dimanche 31 mai 2015

Mémoires d'un père Marmontel ( extraits 10 France )


lemondedesarts.com

                                                 Livre dixième

            Tant que le Ciel m'avait laissé dans madame Odde une soeur tendrement chérie, et qui m'aimait plutôt d'un amour filial que d'une amitié fraternelle, sûr d'avoir dans son digne et vertueux époux un véritable ami, dont la maison serait la mienne, dont les enfants seraient les miens, je savais où vieillir en paix..... n'eût-il fait que conserver l'emploi qu'il avait à Saumur, ma petite fortune ajoutée à la sienne nous aurait fait vivre dans une honnête aisance.....
            Mais lorsque j'eus perdu ma soeur et ses enfants. Lorsque dans sa douleur, Odde abandonnant une ville où il ne voyait plus que des tombeaux et, renonçant à son emploi, se fut retiré dans sa patrie, mon avenir, si serein jusqu'alors, s'obscurcit à mes yeux. Je ne vis plus pour moi que les dangers du mariage ou que la solitude d'un triste célibat et d'une vieillesse abandonnée.
            Je redoutais dans le mariage des chagrins domestiques qu'il m'aurait été impossible d'essuyer sans mourir, et dont je voyais mille exemples. Mais un malheur plus effrayant encore était celui d'un vieillard obligé, ou d'être le rebut du monde en y traînant une ennuyeuse et infirme caducité, ou de rester seul délaissé, à la merci de ses valets, livré à leur dure insolence et à leur servile domination.
            Dans cette situation pénible,j'avais tenté plus d'une fois de me donner une compagne, et d'adopter une famille qui me tînt lieu de celle que la mort avait moissonnée autour de moi. Mais, par une heureuse fatalité, aucun de mes projets ne m'avait réussi lorsque je vis arriver à Paris la soeur et la nièce de mes amis MM Morellet : ce fut un coup du Ciel.
            Cependant tout aimables qu'elles me semblaient l'une et l'autre...... je n'imaginais pas qu'à cinquante ans passés je fusse un mari convenable à une personne qui n'avait guère que dix-huit ans. Ce qui m'éblouissait en elle..... était ce qui devait éloigner de moi l'espérance, et avec l'espérance, le désir de la posséder.
            Je ne vis donc pour moi, dans cette agréable aventure, que l'avantage d'une nouvelle et charmante société.
            Soit que madame de Montigny fût prévenue en ma faveur, soit que ma bonhomie lui convînt au premier abord, elle fut bientôt avec l'ami de ses frères comme avec un ancien ami qu'elle-même aurait retrouvé. Nous soupâmes ensemble. La joie qu'ils avaient tous d'être réunis anima ce souper. J'y pris la même part que si j'eusse été l'un des leurs. Je fus invité à dîner pour le lendemain et successivement se forma l'habitude de nous voir presque tous les jours......                                        Frantz Hals
            Un matin, l'un de mes amis et des amis de MM Morellet, l'abbé Maury, vint me voir et me dit :
            " - Voulez-vous que je vous apprenne une nouvelle ? Mademoiselle de Montigny se marie.
              - Elle se marie ? avec qui ?
              - Avec vous.
              - Avec moi
              - Oui, avec vous-même.
              - Vous êtes fou, ou vous rêvez.
              - Je ne rêve pas, et ce n'est point une folie. C'est une chose très sensée et dont aucun de vos amis ne se doute.                                          
            - Ecoutez-moi, lui dis-je, et croyez-moi car je vous parle sérieusement. Mademoiselle de Montigny est charmante. Je la crois accomplie et c'est pour cela même que je n'ai jamais eu la folle idée de prétendre au bonheur d'être un époux.
            - Eh bien, vous le serez sans y avoir prétendu !
            - A mon âge !
            - Bon ! A votre âge ! Vous êtes jeune encore, et en pleine santé.                              
            Alors le voilà qui déploie toute son éloquence à me prouver que rien n'était plus convenable, que je serais aimé, que nous ferions un bon ménage et, d'un ton de prophète, il m'annonça que nous aurions de beaux enfants.
            Après cette saillie il me laissa livré à mes réflexions et, tout en me disant à moi-même qu'il était fou, je commençai à n'être pas plus sage.
            Mes cinquante-quatre ans ne me semblèrent plus un obstacle si effrayant. La santé à cet âge pouvait tenir lieu de jeunesse. Je commençai à croire que je pouvais inspirer, non pas de l'amour mais une bonne et tendre amitié, et je me rappelai ce que disaient les sages : " Que l'amitié fait plus de bons ménages que l'amour. "
            Je n'étais pas riche, mais cent trente mille francs solidement placés étaient le fruit de mes épargnes.....
*            J'étais engagé ce jour-là à dîner chez MM Morellet. Je m'y rendis avec une émotion qui m'était inconnue. Je crois même me souvenir que je mis un peu plus de soin à ma toilette, et dès lors je donnai une attention sérieuse à ce qui commençait à m'intéresser vivement. Aucun mot n'était négligé, aucun regard ne m'échappait. Je faisais délicatement des avances imperceptibles et des tentatives légères sur les esprits et sur les âmes. L'abbé ne semblait pas y faire attention, mais sa soeur, son frère et sa nièce me paraissaient sensibles à tout ce qui venait de moi.
            Vers ce temps, l'abbé fit un voyage à Brienne en Champagne chez les malheureux Loménie avec lesquels il était lié depuis sa jeunesse et, en son absence, la société devint plus familière, plus intime.....
            Je savais quelle illusion pouvait faire la grâce unie à la beauté. Deux ou trois mois de connaissance et de société étaient bien peu pour s'assurer du caractère d'une jeune personne. J'en avais vu plus d'une dans le monde que l'on avait instruite qu'à feindre et à dissimuler. Mais on m'avait dit tant de bien de celle-ci...... il fallait donc me méfier de tout et ne croire jamais à rien.
            Une promenade aux jardins de Sceaux acheva de me décider...... Jusque-là le plaisir des sens avait été le seul attrait qui m'eût conduit..... Mon émotion était d'autant plus vive qu'elle était retenue, je brûlais d'en faire l'aveu, mais à qui l'adresser ? et comment serait-il reçu ? La bonne mère y donna lieu. Dans l'allée où nous nous promenions elle était à deux pas de nous avec son frère.
            " - Il faut, me dit-elle en souriant, que j'aie bien de la confiance en vous, pour vous laisser ainsi causer avec ma fille, tête à tête.
            - Madame, lui dis-je, il est juste que je réponde à cette confiance en vous disant de quoi nous nous entretenons.. Mademoiselle me faisait la peinture du bonheur que vous goûtez à vivre ensemble tous les quatre en famille, et moi, à qui cela faisait envie, j'allais vous demander si une cinquième, comme moi par exemple, gâterait la société.                                                                **
Résultat de recherche d'images pour "parc de sceaux cerisiers"            - Je ne crois pas, me répondit-elle, demandez plutôt à mon frère.
            - Moi, dit le frère avec franchise, je trouverais cela très bon.
            - Et vous, mademoiselle ?
            - Moi, dit-elle, j'espère que mon oncle l'abbé sera de l'avis de maman. Mais jusqu'à son retour permettez-moi de garder le silence. "
            ....... L'abbé se fit attendre. Enfin il arriva. Et quoique tout se fut arrangé sans son aveu, il le donna. Le lendemain le contrat fut signé. Il y institua sa nièce son héritière après sa mort et après la mort de sa soeur
et moi, dans cet acte dressé et rédigé par leur notaire, je ne pris d'autre soin que de rendre, après moi, ma femme heureuse et indépendante de ses enfants.
            Jamais mariage ne s'est fait sous de meilleurs auspices..... Nous étions bien persuadés l'un l'autre du voeu que nous allions faire à l'autel .....
            Le dîner après la toilette fut animé d'une gaieté du bon vieux temps. Les convives étaient d'Alembert, Chastellux..... Tous étaient occupés de la nouvelle épouse, et comme moi, ils en étaient si charmés, si joyeux, qu'à les voir, on eût dit que chacun en était l'époux.
            Au sortir de table on passa dans un salon en galerie dont la riche bibliothèque de l'abbé Morellet formait la décoration. Là, un clavecin, des pupitres annonçaient bien de la musique, mais quelle musique nouvelle et ravissante on allait entendre ! L'opéra de Roland, le premier opéra français qui eût été mis en musique italienne, et pour l'exécuter, les plus belles voix et l'élite de l'orchestre de l'Opéra.
            L'émotion qu'excita cette nouveauté eut tout le charme de la surprise. Piccini était au clavecin. Il animait l'orchestre et les acteurs du feu de son génie et de son âme. L'ambassadeur de Suède et l'ambassadeur de Naples assistèrent à ce concert, ils en étaient ravis. Le maréchal Beauvau fut aussi de la fête. Cet espèce d'enchantement dura jusqu'au souper où furent invités les chanteurs et les symphonistes......
            Il était convenu que nous habiterions ensemble, les deux oncles, la mère et nous, que nous paierions un cinquième par tête dans la dépense du ménage, et cet arrangement me convenait à tous égards. Il réunissait l'avantage d'une société domestique à celui d'une société toute formée du dehors et dont nous n'avions qu'à jouir.   Necker
           J'ai fait connaître une partie de ceux que nous pouvions appeler nos amis, mais il en est encore dont je n'ai pas voulu parler comme en passant et sur lesquels mes souvenirs se plaisent à se reposer.
4471074678_b806acfa09_o.jpeg            " Vous avez, mes enfants, entendu dire mille fois par votre mère et dans sa famille quelle était pour nous l'agrément de vivre avec M de Saint-Lambert et madame la comtesse d'Houdretot, son amie. Et quelle était le charme d'une société où l'esprit, le goût, l'amour des lettres, toutes les qualités du coeur les plus essentielles et les plus désirables nous attiraient, nous attachaient, soit auprès du sage d'Eaubonne, soit dans l'agréable retraite de la Sévigné de Sanois....
            Nous avions été, Saint-Lambert et moi, des sociétés du baron d'Holbach, d'Helvétius, de madame Geoffrin. Nous fûmes aussi constamment de celle de madame Necker. Mais, dans celle-ci, je datais de plus loin que lui, j'en étais presque le doyen.
            C'est dans un bal bourgeois, circonstance assez singulière, que j'avais fait connaissance avec madame Necker. Jeune alors, assez belle et d'une fraîcheur éclatante, dansant mal mais de tout son coeur.
            A peine m'eut-elle entendu nommer qu'elle vint à moi, avec l'air naïf de la joie.
            " - En arrivant à Paris, me dit-elle, l'un de mes désirs a été de connaître l'auteur des Contes moraux.
Je ne croyais pas faire au bal une si heureuse rencontre. Necker, dit-elle à son mari en l'appelant, venez vous joindre à moi pour engager M Marmontel, l'auteur des Contes moraux, à nous faire l'honneur de nous venir voir.
