papa. Mais tu as          raison, pardonne-moi, je ne suis qu'un serein.                                                                                                                                                                                quebecoriginal.com


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                                                             La Mouche

            La chasse continue, Poil de Carotte qui hausse les épaules de remords, tant il se trouve bête, emboîte le pas de son père avec une nouvelle ardeur, s'applique à poser exactement le pied gauche là où M. Lepic a posé son pied gauche, et il écarte les jambes comme s'il fuyait un ogre. Il ne se repose que pour attraper une mûre, une poire sauvage, et des prunelles qui resserrent la bouche, blanchissent les lèvres et calment la soif. D'ailleurs, il a dans une des poches du carnier le flacon d'eau de vie. Gorgée par gorgée, il boit presque tout à lui seul, car M. Lepic, que la chasse grise, oublie d'en demander.
            - Une goutte, papa ?
            Le vent n'apporte qu'un bruit de refus. Poil de Carotte avale la goutte qu'il offrait, vide le flacon et la tête tournante, repart à la poursuite de son père. Soudain, il s'arrête, enfonce un doigt au creux de son oreille, l'agite vivement, le retire, puis feint d'écouter, et il crie à M. Lepic :
            - Tu sais, papa, je crois que j'ai une mouche dans l'oreille.
            Monsieur Lepic
            - Ote-la, mon garçon.
            Poil de Carotte
            - Elle y est trop avant, je ne peux pas la toucher. Je l'entends qu'elle bourdonne.
            Monsieur Lepic
            - Laisse-la mourir toute seule.
            Poil de Carotte                                                                                        vos-reves.com
Résultat de recherche d'images pour "reve mouche dans l'oreille"            - Mais si elle pondait, papa, si elle faisait son nid ?
            Monsieur Lepic
             - Tâche de la tuer avec une corne de mouchoir.
             Poil de Carotte
             - Si je versais un peu d'eau de vie pour la noyer ? Me donnes-tu la permission ?
             - Verse ce que tu voudras, lui crie M. Lepic. Mais dépêche-toi.
             Poil de Carotte applique sur son oreille le goulot de la bouteille, et il la vide une deuxième fois, pour le cas où M. Lepic imaginerait de réclamer sa part.
            Et bientôt, Poil de Carotte s'écrie, allègre, en courant :
           - Tu sais, papa, je n'entends plus la mouche. Elle doit être morte. Seulement, elle a tout bu.


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                                                      La première bécasse

            - Mets-toi là, dit M. Lepic. C'est la meilleure place. Je me promènerai dans le bois avec le chien ; nous ferons lever les bécasses, et quand tu entendras : pit, pit,, dresse l'oreille et ouvre l'oeil. Les bécasses passeront sur ta tête.
            Poil de Carotte tient le fusil couché entre ses bras. C'est la première fois qu'il va tirer une bécasse. Il a déjà tué une caille, déplumé une perdrix, et manqué un lièvre avec le fusil de M. Lepic.
            Il a tué la caille par terre, sous le nez du chien en arrêt. D'abord il regardait, sans la voir, cette petite boule ronde, couleur du sol.
            - Recule-toi, lui dit M. Lepic, tu es trop près.
            Mais Poil de Carotte, instinctif, fit un pas de plus en avant, épaula, déchargea son arme à bout portant et rentra dans la terre la boulette grise. Il ne put retrouver de sa caille broyée, disparue, que quelques plumes et un bec sanglant.
            Toutefois, ce qui consacre la renommée d'un jeune chasseur, c'est de tuer une bécasse, et il faut que cette soirée marque dans la vie de Poil de Carotte.
            Le crépuscule trompe, comme chacun sait. Les objets remuent leurs lignes fumeuses. Le vol d'un moustique trouble autant que l'approche du tonnerre. Aussi, Poil de Carotte, ému, voudrait bien être à tout à l'heure.
            Les grives, de retour des prés, fusent avec rapidité entre les chênes. Il les ajuste pour se faire l'oeil. Il frotte de sa manche la buée qui ternit le canon du fusil. Des feuilles sèches trottinent çà et là.
            Enfin, deux bécasses, dont les longs becs alourdissent le vol, se lèvent, se poursuivent amoureuses et tournoient au-dessus du bois frémissant.
Résultat de recherche d'images pour "chasse"            Elles font pit, pit, pit, comme M. Lepic l'avait promis mais si faiblement, que Poil de Carotte doute qu'elles viennent de son côté. Ses yeux se meuvent vivement. Il voit deux ombres passer sur sa tête, et la crosse du fusil sur son ventre, il tire au juger, en l'air.
            Une des deux bécasses tombe, bec en avant, et l'écho disperse la détonation formidable aux quatre coins du bois.
            Poil de Carotte ramasse la bécasse dont l'aile est cassée, l'agite glorieusement et respire l'odeur de la poudre.
            Pyrame accourt, précédant M. Lepic, qui ne s'attarde ni se     chateau-menetou-salon.com                                                     hâte plus que d'ordinaire.
            - Il n'en reviendra pas, pense Poil de Carotte prêt aux éloges.
            Mais M. Lepic écarte les branches, paraît, et dit d'une voix calme à son fils encore fumant :
            - Pourquoi donc que tu ne les as pas tuées toutes les deux ?


