dimanche 31 janvier 2021

Le Journal du Séducteur Sören Kierkegaard ( Essai Danemark )

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                                               Le Journal du Séducteur

            Au moment où, dans mon intérêt personnel, je me décide à mettre au net la copie exacte de celle que, le cœur battant, j'ai réussi autrefois à me procurer en la griffonnant en grande hâte, je ne peux me dissimuler qu'une angoisse difficile à maîtriser m'étreint.
            La situation se présente à mon esprit pleine d'inquiétude comme autrefois et comme remplie de reproches. Contrairement à son habitude il n'avait pas fermé son secrétaire et tout ce qu'il y avait dedans était à ma merci. Mais il ne servirait à rien de vouloir embellir ma conduite en me rappelant que je n'ai ouvert aucun tiroir. L'un d'eux était déjà tiré, il s'y trouvait une quantité de feuillets épars et au-dessus d'eux un grand in-quarto joliment relié. Sur la couverture était collée une vignette blanche sur laquelle, de sa propre main, il avait noté : " Commentarius perpetuus N° 4. 
            C'est cependant en vain que je voulus me faire accroire que si ce côté du livre n'avait pas été en haut et si ce titre bizarre ne m'avait pas tenté je n'aurais pas succombé à la tentation, ou que du moins j'y aurais résisté.
            Le titre lui-même était étrange, pas tant en lui-même que par ce qui l'entourait. J'appris en jetant un regard vif sur les feuillets épars qu'ils contenaient des conceptions de situations érotiques, quelques conseils sur ceci ou cela, des projets de lettres d'une espèce toute particulière dont je pus plus tard apprécier le style nonchalant, mais voulu et artistiquement rigoureux.
            Lorsque, aujourd'hui, après avoir pénétré la conscience artificieuse de cet homme pervers, j'évoque la situation, lorsque avec mes yeux grands ouverts pour toute astuce je m'avance en imagination vers ce tiroir, mon impression est la même que celle que doit éprouver un commissaire de police lorsqu'il entre dans la chambre d'un faussaire, ouvre ses cachettes et dans ses tiroirs trouve un tas de feuillets épars ayant servis à des essais d'écriture et de dessins. Sur l'un d'eux il y a un dessin de feuillage, sur un autre un parafe, sur un troisième une ligne d'écriture à rebours. Cela lui prouve sans difficulté que la piste est bonne, et sa satisfaction se mêle d'une certaine admiration pour tout ce que cela, à ne pas s'y tromper, implique d'études et de diligence.
            Je pense qu'à sa place j'aurais d'autres sensations parce que je suis moins habitué à dépister des crimes et que je ne porte pas l'insigne de policier. Le sentiment de m'être engagé sur un terrain interdit aurait pesé lourdement sur ma conscience.
            Comme il en va généralement, je ne fus pas en cette occasion moins pauvre d'idées que de mots. Une impression vous renverse jusqu'à ce que la réflexion se dégage à nouveau et, complexe et agile dans ses mouvements, elle enjôle l'étranger inconnu et s'insinue dans son esprit. 
            Plus la réflexion est développée plus elle est prompte à se ressaisir et, comme un agent aux passeports, elle se familiarise tant avec la vue des types les plus étranges qu'elle ne se laisse pas aisément déconcerter. Or, quoique la mienne, comme je le crois, soit fortement développée, ma première surprise fut énorme. Je me rappelle très bien avoir pâli, avoir été près de tomber par terre, et l'avoir craint. Supposez qu'il soit rentré et m'ait trouvé évanoui, le tiroir à la main, ah ! une mauvaise conscience peut rendre la vie intéressante.                                                          pinterest.fr
            Le titre du livre en lui-même ne frappait pas mon imagination. Je pensais que c'était un recueil d'extraits, ce qui me paraissait tout naturel, car je savais qu'il s'était toujours appliqué avec zèle à ses études. Mais le contenu était tout autre. Il s'agissait en effet d'un journal, ni plus ni moins, et tenu avec beaucoup de soin et, bien que ce que je savais de lui auparavant, un commentaire de sa vie ne paraisse pas tout à fait indiqué, je ne peux pas nier qu'après un premier coup d'œil dans ce journal, le titre n'ait été choisi avec beaucoup de goût et de compréhension, témoignant sur lui-même et sur la situation d'une véritable supériorité esthétique et objective. Ce titre est en parfaite harmonie avec tout le contenu. Sa vie a été un essai pour réaliser la tâche de vivre poétiquement. Doué d'une capacité extrêmement développée pour découvrir ce qui est intéressant dans la vie, il a su le trouver et, l'ayant trouvé, il a toujours su reproduire ce qu'il a vécu avec une veine mi poétique. Son journal n'est donc pas historiquement juste, ni un simple récit. Il n'est pas rédigé au mode indicatif, mais au mode subjonctif. Bien que les détails aient été notés, naturellement, après avoir été vécus, parfois peut-être même assez longtemps après, le récit donne souvent l'impression que tout se passe à l'instant même. La vie dramatique est tellement intense que parfois on croirait que tout se passe devant vos yeux.
             Il est extrêmement invraisemblable qu'il ait écrit ce journal dans un but particulier. Il saute aux yeux qu'au sens le plus strict il n'avait pour lui qu'une importance personnelle, et l'ensemble, aussi bien que les détails, interdisent de penser que nous avons devant nous une œuvre littéraire destinée même, peut-être, à être imprimée. Il est vrai qu'il n'aurait rien eu à craindre pour sa personne en la publiant, car la plupart des noms sont tellement bizarres que leur réalité n'est pas probable, je n'ai soupçonné réels que les prénoms, de sorte qu'il a toujours été sûr de reconnaître le vrai personnage, tandis que les tiers devaient être induits en erreur par le nom de famille. C'est tout au moins le cas de la jeune fille, Cordélia, non pas Wahl.   
            Mais alors comment expliquer que le journal est pris une telle tournure poétique ?  La réponse n'est pas difficile c'est parce qu'il avait en propre une nature poétique qui n'était, si on veut, ni assez riche ni assez pauvre pour distinguer entre la poésie et la réalité. La nuance poétique était le surplus qu'il apportait lui-même. Ce surplus était la poésie dont il jouissait dans la situation poétique de la réalité et qu'il reprenait sous forme de réflexion poétique. C'était sa seconde jouissance et toute sa vie avait pour but la jouissance. D'abord il jouissait personnellement de l'esthétique, ensuite il jouissait esthétiquement de sa personnalité.
            Il jouissait donc égoïstement lui-même de ce que la réalité lui donnait aussi bien que de ce dont il avait fécondé la réalité. Dans le second cas sa personnalité était émoussée et jouissait alors de la situation et d'elle-même dans la situation. Il avait toujours besoin, dans le premier cas, de la réalité comme occasion, comme élément. Dans le second cas la réalité était noyée dans la poésie. Le résultat du premier stade est donc l'état d'âme d'où a surgi le journal comme résultat du second stade, ce mot ayant un sens quelque peu différent dans les deux cas. Grâce à l'équivoque où sa vie s'écoulait il a ainsi toujours été sous une influence poétique.
            Derrière le monde dans lequel nous vivons, loin à l'arrière-plan, se trouve un autre monde. Leur rapport réciproque ressemble à celui qui existe entre les deux scènes qu'on voit parfois au théâtre, l'une derrière l'autre. A travers un mince rideau de gaze on aperçoit comme un monde de gaze, plus léger, plus éthéré, d'une autre qualité que celle du monde réel. 
            Beaucoup de gens qui se promènent en chair et en os dans le monde réel ne lui appartiennent pas, mais à l'autre.
            Se perdre ainsi peu à peu, oui, disparaître presque de la réalité, peut être sain ou morbide.
            Le cas de cet homme, tel que je l'ai connu autrefois sans le connaître était morbide. Il n'appartenait pas à la réalité et avait, cependant, beaucoup à faire avec elle. Il passait toujours au-dessus d'elle et, même lorsqu'il s'abandonnait le plus, il était loin d'elle. Mais ce n'était pas le bien qui l'en détournait et, au fond, le mal non plus. Il possédait un peu " d'exacerbatto cerebri " pour lequel la réalité ne disposait pas de stimulant assez fort, sinon fugitif. Il ne succombait pas sous la réalité, il n'était pas trop faible pour la supporter, non il était trop fort. Mais cette force était une maladie. 
            Aussitôt que la maladie avait perdu son importance comme stimulant il était désarmé, et c'est en cela que consistait le mal qui existait en lui. Il en était conscient, même au moment du stimulant, et le mal se trouvait dans cette conscience.
            J'ai connu la jeune fille dont l'histoire forme la plus grande partie du journal. Je ne sais pas s'il en a séduit d'autres mais, d'après ses papiers, c'est vraisemblable. Il parait, en outre, avoir été versé dans une autre espèce de pratique qui le caractérise bien, car il était déterminé trop intellectuellement pour être un séducteur ordinaire. Ainsi, le journal montre que, parfois, c'était quelque chose de tout à fait arbitraire qu'il désirait, un salut par exemple, et il ne voulait à aucun prix recevoir plus, parce que le salut était ce que la personne en question possédait de plus beau.                           wikiart.org
            Il a su tenter une jeune fille à l'aide de ses dons spirituels, il a su l'attirer vers lui sans se soucier de la posséder, au sens le plus strict...
            Je peux me figurer qu'il savait amener une jeune fille au point culminant où il était sûr qu'elle sacrifierait tout pour lui. Mais, les choses ayant été poussées jusque-là, il rompait, sans que de son côté les moindres assiduités aient eu lieu, sans qu'un mot d'amour ait été prononcé, et encore moins une déclaration d'amour, une promesse. Et pourtant, une impression avait été créée, et la malheureuse en gardait doublement l'amertume, parce qu'elle n'avait rien sur quoi s'appuyer, et parce que des états d'âme de nature très différente devaient continuer à la ballotter dans un terrible, infernal sabbat, lorsqu'elle se faisait des reproches, tantôt à elle-même en lui pardonnant, et tantôt à lui, et qu'alors elle devait toujours se demander si, après tout, il ne s'agissait pas d'une fiction, puisque ce n'était qu'au figuré qu'on pouvait parler de réalité au sujet de ce rapport. 
            Elle n'avait personne à qui s'ouvrir car, au fond, elle n'avait rien à confier.
            On peut raconter un rêve aux autres, mais ce qu'elle avait à raconter n'était pas un rêve, c'était une réalité, et pourtant aussitôt qu'elle voulait le rapporter à quelqu'un et soulager son esprit inquiet, elle n'avait rien à dire. Et elle le sentait bien elle-même. Personne, à peine elle-même, ne pouvait saisir ce dont il s'agissait et cependant, cela pesait sur elle avec un poids inquiétant.