            M Necker fut très civil dans son invitation. Je m'y rendis. Thomas était le seul homme de lettres qu'ils eussent connu avant moi. Mais bientôt, dans le bel hôtel où ils allèrent s'établir, madame Necker, sur le modèle de la société de madame Geoffrin, choisit et composa la sienne.
            Etrangère aux moeurs de Paris, madame Necker n'avait aucun des agréments d'une jeune Française. Dans ses manières, dans son langage, ce n'était ni l'air, ni le ton d'une femme élevée à l'école des arts, formée à l'école du monde. Sans goût pour sa parure, sans aisance dans son maintien, sans attrait dans sa politesse, son esprit comme sa contenance, était trop ajusté pour avoir de la grâce.
            Mais un charme plus digne d'elle était celui de décence, de la candeur, de la bonté. Une éducation vertueuse et des études solitaires lui avaient donné tout ce que la culture peut ajouter dans l'âme à un excellent naturel. Le sentiment en elle était parfait mais, dans sa tête la pensée était souvent confuse et vague. Au lieu d'éclaircir ses idées, la méditation les troublait. En les exagérant elle croyait les agrandir. Pour les étendre elle s'égarait dans des abstractions ou dans des hyperboles. Elle semblait ne voir certains objets qu'à travers un brouillard qui les grossissait à ses yeux, et alors son expression s'enflait tellement que l'emphase en eût été risible, si l'on n'avait pas su qu'elle était ingénue.
            Le goût était moins en elle un sentiment qu'un résultat d'opinions recueillies et transcrites sur ses tablettes. Sans qu'elle eût cité ses exemples, il eût été facile de dire d'après qui et sur quoi son jugement s'était formé. Dans l'art d'écrire elle n'estimait que l'élévation, la majesté, la pompe. Les gradations, les nuances, les variétés de couleur et de ton la touchaient faiblement. Elle avait entendu louer la naïveté de La Fontaine, le naturel de Sévigné. Elle en parlait par ouï-dire mais elle y était peu sensible. Les grâces de la négligence, la facilité, l'abandon lui étaient inconnus. Dans la conversation même la familiarité lui déplaisait. Je m'amusais souvent à voir jusqu'où elle portait cette délicatesse. Un jour je lui citais quelques expressions familières que je croyais, disais-je, pouvoir être reçues dans le style élevé comme :
            " Faire l'amour - aller voir ses amours - commencer à voir clair - prendre votre parti - pour bien faire il faudrait - non, vois-tu - faisons mieux, etc. "
            Elle les rejeta comme indignes du style noble.
            " - Racine, lui dis-je, a été moins difficile que vous. Il les a toutes employées. "
            Et je lui en fis voir les exemples. Mais son opinion une fois établie était invariable, et l'autorité de Thomas ou celle de Buffon était pour elle un article de foi......
            Ce n'était point pour nous, ce n'était point pour elle qu'elle se donnait tous ces soins, c'était pour son mari. Nous le faire connaître, lui concilier nos esprits, faire parler de lui avec éloge dans le monde et commencer sa renommée ; tel fut le principal objet de la fondation de sa société littéraire. Mais il fallait encore que son salon, que son dîner, fussent pour son mari un délassement, un spectacle. Car, en effet, il n'était là qu'un spectateur silencieux et froid. Hormis quelques mots fins qu'il plaçait ça et là, personnage muet il laissait à sa femme le soin de soutenir la conversation. Elle y faisait bien son possible, mais son esprit n'avait rien d'avenant à des propos de table. Jamais une saillie, jamais un mot piquant, jamais un trait qui pût réveiller
les esprits. Soucieuse, inquiète, sitôt qu'elle voyait la scène et le dialogue languir, ses regards en cherchaient la cause dans nos yeux......
            Les attentions de madame Necker et tout son désir de nous plaire n'auraient pu vaincre le dégoût de n'être à ses dîners que pour amuser son mari. Mais il en était de ses dîners comme de beaucoup d'autres où la société jouissant d'elle-même dispense l'hôte d'être aimable, pourvu qu'il la dispense de s'occuper de lui.
            Lorsque Necker a été ministre, ceux qui ne l'avaient pas connu dans sa vie privée ont attribué son silence, sa gravité, son air de tête à l'arrogance de son nouvel état. Mais je puis attester qu'avant même qu'il eût fait fortune, simple associé du banquier Thélusson, il avait le même air, le même caractère silencieux et grave, et qu'il n'était ni plus liant, ni plus familier avec nous. Il recevait civilement sa compagnie, mais il n'avait avec aucun de nous cette cordialité qui flatte et qui donne à la politesse une apparence d'amitié.
            Sa fille a dit de lui qu'il " savait tenir son monde à distance "..... Mais la vérité simple était qu'un homme accoutumé, dès sa jeunesse, aux opérations mystérieuses d'une banque, et enfoncé dans les calculs des spéculations commerciales, connaissant peu le monde, fréquentant peu les hommes, très peu même les livres, superficiellement et vaguement instruit de ce qui n'était pas la science de son état, devait, par discrétion, par prudence, par amour-propre, se tenir réservé pour ne pas donner sa mesure......
            Heureux dans mes sociétés, plus heureux dans mon intérieur domestique, j'attendais, après dix-huit mois de mariage, les premières couches de ma femme comme l'événement qui mettrait le comble à mes voeux. Hélas !..... cet enfant si ardemment désiré était mort en venant au monde..... Sa mère étonnée, inquiète de ne pas entendre ses cris, demanda à le voir, et moi immobile et tremblant, j'étais encore dans le salon voisin à attendre sa délivrance, lorsque ma belle-mère vint me dire :
            " - Venez embrasser votre femme et la sauver du désespoir, votre enfant est mort en naissant. "..... Pâle et glacé, me soutenant à peine, je me traînai jusqu'au lit de ma femme, et là, faisant un effort sur moi-même :
***         " - Ma bonne amie, lui dis-je, voici le moment de me prouver que vous vivez pour moi. Notre enfant n'est plus. Il est mort avant d'avoir vu la lumière. "
            La malheureuse jeta un cri qui me perça le coeur, et tomba évanouie entre mes bras. Comme elle lira ces Mémoires, passons sur ces moments cruels.....
            A son second enfant, je la vis résolue à le nourrir de son lait. Je m'y opposai, je la croyais trop faible encore. La nourrice que nous avions choisie était, en apparence, la meilleure possible. L'air de la santé, la fraîcheur, un teint, une bouche de rose, de belles dents, le plus beau sein, elle avait tout, hormis du lait. Ce sein était de marbre. L'enfant dépérissait, il était à Saint-Cloud et, en attendant que sa mère fut en état d'aller le voir, le curé du village nous avait promis d'y veiller. Il nous en donnait des nouvelles. Mais le cruel nous abusait.
            En arrivant chez la nourrice nous fûmes douloureusement détrompés.
           " - Mon enfant pâtit, me dit sa mère. Vois comme ses mains sont flétries. Il me regarde avec des yeux qui implorent ma pitié. Je veux que cette femme me l'apporte à Paris et que mon accoucheur le voie. "
            Elle vint, il fut appelé, il visita son sein, il n'y trouva point de lait. Sur-le-champ il alla nous chercher une autre nourrice, et aussitôt que l'enfant eut pris ce nouveau sein, où il puisait à pleine source, il en trouva le lait si bon, qu'il ne pouvait s'en rassasier. Quelle fut notre joie de le voir revenir à vue d'oeil et se ranimer comme une plante desséchée et mourante que l'on arrose ! ce cher enfant était Albert, et nous semblons avoir un doux pressentiment des consolations qu'il nous donne......                                                                            A mesure que le bon lait de notre jeune Bourguignonne faisait couler la santé dans ses veines, nous voyions sur son petit corps, sur tous ses membres délicats, les chairs s'arrondir, s'affermir, nous voyions ses yeux s'animer, nous voyions son visage se colorer et s'embellir.Nous croyions aussi voir sa petite âme se développer et son intelligence éclore. Déjà il semblait nous entendre et commençait à nous connaître, son sourire et sa voix répondaient au sourire, à la voix de sa mère. Je le voyais aussi se réjouir de mes caresses. Bientôt sa langue essaya ses premiers mots de la nature, ces noms si doux qui, des lèvres de l'enfant, vont droit au coeur du père et de la mère.                                                           memo.fr
            Je n'oublierai jamais le moment où, dans le jardin de notre petite maison, mon enfant qui n'avait encore osé marcher sans ses lisières, me voyant à trois pas de lui à genoux, lui tendant les mains, se détacha des bras de sa nourrice et, d'un pied chancelant mais résolu, vint se jeter entre mes bras...... Une femme de nos amis disait de moi, assez plaisamment : " Il croit qu'il n'y a que lui au monde qui soit père. "...... Vous concevez qu'auprès de notre enfant nous n'avions l'un et l'autre à désirer aucun autre spectacle, aucune autre société.
            Notre famille cependant et quelques-uns de nos amis venaient nous voir les jours de fête......
            Nous faisions assez fréquemment des promenades solitaires, et le but de ces promenades était communément cette châtaigneraie de Montmorency que Rousseau a rendu célèbre.
            " - C'est ici, disais-je à ma femme, qu'il a rêvé de ce roman d'Héloïse dans lequel il a mis tant d'art et d'éloquence à farder le vice d'une couleur d'honnêteté et d'une teinte de vertu. "
            Ma femme avait du faible pour Rousseau. Elle lui savait un gré infini d'avoir persuadé aux femmes de nourrir leurs enfants et d'avoir pris soin de rendre heureux ce premier âge de la vie.
            " - Il faut, disait-elle, pardonner quelque chose à celui qui nous a appris à être mères. "
Résultat de recherche d'images pour "voltaire" ****       Mais moi qui n'avais vu dans la conduite et dans les écrits de Rousseau qu'un contraste perpétuel de beau langage et de vilaines moeurs. Moi qui l'avais vu s'annoncer pour être l'apôtre et le martyre de la vérité et s'en jouer sans cesse avec d'adroits sophismes, se délivrer par la calomnie du fardeau de la reconnaissance. Prendre dans son humeur farouche et dans ses visions sinistres les plus fausses couleurs pour noircir ses amis. Diffamer ceux des gens de lettres dont il avait le plus à se louer pour se signaler seul et les effacer tous, je faisais sentir à ma femme, par le bien même que Rousseau avait fait, tout le mal qu'il aurait pu s'abstenir de faire si, au lieu d'employer son art à servir ses passions, à colorer ses haines, ses vengeances, ses cruelles ingratitudes, à donner à ses calomnies des apparences spécieuses, il eût travaillé sur lui-même à dompter son orgueil, son humeur irascible, ses sombres défiances, ses tristes animosités, et à redevenir ce que l'avait fait la nature, innocemment sensible, équitable, sincère et bon......