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 coloriages-pour-enfants.net                                                            L'hameçon
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            Poil de Carotte est en train d'écailler ses poissons, des goujons, des ablettes et même des perches. Il les gratte avec un couteau, leur fend le ventre, et fait éclater sous son talon les vessies doubles transparentes. Il réunit les vidures pour le chat. Il travaille, se hâte, absorbé, penché sur le seau blanc d'écume, et prend garde de se mouiller.
            Mme Lepic vient donner un coup d'oeil.
            - A la bonne heure, dit-elle, tu nous as pêché une belle friture, aujourd'hui. Tu n'es pas maladroit, quand tu veux.
            Elle lui caresse le cou et les épaules, mais, comme elle retire sa main, elle pousse un cri de douleur.
            Elle a un hameçon au bout du doigt.
            Soeur Ernestine accourt. Grand frère Félix la suit, et bientôt M. Lepic lui-même arrive.
            - Montre voir, disent-ils.
            Mais elle serre son doigt dans sa jupe, entre ses genoux, et l'hameçon s'enfonce plus profondément. Tandis que grand frère Félix et soeur Ernestine la soutiennent, M. Lepic lui saisit le bras, le lève en l'air, et chacun peut voir le doigt. L'hameçon l'a traversé.
            M. Lepic tente de l'ôter.
            - Oh! non ! pas comme ça ! dit Mme Lepic d'une voix aiguë.
            En effet, l'hameçon est arrêté d'un côté par son dard et de l'autre côté par sa boucle.
            M. Lepic met son lorgnon.
            - Diable, dit-il, il faut casser l'hameçon !
            Comment le casser ! Au moindre effort de son mari, qui n'a pas de prise, Mme Lepic bondit et hurle. On lui arrache donc le coeur, la vie ? D'ailleurs l'hameçon est d'un acier de bonne trempe.
            - Alors, dit M. Lepic, il faut couper la chair.
            Il affermit son lorgnon, sort son canif, et commence de passer sur le doigt une lame mal aiguisée, si faiblement qu'elle ne pénètre pas. Il appuie ; il sue. Du sang paraît.
            - Oh ! là ! oh ! là ! crie Mme Lepic, et tout le groupe tremble.
            - Plus vite, papa ! dit soeur Ernestine.
            - Ne fais donc pas ta lourde comme ça ! dit grand frère Félix à sa mère.
            M. Lepic perd patience. Le canif déchire, scie au hasard, et Mme Lepic, après avoir murmuré
" Boucher ! boucher ! " se trouve mal, heureusement.
            M. Lepic en profite. Blanc, affolé, il charcute, fouit la chair, et le doigt n'est plus qu'une plaie sanglante d'où l'hameçon tombe.
            Ouf !
            Pendant cela, Poil de Carotte n'a servi à rien. Au premier cri de sa mère, il s'est sauvé. Assis sur l'escalier, la tête entre ses mains, il s'explique l'aventure. Sans doute, une fois qu'il lançait sa ligne au loin son hameçon lui est resté dans le dos.
