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lundi 7 juillet 2014

Recettes et Propos d'Alexandre Dumas - Caviar ( France )


ici.radio-canada.ca


                                            CAVIAR 
                                                           " Sorte d'esturgeon "*

            J'ai assisté pendant un mois à la pêche du caviar sur les bords de la mer Caspienne, dans toute la longueur de son rivage qui s'étend de l'Oural à la Volga. Rien de plus curieux que cette pêche où l'on détruit en six semaines ou deux mois des milliers de poissons du poids de 300 livres et de la taille de 12 à 15 pieds. On en trouve dans le Danube qui ont jusqu'à 20 pieds de long, ils viennent de la mer Noire et remontent pour frayer jusqu'à Bade. La chair du caviar a une saveur délicate, qualité fort rare dans les poissons cartilagineux, il est facile de la faire prendre pour de la chair de veau, mais nous devons avouer que les nations modernes n'ont pas pour cette chair le même enthousiasme qu'avaient les peuples anciens qui, non seulement couronnaient ce poisson de fleurs, mais encore ceux qui le servaient et qui l'apportaient sur la table au son des flûtes. Au rapport d'Athénée on regardait en Grèce l'esturgeon comme le meilleur plat du festin. Ovide a dit de lui :
                            " Esturgeon, pèlerin des plus illustres ondes "
            On le trouve dans l'Océan, dans la Méditerranée, dans la mer Rouge, dans tous les grands fleuves. Au XVIè siècle il était si commun en Provence qu'il ne valait qu'un sou la livre. L'esturgeon grandit et s'engraisse dans les fleuves où il trouve la tranquillité, la température et les aliments qui lui conviennent. En Russie où en fait les pêches les plus nombreuses, on les prend au moment où ils essayent de remonter la Volga et l'Oural.                                                                                                         luxuo.fr
            D'après la manière dont on prend ce poisson on peut se faire une haute idée de son intelligence : on ferme les fleuves avec des barricades, ce qui est d'autant plus facile que les fleuves n'ont pas de profondeur. Les esturgeons viennent par troupes de mille ou deux mille pour remonter les fleuves, ne pouvant y réussir ils se promènent de long en large devant l'embouchure où l'on a tendu des espèces de gros hameçons suspendus à des traverses et flottant à deux pieds, trois pieds, quatre pieds sous l'eau. Quelques-uns de ces hameçons sont amorcés, mais cela ne m'a jamais paru nécessaire. Les esturgeons en allant et en venant s'accrochent à un obstacle qu'ils veulent forcer, l'obstacle leur entre dans la chair et ils sont pris. Des hommes qui se promènent en bateau entre les sillons que forment les poutres placées transversalement sur le fleuve recueillent les esturgeons qui sont pris. Quand la barque est pleine on la conduit à l'abattoir, véritable abattoir, où l'on assomme à coups de marteau, à coups de masse, deux ou trois mille esturgeons par jour. L'animal, quoique très fort et pouvant renverser d'un coup de queue l'homme le plus robuste, ne fait aucune résistance. Il pousse seulement un cri lorsqu'on lui arrache la moelle épinière, il fait un bond de quatre ou cinq pieds de haut et retombe mort. Avec cette moelle épinière que l'on appelle " visigha " on fait des pâtés fort estimés.Mais ce qui est plus estimé que le pâté à la moelle épinière, ce sont les milliers d'oeufs que l'on recueille pour faire le Caviar ( car on appelle particulièrement caviar une préparation d'oeufs d'esturgeon ); privés d'air les oeufs se conservent quelque temps dans leur fraîcheur. Outre ceux-là que l'on expédie le jour même où ils ont été enfermés dans des barils pareils à nos barils de poudre de huit, de quinze et vingt livres, il y en a encore qu'on prépare à demi-sel et à sel entier,que l'on envoie à leur heure.
            Les esturgeons arrivent à un développement énorme. En 1769 on pêcha un de ces poissons qui avait 20 mètres de long, qui pesait 1 155 kilogrammes, et l'on en tira 30 kilogrammes d'oeufs. Le calcul fait on suppose qu'il y en avait 30 412 860. Henri Cloquet dit qu'on en pêche souvent de 1 400 kilogrammes et qu'ils peuvent atteindre une longueur de 13 mètres.
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            La pêche d'hiver a lieu en janvier et se fait avec un grand cérémonial. C'est celle-là que j'ai vue. Le jour en est fixé à l'assemblée publique. Des lettres de convocation sont adressées, on se réunit sur la place avant le jour, on nomme un chef qui, avant le départ, passe les pêcheurs en revue, ainsi que leur armement qui consiste en un crochet d'acier fixé à une longue perche. Au lever du soleil deux coups de canon donnent le signal de se mettre en route, c'est à qui arrivera le premier à la meilleure place. Une décharge de mousqueterie annonce le commencement de la pêche. Mais, à notre grand étonnement et à celui des pêcheurs, nous ne trouvâmes, en arrivant au rivage,  ni la Volga ni la mer Caspienne prises, mais au contraire toutes les préparations de la pêche d'été qui avait continué, quand on avait vu que le froid ne prenait pas. C'est donc une pêche d'été que j'ai racontée, parce que c'est une pêche d'été que j'ai vue.


                                                                                               Alexandre Dumas
texte extrait de " Mon dictionnaire de cuisine "