            ..... Si j'avais eu la passion de la célébrité deux grands exemples m'en auraient guéri, celui de Voltaire et celui de Rousseau. Exemples différents, opposés sous bien des rapports, mais pareils en ce point, que la même soif de louanges et de renommée avait été le tourment de leur vie.
            Voltaire, que je venais de voir mourir, avait cherché la gloire par toutes les routes ouvertes au génie, et l'avait méritée par d'immenses travaux et par des succès éclatants. Mais sur toutes ces routes il avait rencontré l'envie et toutes les furies dont elle est escortée. Jamais homme de lettres n'avait essuyé tant d'outrages, sans autre crime que de grands talents et l'ardeur de les signaler. On croyait être ses rivaux en se montrant ses ennemis. Ceux qu'en passant il foulait aux pieds l'insultaient encore dans leur fange. Sa vie entière fut une lutte, et il y fut infatigable. Le combat ne fut pas toujours digne de lui et il eut encore plus d'insectes à écraser que de serpents à étouffer. Mais il ne sut jamais ni dédaigner ni provoquer l'offense. Les plus vils de ses agresseurs ont été flétris de sa main. L'arme du ridicule fut l'instrument de ses vengeances, et il s'en fit un jeu redoutable et cruel. Mais le plus grand des biens, le repos, lui fut inconnu. Il est vrai que l'envie parut enfin lasse de le poursuivre et l'épargner au moins sur le bord du tombeau.
Résultat de recherche d'images pour "rousseau voltaire et montesquieu"            Dans le voyage qu'on lui permit de faire à Paris après un long exil, il jouit de sa renommée et de l'enthousiasme de tout un peuple reconnaissant des plaisirs qu'il lui avait donnés. Le débile et dernier effort qu'il faisait pour lui plaire, Irène, fut applaudie comme l'avait été Zaïre, et ce spectacle où il fut couronné fut pour lui le plus beau triomphe. Mais dans quel moment lui venait cette consolation, ce prix de tant de veilles !                                                                              *****
Le lendemain je le vis dans son lit :
            " - Eh bien ! lui dis-je, enfin, êtes-vous rassasié de gloire ?
              - Ah, mon ami ! s'écria-t-il, vous me parlez de gloire et je suis au supplice, et je me meurs dans des
tourments affreux ! "
            Ainsi finit l'un des hommes les plus illustres dans les lettres et le plus aimable dans la société. Il était sensible çà l'injure, mais il l'était à l'amitié. Celle dont il a honoré ma jeunesse fut la même jusqu'à sa mort et, un dernier témoignage qu'il m'en donna fut l'accueil plein de grâce et de bonté qu'il fit à ma femme lorsque je la lui présentai. Sa maison ne désemplissait pas du monde qui venait le voir, et nous étions témoins de la fatigue qu'il se donnait pour répondre convenablement à chacun. Cette attention continuelle épuisait ses forces et, pour ses vrais amis, c'était un spectacle pénible. Mais nous étions de ses soupers et là nous jouissions des dernières lueurs de cet esprit qui allait s'éteindre.
            Rousseau était malheureux comme lui et par la même passion. Mais l'ambition de Voltaire avait un fonds de modestie. Vous pouvez le voir dans ses lettres, au lieu que celle de Rousseau était pétrie d'orgueil. La preuve en est dans ses écrits.
            Je l'avais vu dans la société des gens de lettres les plus estimables, accueilli et considéré. Ce ne fut pas assez pour lui. Leur célébrité l'offusquait, il les crut jaloux de la sienne. Leur bienveillance lui fut suspecte. Il commença par les soupçonner, et il finit par les noircir. Il eut malgré lui des amis, ces amis lui firent du bien. Leur bonté lui fut importune. Il reçut leurs bienfaits, mais il les accusa d'avoir voulu l'humilier, le déshonorer, l'avilir. Et la plus odieuse diffamation fut le prix de leur bienfaisance.
            On ne parlait de lui dans le monde qu'avec un intérêt sensible. La critique elle-même était pour lui pleine d'égards et tempérée par des éloges. Elle n'en était, disait-il, que plus adroite et plus perfide. Dans le repos le plus tranquille, il voulait toujours, ou se croire, ou se dire persécuté. Sa maladie était d'imaginer dans les événements les plus fortuits, dans les rencontres les plus communes, quelque intention de lui nuire, comme si dans le monde tous les yeux de l'envie avaient été attachés sur lui.
            Si le duc de Choiseul avait fait conquérir la Corse, ç'avait été pour lui ôter la gloire d'en être le législateur. Si le même allait souper à Montmorency chez la maréchale de Luxembourg, c'était pour usurper la place qu'il avait coutume d'occuper auprès d'elle à table. Hume, à l'entendre, avait été envieux de l'accueil que lui avait fait le prince de Conti. Il ne pardonnait pas à Grimm d'avoir eu sur lui quelque préséance chez madame d'Epinay, et l'on peut voir dans ses mémoires comment son âpre vanité s'est vengée de cette offense.
            ....... Assurément à aucun prix je n'aurais voulu de la condition de Rousseau. Il n'avait pu l'endurer lui-même et, après avoir empoisonné ses jours, je ne suis point surpris qu'il en ait volontairement abrégé la truste durée.
            Pour Voltaire, j'avoue que je trouvais sa gloire encore trop chèrement payée par toutes les tribulations qu'elle lui avait fait éprouver, et je disais encore : " Moins d'éclat et plus de repos ". 