            - Je ne m'étonne plus que ça ne mordait pas, dit-il.
            Il écoute les plaintes de sa mère, et d'abord n'est guère chagriné de les entendre. Ne criera-t-il pas à son tour, tout à l'heure, non moins fort qu'elle, aussi fort qu'il pourra, jusqu'à l'enrouement, afin qu'elle se croie plus tôt vengée et le laisse tranquille ?
            Des voisins attirés le questionnent :
            - Qu'est-ce qu'il y a donc, Poil de Carotte ?
            Il ne répond rien ; il bouche ses oreilles, et sa tête rousse disparaît. Les voisins se rangent au bas de l'escalier et attendent les nouvelles.
            Enfin Mme Lepic s'avance. Elle est pâle comme une accouchée, et, fière d'avoir couru un grand danger, elle porte devant elle son doigt emmailloté avec soin. Elle triomphe d'un reste de souffrance. Elle sourit aux assistants, les rassure en quelques mots et dit doucement à Poil de Carotte
            - Tu m'as fait mal, va, mon cher petit. Oh ! je ne t'en veux pas ; ce n'est pas de ta faute.
            Jamais elle n'a parlé sur ce ton à Poil de Carotte. Surpris, il lève le front. Il voit le doigt de sa mère enveloppé de linges et de ficelles, propre, gros et carré, pareil à une poupée d'enfant pauvre. Ses yeux secs s'emplissent de larmes.
            Mme Lepic se courbe. Il fait le geste habituel de s'abriter derrière son coude. Mais, généreuse, elle l'embrasse devant tout le monde.                                                                    merci-facteur.com
Image associée            Il ne comprend plus. Il pleure à pleins yeux.
            - Puisqu'on te dit que c'est fini, que je te pardonne ! Tu me crois donc bien méchante ?
            Les sanglots de Poil de Carotte redoublent.
            - Est-il bête ? On jurerait qu'on l'égorge, dit Mme Lepic aux voisins attendris par sa bonté.
            Elle leur passe l'hameçon qu'ils examinent curieusement. L'un d'eux affirme que c'est du numéro 8. Peu à peu elle retrouve sa facilité de parole, et elle raconte le drame au public, d'une langue volubile.
            - Ah ! sur le moment, je l'aurais tué, si je ne l'aimais tant. Est-ce malin, ce petit outil d'hameçon ! J'ai cru qu'il m'enlevait au ciel.
            Soeur Ernestine propose d'aller l'encroter loin, au bout du jardin, dans un trou, et de piétiner la terre. !
            - Ah ! mais non ! dit grand frère Félix, moi je le garde. Je veux pêcher avec. Bigre ! un hameçon trempé dans le sang à maman, c'est ça qui sera bon ! Ce que je vais les sortir, les poissons ! malheur ! des gros comme la cuisse !
            Et il secoue Poil de Carotte, qui, toujours stupéfait d'avoir échappé au châtiment, exagère encore son repentir, rend par la gorge des gémissements rauques et lave à grande eau les taches de son de sa laide figure à claques.