            Ces victimes-là étaient donc d'une espère particulière. Il ne s'agissait pas de jeunes filles qui,  rejetées par la société, ou se croyant rejetées, se chagrinaient sainement et fortement ou parfois, lorsqu'elles prenaient la chose très à cœur, débordaient en haine ou en pardon. Aucun changement visible ne s'était opéré en elles, leur vie était semblable à celle qu'on voit tous les jours. Cependant elles avaient changé, presque sans qu'elles sachent se l'expliquer, et sans que les autres puissent s'en rendre compte. Leur vie n'était pas brisée, ni rompue, comme la vie de celles-là, elle était repliée au-dedans d'elles-mêmes. Perdues pour les autres elles essayaient vainement de se trouver elles-mêmes.
            Comme on peut dire qu'il était impossible de dépister la route du Jeune Homme, car ses pieds étaient faits de telle façon qu'ils gardaient l'empreinte qu'ils faisaient, c'est en effet ainsi que je me représentaient le mieux son intellectualisme infini, on peut dire aussi qu'aucune victime ne fut son fait.
            Sa vie était beaucoup trop intellectuelle pour qu'il put être un séducteur au sens ordinaire. Mais il revêtait parfois un corps para statique et n'était alors que sensualité. qu'il lui était possible de se présenter comme celui qui avait été séduit, oui, la jeune fille elle-même pouvait parfois être indécise à ce sujet, et là aussi les traces qu'il a laissées sont si vagues qu'aucune preuve n'est possible. Les individus n'ont été pour lui que des stimulants, il les rejetait loin de lui comme les arbres laissent tomber les feuilles, lui se rajeunissait, le feuillage se fanait.
            Mais qu'est-ce qui peut se passer dans sa tête ? 
            Je pense que, comme il a détourné les autres du bon chemin, il finira par se fourvoyer lui-même. Il a détourné les autres du bon chemin non pas sous un rapport extérieur mais sous un rapport interne relatif à eux-mêmes. Il est révoltant qu'un homme dirige sur de faux sentiers un voyageur ignorant le chemin à prendre et le laisse ensuite seul dans son erreur. Cependant n'est-il pas plus révoltant encore d'amener quelqu'un à se fourvoyer en lui-même ? Le dit voyageur a tout de même la consolation que la contrée présente continuellement un nouvel aspect et qu'avec tout changement d'aspect il peut espérer trouver une issue. Celui qui se fourvoye en lui-même n'a pas un territoire aussi vaste où se promener, il sent bientôt qu'il s'agit d'un cycle d'où il ne peut pas sortir. Et je pense que les choses se passeront ainsi pour lui, mais dans une mesure beaucoup plus terrible.
            Je ne peux rien m'imaginer rien de plus pénible qu'un intrigant dont le fil se casse et qui alors tourne toute sa sagacité contre lui-même puisque la conscience se réveille et qu'il s'agit de se démêler de toute cette confusion. Il ne lui sert à rien d'avoir beaucoup d'issues à sa tanière de renard. Au moment déjà où son âme inquiète pense voir la lumière du jour pénétrer dans la tanière, c'est en vérité une nouvelle entrée qui apparaît et, poursuivi par le désespoir comme un gibier effaré, il cherche toujours une issue et ne trouve toujours qu'une entrée par où il entre en lui-même.
            Un tel homme n'est pas toujours ce qu'on appelle un criminel. Il est souvent déçu par ses intrigues et cependant un châtiment plus terrible que celui du criminel s'abat sur lui, car même la douleur du repentir qu'est-elle en comparaison de cette folie consciente ? Son châtiment est de caractère purement esthétique, car même dire que la conscience se réveille est une expression trop éthique pour lui. La conscience se présente pour lui seulement comme une connaissance supérieure prenant la forme d'une inquiétude qui, en un sens plus profond, ne l'accuse même pas, mais le tient éveillé et qui ne lui accorde aucun repos dans son agitation stérile. Il n'est pas non plus insensé, car la foule des pensées finies n'est pas pétrifiée dans l'éternité de la démence.
            La pauvre Cordélia il lui sera difficile à elle aussi de trouver le calme. Du plus profond de son cœur elle lui pardonne mais elle ne trouve pas le repos, car le doute se réveille, c'est elle qui a rompu les fiançailles, c'est elle qui a été la cause du malheur, c'est sa fierté qui aspirait vers ce qui est peu ordinaire. Elle s'est repentie mais elle ne trouve pas le repos. Elle se fait des reproches parce qu'elle l'a haï, elle qui elle-même est une pêcheresse, des reproches parce qu'elle restera toujours coupable malgré toutes les perfidies auxquelles il se livrait. Il a agi cruellement envers elle en la trompant, et on serait presque tenté de le dire, plus cruellement encore en éveillant en elle la réflexion versatile, parce qu'il lui a donné un développement assez esthétique pour qu'elle n'écoute plus  humblement une seule voix et qu'elle soit capable d'entendre à la fois de multiples propos. Le souvenir se réveille alors dans son âme, elle oublie alors la faute et la culpabilité, elle se rappelle les bons moments, elle est étourdie dans une exaltation morbide. A ces moments-là, non seulement elle se le rappelle, mais elle le comprend avec une clairvoyance qui prouve combien elle a été fortement développée. Alors elle ne voit pas en lui le criminel, ni l'homme noble. Son impression de lui est purement esthétique. Elle m'a écrit une fois un petit billet dans lequel elle s'exprimait à son sujet :
            " Parfois il était tellement intellectuel que je me sentais anéantie comme femme, à d'autres occasions il était tellement sauvage et passionné et rempli de tant de désirs qu'il me faisait presque trembler. Parfois j'étais comme une étrangère pour lui, parfois il s'abandonnait entièrement. Si, alors, je jetais mes bras autour de lui, tout pouvait subitement changer et c'était une nuée que j'embrassais. Je connaissais cette expression avant de le rencontrer, mais c'est lui qui m'a appris à la comprendre, je pense toujours à lui lorsque je l'emploie, de même que je lui dois chacune de mes pensées. J'ai toujours aimé la musique, il était un instrument incomparable, toujours vibrant et avec une envergure qu'aucun instrument ne connaît. Il était la somme de tous les sentiments, de tous les états d'âme. Aucune pensée n'était trop élevée pour lui, ni trop désespérée, il pouvait mugir comme une tempête d'automne, il pouvait chuchoter d'une manière imperceptible. Aucune de mes paroles ne tombait à terre et je ne peux cependant pas dire que mes paroles ne manquaient pas leur effet, car il m'était impossible de savoir ce qu'il serait. J'écoutais cette musique que je provoquais moi-même. C'était avec une angoisse indescriptible, mais mystérieuse, bienheureuse et ineffable que j'écoutais cette musique que je provoquais moi-même et pourtant ne provoquais pas, mais elle était toujours harmonieuse et il me charmait toujours. "
            C'est horrible pour elle et cela sera plus horrible encore pour lui. Je l'infère de ce que moi-même je ne peux à peine dominer l'angoisse qui me saisit chaque fois que je pense à ces choses-là.
            Moi aussi j'ai été entraîné dans ce monde nébuleux, dans ce monde des rêves où à chaque instant on prend peur de sa propre ombre. Souvent j'essaie en vain de m'en arracher, j'y fais cortège comme un spectre menaçant, comme un accusateur muet.                                             
            Comme c'est étrange ! Il a tout enveloppé du plus grand mystère, et pourtant il y a un mystère plus profond encore : je suis confident et c'est bien de façon illégitime que je le suis devenu. Je ne parviendrai pas à oublier toute cette affaire. Parfois j'ai pensé à lui en parler, mais à quoi bon ? Ou bien il désavouerait le tout, il soutiendrait que le journal n'est qu'un essai poétique, ou bien il m'imposerait le silence, ce qu'étant donné la façon dont je suis devenu confident je ne pourrais pas lui refuser. Hélas, il n'y a rien sur quoi plane autant de séduction et de malédiction que sur un secret.
            J'ai reçu de Cordélia un recueil de lettres. Je ne sais pas s'il est complet, mais je crois me rappeler qu'un jour elle m'a laissé entendre qu'elle en avait elle-même supprimé quelques-unes. J'en ai fait une copie que j'insérerai avec les autres copies mises en net. Il est vrai que ces lettres ne sont pas datées mais, même si elles l'avaient été, cela ne m'aurait pas beaucoup aidé, puisque le journal, au fur et à mesure qu'il avance, marchande de plus en plus les dates, oui, sauf en un seul cas, il abandonne toute précision à cet égard, comme si l'histoire, bien que représentant une réalité historique, devenait qualitativement tellement importante dans son développement et s'idéalisait tellement que toute chronologie, pour cette raison déjà, était négligeable. 
            Ce qui, par contre, m'a aidé, est qu'en plusieurs endroits du journal on trouve quelques mots dont je n'apercevais pas l'importance dès l'abord. En les rapprochant des lettres j'ai cependant compris qu'ils sont à leur base. Il me sera donc facile de les insérer aux bons endroits, puisque j'insérerai toujours une lettre là où sa raison d'être a été ébauchée. Si je ne m'étais pas aperçu de ces indices, je me serais rendu coupable d'un malentendu, car il ne me serait pas venu à l'idée qu'à différentes époques, comme maintenant le journal le rend probable, les lettres se sont suivies si vite l'une l'autre qu'elle semble en avoir reçu plusieurs le même jour. Si j'avais suivi ma première idée, je les aurais sans doute réparties d'une façon plus égale, et je n'aurais eu aucune idée de l'effet qu'il a produit grâce à l'énergie passionnée ave laquelle il a fait usage ce moyen afin de maintenir Cordélia sur les sommets de la passion. 
            Outre les renseignements complets sur ses rapports avec Cordélia, le journal contenait quelques petites descriptions intercalées parmi le reste. Il a partout signalé ces descriptions par un " nota bene " dans la marge. Elles n'ont aucun rapport avec l'histoire de Cordélia, mais elles m'ont donné une idée vive du sens d'une expression dont il se servait souvent, et qu'auparavant je comprenais autrement : il faut toujours avoir une ligne prête à prendre le poisson. Si un volume précédent de ce journal était tombé entre mes mains, j'aurais probablement trouvé plusieurs autres de ces descriptions qu'il appelle quelque part en marge : " actiones in distans ", car il dit lui-même que Cordélia occupait trop son esprit pour avoir le temps nécessaire de songer à autre chose.
                Peu après avoir abandonné Cordélia il reçut d'elle quelques lettres qu'il a renvoyées sans les ouvrir. Ces lettres se trouvaient parmi celles que Cordélia m'a confiées. Elle les avait décachetées et je pense pouvoir me permettre d'en prendre copie aussi. Elle ne m'a jamais parlé de leur contenu, mais en faisant allusion à ses rapports avec Johannes elle avait l'habitude de citer quelques petits vers de Goethe autant que je sache, qui par rapport à la diversité de ses états d'âme et au ton différent qu'ils conditionnaient semblaient signifier plusieurs choses.

