Lettre à Madeleine
Les 28, 29, 30 octobre, 3 et 4 novembre, Apollinaire écrit à Madeleine, toujours des lettres d'amour mais il signale aussi les intempéries et les inconforts avec délicatesse :
ainsi : "... Ah ! Madeleine quelle boue, quelle boue, tu n'imagines pas la boue il faut l'avoir vue ici, ayant parfois la consistance du mastic, parfois de la crème fouettée parfois encore de l'encaustique et glissant d'une façon extraordinaire. Il faut avoir vu les attelages s'abattre se relever sous les fouets des conducteurs ou casser les traits quand la chute est trop brusque. Mon cheval a glissé trois fois, il s'est abattu une fois en glissant, je l'ai relevé heureusement . La chevauchée dans ces conditions sur des pistes savonneuses et encombrées de troupes à pied et à cheval n'est pas un agrément. Et ça m'aurait embêté de rouler dans la boue, mais après son agenouillement quelques coups d'éperon ont montré à mon bon cheval ( qui ne boite plus ) qu'il faut marcher dans la boue comme ailleurs.
Appuyez chevaux ne glissez pas. En arrivant à l'emplacement de notre nouvel échelon car il n'est pas loin de nos positions d'hier ( nous ne verrons les nouvelles que demain ) j'ai eu la joie de ta lettre du 27... "
6 nov 1915
Mon petit amour pas de lettre de toi. Mais as-tu bien lu ma lettre d'hier et as-tu compris ce que j'avais souligné. Aujourd'hui on a décoré notre colonel, prise d'armes défilé, trompettes. J'étais serre-file de la 2è section. On a manié le sabre pour la première fois depuis la guerre ! Beau spectacle ma foi. La sonnerie des trompettes de cavalerie a quelque chose de plus poétique de plus lointain de plus céleste que celle des clairons. Les permissions reprennent mais n'en parle pas il n'est pas encore question de la mienne je t'avertirai quand il commencera à en être question. Je t'aime mon très cher amour. Je t'envoie un mot d'un de mes amis qui est un des meilleurs poètes actuels. Bras amputé ! ( note de l'éditeur : Blaise Cendrars )
Je t'aime, je pense à ta chère beauté.
Le Septième Poème Secret
Une grande ardeur en moi
Une grande mollesse ardente en toi
Tu ouvres délicieusement toutes les portes
Je me déguise et je t'emprunte des moustaches et la barbe
Ta toison
Je m'arme de la langue et je creuse un délicieux sentier
Dans la forêt vierge
Madeleine est une jeune bergère
Qui pait le blanc troupeau des brebis de son corps
Madeleine est une jeune bergère d'une merveilleuse beauté
Ses seins sont d'adorables proues
Deux vaisseaux cuirassés qui seront mon escadre
Ma langue est le mineur qui fouille
Dans la mine de houille
Ta toison
J'adore tes lèvres rouges
Gondoles de parade
Qui larguent leurs amarres tressés comme tes cheveux noirs
Tes cheveux
Tes cheveux qui sont le crépuscule de toutes les beautés
Et il ne demeure que la tienne
Naviguons sur tes yeux de sinople
site regard rochelais
Il s'y jette les fleuves des veines bleues de la chair si noble
J'adore la source divine qui sourd
Sous
Ta toison
Ma langue sens ma langue
Elle te oréparera à l'étreinte profonde
Le sac de la charrue creusera le sillon
Je t'adore mon amour
Entends chanter Ö Madeleine pâmée
Entends chanter et rechanter
Le rossignol caché
Le froid revient le froid terrible
Sous les toiles tentes
Et je t'écris poème que je chante en l'écrivant
Et je t'écris couché par terre
Le froid revient, le froid sans feu
Car on n'a pas de bois
Je t'adore mon amour, je suis heureux par toi
Et je prends tous les trésors
De ton corps
Dans une immense caresse
Qui fait surgir dans l'hiver sans liesse
De tout printemps
Le Lys la rose
Sous ma caresse
Gui