                                                                       à suivre..........

            Madame Lepic






dimanche 23 février 2020

Poil de Carotte 11 Mathilde - Le coffre-fort - Les têtards - Coup de Théâtre Jules Renard ( Roman France )

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                                                                     Mathilde

            - Tu sais, maman, dit soeur Ernestine essoufflée à Mme Lepic, Poil de Carotte joue encore au mari et à la femme avec la petite Mathilde, dans le pré. Grand frère Félix les habille. C'est pourtant défendu, si je ne me trompe.
            En effet, dans le pré, la petite Mathilde se tient immobile et raide dans sa toilette de clématite sauvage à fleurs blanches. Toute parée, elle semble vraiment une fiancée garnie d'oranger. Et elle en a, de quoi calmer toutes les coliques de la vie.
            La clématite, d'abord traitée en couronne sur la tête, descend par flots sous le menton, derrière le dos, le long des bras, volubile, enguirlande la taille et forme à terre une queue rampante que grand frère Félix ne se lasse pas d'allonger.
            Il se recule et dit :
            - Ne bouge plus ! A ton tour, Poil de Carotte.
            A son tour, Poil de Carotte est habillé en jeune marié, également couvert de clématites où, ça et là, éclatent des pavots, des cenelles, un pissenlit jaune, afin qu'on puisse le distinguer de Mathilde. Il n'a pas envie de rire, et tous trois gardent leur sérieux. Ils savent quel ton convient à chaque cérémonie. On doit rester triste aux enterrements, dès le début, jusqu'à la fin, et grave aux mariages, jusqu'après la messe. Sinon, ce n'est plus amusant de jouer.
            - Prenez-vous la main, dit grand frère Félix. En avant ! doucement.
            Ils s'avancent au pas, écartés. Quand Mathilde s'empêtre, elle retrousse sa traîne et la tient entre ses doigts. Poil de Carotte galamment l'attend, une jambe levée.
            Grand frère Félix les conduit par le pré. Il marche à reculons, et les bras en balancier leur indique la cadence. Il se croit M. le Maire et les salue, puis M. le Curé et les bénit, puis l'ami qui félicite et il les complimente, puis le violoniste et il racle, avec un bâton, un autre bâton.
            Il les promène de long en large.
            - Halte ! dit-il, ça se dérange.
            Mais le temps d'aplatir d'une claque la couronne de Mathilde, il remet le cortège en branle.
            - Aïe ! fait Mathilde qui grimace.
            Une vrille de clématite lui tire les cheveux. Grand frère Félix arrache le tout. On continue.
            - Ça y est, dit-il, maintenant vous êtes mariés, bichez-vous.
            Comme ils hésitent.
            - Eh bien ! quoi ! bichez-vous. Quand on est marié, on se biche. Faites-vous la cour, une déclaration. Vous avez l'air plombés.
            Supérieur, il se moque de leur inhabileté, lui qui, peut-être, a déjà prononcé des paroles d'amour. Il donne l'exemple et biche Mathilde le premier, pour sa peine.
            Poil de Carotte s'enhardit, cherche à travers la plante grimpante le visage de Mathilde et la baise sur la joue.
            - Ce n'est pas de la blague, dit-il, je me marierais bien avec toi.
            Mathilde, comme elle l'a reçu, lui rend son baiser. Aussitôt, gauches, gênés, ils rougissent tous deux.
           - Soleil  ! soleil !
           Il se frotte deux doigts l'un contre l'autre et trépigne des bousilles aux lèvres.
           - Sont-ils buses ! Ils croient que c'est arrivé !
           - D'abord, dit Poil de Carotte, je ne pique pas de soleil, et puis ricane, ricane, ce n'est pas toi qui m'empêcheras de me marier avec Mathilde si maman veut.                            .pinterest.fr   
Résultat de recherche d'images pour "rouette branche"            Mais voici que maman vient répondre elle-même qu'elle ne veut pas. Elle pousse la barrière du pré. Elle entre, suivie d'Ernestine la rapporteuse. En passant près de la haie, elle casse une rouette dont elle ôte les feuilles et garde les épines.
             Elle arrive droit, inévitable comme l'orage.
             - Gare les calotte, dit grand frère Félix.
             Il s'enfuit au bout du pré. Il est à l'abri et peut voir. Poil de Carotte ne se sauve jamais. D'ordinaire, quoi que lâche, il préfère en finir vite, et aujourd'hui il se sent brave.
             Mathilde, tremblante, pleure comme une veuve, avec des hoquets.
             Poil de Carotte
             - Ne crains rien. Je connais maman, elle n'en a que pour moi. J'attraperai tout.
             Mathilde
             - Oui, mais ta maman va le dire à ma maman, et ma maman va me battre.
             Poil de Carotte
             - Corriger ; on dit corriger, comme pour les devoirs de vacances. Est-ce qu'elle te corrige ta maman ?
            Mathilde
            - Des fois ; ça dépend.
            Poil de Carotte
            - Pour moi, c'est toujours sûr.
            Mathilde
            - Mais je n'ai rien fait.
            Poil de Carotte
            - Ça ne fait rien. Attention !
            Mme Lepic approche. Elle les tient. Elle a le temps. Elle ralentit son allure. Elle est si près que soeur Ernestine, par peur des chocs en retour, s'arrête au bord du cercle où l'action se concentrera. Poil de Carotte se campe devant " sa femme ", qui sanglote plus fort. Les clématites sauvages mêlent leurs fleurs blanches. La rouette de Mme Lepic se lève, prête à cingler. Poil de Carotte, pâle, croise ses bras, et la nuque raccourcie, les reins chauds déjà, les mollets lui cuisant d'avance, il a l'orgueil de s'écrier :
            - Qu'est-ce que ça fait, pourvu qu'on rigole !