                   Gehe,                                       Va
                   Verschmähe                              Dédaigne
                   Die Treue,                                 La Fidélité,
                   Die Reue                                   Le Regret 
                   Kommi nach.                            Viendra ensuite.


                                                           à suivre.................

                                                       

 

            
 

                                      

samedi 30 janvier 2021

Polinka Anton Tchekhov ( nouvelle Russie )






       




                                        Polinka


            Il est un peu plus d'une heure de l'après-midi. Aux " Nouveautés de Paris ", une mercerie située dans un passage, le commerce bat son plein. On entend le bourdonnement monotone des commis, un bourdonnement qui rappelle celui de l'école, quand le maître fait répéter à tous les élèves en même temps une leçon à voix haute. Et ce bruit continu n'est rompu ni par le rire des dames, ni par le claquement de la porte vitrée du magasin, ni par les cavalcades des garçons de course.
            Au milieu de la boutique se tient Polinka, petite blonde maigrichonne, fille de Maria Andreïevna qui tient une maison de mode. Elle cherche quelqu'un des yeux. Un gamin aux sourcils de jais se précipite vers elle et s'enquiert, en la regardant avec le plus grand sérieux :
            - Que désirez-vous, Madame ?
            - C'est toujours Nikolaï Timofeïtch qui s'occupe de moi, répond Polinka.
            Le commis Nikolaï Timofeïtch, beau brun bien tourné, frisé, vêtu à la mode, une grosse épingle à sa cravate, a déjà fait de la place sur le comptoir. Il tend le cou et, tout sourires, contemple Polinka.
            - Pelagueïa Sergueïevna , mes respects ! crie-t-il d'une vigoureuse et belle voix de baryton. Je suis à vous...
            - B,jour ! répond Polinka en s'approchant. Voyez je reviens à vous. Trouvez-moi du passement.
            - A quoi le destinez-vous ?
            - C'est pour un soutien-gorge, pour le dos, bref pour faire un ensemble.
            -Tout de suite...
            Nikolaï Timofeïtch présente à Polinka plusieurs sortes de passements ; elle choisit, nonchalante, et se met à marchander.
            - Allons donc, un rouble, c'est donné ! assure le commis qui sourit, condescendant. C'est du passement français, du huit-brins. Mais si vous voulez, nous en avons de l'ordinaire, du gros. Celui-là est à quarante-cinq kopecks l'archine, mais, excusez du peu, ce n'est pas la même qualité !
            - Il me faut également une longueur de jais avec des boutons en passementerie, poursuit Polinka en se penchant sur la marchandise et Dieu sait pourquoi, en poussant un soupir. Et puis n'auriez-vous point des breloques de cette couleur ?
            - Si fait ma chère !
            Polinka se pencha encore plus au-dessus du comptoir et demanda à voix basse :
            - Pourquoi donc Nikolaï Timofeïevitch nous avez-vous quittés si tôt jeudi dernier ?
            - Hum... Je m'étonne que vous l'ayez remarqué, répond le commis avec un petit rire. Vous étiez si entichée de ce jeune monsieur l'étudiant que... curieux que vous vous en soyez aperçue !
             Polinka s'empourpre et n'ajoute rien. Le commis dont les doigts tremblent nerveusement referme les boîtes et, sans aucune nécessité entreprend de les empiler.
             Une minute s'écoule en silence.
             - J'ai également besoin de dentelles, de perles, reprend Polinka en levant sur le commis des yeux coupables.
             - Lesquelles vous faut-il ? Le tulle rebrodé en noir et en couleur est le plus à la mode.
             - Vous le faites à combien ?
             - Le noir à partir de quatre vints kopecks, celui en couleur à deux roubles cinquante. Quant à moi ma chère, je ne remettrai pas les pieds chez vous, ajoute Nikolaï Timofeïevitch à mi-voix.
             - Pourquoi donc ?
             - Pourquoi ? C'est très simple. Vous devez vous-même le comprendre. En quel honneur devrais-je être au supplice ? Vous êtes drôle ! Vous croyez peut-être qu'il m'est agréable de voir ces étudiants faire le joli coeur auprès de vous ? Je vois tout, vous savez, je comprends tout. Il vous courtise comme un fou depuis l'automne et vous allez en promenade presque tous les jours avec lui. Et lorsqu'il vient en visite chez vous vous le buvez littéralement des yeux, à croire que c'est un ange. Vous en êtes entichée, pour vous il surpasse tous les autres. Eh bien parfait ! A quoi sert de discuter...
            Polinka ne dit rien, elle promène un doigt confus sur le comptoir.
            - Je vois absolument tout, poursuit le commis. Quelle raison aurais-je de fréquenter chez vous ? J'ai de l'amour-propre. Tout le monde n'apprécie pas d'être la cinquième roue du carrosse. Au fait, que me demandiez-vous ?
            - Maman m'avait priée de lui prendre deux ou trois choses mais je ne sais plus quoi. Il me faut aussi une bordure de plumes.
             - Quel genre ?
             - Ce qu'il y a de mieux, de plus à la mode.
             - La mode est aux plumes d'oiseaux, pour les couleurs, si vous le souhaitez, la mode est à présent à l'héliotrope ou canaque, autrement dit bordeaux mêlé de jaune. Nous avons un très grand choix. Où va mener toute cette histoire, je n'en sais décidément rien. vous vous êtes amourachée, bon ! Mais comment cela va-t-il finir ?
            Des marques rouges sont apparues sur le visage de Nikolaï Timofeïevitch, près de ses yeux. Il froisse entre ses doigts un ruban délicat, duveteux, en continuant de marmonner.                                              
            - Vous vous figurez qu'il vous épousera, c'est ça ? Là-dessus laissez vos illusions. Les étudiants n'ont pas le droit de se marier et puis, croyez-vous donc qu'il fréquente chez vous pour le bon motif ? Allons !Ces fichus étudiants, sachez-le, ne nous tiennent pas pour des êtres humains... Ils ne fréquentent chez les marchands et les modistes que pour se gausser de notre manque d'instruction et pour les beuveries. Ils auraient honte de boire chez eux ou dans de bonnes maisons alors que chez les gens simples, peu instruits comme nous, y a pas de gêne à avoir, ils peuvent même marcher sur la tête si ça leur chante ! Eh oui ma chère ! Bon, quelles plumes prendrez-vous ? Et s'il vous courtise et feint de vous aimer, on sait ce que cela veut dire. Quand il sera docteur ou avocat ça lui fera des souvenirs ; " Hé-hé ! racontera-t-il, j'ai eu autrefois une de ces petites blondes ! Où peut-elle être aujourd'hui ? " Aussi bien se vante-t-il déjà, dans son monde d'étudiants, de guigner une jeune modiste, je ne vous dis que ça !
            Polinka s'assied sur une chaise et contemple rêveuse la montagne de boîtes blanches.