            J'ai dit quelle était, depuis quarante ans, mon amitié pour d'Alembert, et quel prix je devais attacher à la sienne. Depuis la mort de mademoiselle l'Espinasse, il était consumé d'ennui et de tristesse.......
            Thomas semblait encore avoir longtemps à vivre pour la gloire et pour l'amitié.
            Mais d'Alembert commençait à sentir les déchirements de la pierre, et bientôt il n'exista plus que pour souffrir et mourir lentement dans les plus cruelles douleurs.
            Dans une faible esquisse de son éloge j'ai essayé de peindre la douce égalité de ce caractère.....
            En le pleurant, j'étais loin de penser à lui succéder dans la place de secrétaire perpétuel de l'Académie française.

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                                                                           suite et fin livre onzième....../
            A notre retour à Paris......
                     
         
                                                         

samedi 30 mai 2015

Flash Mots d'auteurs Chamfort 2 ( France )


wikipedia.fr

                                            Caractères et Anecdotes

            Fontenelle avait été refusé trois fois de l'Académie, et le racontait souvent. il ajoutait :
            " J'ai fait cette histoire à tous ceux que j'ai vus s'affliger d'un refus de l'Académie, et je n'ai consolé personne. "

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            Lorsque Mme Du Barry et le duc d'Aiguillon firent renvoyer M. de Choiseul, les places que sa retraite laissait vacantes n'étaient point encore données. Le roi ne voulait point de M. d'Aiguillon pour ministre des Affaires Etrangères, M. le prince de Condé  portait M. de Vergennes qu'il avait connu en Bourgogne, Mme Du Barry portait le cardinal de Rohan qui s'était attaché à elle. M. d'Aiguillon, alors son amant, voulut les écarter l'un et l'autre, et c'est ce qui fit donner l'ambassade de Suède à M. de Vergennes, alors oublié et retiré dans ses terres, et l'ambassade de Vienne au cardinal de Rohan, alors le prince Louis.


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                                                                                                                         pinterest.com
            Le duc de La Vallière voyant à l'Opéra la petite Lacour sans diamants, s'approche d'elle et lui demande comment cela se fait .
            - C'est lui dit-elle, que les diamants sont la croix de Saint-Louis de notre état.
            Sur ce mot il devint amoureux fou d'elle. Il a vécu avec elle longtemps. Elle le subjuguait par les mêmes moyens qui réussirent à Mme Du Barry près de Louis XV. Elle lui ôtait son cordon bleu, le mettait à terre et lui disait :
            " - Mets-toi à genoux là-dessus, vieille Ducaille. "


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            Mme Du Barry étant à Lucienne eut la fantaisie de voir le Val, maison de M. de Beauvau. Elle fit demander à celui-ci si cela ne déplairait pas à Mme de Beauvau. Mme de Beauvau crut plaisant de s'y trouver et d'en faire les honneurs. On parla de ce qui s'était passé sous Louis XV. Mme Du Barry se plaignit de différentes choses qui semblaient faire voir qu'on haïssait sa personne.
            - Point du tout, dit Mme de Beauvau, nous n'en voulions qu'à votre place.
            Après cet aveu naïf on demanda à Mme Du Barry si Louis XV ne disait pas beaucoup de mal d'elle ( Mme de Beauvau ) et de Mme de Gramont.
            - Oh ! beaucoup.
            - Eh bien ! quel mal, de moi par exemple ?
            - De vous, Madame, que vous étiez hautaine, intrigante, que vous meniez votre mari par le nez.
            M. de Beauvau était présent. On se hâta de changer de conversation.


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            Dans les dernières années du règne de Louis XV, le roi étant à la chasse et ayant peut-être de l'humeur contre Mme Du Barry, s'avisa de dire un mot contre les femmes. Le maréchal de Noailles se répandit en invectives contre elles, et dit que quand on avait fait d'elles ce qu'il faut en faire, elles n'étaient plus bonnes qu'à renvoyer. Après la chasse le maître et le valet se retrouvèrent chez Mme Du Barry à qui M. de Noailles dit mille jolies choses.
            - Ne le croyez pas, dit le roi.
            Et alors il répéta ce qu'avait dit le maréchal à la chasse. Mme Du Barry se mit en colère, et le maréchal lui répondit :
            - Madame, à la vérité, j'ai dit cela au roi. Mais c'était à propos des dames de Saint-Germain, et non pas de celles de Versailles.
            Les dames de Saint-Germain étaient sa femme, Mme de Tessé, Mme de Duras, etc. Cette anecdote m'a été contée par le maréchal de Duras, témoin oculaire.