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  lhotellerie-restauration.fr                                                            Le Coffre-fort
Résultat de recherche d'images pour "crapaudine"
            Le lendemain, comme Poil de Carotte rencontre Mathilde, elle lui dit :
            - Ta maman est venue tout rapporter à ma maman et j'ai reçu une bonne fessée. Et toi ?
            Poil de Carotte
            - Moi, je ne me rappelle plus. Mais tu ne méritais pas d'être battue, nous ne faisions rien de mal.
            Mathilde
            - Non, pour sûr.
            Poil de Carotte
            - Je t'affirme que je parlais sérieusement, quand je te disais que je me marierais bien avec toi.
            Mathilde
            - Moi, je me marierais bien avec toi aussi.
            Poil de Carotte
            - Je pourrais te mépriser parce que tu es pauvre et que je suis riche, mais n'aie pas peur, je t'estime.
            Mathilde
            - Tu es riche à combien, Poil de Carotte ?
            Poil de Carotte
            - Mes parents ont au moins un million.
            Mathilde
            - Combien que ça fait un million ?
            Poil de Carotte
            - Ça fait beaucoup ; les millionnaires ne peuvent jamais dépenser tout leur argent.
            Mathilde
            - Souvent, mes parents se plaignent de n'en avoir guère.
            Poil de Carotte
            - Oh ! les miens aussi. Chacun se plaint pour qu'on le plaigne, et pour flatter les jaloux. Mais je sais que nous sommes riches. Le premier jour du mois, papa reste un instant seul dans sa chambre. J'entends grincer la serrure du coffre-fort. Elle grince comme les rainettes, le soir. Papa dit un mot que personne ne connaît, ni maman, ni mon frère, ni ma soeur, personne, excepté lui et moi, et la porte du coffre-fort s'ouvre. Papa y prend de l'argent et va le déposer sur la table de la cuisine. Il ne dit rien, il fait seulement sonner les pièces, afin que maman, occupée au fourneau, soit avertie. Papa sort. Maman se retourne et ramasse vite l'argent.Tous les mois ça se passe ainsi, et ça dure depuis longtemps, preuve qu'il y a plus d'un million dans le coffre-fort.
            Mathilde
            - Et pour l'ouvrir, il dit un mot/ Quel mot ?
             Poil de Carotte
             - Ne cherche pas, tu perdrais ta peine. Je te le dirai quand nous serons mariés à la condition que tu me promettras de ne jamais le répéter.
            Mathilde
            - Dis-le moi tout de suite. Je te promets tout de suite de ne jamais le répéter.
            Poil de Carotte
            - Non, c'est notre secret à papa et à moi.
            Mathilde
             - Tu ne le sais pas. Si tu le savais tu me le dirais.
             Poil de Carotte
             - Pardon, je le sais.
            Mathilde
            - Tu ne le sais pas, tu ne le sais pas. C'est bien fait, c'est bien fait.
           - Parions que je le sais, dit Poil de Carotte gravement.
           - Parions quoi ? dit Mathilde hésitante.
           - Laisse-moi te toucher où je voudrai, dit Poil de Carotte, et tu sauras le mot.
           Mathilde regarde Poil de Carotte. Elle ne comprend pas bien. Elle ferme ses yeux gris de sournoise, et elle a maintenant deux curiosités au lieu d'une.
            - Dis le mot d'abord, Poil de Carotte.
             Poil de Carotte                                                                             criloudesavoie.skyrock.com
Résultat de recherche d'images pour "crapaudine"             - Tu me jures qu'après tu te laisseras toucher où je voudrai.
             Mathilde
             - Maman me défend de jurer.
             Poil de Carotte
             - Tu ne sauras pas le mot.
            Mathilde
            - Je m'en fiche bien de ton mot. Je l'ai deviné, oui, je l'ai deviné.
            Poil de Carotte, impatienté, brusque les choses.
            - Écoute, Mathilde, tu n'as rien deviné du tout. Mais je me contente de ta parole d'honneur. Le mot que papa prononce avant d'ouvrir son coffre-fort, c'est : " Lustucru ". A présent, je peux toucher où je veux.
            - Lustucru ! Lustucru ! dit Mathilde, qui recule avec le plaisir de connaître un secret et la peur qu'il ne vaille rien. Vraiment tu ne t'amuses pas de moi ?
            Puis, comme Poil de Carotte, sans répondre, s'avance, décidé, la main tendue, elle se sauve. Et Poil de Carotte entend qu'elle rit sec.
            Et elle a disparu qu'il entend qu'on ricane derrière lui.
            Il se retourne. Par la lucarne d'une écurie, un domestique du château sort la tête et montre les dents.
            - Je t'ai vu, Poil de Carotte, s'écrie-t-il, je rapporterai tout à ta mère.
            Poil de Carotte
            - Je jouais, mon vieux Pierre. Je voulais attraper la petite. Lustucru est un faux nom que j'ai inventé. D'abord, je ne connais point le vrai.
            Pierre
            - Tranquillise-toi, Poil de Carotte, je me moque de Lustucru et je n'en parlerai pas à ta mère. Je lui parlerai du reste.
            Poil de Carotte
            - Du reste ?
            Pierre
            - Oui, du reste. Je t'ai vu, je t'ai vu, Poil de Carotte ; dis voir un peu que je ne t'ai pas vu. Ah ! tu vas bien pour ton âge. Mais tes plats à barbe s'élargiront ce soir !
         