            - Non, finalement je ne prendrai pas de plumes, soupire-t-elle. Que maman choisisse celles qu'elle veut, je ne vais pas risquer de me tromper. Donnez-moi six archives de franges pour un diplomate à quarante kopecks. Il me faut également, toujours pour le diplomate, des boutons en coco avec les trous en travers, pour qu'ils tiennent mieux.
            Nikolaï Timofeïevitch empaquette franges et boutons. Elle le fixe d'un air coupable et attend manifestement qu'il continue de parler, mais il garde un silence maussade en rangeant les plumes.
            - Je ne dois pas oublier non plus des boutons pour une robe de chambre, reprend-elle, après un instant de silence en essuyant de son mouchoir ses lèvres pâles.
            - Lesquels vous faut-il ?
            - Nous cousons pour une marchande, il faut donc quelque chose qui sorte de l'ordinaire...
            - Oui. Pour une marchande il faut du bariolé. Voici vos boutons ma chère, un mélange de bleu, de rouge, sans parler du doré terriblement à la mode... C'est tout ce qu'il y a de voyant. Les personnes plus délicates nous prennent, elles, du noir mat avec juste un petit liseré de brillant. Toutefois je ne comprends pas... n'avez-vous donc pas de jugeote ? Allons, à quoi vous mèneront ces... promenades ?
            - Je ne sais pas moi-même, murmura Polinka en se penchant sur les boutons. Je ne sais pas moi-même ce qui m'arrive, Nikolaï Timofeïevitch.
            Derrière Nikolaï Timofeïevitch, le coinçant contre le comptoir, se glisse un imposant commis avec des favoris. Rayonnant de la plus exquise galanterie il crie :
             - Ayez la bonté, Madame, de venir à notre rayon. Nous avons trois modèles de corsages en jersey : simples, avec soutache et avec garniture de perles... Lequel préférez-vous ?
             Cependant, une grosse dame passe devant Polinka et dit d'une voix grave et profonde, presque une voix de basse :   pinterest.fr
             - Attention ! Je les veux sans couture, s'il vous plaît, tricotées et avec le plomb de la douane.
             - Faites mine de regarder la marchandise, murmure Nikolaï Timofeïvitch en se penchant vers Polinka et en lui adressant un sourire contraint. Seigneur Dieu ! vous êtes livide ! Vous avez l'air malade, vous êtes toute retournée ! Il vous abandonnera Pelagueïa Sergueïevna ! Et, s'il vous épouse jamais ce ne sera pas par amour, mais parce qu'il criera famine et guignera votre argent. Il montera bien son ménage sur votre dot... puis il aura honte de vous... Il vous cachera à ses hôtes et camarades parce que vous manquez d'instruction... Ma Gourde ! voilà ce qu'il dira de vous ! Vous prétendriez-vous capable de vous tenir comme il faut dans une société de docteurs ou d'avocats ? Pour eux, vous n'êtes qu'une modiste !... Une pauvre créature ignare !
            - Nikolaï Timofeïevitch, crie quelqu'un à l'autre bout du magasin, Mademoiselle voudrait trois archines de ruban à picot, nous en avons ?
            Nikolaï Timofeïevitch se détourne, se compose un visage et répond d'une voix forte :
            - Nous en avons, en effet, nous avons du ruban à picot, de l'ottoman satiné et du satin moiré...
            - Au fait, que je n'oublie pas, Olla m'a priée de lui prendre un corset, dit Polinka.
            - Vous avez... les larmes aux yeux ! constate Nikolaï Timofeïevitch, effrayé. Pourquoi ? Allons voir les corsets, vous vous cacherez derrière moi... C'est gênant...
            Avec un sourire forcé et un air faussement dégagé, le commis entraîne rapidement Polinka vers le rayon des corsets, la dissimulant au public derrière une haute pyramide de boîtes.
            - Quel corset désirez-vous ? demande-t-il d'une voix forte, en murmurant aussitôt : Séchez vos yeux !
            - Je veux... du quarante-huit... seulement elle le souhaite double, s'il vous plaît, avec une doublure... des baleines véritables... Je dois vous parler Nikolaï Timofeïevitch. Venez tantôt...
            - Me parler de quoi ? Il n'y a rien à dire...
            - Vous seul... m'aimez. En dehors de vous je n'ai personne... à qui parler...
            - Pas de jonc, ni d'os. De la vraie baleine.. Parler de quoi ? Il n'y a rien à dire, car vous irez aujourd'hui vous promener avec lui ?
            - Je... J'irai, oui.
            - Alors, de quoi pourrions-nous bien parler ? Toute discussion est inutile... Vous en êtes entichée, n'est-ce pas ?
            - Oui, murmura Polinka hésitante, tandis que de grosses larmes jaillissent de ses yeux.
            - Qu'aurions-nous à nous dire, marmonne Nikolaï Timofeïevitch en haussant les épaules irrité et en pâlissant. Il n'y a pas à discuter... Séchez vos yeux, voilà tout. Je... je ne veux rien...
            C'est alors qu'un long et maigre commis s'approche de la pyramide de boîtes en disant à sa cliente :
            - Peut-être voudriez-vous un bel élastique de jarretière, qui ne coupe pas la circulation et est recommandé par la Faculté ?
            Nikolaï Timofeïevitch masque Polinka et, s'efforçant de dissimuler leur trouble à tous deux, grimace un sourire, puis lance d'une voix forte : *
            - Nous avons deux sortes de dentelles, Madame, en coton et en soie... Orientales, bretonnes, valenciennes, crochet, étamine, cambrai... Pour l'amour du ciel, séchez vos larmes ! On vient !
            Et, voyant que ses larmes continuent de couler, il reprend de plus belle :
            - Espagnoles, rococo, soutache, cambrai... Bas en fil d'Ecosse, en coton, en soie...



                                                                                                         Anton Thekhov



mardi 26 janvier 2021

Quatrains et autres poèmes Emily Dickinson 8 ( extraits ( Poèmes Etats-Unis )

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                         Poèmes brefs

            Par d'aussi menues Courtoisies,
            Une Fleur, ou un Livre,
            Se plantent les graines de sourires - 
            Qui dans l'ombre fleurissent.

            By Chivalries as tiny,
            A Blossom, or a Book,
            The seeds of smiles are planted -
            Which blossom in the dark.


**********************

            Les Collines en syllabes Pourpres
            Content les Aventures du Jour
            A de petits Groupes de Continents
            Qui s'en retournent de l'Ecole -

            The Hills in Purple syllables
            The Day's Adventures tell
            To little Groups of Continents
            Just going Home from School -


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            Pour Qui les Matins sont synonymes de Nuits,
            Que doivent être - les Minuits !

            To Whom the Mornings stand for Nights,
            What must The Midnights - be !


************************


            L'amour devient trop petit, comme le reste
            On le range dans un Tiroir -
            Puis un jour sa mode apparaît Désuète -
            Comme l'Habit que portaient nos Aïeux.

            We outgrow love, like other things
            And put it in the Drawer -
            Till an  Antique fashion shows -
            Like Costumes Grandsires wore.


