dimanche 31 mars 2013

L'ami Joseph Guy de Maupassant ( nouvelle France )



maupassant et sa mère
                                                        L'ami Joseph

            On s'était connu intimement pendant tout l'hiver à Paris. Après s'être perdus de vue, comme toujours, à la sortie du collège, les deux amis s'étaient retrouvés, un soir, dans le monde, déjà vieux et blanchis, l'un garçon, l'autre marié.
            M. de Méroul habitait six mois Paris et six mois son petit château de Tourbeville. Ayant épousé la fille d'un châtelain des environs, il avait vécu d'une vie paisible et bonne dans l'indolence d'un homme qui n'a rien à faire. De tempérament calme et d'esprit rassis, sans audaces d'intelligence, ni révoltes indépendantes, il passait son temps à regretter doucement le passé, à déplorer les moeurs et les institutions d'aujourd'hui, et à répéter à tout moment à sa femme qui levait les yeux au ciel et parfois aussi les mains en signe d'assentiment énergique : " Sous quel gouvernement vivons-nous, mon Dieu ? "
             Mme de Méroul ressemblait intellectuellement à son mari, comme s'ils étaient frère et soeur. Elle savait par tradition qu'on doit d'abord respecter le Pape et le Roi !
            Et elle les aimait et les respectait du fond du coeur, sans les connaître, avec une exaltation poétique, avec un dévouement héréditaire, avec un attendrissement de femme bien née. Elle était bonne jusque dans tous les replis de l'âme. Elle n'avait point eu d'enfant et le regrettait sans cesse.
            Lorsque M. de Méroul retrouva dans un bal Joseph Mouradour son ancien camarade, il éprouva de cette rencontre une joie profonde et naïve, car ils s'étaient beaucoup aimés dans leur jeunesse.
            Après les exclamations d'étonnement sur les changements que l'âge avait apportés à leur corps et à leur figure, ils s'étaient informés réciproquement de leurs existences.
       *     Joseph Mouradour, un Méridional, était devenu conseiller général dans son pays. D'allures franches, il parlait vivement et sans retenue, disant toute sa pensée avec ignorance des ménagements. Il était républicain, de cette race de républicains bons garçons qui se font une loi du sans-gêne, et qui posent pour l'indépendance de parole allant jusqu'à la brutalité.
            Il vint dans la maison de son ami et y fut tout de suite aimé pour sa cordialité facile, malgré ses opinions avancées. Mme de Méroul s'écriait :
            - Quel malheur ! Un si charmant homme !
            M. de Méroul disait à son ami d'un ton pénétré et confidentiel :
            - Tu ne te doutes pas du mal que vous faites à notre pays.
            Il le chérissait cependant, car rien n'est plus solide que les liaisons d'enfance reprises à l'âge mûr. Joseph Mouradour blaguait la femme et le mari, les appelait " mes aimables tortues ", et parfois se laissait aller à des déclamations sonores contre les gens arriérés, contre les préjugés et les traditions.
            Quand il déversait ainsi le flot de son éloquence démocratique le ménage, mal à l'aise, se taisait par convenance et savoir-vivre, puis le mari tâchait de détourner la conversation pour éviter les froissements. On ne voyait Joseph Mouradour que dans l'intimité.
            L'été vint. Les Méroul n'avaient pas de plus grande joie que de recevoir leurs amis dans leur propriété de Tourbeville. C'était une joie intime et saine, une joie de braves gens et de propriétaires campagnards. Ils allaient au-devant des invités jusqu'à la gare voisine et les ramenait dans leur voiture, guettant les compliments sur leur pays, sur la végétation, sur l'état des routes dans le département, sur la propreté des maisons des paysans, sur la grosseur des bestiaux qu'on apercevait dans les champs, sur tout ce qu'on voyait par l'horizon.
  * *          Ils faisaient remarque que leur cheval trottait d'une façon surprenante pour une bête employée une partie de l'année aux travaux des champs, et ils attendaient avec anxiété l'opinion du nouveau venu sur leur domaine de famille, sensibles au moindre mot, reconnaissants de la moindre intention gracieuse.