            Poil de Carotte ne trouve rien à répliquer. Rouge de figure au point que la couleur naturelle de ses cheveux semble s'éteindre, il s'éloigne, les mains dans ses poches, à la crapaudine, en reniflant.


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                                                             Les Têtards                                                      pinterest.fr

            Poil de Carotte joue seul dans la cour, au milieu, afin que Mme Lepic puisse le surveiller par la fenêtre, et il s'exerce à jouer comme il faut, quand le camarade Rémy paraît. C'est un garçon du même âge, qui boîte et veut toujours courir, de sorte que sa jambe gauche infirme traîne derrière l'autre et ne la rattrape jamais. Il porte un panier et dit :
            -Viens-tu, Poil de Carotte ? Papa met le chanvre dans la rivière. Nous l'aiderons et nous pêcherons des têtards avec des paniers.
            - Demande à maman, dit Poil de Carotte.
            Rémy
            - Pourquoi moi ?
            Poil de Carotte
            - Parce qu'à moi elle ne me donnera pas la permission.
            Juste, Mme Lepic se montre à la fenêtre.
           - Madame, dit Rémy, voulez-vous, s'il vous plaît, que j'emmène Poil de Carotte pêcher des têtards ?
            Mme Lepic colle son oreille au carreau. Rémy répète en criant. Mme Lepic a compris. On la voit qui remue la bouche. Les deux amis n'entendent rien et se regardent indécis. Mais Mme Lepic agite la tête et fait clairement signe que non.
            - Elle ne veut pas, dit Poil de Carotte. Sans doute, elle aura besoin de moi, tout à l'heure.
            Rémy
            - Tant pis, on se serait rudement amusé. Elle ne veut pas, elle ne veut pas.
            Poil de Carotte
            - Reste. Nous jouerons ici.
            Rémy
            - Ah non, par exemple. J'aime mieux pêcher des têtards. Il fait doux. J'en ramasserai des pleins paniers.
             Poil de Carotte
             - Attends un peu. Maman refuse toujours pour commencer. Puis, des fois, elle se ravise.
             Rémy
            - J'attendrai un petit quart, mais pas plus.
            Plantés là tous deux, les mains dans les poches, ils observent sournoisement l'escalier et bientôt Poil de Carotte pousse Rémy du coude.
            - Qu'est-ce que je te disais ?
            En effet, la porte s'ouvre et Mme Lepic tenant à la main un panier pour Poil de Carotte, descend une marche. Mais elle s'arrête, défiante.                                     youtube.com
Image associée            - Tiens, te voilà encore, Rémy ! Je te croyais parti. J'avertirai ton papa que tu musardes et il te grondera.
            Rémy
            - Madame, c'est Poil de Carotte qui m'a dit d'attendre.
           Madame Lepic
          - Ah ! vraiment, Poil de Carotte ?
         Poil de Carotte n'approuve pas et ne nie pas. Il ne sait plus. Il connaît Mme Lepic sur le bout du doigt. Il l'avait devinée une fois encore. Mais puisque cet imbécile de Rémy brouille les choses, gâte tout, Poil de Carotte se désintéresse du dénouement. Il écrase de l'herbe sous son pied et regarde ailleurs.
            - Il me sembler pourtant, dit Mme Lepic, que je n'ai pas l'habitude de me rétracter.
            Elle n'ajoute rien.
            Elle remonte l'escalier. Elle rentre avec le panier que devait emporter Poil de Carotte pour pêcher des têtards et qu'elle avait vidé de ses noix fraîches, exprès.
            Rémy est déjà loin.
            Mme Lepic ne badine guère et les enfants des autres s'approchent d'elle prudemment et la redoutent presque autant que le maître d'école.
            Rémy se sauve là-bas vers la rivière. Il galope si vite que son pied gauche, toujours en retard, raie la poussière de la route, danse et sonne comme une casserole.
            Sa journée perdue, Poil de Carotte n'essaie plus de se divertir.
            Il a manqué une bonne partie.
            Les regrets sont en chemin. Il les attend.
            Solitaire, sans défense, il laisse venir l'ennui, et la punition s'appliquer d'elle-même.