************************

            Soleil et Brouillard se disputaient
            Le Gouvernement du Jour -
            Le Soleil a décroché son Fouet Jaune
            Et chassé le Brouillard -

            The Sun and Fog contested
            The Government of Day -
            The Sun took down his Yellow Whip
            And drove the Fog away -


                                 Emily Dickinson  
   
                    in Quatrains col. Poésie éd. bilingue Gallimard  Extraits    
            

                                                                                           


jeudi 21 janvier 2021

Soit dit en passant Woody Allen ( Autobiographie Etats-Unis )

 















                                                       Soit dit en passant

            Succès et déboires d'un cinéaste américain, newyorkais, il le revendique profondément attaché à Manhattan dont il rêvait enfant alors qu'il habitait un coin éloigné qu'il rejoignait en métro lorsque, très jeune, avait-il dix ans ? il évitait l'école et allait au cinéma et voyait tous les films qui arrivaient chaque semaine, c'était les années 4O. Il fut certainement cinéphile avant d'être cinéaste. Elevé dans une famille middle class, sa mère qui avait la main leste et Woody les joues souvent rougies tant elle fut appelée par les directeurs de collège pour absences répétées, travaillait pour pallier aux défaillances du père fantaisiste. Woody Allen s'étonnera plus tard qu'on l'ait pris pour un intellectuel parce qu'il " portait des lunettes et citait Bergman ", mais en fait il n'aimait que les comics. Et ne lut que beaucoup plus tard, curiosité et métier obligent, avec des manques, des creux dans sa culture qu'il cite. Mais sportif. Imaginatif, d'esprit plaisant ( adoré des sœurs de sa mère ), il écrit des textes humoristiques. Arrivé péniblement à l'Université il côtoie des filles charmantes ce qui soulage sa libido surchargée et sa mère qui, par extraordinaire ne le contre pas le pousse à proposer ses textes. Acceptés. La carrière de Woody Allen est lancée. Très jeune il gagne sa vie, mais travaille beaucoup. Ecrit continuellement ses histoires, passe à la radio, au cabaret. L'un de ses comparses alors qu'il participe à l'écriture d'un scénario lui dit : " Bienvenue dans l'enfer du show business  ". Il y a Woody Allen et ses multiples compagnes, et le jazz, il ne quittera jamais sa clarinette et joue et donne des concerts partout dans le monde avec le New Orléans Jazz Band, sa clarinette toujours à portée, " modeste interprète ", dit-il. L'intérêt du livre vient aussi de son choix des sujets. Nombreux sont ceux qui voulaient travailler avec Woody Allen. Cary Grant venu l'écouter au club de jazz et que personne ne reconnut, mais le sujet qui pouvait convenir à Cary Grant arriva trop tard, la star avait pris sa retraite. Lui-même star de la nuit, il est invité chez Heffner et ses playmates, visiteur passager. Diane Keaton garde toute son amitié, sa tendresse peut-être, interprète à ses côtés de Manhattan et d'autres films. Tant de noms, tant d'épisodes de cette vie starisée qui lui permit, grâce à un travail incessant, d'acquérir un loft sur la 5è Avenue; comme il l'avait souhaité enfant. "..... J'ai travaillé brièvement avec Godard, rencontré Resnais et dîné avec lui, passé beaucoup de temps auprès d'Antonioni......... J'ai rencontré Tati qui me conseilla d'économiser pour ne pas me retrouver dans une maison de retraite pour acteurs....... " Woody Allen eut des problèmes avec certains de ses producteurs, mais avait décidé dès son premier film de tout contrôler. Ce qu'il fit. Puis arriva l'épisode malheureux Mia Farrow. Raconté, détaillé une bonne partie de fin de l'autobiographie, ne rien ajouter, ne pas commenter paraît plus juste après que le FBI a enquêté deux fois sans avoir trouvé aucune preuve de ce dont l'accuse la comédienne avec qui il n'a jamais été marié et de fait très attirée par Jack Nicholson, son voisin, mais pas libre. A noter cependant la très grande ressemblance de celui censé être le fils de Woody Allen avec, Frank Sinatra. Imbroglio destructeur. Tout le gotha du cinéma américain des années  40/50 défile au long du texte, 530 pages, Katheryn Hepburn et Spencer Tracy, Franchot Tone, Bob Hope, Martyn Ritt " un obèse plein de grâce ", Peter Sellers et d'autres, vedettes des films noirs de ces années. Woody Allen a quelques fidèles, malgré cette fin de carrière houleuse. Quelques titres des films de Woody Allen : " Quoi de neuf Pussycat ? -  Prends l'oseille et tires-toi - Bananas - Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander - .......... Annie Hall - Intérieurs....... Blue Jasmine........ Bien sûr ses films sont étudiés dans  les universités, ils touchent tous les publics. Mais la virulence et les attaques forcenées de Mia Farrow et de son fils Ronan qui refusent les conclusions des tribunaux et du FBI qui innocentent, ou tout au moins n'ont trouvé aucune preuve des allégations peut-être mensongères bloquent les rencontres.  Pourquoi ? Spéculations inutiles. Woody Allen a 85 ans et peut s'arrêter de faire des films. Dommage, qu'aurait-il raconté de tous ces événements. Livre intéressant pour passionnés de cinéma. 













mercredi 20 janvier 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 137 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                                                16 Mars 1665

            Levé et à mon bureau, avons travaillé toute la matinée. Ce matin ma femme de retour de sa sortie sur le fleuve, après avoir passé la nuit sur le " Prince " avec les fillettes. A midi, dînai chez moi et ma femme me narra le déplaisant voyage fait hier; la peur des petites et les imprudences lui ont gâté tout plaisir. 
            Ai bien dîné et derechef au bureau. Cet après-midi Mr Harris, le maître voilier, m'a généreusement fait cadeau de deux chandeliers d'argent avec leurs éteignoirs ainsi que le plateau sur lequel les poser. L'ensemble est, ma foi, fort beau.. Le soir arrive Mr Andrew avec 36 livres, mon contrat de Tanger continuant à porter fruit, puis au lit, tard, las de mes affaires, mais l'esprit serein. Je remercie Dieu de ses multiples bienfaits.


                                                                                                                           17 mars

            Levé et à mon bureau puis, avec sir William Batten, à St James où nombreux sont venus prendre congé du Duc, comme prévu, mais il ne part point avant lundi.
            Cette nuit milady Wood est morte de la petite vérole, et on déplore grandement parmi la noblesse la perte d'une femme d'un naturel aimable, et bonne épouse de surcroît. Cela dit, de réputation elle était comparable à bien d'autres. 
            Le Duc nous laissa plusieurs ordres et nous le quittâmes sans lui faire nos adieux. Mais la meilleure nouvelle est qu'au lieu d'être confiées à une nuée de lords tracassiers, les affaires reposeront entre les mains du duc d'Albemarle, qui le remplacera dans sa fonction d'amiral. Voilà qui me réjouit le cœur, les autres nous eussent contraints à une présence inutile et le travail n'eût jamais été fait.
            De là à la Commission de Tanger, où le Duc apparut un moment avant de prendre congé et nous restâmes au grand complet, les lords Albemarle........ et quelques autres. Le seul ordre du jour, présenter les comptes de Povey. Bref, nul ne parla de lui en plus mauvais termes ni n'entendit personne lui jeter au visage des propos plus infamants que ceux tenus par cette assemblée, au sujet de sa bêtise, s'entend, et certaines paroles portèrent atteinte à son honnêteté. La séance s'acheva dans le désordre et la honte. Je parvins cependant à régler mes affaires, à savoir que j'obtins signature de deux lettres de change destinées aux fournisseurs et au capitaine Taylor, et rentrai donc satisfait. Puis, avec ma femme, à la Bourse pour dîner. Après quoi conduisit ma femme chez son père à Charing Cross, puis de nouveau à la commission. Nouvelle séance houleuse au sujet de Povey qui ne fait qu'aggraver son cas. Elle s'acheva de nouveau à sa plus grande disgrâce et en des termes injurieux qui le déshonoraient, à savoir qu'on ne lui confierait plus aucun argent tant qu'il ne se serait pas expliqué. Sur quoi on se quitta.
            Povey saisit l'occasion de me prier de laisser les autres et nous allâmes à Londres par eau. En chemin, de son plein gré, il me fit cette suggestion : il me cèderait le poste de trésorier et garderait la moitié des bénéfices. Voilà qui est d'une grande nouveauté en ce qui me concerne. Plus j'y songe, plus ce projet m'agrée et je l'incitai donc à faire agir le Duc. Que la chose se fasse ou non, peu me chaud, mais m'est avis que pour lors n'est pas sans intérêt.
            Chez moi, trouve ma femme rentrée et qui s'est alitée, indisposée par un coup de froid pris hier sur l'eau. Bellamy est passé me voir de nouveau à mon bureau, et j'ose tirer quelque chose de ses services. Rentré souper tard, puis au lit.