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            C'est un fait certain et connu des amis de M. d'Aiguillon que le roi ne l'a jamais nommé ministre des Affaires Etrangères. Ce fut Mme Du Barry qui lui dit :
            " - Il faut que tout ceci finisse, et je veux que vous alliez demain matin remercier le roi de vous avoir nommé à la place. "
            Elle dit au roi :
            " - M. d'Aiguillon ira demain vous remercier de sa nomination à la place de secrétaire d'Etat des Affaires Etrangères. "
            Le roi ne dit mot.
            M. d'Aiguillon n'osait pas y aller. Mme Du Barry le lui ordonna, il y alla.
            Le roi ne lui dit rien, et M. d'Aiguillon entra en fonction sur-le-champ.


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            Fontenelle avait fait un opéra où il y avait un choeur de prêtres qui scandalisa les dévots. L'archevêque de Paris voulut le faire supprimer.
            - Je ne me mêle point de son clergé, dit Fontenelle, qu'il ne se mêle pas du mien.


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            Le roi de Pologne Stanislas avait des bontés pour l'abbé Porquet et n'avait encore rien fait pour lui. L'abbé lui en faisait l'observation ;
            - Mais, mon cher abbé, lui dit le roi, il y a beaucoup de votre faute. Vous tenez des discours très libres. On prétend que vous ne croyez pas en Dieu, il faut vous modérer. Tâchez d'y croire. Je vous donne un an pour cela.


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                                                                                                                  donarussia.eklablog.fr

            Louis XV ayant refusé vingt-cinq mille francs de sa cassette à Lebel, son valet de chambre, pour la dépense de ses petits appartements, et lui disant de s'adresser au Trésor Royal, Lebel répondit :
            - Pourquoi m'exposerais-je au refus et aux tracasseries de ces gens-là, tandis que vous avez là plusieurs millions ?
            Le roi lui répondit :
            - Je n'aime point à me dessaisir, il faut toujours avoir de quoi vivre.
            ( Anecdote contée par Lebel à M. Buscher ).


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            On s'étonnait de voir le duc de Choiseul se soutenir aussi longtemps contre Mme Du Barry. Son secret était simple : au moment où il paraissait le plus chanceler, il se procurait une audience ou un travail avec le roi et lui demandait ses ordres relativement à cinq ou six millions d'économie qu'il avait faite dans les départements de la guerre, observant qu'il n'était pas convenable de les envoyer au Trésor Royal. Le roi entendait ce que cela voulait dire et lui répondait :
            " - Parlez à Bertin, donnez-lui trois millions en tels effets. Je vous fais présent du reste. "
            Le roi partageait ainsi avec le ministre et, n'étant pas sûr que son successeur lui offrît les mêmes facilités, gardait M. de Choiseul malgré les intrigues de Mme Du Barry.


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                        Je causais un jour avec M. de V... qui paraît vivre sans illusions dans un âge où l'on en est encore susceptible. Je lui témoignais la surprise qu'on avait de son indifférence. Il me répondit gravement :
            - On ne peut pas être et avoir été. J'ai été dans mon temps tout comme un autre, l'amant d'une femme galante, le jouet d'une coquette, le passe-temps d'une femme frivole, l'instrument d'une intrigante. Que peut-on être de plus ?
            - L'amie d'une femme sensible.
            - Ah! nous voilà dans les romans.


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            M...., homme de lettres connu, n'avait fait aucune démarche pour voir tous ces princes voyageurs qui, dans l'espace de trois ans, sont venus en France l'un après l'autre. Je lui demandai la raison de ce peu d'empressement, il me répondit :
            - Je n'aime, dans les scènes de la vie, que ce qui met les hommes dans un rapport simple et vrai les uns avec les autres. Je sais, par exemple, ce que c'est qu'un père et un fils, un amant et une maîtresse, un ami et un ami, un protecteur et un protégé et même un acheteur et un vendeur, etc.. Mais ces visites produisant des scènes sans objet, où tout est comme réglé par l'étiquette, dont le dialogue est comme écrit d'avance, je n'en fais aucun cas. J'aime mieux un canevas italien qui a du moins le mérite d'être joué à l'impromptu.



                                                                                          Chamfort

                                                                        extraits de Maximes et Pensées

jeudi 28 mai 2015

Flash Mots d'auteur Chamfort ( France )



                                                 Caractères et Anecdotes

            Marmontel dans sa jeunesse recherchait beaucoup le vieux Boindin célèbre par son esprit et son incrédulité. Le vieillard lui dit :
            - Trouvez-vous au café Procope .
            - Mais nous ne pourrons pas parler de matières philosophiques.
            - Si fait, en convenant d'une langue particulière, d'un argot.
            Alors, ils firent leur dictionnaire.
            L'Âme s'appelait " Margot ", la Religion "Javotte ", la Liberté "Jeanneton "et le Père Éternel " M. de l'Etre ".
            Les voilà discutant et s'entendant très bien. Un homme en habit noir avec une fort mauvaise mine se mêlant à la conversation dit à Boindin :
            - Monsieur, oserais-je vous demander ce que c'était que ce monsieur de l'Etre qui s'est si souvent mal conduit et dont vous êtes si mécontent ?
            - Monsieur, reprit Boindin, c'était un espion de police.
            On peut juger de l'éclat de rire, cet homme étant lui-même du métier.

           
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            Dans ma première jeunesse j'eus occasion d'aller voir dans la même journée M. Marmontel et
M. d'Alembert. J'allai le matin chez M. Marmontel, qui demeurait alors chez Mme Geoffrin. Je frappe en me trompant de porte, je demande M. Marmontel. Le Suisse me répond :
            - M de Montmartel ne demeure plus dans ces quartiers-ci, et il me donna son adresse.
            Le soir je vais chez M; d'Alembert, rue Saint-Dominique. Je demande l'adresse à un Suisse qui me dit :
           - M. Staremberg ambassadeur de Venise ? La troisième porte.
           - Non, M. d'Alembert, de l'Académie Française.
           - Je ne connais pas.

                                                                                                                           larousse.fr
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                                             Des Savants et des Gens de Lettres

            Il y a une certaine énergie ardente, mère ou compagne de telle espèce de talents, laquelle pour l'ordinaire condamne ceux qui les possèdent au malheur, non pas d'être sans morale, de n'avoir pas de très beaux mouvements, mais de se livrer fréquemment à des écarts qui supposeraient l'absence de toute morale. C'est une âpreté dévorante dont ils ne sont pas maîtres et qui les rend très odieux. On s'afflige, en songeant que Pope et Swift en Angleterre, Voltaire et Rousseau en France, jugés par la haine non par la haine mais par l'équité, par la bienveillance sur la foi des faits attestés ou avoués par leurs amis et par leurs admirateurs, seraient atteints et convaincus d'actions très condamnables, de sentiments très pervers. O Altitudo !


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            J.-J. Rousseau passe pour avoir eu Mme la comtesse de Boufflers, et même ( qu'on me passe ce terme ) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna beaucoup d'humeur l'un comme l'autre. Un jour on disait devant eux que l'amour du genre humain éteignait l'amour de la patrie.
            - Pour moi, dit-elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela n'est pas vrai. Je suis très bonne Française, et je ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les peuples.
             - Oui, je vous entends, dit Rousseau, vous êtes Française par votre buste et cosmopolite du reste de votre personne.


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            M. de Castries, dans le temps de la querelle de Diderot et de Rousseau, dit avec impatience à M. de R... qui me l'a répété : " Cela est incroyable, on ne parle que de ces gens-là, gens sans état, qui n'ont point de maison, logé dans un grenier, on ne s'accoutume point à cela. "


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            Le philosophe qui fait tout pour la vanité a-t-il droit de mépriser le courtisan qui fait tout pour
 l'intérêt ? Il me semble que l'un emporte les louis d'or et que l'autre se retire content après en avoir entendu le bruit. D'Alembert courtisan de Voltaire par un intérêt de vanité, est-il bien au-dessus de tel ou tel courtisan de Louis XIV, qui voulait une pension ou un gouvernement ?