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                                                             Coup de Théâtre
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activités sur le thème des pingouins                                                                Scène Première
                                                                                                                     
                                                                Madame Lepic
            - Où vas-tu ?
                                                               Poil de Carotte
                             Il a mis sa cravate neuve et craché sur ses souliers à les noyer.
            - Je vais me promener avec papa.
                                                                 Madame Lepic
            - Je te défends d'y aller tu m'entends ? Sans ça...
                             Sa main droite recule pour prendre son élan.
                                                                 Poil de Carotte, bas
            - Compris.
                         
                                                                    Scène II

                                                                Poil de Carotte  
                                                En méditation près de l'horloge    
           -  Qu'est-ce que je veux, moi ? Eviter les calottes, Papa m'en donne moins que maman. J'ai fait le calcul. Tant pis pour lui !

                                                                    Scène III

                                                               Monsieur Lepic        
            Il chérit Poil de Carotte, mais ne s'en occupe jamais, toujours courant la prétentaine,
                         pour affaires.
            - Allons ! partons. 
                                                                 Poil de Carotte 
            - Non, mon papa.
                                                                Monsieur Lepic
            - Comment, non ? Tu ne veux pas venir ?
                                                                  Poil de Carotte    
            - Oh si ! mais je ne peux pas.
                                                                 Monsieur Lepic
            - Explique-toi. Qu'est-ce qu'il y a ?
                                                                  Poil de Carotte   
            - Y a rien, mais je reste.
                                                                  Monsieur Lepic
            - Ah, oui ! encore une de tes lubies. Quel petit animal tu fais ! On ne sait pas quelle oreille te prendre. Tu veux, tu ne veux plus. Reste, mon ami, et pleurniche à ton aise.

                                                                     Scène IV

  stephyprod.com                                                                 Madame Lepic
Image associée                Elle a toujours la précaution d'écouter aux portes, pour mieux entendre.
            - Pauvre chéri ! Cajoleuse, elle lui passe la main dans les cheveux et les tire. 
              Le voilà tout en larmes, parce que son père...
              Elle regarde en-dessous M. Lepic...
              voudrait l'emmener malgré lui. Ce n'est pas ta mère qui te tourmenterait avec cette cruauté.
               Les Lepic père et mère se tournent le dos.

                                                                       Scène V

                                                                  Poil de Carotte  
                 Au fond d'un placard. Dans sa bouche, deux doigts ; dans son nez, un seul.
            - Tout le monde ne peut pas être orphelin.


                                                                                 à suivre..............