                                                                                                                     18 mars

            Levé et à mon bureau toute la matinée. A midi à la Bourse et, accompagné de Mr Hill, chez  Povey où nous dînâmes et lui fîmes visiter la maison à sa vive satisfaction, mais dès notre prochaine rencontre, je crois que nous en rirons. Ayant à faire sur place je restai, lui partit, et nous travaillâmes, Creed, Povey et moi, aux comptes de celui-ci, tout l'après-midi et jusque tard le soir. Et là,

que Dieu lui vienne en aide ! on ne vit jamais homme plus déconfit, et tous ceux qui le fréquentent en ce monde l'étaient aussi. Après avoir fait le travail requis, nous nous séparâmes et Povey, devant Creed, me fit connaître ce à quoi il était parvenu en faisant part au Duc et à d'autres de sa décision de faire de moi le trésorier. Il a mené loin l'affaire et je crois qu'on ne peut plus guère revenir en arrière. Creed, je le sens, est jaloux, mais tout en restant persuadé que ce poste ne me nuira point, je me demande si, dans le cas contraire, il ne conviendrait pas d'y renoncer pour de bon. Car il m'incommodera moi et les affaires de la marine qui, au cours de la guerre, accapareront tout mon temps. Rentrai, toujours dans cet état d'incertitude, mais que Dieu tout puissant décide au mieux !
            A mon bureau jusque très tard, puis rentrai souper et, au li


                                                                                                                             19 mars
                                                                                                          Jour du Seigneur
            Mr Povey m'envoya sa voiture de bon matin et m'en fus chez lui. Là, à notre grand désarroi, apprenons que de l'avis de Mr Brouncker c'est milord Fitzharding qui deviendra trésorier au départ de Povey, ce sur promesse antérieure faite par les ducs, et il serait prêt à offrir une somme aussi importante..
            Voilà qui nous accabla fort, si bien que nous allâmes rejoindre Creed dans ses nouveaux appartements de Mews et le trouvâmes le perroquet sur l'épaule. L'animal blessa non loin de l'oeil Mr Povey qui passait à proximité, et fort profondément, eût-il atteint l'œil il l'aurait crevé. Ceci nous contraria un moment mais la blessure n'était point trop grave et nous en vînmes à nos affaires afin d'aviser de la conduite à suivre. On arriva enfin à une décision.
            M'en fus chez Mr Coventry qui me donna d'amicaux et judicieux conseils : m'invitant à ne point refuser une telle offre qui me vaudrait, à coup sûr, de rencontrer bon nombre de personnes, alors que j'étais enterré, me dit-il, parmi mes trois ou quatre collègues de la marine, " mais ne vous mettez pas en conflit déclaré contre milord Fitzharding ".
            De là chez Creed, nous nous promenâmes et bavardâmes dans le parc une heure et allâmes dîner chez milord Sandwich. Puis chez Povey, allé chez le duc d'York et Mr Coventry ayant intercédé auprès de lui, celui-ci lui fit savoir que rien n'empêcherait l'affaire, qu'on passerait outre Bouncker et que milord Fitzharding se tairait. .
            Mais, conséquence fâcheuse, j'entendis dire que sir George Carteret parut mécontent et ne dit mot en apprenant que j'étais proposé comme successeur de Povey. Ce qui m'apprend à discerner qui, parmi les hommes, qui est l'ami véritable, qui est le faux.
            Fort réjouis par cette nouvelle, Mr Povey et moi nous rendîmes à Hyde Park dans sa voiture, car c'est aujourd'hui le premier jour de la parade. On y voit de fort jolies femmes : Castlemaine allongée sur le dos avec impudeur dans sa voiture dormait la bouche ouverte. On vit aussi milady Carnegie, ex-milady Anne Hamilton, dont on dit qu'elle a donné une chaude-pisse au Duc la première fois qu'il la visita. Je vis également la fille de John Lawson et son mari, un beau couple, ainsi que Mr Southwell et sa nouvelle épouse, femme fort avenante.
            Rentrai, fis un détour chez le docteur Hoare, dont je vis l'épouse, fort belle. Puis chez moi et, à ma requête, Creed me rejoignis bientôt, dormit chez moi, et ce fut fort gai, la conversation allant bon train quant à décider que faire le lendemain et quels avantages accompagneront ma désignation à ce poste qui, je crois, seront considérables.


                                                                                                                        20 mars 1665

            Levés Creed et moi, fîmes quérir la voiture de Povey et nous rendîmes chez lui et préparâmes le travail de la journée. Puis chez milord Sandwich Povey et moi. Il m'apprend que le Duc est non seulement très favorable à ce projet, mais il me soutient et a pour moi toute l'affection, le respect et l'estime qu'il est possible. Voilà qui me comble de joie.
            A St James, empli de doute au sujet de Brouncker, mais j'ai appris qu'il renonçait finalement à son projet et que le Duc avait enjoint au secrétaire Bennet de déclarer à la commission qu'il me jugeait désirable à ce poste, et brossa de moi le portrait d'un homme qui, pour son industrie et son discernement, lui paraissait plus digne de confiance que nul autre dans ce pays, discours qu'il refit devant milord Sandwich.
            Puis à Whitehall, à une séance de la commission de Tanger où fûmes nombreux. Après d'autres affaires Povey présenta fort habilement son propos, disant qu'il était désolé d'avoir été malchanceux dans ses comptes au point de ne pas donner à leurs Seigneuries la satisfaction souhaitée, ajoutant qu'il était convaincu de la justesse de ses comptes, en espèces sonnantes et trébuchantes, qu'à l'avenir, afin que le travail soit mieux fait et que lui-même soit plus serein, il souhaitait, avec l'approbation du Duc, laisser sa place à Mr Pepys. Sur ce le secrétaire déclara ce que le Duc avait ordonné, et qui fur reçu avec une satisfaction et un assentiment inattendus, et je perçus que milord Fitzharding fut heureux de me savoir à ce poste et glissa un mot d'estime à mon sujet au secrétaire Bennet. Je reçus leurs statuts signés de leurs mains, si bien que me voici leur trésorier officiel, habilité qui plus est à émettre des tailles. Le tout sans l'ombre d'un reproche ou d'une critique, tout au contraire. C'est une heureuse fortune, et inespérée. Puis on leva la séance.
            Povey, Creed et moi, fort joyeux, allâmes dîner, ils m'installèrent, comme promis, aux côtés de sir John  Winter qui paraît être un homme de bien et de mérite et de conversation agréable. Il nous fallut discuter de la fourniture de fer pour les ancres destinées au roi, et savoir si ce fer est d'assez bonne qualité.                                                                                                                             pinterest.fr           
            Quel plaisir de me voir arrivé au point d'être reçu par des gens d'un tel rang, Winter étant depuis longtemps secrétaire auprès de la reine-mère. Puis chez Povey, examinâmes quelque peu le travail à faire, puis chez moi où je m'y consacrai jusqu'à une heure tardive. Will Howe est venu au sujet de ses comptes concernant les sommes investies dans la flotte. Après son départ, rentrai, souper et, au lit.
            La nouvelle est arrivée ce jour que le capitaine Allin est de retour de Méditerranée, non loin de Portland, avec 11 navires du roi et 22 navires marchands.
                                                                                                                                   
                                                                 
                                                                                                                           21 mars

            Lever. Mon tailleur est venu examiner ma garde-robe complète afin de remettre mes habits en état en vue de l'été. A mon bureau, travaillai toute la matinée. A midi à la Bourse, accompagnai Mr Andrews chez lui où nous dînâmes avec Mr Shipley, fort bien et gaiement et chez Mr Povey afin de décider de la question de la trésorerie. M'est avis que nous nous entendrons fort bien et je m'en réjouis. Mais plus je le vois plus je suis convaincu de sa niaiserie.
            En voiture aux Mews, mais Creed n'y était point. En chemin la voiture emprunta un chemin non loin de Drury Lane où quantité de ribaudes attendaient sur le pas de leur porte, ce qui, Dieu me pardonne ! me mit en tête de mauvaises pensées, mais grâce à Dieu, les choses n'allèrent pas plus loin.
            Chez moi et à mon bureau très tard. Rentrai et là trouvai une paire de coupes d'apparat, fort grandes, allant chercher chacune dans les 6 livres, de la part de Burrow, le marchand de hardes pour matelots.