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            On croit communément que Pierre le Grand se réveilla un jour avec l'idée de tout créer en Russie. M. de Voltaire avoue lui-même que son père, Alexis, forma le dessein d'y transporter les Arts. Il y a dans tout une maturité qu'il faut attendre. Heureux l'homme qui arrive dans le moment de cette maturité.


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            L'Assemblée Nationale de 1789 a donné au peuple français une constitution plus forte que lui. Il faut qu'elle se hâte d'élever la nation à cette hauteur, par une bonne éducation publique. Les législateurs doivent faire comme ces médecins habiles qui, traitant un malade épuisé, font passer les restaurants à l'aide des stomachiques.


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Résultat de recherche d'images pour "voltaire"            M. de Voltaire voyant la religion tomber tous les jours disait une fois :
            - Cela est pourtant fâcheux, car de quoi nous moquerons-nous ?
            - Oh ! lui dit M. Sabatier de Cabre, consolez-vous, les occasions ne vous manqueront pas plus que les moyens.
            - Ah ! monsieur, reprit douloureusement M. de Voltaire, hors de l'église point de salut.


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            M. le Régent avait promis de faire " quelque chose " du jeune Arouet, c'est-à-dire d'en faire un important et de le placer. Le jeune poète attendit le prince au sortir du Conseil, au moment où il était suivi des quatre secrétaires d'Etat. Le Régent le vit et lui dit :
            - Arouet, je ne t'ai pas oublié, et je te destine le département des " Niaiseries ".
            - Monseigneur, dit le jeune Arouet, j'aurais trop de rivaux : en voilà quatre.
            Le prince pensa étouffer de rire.


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philippesollers.net
            M. de Voltaire étant chez Mme du Châtelet et même dans sa chambre, s'amusait avec l'abbé Mignot, encore enfant, et qu'il tenait sur ses genoux. Il se mit à jaser avec lui et à lui donner des instructions.
            - Mon ami, lui dit-il, pour réussir avec les hommes il faut avoir les femmes pour soi. Pour avoir les femmes pour soi, il faut les connaître. Vous saurez donc que toutes les femmes sont fausses et catins...
            - Que dîtes-vous là monsieur, dit Mme du Châtelet en colère.
            - Madame, dit M. de Voltaire, il ne faut pas tromper l'enfance.


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            Un homme disait à M. de Voltaire qu'il abusait du travail et du café, et qu'il se tuait.
            - Je suis né tué, répondit-il.


                                                                                    Chamfort

                                   "extraits de Maximes et Pensées Caractères et Anecdotes "
                                                               




                  

dimanche 24 mai 2015

La gaieté Justine Lévy ( récit France )

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                                   La Gaieté

            La tristesse, oubliée la tristesse. Abolir ce lourd sentiment qui s'enroule autour d'elle, détruit les lueurs du jour. Etre " gaiegaiegaie ". Justine Lévy retrouve Louise, qui n'est autre qu'elle-même, quittée dans        
" Mauvaise fille " alors que sa mère meurt d'un cancer à l'hôpital et qu'elle accouche de son premier enfant, Angèle. Elle ne veut pas offrir à son enfant la tristesse que lui inspirait sa mère, déchue de son titre, de son rôle. La vie quotidienne la confronte sans cesse à des souvenirs douloureux, partagée entre l'éducation de ses deux enfants, le second un garçon, Paul, sa vie d'épouse de Pablo, son travail d'éditrice. Le moment du petit déjeuner peut être porteur de crise de réminiscences, une invitation à un goûter d'anniversaire le rappel des mots cuisants, durs, si mal supportés par la petite fille élevée dorénavant par son père souvent absent, auprès de belle-mère souvent changées, jalouses du souvenir de la maman de Louise belle, ancien mannequin, avant d'être arrêtée pour de sombres histoires. "... La belle-mère bientôt déchue continuait de soliloquer, ta mère ta mère ta mère, et moi je ne regardais plus que ses incisives petites, pointues... " Malgré ses efforts, son père rassurant toujours libre pour l'écouter aussi éloigné soit-il, " ... le chagrin ne disparaît pas quand il s'en va, il passe d'une personne à l'autre, comme un rhume..... cette peine qu'elle m'a refilée, c'est pour ça que moi j'ai décidé d'arrêter la contagion... " Louise combat ses tourments. " Bien sûr que j'adorerais partir en promenade avec un enfant dans chaque main, le nez au vent.... ne pas toujours prévoir les catastrophes. Il y a une photo idiote qui me fascine, on y voit Brad Pitt avec deux de ses enfants, un air cool et un biberon qui dépasse de la poche de son jean... " Cette mère morte neuf ans plus tôt est omniprésente,
" .... maman.... elle me manque toujours et ça me tord le ventre.... ce n'est pas un doudou, ce qui me rapproche d'elle c'est le manque.... " Après la tristesse reconstruire avec la gaieté de la tendresse qu'elle porte à ses enfants. De son premier livre on a dit " ne le secouez pas trop, il est plein de larmes ". De celui-ci dire qu'il est plein de coups qui traversent les pages, empêchent l'auteur de fermer la porte aux souvenirs douloureux. 

vendredi 22 mai 2015

Que ta volonté soit faite Maxime Chattam ( roman France

Que ta volonté soit faite

                                       Que ta volonté soit faite  

            " Qui je suis n'a que peu d'importance, ce qui compte c'est ce que je sais et comment je vais vous le raconter. " Et l'histoire qui nous est contée est rude, l'histoire d'un homme qui aime faire mal. Une folie, mais il n'est pas fou. Lucide, il tue les animaux, viole les filles, mais leur donne un coquelicot en les quittant. L'écriture est simple, hors quelques mots qui demandent une recherche, le sujet nous porte, tourner la page.
Carson Mills petite ville proche de Wichita, n'a pas grandi, restée repliée, avec la grand'rue, un cinéma, les maisons cossues du sud de la ville, les plus pauvres au nord, et alentour les forêts où gambadent lapins et autres animaux qui trouveront là le cimetière que leur creuse Jon Petersen., enfant élevé par son grand-père, entouré de ses tantes. Sa sexualité ne trouve d'issue que dans la violence. Son déséquilibre dans la course folle qu'il mène contre tout ce qui vit. Équarrisseur un temps il frappe les carcasses. Mais le mal creuse en lui son trou, il devient l'effroi des habitants de la petite ville. Petite ville mais où cohabitent deux églises, les luthériens et les méthodistes, et il y a le shérif Jarvis marié à Rosie. Les viols sont-ils tous le fait de Jon, le doute effleure parfois. Riley, fils de ce père pervers, a dix, onze, douze ans, fuit l'école, sa mère "... est une enseigne déglinguée par le temps... ". Y aura-t-il une issue ? "... Nos vies.... une accumulation de petits interrupteurs... l'un ouvert, le suivant fermé... ce sont simplement les aléas du quotidien, des rencontres des actes manqués... des réussites, des échecs....Certains appellent cela le " destin " d'autres le " choix de Dieu ".
La fin curieuse est-elle à la hauteur du roman, surprenant ou comme l'auteur l'a voulu, n'oubliez pas ce petit coin du Minnesota, ces champs de maïs et ses habitants qui découvriront bientôt les recherches sur ordinateur.                                                                  

jeudi 21 mai 2015

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 43 Samuel Pepys ( journal Angleterre )


eglise saint bartholomew wikipedia

                                                                                                        16 mars 1661

            De bonne heure chez William Penn là, en présence de Mr Turner, nous nous mîmes d'accord pour l'affaire des fournitures. Ensuite à Whitehall chez milord, nous dînâmes puis à Whitefriars où je vis Le Vicaire espagnol qui ne me plût guère.
            Retour chez moi très contrarié que Will soit toujours dehors à cette heure tardive. Au lit, furieux, décidé à lui fermer ma porte. Mais voici qu'il arrive et je la lui ouvre. Il me dit que s'il était resté si tard à l'hôtel de ville c'était pour aider à payer la solde des matelots débarqués et à tenir les registres, ce qui m'a été confirmé depuis. Après quoi je m'endors, j'étais déjà au lit lorsqu'il est arrivé.


