sylvainrenard.info
à Robert Dreyfus
(chiffre de Joyant chez qui je suis à l'Isle-Adam, mais écris-moi à Auteuil où je reviens ce soir ).
7 septembre 1888
Mon cher ami,
As-tu voulu me dire poliment qu'Halévy me trouvait brac et toc ? Je te dirai que je n'ai pas très bien compris.
Je ne crois pas qu'un type ait un caractère. Je crois que ce que nous croyons deviner d'un caractère n'est qu'un effet des associations d'idées. Je m'explique, tout en te déclarant que ma théorie est peut-être fausse, étant entièrement personnelle.
Ainsi je suppose que dans la vie, ou dans une oeuvre littéraire, tu vois un Monsieur qui pleure sur le malheur d'un autre. Comme chaque fois que tu as vu un être éprouver de la pitié, c'était un être bon, doux et sensible, tu en déduiras que ce Monsieur est sensible, doux et bon.Car nous ne construisons dans notre esprit un caractère que d'après quelques lignes par nous vues, qui en supposent d'autres. Mais cette construction est très hypothétique. Quare si Alceste fuit les hommes, Coquelin prétend que c'est par mauvaise humeur ridicule, Worms par noble mépris des viles passions. Item dans la vie. Ainsi Halévy me lâche, en s'arrangeant à ce que je sache que c'est bien exprès, puis après un mois vient me dire bonjour. Or parmi les différents Messieurs dont je me compose, le Monsieur romanesque, dont j'écoute peu la voix, me dit : " C'est pour te taquiner, se divertir, t'éprouver, puis il en a eu regret, désirant ne pas te quitter tout à fait. " Et ce Monsieur me représente Halévy à mon égard comme un ami fantaisiste et désireux de me connaître.
Mais le Monsieur défiant, que je préfère, me déclare que c'est beaucoup plus simple, que j'insupporte Halévy, que mon ardeur ( à lui sage ) semble d'abord ridicule, puis bientôt assommante, qu'il a voulu me faire sentir ça, que j'étais collant, et se débarrasser. Et quand il a vu définitivement que je ne l'embêterais plus de ma présence, il m'a parlé. Ce Monsieur ne sait pas si ce petit acte a pour cause la pitié, ou l'indifférence, ou la modération, mais il sait bien qu'il n'a aucune importance et s'en inquiète peu. Du reste il ne s'en inquiète que comme problème psychologique.
Mais il y a la question de la lettre : est-ce x - est-ce y ? Tout est là. Si c'est x - ( ensemble des phénomènes d'amitié ), la brouille n'a l'importance que d'un caprice, d'une épreuve, ou d'un dépit, et tout est dans la réconciliation.
Si c'est y - antipathie- la réconciliation n'est rien, la brouille est tout.Oh ! pardon ! pour t'exposer ma théorie, j'ai pris toute une lettre et Joyant m'appelle. A une autre fois ma lettre. Mais sur cette question tu peux mesurer mes investigations psychologiques. Car tu sais bien si Halévy t'a dit ( et je ne lui en voudrais pas ) : " Ce Proust, quel assommoir !
Ou ce Proust est plutôt gentil. "
Il est vrai qu'il y a la troisième solution, la plus probable.
Qu'il ne t'en a pas parlé du tout.
Je ne suis qu'un corps neutre.
Éclaircis-moi ce petit problème. Je te répondrai sur ce que tu voudras.
Trois pardons :
1° De ne pas t'avoir répondu plus tôt : mais ma mère partait et mon frère. Puis départ chez Joyant.
2° Si mal écrit et galopé à tous les points de vue : Joyant m'attend.
3° T'avoir embêté avec cela... Ça m'intéresse !...
Bien à toi.
Marcel Proust
Lettre à Reynaldo Hahn
Proust essaie divers titres avant de trouver " La recherche du temps perdu ".
Début 1912
Genstil
Les stalactites du passé
Devant quelques stalactites du passé
( parce que c'est l'écoulement de l'eau qui fabrique les stalagmites ).Reflets dans la patine.
Ce qu'on voit dans les patines.
Les reflets du passé.
Les jours attardés. Les rayons séculaires ( comme ceux des étoiles ).
Le visiteur du Passé.
Visite au passé qui s'attarde.
Le passé prorogé.
Le passé tardif.
L'espérance du Passé. booknode.com
Je venais de vous écrire cela mon cher genstil. Il faut tourner la page car... cela continue ! Si cela ne vous plaît pas je crois que le " Voyageur du Passé ", les " Reflets du Temps " ou les " Miroirs du Rêve "sont le mieux.
Pouvez venir si boulez. (sic)
sans signature
Lettre à Reynaldo Hahn
( Reynaldo Hahn est le dernier-né des douze enfants de la famille installée à Caracas. Fuyant une instabilité politique le père grand amateur d'opéra par ailleurs, installe sa famille en France. Le père meurt très tôt, à la mort de sa mère quelques années plus tard le musicien demanda la naturalisation française et de ce fait la guerre 14/18. )
1912
Mon petit Guncht
musicologie.org
Puisque tu renonces tellement ta patrie Paris je ne sais comment te saluer, et te prie de me songer un peu. Regarde cette lettre mon cher ami. Tu verras que j'ai pensé à te faire écrire plutôt par Boltaire et Perlaine. Et c'est parce que Charavay n'avait pas que je t'écris misérablement moi-même quoique tu sois un si dédaigneux militaire qui ne pense plus qu'aux grandeurs et aux servitudes de cet état que j'aurais voulu embrasser. Et je regrette que je ne l'ai pas fait. Car peut'être santé aurait été moins moschante. Je pourrais te démontrer si mieux que je pense toujours à toi que par la lettre Charavay mais c'est parce qu'elle est là et que je te sens devenir si militaire. Je te salue bien tendrement et t'approuve beaucoup de rester un peu dans ta garnison. Comme ton Guncht fit, quand, son service fini, il ne put se décider à quitter Orléans.
Je te donne mon petit bonsjour.
BUNCHT
* Charavay libraire n'a pas de lettres - autographes de Verlaine ( Perlaine ) non plus de Voltaire ( Boltaire ).