                                                                                                                               22 mars

            Levé puis chez Mr Povey pour notre affaire, puis chez Mr Warwick, mais ne pus le voir. De là chez Mr Coventry dont le témoignage d'affection et d'estime envers moi fut si généreux et spontané que jamais je n'eusse espéré ou souhaité davantage, l'eussé-je reçu de toute autre personne en Angleterre, je ne l'eusse point mieux apprécié. Puis chez Mr Povey et à la Bourse avec Creed, puis chez moi. Mais comme c'était jour de lessive, ne dînâmes pas chez moi, mais l'emmenai, étant moi-même invité, chez Mr Hubland, le négociant, où se trouvaient aussi bon nombre d'hommes industrieux, propriétaires et affréteurs de l'Experiment prochainement mis à flot avec ses deux quilles. Nous parlâmes fort bien. Entre autres, sir William Petty me raconta, sans plaisanter le moins du monde, qu'il avait, par testament, laissé telle ou telle part de sa fortune à qui ferait telle ou telle invention, comme par exemple celui qui découvrirait la véritable manière dont le lait monte aux seins d'une femme, ou les termes susceptibles de définir pour autrui les mélanges de saveurs et de goûts. Mais il ajoute qu'à l'inventeur de l'or il ne léguerait rien, s'agissant de la pierre philosophale " car, dit-il, ceux qui la découvriront sauront se payer eux-mêmes et que mieux vaut alors donner de l'argent pour une communication à la Société, car en cet endroit mes exécuteurs testamentaires, devant attribuer une somme, ne manqueront point de vouloir être entièrement convaincus de la véracité de l'invention avant de se séparer de leurs fonds. " 
            Après dîner Mr Hill me fit entrer avec Mrs Hubland, une charmante dame, dans une autre pièce, où nous lui demandâmes de chanter, ce qu'elle fit fort bien, et j'en fus ravi.
            Ensuite à Gresham College où j'ai vu un chaton que l'on fit presque mourir, l'ayant placé dans un bocal dont on avait aspiré l'air, et aussitôt ranimé dès qu'on fit à nouveau entrer l'air. Celui-ci est obtenu par le mélange d'une liqueur et d'un corps qui fermente et dont la vapeur produit le résultat en question.
            Puis chez moi et à Whitehall où la Chambre ne parle que du Duc qui part demain, puis à St James, où survint ce qui suit :
            1. Je vis le Duc. Lui baisai la main. Il me marqua en termes fort chaleureux l'estime et la haute opinion qu'il a de moi, ce qui me combla par-dessus tout.
            2. Mr Coventry fit de même, le plus cordialement et affectueusement du monde.
            3. Vis, entourée d'autres jolies dames, Mrs Myddleton, fort belle femme que je ne connaissais point et dont on ne m'avait jamais parlé auparavant. 
            4. Vis Waller, le poète, que je n'avais jamais rencontré.
            Rentrai fort tard, en voiture, avec sir William Penn.



                                                                                                               23 mars 1665


            Levé et chez milord Sandwich qui, aujourd'hui, doit accompagner par eau le Duc jusqu'à l'estuaire où se trouve le Prince. Il me reçut avec grande bonté et, tout occupé qu'il est, me manifesta sa joie de me savoir promu et me dit, sans tarir, combien le Duc, à chaque occasion, avait manifesté à mon égard sa haute opinion de mes services et son affection. Je le remerciai et le saluai, puis rentrai chez moi où j'ai travaillé toute la matinée. 

            A midi à la Bourse, puis dîner chez moi avec Llewellyn. Ressortis en voiture, emmenai ma femme à Westminster. Au Cygne chez Herbert où j'eus la bonne compagnie de Sarah, comme je l'avais espéré, puis visite à Mrs Martin, fort aimable. Les trois premières semaines de son mois de couches sont écoulées.
            Repris ma femme au passage, puis à la maison où j'ai travaillé quelque temps, puis souper et, au lit.
            Selon la rumeur on aurait entendu gronder le canon à Deal, mais rien de précis, que ce soit vrai ou non.


                                                                                                                        24 mars

            Levé matin et, comme convenu, à la taverne du Globe, dans Fleet Street, chez Mr Clerk, mon avoué, au sujet des comptes de mon oncle, puis accompagné d'un certain Jeffreys chez l'un des barons, Spelman, où je déclarai mes comptes et fis serment de leur exactitude, à ma connaissance, si bien qu'après quelques formalités je serai dégagé de tout souci. 
            Chez Povey à qui je portai ses lettres pour lui de la plus haute importance, mais que le jeune Bland, récemment revenu de Tanger, a fait tomber en chemin, non loin de Sittingburne, et qui furent retrouvées et envoyées à Mr Pett à Chatham. Mais tout ce que fait Povey relève d'une négligence et d'une sottise des plus fâcheuses.
            Puis nous l'entreprîmes, Creed, Mr Viner et moi-même et Poyntz au sujet de la maison de correction de Clerkenwell. Nous y allâmes après dîner et vîmes les ateliers. Consultâmes aussi les textes de loi qui s'y rapportent et d'autres documents afin de pouvoir entreprendre notre projet, avec Povey, d'administrer la maison. Mais je ne crois point que nous puissions nous en mêler sans dommages, du moins jusqu'à ce que je prenne le temps d'en avoir le cœur net, mais l'idée reste ingénieuse et louable.
            Puis chez milady Sandwich où ma femme a passé la journée et a observé un jeûne très strict à l'occasion du vendredi saint. Nous y soupâmes et parlâmes fort gaiement, et milady, seul à seul, me dit qu'elle pense sérieusement au fils de sir George Carteret, que, à ce que je vois, on souhaiterait marier à milady Jemima. Puis chez moi, à mon bureau et, au lit.


                                                                                                                       25 mars
                                                                                                    Jour de l'Annonciation  
                                                                                                                         pinterest.fr
      Levé tôt et à mon bureau toute la matinée. A midi dînai seul avec sir William Batten, parlâmes beaucoup de sir William Penn, sir William Batten étant, à ce que je vois, quelque peu en froid avec lui qu'il juge trop altier, trop hautain, puis commençai à me dire qu'on mettait en doute son courage. Sur quoi je répondis sans ambages que j'avais entendu dire qu'il avait, pour cette raison, été mis en accusation et, qu'en cette affaire, sir Henry Vane lui avait témoigné grande amitié. Ces paroles, je le vois, le remplirent d'aise. 
            A mon bureau et fort occupé jusque très tard à ma grande satisfaction.
            Cet après-midi sir William Penn est revenu brusquement après avoir quitté la flotte, pour quelle raison je l'ignore.
            Rentré tard, souper et, au lit.


                                                                                                                            26 mars
                                                                                   Jour du Seigneur et Jour de Pâques
            Levé et avec ma femme qui, depuis un mois n'est pas allée à l'église, à l'office. A midi, à la maison, Mercer étant restée pour la Cène.
            Voici sept ans aujourd'hui que, par la grâce de Dieu, j'ai réchappé à mon opération de la pierre, et que je suis à présent en parfaite santé, et durablement. Et, bien que l'hiver passé ait été l'un des plus rudes qu'on ait eus depuis longtemps, je ne me suis pourtant jamais mieux porté de ma vie, ni ne me suis couvert davantage cet hiver que je ne le fais en été, n'ayant porté qu'un pourpoint et un gilet ouvert dans le dos. Pour sortir un manteau et à la maison une veste. Mais je ne sais si c'est ma patte de lapin qui me protège des vents car je n'ai jamais eu de colique depuis que je l'ai sur moi, et rien ne me fait plus souffrir que les vents et, lorsque je les évacue, je ne souffre plus, ou bien si c'est d'avoir gardé le dos bien à l'air car, dès que je dors plus longtemps qu'à l'accoutumée sur le dos mon urine est brûlante le lendemain matin, ou bien encor si c'est d'avoir pris chaque matin une pilule de térébenthine qui me fait aller à la selle, ou bien les trois à la fois. Mais il n'empêche, béni soit Dieu tout puissant ! que je me porte aussi bien qu'il me soit possible de l'espérer ou de le désirer. J'ai bien de temps à autre quelques borborygmes causés par des vents dont je souffre un peu, mais la chose est passagère. Mon dos s'affaiblit aussi beaucoup, ce me semble, au point que je ne peux plus rester penché pour écrire, ou compter de l'argent en position debout, sans en souffrir longtemps après.
            Néanmoins, il y a seulement une ou deux semaines, j'ai eu de vives douleurs durant toute une journée, mais elles étaient dues à ce que je me suis meurtri l'une de mes testicules, puis j'ai évacué deux pierres mais n'ai eu point mal, me suis couché et ai bien soutenu mes testicules et le lendemain n'ai plus rien senti. Mais j'ai remarqué que d'être assis le dos au feu à mon bureau m'a donné mal au dos, m'a échauffé l'urine et m'a valu des douleurs, ce qui se reproduit à chaque occasion.
            J'ai envoyé hier à Mrs Turner une invitation à venir passer la journée avec moi, ce qu'elle m'a accordée, mais m'a fait dire ensuite qu'aujourd'hui étant un dimanche, de Pâques de surcroît, elle préférait un autre jour et souhaitait remettre la chose à plus tard. Comme je ne demandais pas mieux on reporta à un autre jour, que j'aurai à cœur de choisir à ma convenance, ainsi n'aurais-je peut-être pas à faire les frais d'un festin.
            A mon bureau tout l'après-midi, discutai les termes de mon contrat avec Mr Povey afin qu'il puisse être signé demain matin.
            Le soir, ai passé une heure à me promener dans le jardin avec sir John Mennes, à parler de l'affaire de la Caisse où sir William Batten s'est montré si peu scrupuleux. Sur ce point le vieil homme est, pour lors, hors de lui, mais cette ardeur ne durera pas, il ne faut guère s'y fier.
            Rentré souper, prières puis, au lit.