                                                                                                           17 mars

            Ce matin à l'église un inconnu fit un bon sermon, honnête et sérieux. Ma femme et moi dînâmes d'une échine de boeuf chez sir William Batten. Derechef à l'église, puis retour à la maison où je rangeai quelques papiers, puis à nouveau chez sir William Batten pour le souper, ma femme s'y fit affreusement mal aux genoux en tombant. Retour à la maison et au lit.


                                                                                                              18 mars

            Tôt ce matin sir William Batten est parti pour Rochester où il espère être choisi comme député.
            Au bureau toute la matinée, puis dîner à la maison, ensuite avec ma femme à Westminster où j'ai affaire avec les commissaires pour la solde des marins et les appointements de milord. Ma femme chez Mrs Hunt.
Sir-Anthony-van-Dyck-Karel-I-van-Engeland-en-Henrietta-van-Frankrijk-i8124            Je la reconduisis à la maison en voiture et me renseignai chez Greatorex et ailleurs sur Mr Barlow, croyant qu'il était mort., mais rien de tel, au contraire. Chez moi puis visite chez milady Batten où je soupai. Retour à la maison..
            On a aujourd'hui conduit en ville un ambassadeur de Florence, en grande pompe.
            J'ai eu aujourd'hui bon espoir du départ de Mrs Davis, son mari devant bientôt partir pour l'Irlande. Hier devait avoir lieu en France, disait-on, le mariage de la princesse Henriette avec le duc d'Anjou.
            J'apprends aujourd'hui par la gazette que Roger Pepys est choisi à Cambridge pour représenter la ville, première circonscription dont nous entendions dire qu'elle ait déjà son choix.
            Au lit, la tête et l'esprit farcis d'affaires qui me perturbent quelque peu. Je m'aperçois que je suis de plus en plus et plus que jamais tourmenté du souci de me procurer de l'argent.


                                                                                                                  19 mars 1661

            Réunion au bureau ce matin pour traiter d'une affaire particulière, puis à Whitehall où je dînai avec milord, ensuite avec Mr Creed à Whitefriars où nous vîmes L'esclave excellemment joué, et bien que j'aie souvent vu cette pièce le jeu de Betterton me plaît chaque fois davantage. Après quoi avec lui et le jeune Mr Jones à la taverne de Pernell dans Fleet Street où nous restâmes longtemps à boire et à converser. Puis retour chez moi, et au lit.


                                                                                                                  20 mars

            Au bureau toute la matinée. Dîner à la maison avec Mr Creed et Mr Shipley, puis nous avons beaucoup travaillé dans mon cabinet aux comptes de milord qui doivent être fais et présentés à nos collègues. Ensuite à Whitehall voir Mr Coventry avec lequel je m'occupai de quelque affaire, puis avec sir William Penn trouvé en compagnie de Mr Coventry qu'il renseignait sur la Jamaïque à l'aide d'une carte. Retour à la maison, de nuit, par le fleuve. Allai chez milady Batten où se trouvait ma femme. Nous restâmes là manger et boire tard dans la nuit. Retour à la maison et au lit.
            Tout le monde en ville n'a qu'une chose à la bouche : le choix étrange que fit hier la Cité aux élections parlementaires. Leurs députés, à savoir Fowke, Love, Jones et sir William, loin d'être anglicans sont, croit-on, des anabaptistes. Ils furent choisis avec le plus grand enthousiasme en dépit de l'autre parti qui se croyait très puissant, aux cris, à l'hôtel de ville, de " pas d'évêques ! par de lords évêques ! " Cela fait craindre que les choses ne se gâtent, la situation présente servant d'exemple à la province en l'incitant à faire la même chose. Assurément les évêques montrent tant de morgue qu'ils sont aimés de très peu de gens.


                                                                                                                     21 mars

            Levé très tôt, au travail et à l'étude dans mon cabinet, puis chez milord à Whitehall. Je restai un long moment à discuter de ses comptes. Je restai toute la matinée avec Mr Creed, et à midi dînai avec milord qui se montra fort enjoué. Nous passâmes l'après-midi un grand moment à chanter et à jouer du violon. Ensuite retour à la maison par le fleuve, accompagné sur une partie du trajet par Mr Shipley, Pinkney et d'autres. Je travaillai dur à ranger mes papiers et à écrire des lettres jusqu'à la nuit. Puis au lit.
            J'ai vu aujourd'hui l'ambassadeur de Florence se rendre à son audience. Très mauvais temps, mais lui et sa suite étaient très richement vêtus. J'étais déjà au lit lorsque William Penn me fit prier d'aller avec lui demain à la rencontre de sir William Batten de retour de Rochester.
jan steen

                                                                                                                     22 mars

            Très tôt levé ce matin. Milady Batten frappa à la porte qui donne sur une de mes chambres et m'appela pour savoir si ma femme et moi étions prêts à partir. Ma femme se prépara et vers 8 heures je montai à cheval tandis que milady ses deux filles et sir William Penn prenaient une voiture. Passâmes le Pont de Londres puis à Dartford. Journée fort agréable malgré un mauvais chemin. Nous retrouvâmes sir William Batten et des gens qui l'accompagnaient et l'ont aidé pour son élection à Rochester. Dîner fort gai et nous reprîmes la route à 5 heures, moi en voiture et force gaieté pendant tout le trajet. A Deptford nous trouvâmes Mr Newborne venu à notre rencontre en voiture avec d'autres amis et leurs femmes. Ainsi ils restèrent avec nous et nous soupâmes chez sir William Batten. Ensuite au lit, avec un mal de tête atroce à cause du vin que j'ai bu aujourd'hui.


                                                                                                                         23 mars 1661
                                                                                                                 
            Mis de l'ordre dans mes papiers toute la matinée. Dînai chez moi, puis allai au Taureau Rouge où je n'étais jamais allé depuis la réouverture des théâtres, mais arrivé trop tôt je ressortis et me promenai de long en large dans Charterhouse Yard et Aldersgate Street. Finalement retour au théâtre, je montai sous la conduite d'un marin qui me connaissait et fait ici office de domestique, jusqu'aux loges des acteurs. Il y règne une confusion et un désordre étonnants, tandis qu'ils se préparent, surtout dans ce théâtre où les vêtements sont misérables et les acteurs des gens très ordinaires. Finis par descendre au parterre où il n'y avait, à mon avis, pas plus de dix personnes à part moi, et pas cent dans toute la salle. Pour ce qui de la pièce; Peines d'amour déchues, représentation médiocre et dans le plus grand désordre, notamment celui qui éclata dans la salle de musique, l'enfant ayant mal chanté un air fut souffleté et battu si violemment par son maître que ce fut le tumulte dans toute la salle.
            Pris de là le chemin du retour et rencontrai à la Mitre mon oncle Wright en compagnie du lieutenant-colonel Baron qui nous dit comment Crofton, le grand pasteur presbytérien qui a tenu dernièrement au prêche des propos si insolents contre les évêques, a été aujourd'hui jeté en prison à la Tour, ce qui plaît à certains et déplaît furieusement à d'autres.
            A la maison et au lit.