                                                                                                                      27 mars

            Levé tôt et chez Mr Povey où j'ai signé et scelle notre contrat disant qu'il me cède son poste de trésorier pour la commission de Tanger. Le texte est en grande partie rédigé à partir d'un projet qu'il a fait lui-même, auquel j'ai seulement rajouté deux ou trois choses en ma faveur.
            Puis chez le duc d'Albemarle, et c'est la première fois qu'en tant qu'officiers de la marine nous allons lui présenter nos respects depuis le départ du duc d'York qui l'a mandaté à ses fonctions d'amiral pendant son absence. Il m'a semblé paisible, massif, homme à promouvoir les affaires quand il le peut et à ne rien empêcher, et je suis très heureux que nous lui ayons présenté nos devoirs.
            Ensuite, seul avec lui, je lui ai adressé mes remerciements pour la faveur qu'il m'a accordée pour mon affaire de Tanger, qu'il reçut avec bienveillance et il me témoigna longuement son estime.
            Partis faire de même chez sir Henry Bennet qui me complimenta aussi. Il me donna toutes ses lettres provenant de Tanger afin que je les lusse, je les lui rapportai l'après-midi.
            Puis chez Mrs Martin dont le mari est, comme il l'écrit lui-même, bêtement parti pour la France, mais qui n'en est pas moins sotte et légère qu'auparavant. M'ébaudis en sa compagnie puis je m'en fus.
            Puis chez milord Peterborough où Povey, Creed, Willimson, Beale le comptable et moi-même, étions présents. Le spectacle de milord et Povey s'insultant sans détours à propos de leurs comptes fut fort drôle, l'un prenant l'autre pour un imbécile et, pour ma part, je ne crois point qu'ils se soient trompés, ni l'un ni l'autre, de beaucoup, bien qu'ils se trompent pour tout le reste. Leur joute verbale fut même pleine d'esprit et fort plaisante.
            Entre autres choses ce fut le dîner le plus distingué et dans la plus élégante demeure que j'aie vue depuis longtemps, elle dépassait en splendeur tout ce que j'ai jamais vu dans la résidence d'un noble.
            Rendis ensuite visite à milord Berkeley, restai un long moment à discuter avec lui dans son cabinet. Il me témoigna toute sa sympathie, toujours à propos de l'affaire de Tanger, puis nous parlâmes de l'époque et du manque d'argent. Il dit qu'il fallait de nouveau convoquer le Parlement rapidement et faire rentrer davantage d'argent, mais non point par le biais de l'impôt, il estimait le peuple incapable de le payer, mais il opinait plutôt que tout fût mis à contribution indirecte, ou bien qu'on rendît chaque corporation de la Cité redevable d'un droit qui irait dans les caisses du roi, comme c'est l'usage dans toutes les villes de par le monde. Car, à Londres, un citoyen n'est pas davantage frappé d'impôts que son voisin à la campagne, alors que, du fait qu'elle est une ville, celle-ci devrait verser des sommes considérables au roi pour sa charte. Mais je crains que tout ceci ne soit source d'aigreur.
            Puis chez Povey, parlâmes quelque peu, puis revins à mon bureau, tard. Souper et, au lit.


                                                                                                                          28 mars 1665

            Levé tôt, au bureau où nous passâmes la matinée et, Dieu en est témoin, j'ai fait la plupart du travail. Puis à la Bourse et au café avec sir William Warren. Nous devisâmes jusqu'à 4 heures, et y trouvâmes beaucoup de plaisir et de satisfaction. On se quitta et je rentrai dîner n'ayant rien mangé, puis à mon bureau. Le soir soupai avec ma femme chez sir William Penn qui doit bel et bien repartir, ainsi que toute la flotte, dès demain. Prîmes congé et à mon bureau jusqu'à plus de minuit. Chez moi et, au lit.


                                                                                                                          29 mars
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            Levé tôt et chez Povey où nous parlâmes affaires pendant un bon moment, puis je partis pour la Cité, mais la taille que m'a donnée Povey ne m'a point permis d'obtenir d'argent à Lombard Street, tant est grande la mauvaise réputation qui le poursuit, à ce que j'observe, depuis qu'il a renoncé à son poste. On pense que ce ne fut pas choix mais nécessité, ce qui est la vérité. Retournâmes chez lui après être passés chez moi goûter de mon vin, mais ma femme étant absente nul ne peut y avoir accès, et nous fûmes déconfits.
            Chez lui et, avant de dîner, nous discutâmes du fret qui me cause un si grand embarras. Plus de 100 £ me reviennent et pour le reste j'ai tiré une lettre de change avec trop de hâte en son nom. Mais voilà qu'il décide d'y impliquer Creed, ce qui m'inquiète au plus haut point. Creed est arrivé et, après le dîner, Povey, de la manière la plus fine qui soit, mena son affaire avec lui, avec un tel esprit d'à-propos que l'homme le plus subtil du monde n'aurait point fait mieux. Je dois avouer qu'il est fort rusé et perspicace et que je le redoute au plus haut point dans mon commerce avec lui bien que, pour toutes les matières sérieuses relevant de son travail, ce soit le plus bel idiot que j'aie jamais vu. On tira la traite, dont on donna un exemplaire à Creed qui inscrivit son intratur sur l'original, qui passera, je l'espère, du moins me voici maintenant contraint et forcé de faire face et de me justifier. Mais je prie Dieu que cela ne fasse pas l'objet d'une enquête.
            Puis, mi-inquiet, mi-satisfait, ne sachant que penser, rentrai chez moi et pris au passage les trois volumes de milord Coke chez mon libraire. Arrivé chez moi je trouve une nouvelle bonne, cuisinière, qui a pour nom Alice et qui ne me dit rien qui vaille. A mon bureau, ai travaillé fort tard à la rédaction d'un projet que le capitaine Taylor, qui fait construire un nouveau bateau, ira déposer à la Cité. Le projet me paraît bien, j'espère qu'il fera l'affaire. Rentrai souper et, au lit.


                                                                                                                    30 mars

            Levé, chez milord Ashley, mais ne fîmes rien, puis chez sir Philip Warwick avec qui je parlai affaires. Revins à mon bureau où je passai toute la matinée. A midi rentrai dîner, puis à une séance de la commission de Tanger. Grand Dieu ! les voir se précipiter pour accorder à sir John Lawson, venu aujourd'hui en ville pour régler ses affaires, la somme de 4 000 £ en vue de la construction de son môle, et être prêts à lui accorder 4 shillings par yard supplémentaire, ce qui fait 36 000 £ pour toute la longueur du môle, voilà qui est fort singulier. Par chance, la dernière proposition n'a pas été retenue, mais la première le fut.
            De là chez Mrs Martin dont le mari est, semble-t-il, parti et elle appris qu'il a une autre femme qu'il fréquente comme si elle était son épouse, et ce depuis longtemps. Elle s'est montrée fort prude et résolue à le demeurer jusqu'au retour de son mari ce qui, s'agissant d'elle, prête à sourire.
            Rentrai chez moi, puis à mon bureau tard et, au lit.


                                                                                                                     31 mars

            Levé de bon matin. A pi                                                                                          ed chez milord Ashley, trouvai Creed et, après une longue attente, nous pûmes lui parler et fûmes reçu avec civilité. Me rendis ensuite chez sir Philip Warwick puis chez milord de Farmouth qui me reçut aussi fort aimablement, mais point comme je m'y attendais. Il a cru, je le vois, que j'avais entrepris de justifier les comptes de Povey et d'en assumer la responsabilité, ce en quoi je le détrompai. Ensuite chez milady Sandwic pour le dîner. Nous montâmes ensuite dans sa chambre pour parler du fils de George Carteret que nous avons décidé de présenter à milady Jemima.
            Chez Povey où je passai un après-midi fort affairé, jusqu'à ce que j'en eusse assez de ce travail et de négliger mes affaires de la marine. Le soir demandai à ma femme de venir chez milady, puis on rentra, et à mon bureau où je fis mes comptes pour ce mois, dont le total, Dieu en soit remercié ! se monte à 1 300 £, ce dont je rends grâce à Dieu. A minuit passé rentrai, souper et, au lit.
            Ai vu Creed transporté de joie d'entendre les paroles généreuses que milord Falmouth avait eues pour lui, lorsqu'il lui avait dit qu'il lui réservait un poste que Creed espère éminent. C'est un homme d'esprit à plus d'un chef, mais guère d'un bon naturel, ni avec qui il faut traiter de manière ordinaire. Milady Castlemaine est de nouveau souffrante, on parle d'une fausse-couche.


                                                        à suivre............

                                                                                                               1er Avril 1635

            Eus fort à faire......