                                                                                                                      24 mars
                                                                                                        Jour de Seigneur
campagne anglaise Wallpaper            Ma femme et moi à l'église, puis à la maison avec sir William   Batten et milady à dîner, fort gai.  A nouveau à l'église. Mr Mills fit un bon sermon. Retour à la maison et, après notre promenade dans le jardin, les deux filles de sir William Batten vinrent nous tenir un moment compagnie. Puis montai lire dans mon cabinet.                                   *

                                                                                             
                                                                                                                     25 mars
                                                                                                          Annonciation
            Ce matin des ouvriers sont arrivés pour commencer la construction de mon escalier qui partira de mon salon, avec d'autres travaux que je dois faire, cela durera deux mois je pense, pendant lesquels je vais être dans la saleté, mais ce projet me plaît énormément. Ensuite au bureau où je reste toute la matinée. Dîner à la maison. Après le dîner Mr Salisbury vint me voir. Il me montra un ou deux portraits de sa main, et je vois bien qu'il a vraiment l'étoffe d'un grand maître.
            Je l'emmenai à Whitehall par le fleuve mais ne pus le persuader de passer le Pont et il fallut nous rabattre sur le vieux signe.
            Chez milord, je lui montrai le portrait du roi qu'il a l'intention de reproduire en petit. Après cela à Salisbury Court avec le capitaine Ferrer, par le fleuve. Nous y vîmes une partie du Masque de la reine, puis chez Mrs Turner où je restai parler tard le soir. Theophila Turner furieuse de n'avoir pu obtenir une place debout pour assister au couronnement.
            Ensuite chez mon père, je m'attardai à parler avec lui et ma mère de mon dîner de demain.
            Repris le chemin de la maison, rencontrai un gamin qui avait une lanterne et ramassait les chiffons, le persuadai de m'éclairer jusque chez moi. Eus avec lui une longue conversation. Il lui arrivait de ramasser jusqu'à trois ou quatre boisseaux de chiffons par jour et il touchait 3 pence par boisseau. Nous parlâmes de bien d'autres choses, des divers moyens qu'ont les enfants pauvres de gagner honnêtement leur vie.
            A la maison et au lit, à minuit, fort satisfait du travail que mes ouvriers ont commencé aujourd'hui.


                                                                                                                        26 mars

            Levé tôt pour travailler dans mon cabinet.
Résultat de recherche d'images pour "enfants pauvres 18è siècle"            Aujourd'hui c'est mon grand jour ; il y a trois ans j'étais opéré de la pierre, et Dieu soit loué ! je ne ressens plus de douleur. Suis resté à la maison toute la matinée pour surveiller avec beaucoup de satisfaction mes ouvriers qui travaillaient à mon escalier. A midi, en voiture, chez mon père où se trouvaient Mrs Turner, Theophila, Joyce, Mr Morrice, Mr Armiger, Mr Pearse le chirurgien et sa femme, mon père ma mère outre ma femme et moi.
            Dîner fort gai, entre autres raisons, parce que Mrs Turner et les siens ne mangent pas de viande pendant ce carême, et que j'en mange beaucoup et de la bonne, qui leur met l'eau à la bouche.
            Après dîner, Mrs Pearse et son mari, ma femme et moi à Salisbury Court où, arrivés en retard, nous rencontrâmes par hasard le colonel Boone qui s'effaça pour faire de la place, ma femme et moi nous assîmes au parterre où nous rencontrâmes Mr Lewis et Tom Whitton. Nous vîmes L'Esclave admirablement représenté. Rentrés en voiture, et après avoir inspecté le travail des ouvriers, j'allai me coucher.


                                                                                                                   27 mars

            Levé de bonne heure pour voir mes ouvriers au travail. Mon frère Tom vint me voir et nous passâmes en revue mes vieux vêtements. Je lui cédai un costume noir, un chapeau et des chaussures.
            Au bureau toute la matinée. Visite de sir George Carteret. Je lui fis promettre de me prendre de l'argent sur une lettre de change. Je m'assure ainsi 60 livres que je ne saurais comment me procurer autrement.
            A midi je trouve mon escalier complètement démonté et dois prendre une échelle pour monter à l'étage. Comme ma femme ne se sentait pas bien, elle garda la chambre toute la journée.
            Puis au Dauphin à un dîner offert par Mr Harris auquel participaient les deux sirs William, milady Batten et ses deux filles, ainsi que d'autres. Beaucoup de gaieté. Restâmes jusqu'à 11 heures du soir et, dans l'allégresse générale je chantai, jouai parfois du violon, il y avait un groupe de violonistes, et enfin nous nous mîmes à danser. Première fois de ma vie que je m'y essayais et je fus surpris de m'y mettre. Pour finir nous fîmes danser Mingo, le serviteur noir de sir William Batten et Jack celui de sir William Penn, et il était étonnant de voir le premier danser avec beaucoup d'adresse.
            De retour chez moi j'apprends que ma femme a passé toute la journée au lit.


                                                                                                                    28 mars 1661

            Levé tôt, parmi mes ouvriers. Puis Mr Creed venu me voir je l'accompagnai auprès de sir Robert Sligsby qui vient de recevoir ce titre car on l'a fait baronnet, pour parler des comptes de Mr Creed. De là chez mon cousin Thomas Pepys pour emprunter 1 000 livres pour milord. J'aurai la réponse demain. Chez milord où je restai dîner, ensuite obtins de lui qu'il examinât les comptes de Mr Shipley, que j'avais vérifiés, et qu'il me signât aussi un billet à ordre de 500 livres.
            Ensuite avec Mr Shipley au Théâtre où nous vîmes Rollo, mal joué. Bûmes ensuite un chope de bière et à Londres en voiture. Après l'avoir déposé à Cheapside je rentrai chez moi. Je trouve le travail bien avancé aujourd'hui, ainsi que 70 livres qui m'ont été versées par le trésorier par prélèvement sur la lettre de change, ce que j'attendais depuis longtemps. Je me couchai donc fort satisfait.


                                                                                                                     29 mars

            Levé, parmi mes ouvriers avec grand plaisir. Puis au bureau où je trouve sir William Penn envoyé hier à Chattam pour préparer deux navires à un départ immédiat pour les Indes Orientales, en vue d'une opération contre les Hollandais, à Goa, pensons-nous, mais c'est encore un grand secret.
           Dîner chez moi. Vinrent Mr Shipley et Moore et nous travaillâmes puis chez sir William Batten. Beaucoup d'invités à dîner, parmi eux mon camarade de collège Mr Christmas. Très joyeuse compagnie. Arrivèrent deux lettres d'en haut ordonnant d'équiper sans attendre deux bâtiments supplémentèrent pour les Indes orientales. Nous reçûmes tout de suite après des ordres pour le Hamoshire et le  Nonesuch. Puis chez moi où je rangeai quelques papiers et, ne sachant que faire, la maison étant dans un tel état de saleté, je me mis au lit.


                                                                                                                       30 mars

            Au bureau, sir William Ridder et nous, pour décider des approvisionnement à prévoir pour les bâtiments qui vont aux Indes. Ensuite avec le contrôleur de la Marine, par le fleuve, chez Mr Coventry pour les mêmes discussions.
            Chez mon cousin Thomas Pepys dont j'obtins la promesse d'un prêt de 1 000 livres à milord, garanti par milord, mon oncle Robert et moi-même. Puis chez milord où je fis signer à Robert un billet à ordre en sa faveur, j'apposai également ma signature. Milord ajouta la sienne à titre de contre-caution.
            Allai ensuite à Londres, me promenai de ci, de là, pris une pinte de vin avec Mr Creed. De retour chez moi envoyai une lettre et les billets à ordre à mon oncle pour qu'il donnât sa signature en faveur de milord.
            Je parlai aujourd'hui au Dr Castle du calcul des parts pour le dernier terme et convînmes de nous rencontrer lundi à ce sujet.


                                                                                                                 31 mars
                                                                                                             Dimanche
            A l'église où un inconnu prêcha comme un sot. Retour à la maison où je dînai avec ma femme. Elle reste à la maison refusant de s'habiller dans une maison crasseuse.
            De nouveau à l'église. Après le sermon je me rendis à nouveau chez mon père et Mrs Turner où malgré toutes mes flatteries je ne pus persuader Theophila de me jouer un morceau au clavecin. Ce qui me fâcha.
            Retour à la maison et, trouvant Will parti chez sir William Batten pour bavarder là-bas avec leurs gens, sir William et milady étant à la campagne, j'en pris prétexte pour me mettre en colère contre lui. Prière et au lit.

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                                                                                                    à suivre....
                                                                                        1er avril 1661...../
            Aujourd'hui revient mon...../