           Joseph Mouradour fut invité et il annonça son arrivée.
           La femme et le mari étaient venus au train, ravis d'avoir à faire les honneurs de leur logis.
           Dès qu'il les aperçut, Joseph Mouradour sauta de son wagon avec une vivacité qui augmenta leur satisfaction. Il leur serrait les mains, les félicitait, les enivrait de compliments.
           Tout le long de la route il fut charmant, s'étonna de la hauteur des arbres, de l'épaisseur des récoltes, de la rapidité du cheval.
           Quand il mit le pied sur le perron du château M. de Méroul lui dit avec une certaine solennité amicale :
           -Tu es chez toi, maintenant .
           Joseph Mouradour répondit :
           - Merci mon cher, j'y comptais. Moi d'ailleurs, je ne me gêne pas avec mes amis. Je ne comprends l'hospitalité que comme ça.
           Puis il monta dans sa chambre pour se vêtir en paysan, disait-il, et il redescendit tout costumé de toile bleue, coiffé d'un chapeau canotier, chaussé de cuir jaune, dans un négligé complet de Parisien en goguette. Il semblait aussi devenu plus commun, plus jovial, plus familier, ayant revêtu avec son costume des champs un laisser-aller et une désinvolture qu'il jugeait de circonstance. Sa tenue nouvelle choqua quelque peu M. et Mme de Méroul qui demeuraient toujours sérieux et dignes, même en leurs terres, comme si la particule qui précédait leur nom les eût forcés à un certain cérémonial jusque dans l'intimité.
            Après le déjeuner on alla visiter les fermes : et le Parisien abrutit les paysans respectueux par le ton camarade de sa parole.
            Le soir, le curé dînait à la maison, un vieux gros curé habitué des dimanches, qu'on avait prié ce jour-là exceptionnellement en l'honneur du nouveau venu.
            Joseph en l'apercevant fit une grimace, puis il le considéra avec étonnement, comme un être rare d'une race particulière qu'il n'avait jamais vu de si près. Il eut dans le cours du repas des anecdotes libres permises dans l'intimité, mais qui semblèrent déplacées à Méroul, en présence d'un ecclésiastique. Il ne disait point " Monsieur l'abbé ", mais " Monsieur ", tout court. Et il embarrassa le prêtre par des considérations philosophiques sur les diverses superstitions établies à la surface du globe. Il disait :
            - Votre Dieu, monsieur, est de ceux qu'il faut respecter, mais aussi de ceux qu'il faut discuter. Le mien s'appelle Raison. Il a été de tout temps l'ennemi du vôtre.
            Les Méroul, désespérés, s'efforçaient de détourner les idées. Le curé partit de très bonne heure.
            Alors le mari prononça doucement :
            - Tu as peut-être été un peu loin devant ce prêtre ?
            Mais Joseph aussitôt s'écria :
            - Elle est bien bonne celle-là ! Avec ça que je me gênerais pour un calotin ! Tu sais d'ailleurs, tu vas me faire le plaisir de ne plus m'imposer ce bonhomme-là pendant les repas. Usez-en vous autres, autant que vous voudrez, dimanche et jours ouvrables, mais ne le servez pas aux amis, saperlipopette !
            - Mais mon cher, son caractère sacré...
        ***    Joseph Mouradour l'interrompit :
            - Oui, je sais, il faut les traiter comme des rosières ! Connu, mon bon ! Quand ces gens-là respecteront mes convictions, je respecterai les leurs !
            Ce fut tout, ce jour-là.
            Lorsque Mme de Méroul entra dans le salon, le lendemain matin, elle aperçut au milieu de sa table trois journaux qui la firent reculer : Le Voltaire, La République française et La Justice.
            Aussitôt Joseph Mouradour, toujours en bleu, parut sur le seuil, lisant avec attention L'Intransigeant. Il s'écria :
            - Il y a là-dedans un fameux article de Rochefort. ce gaillard-là est surprenant.
            Il en fit la lecture à haute voix, appuyant sur les traits, tellement enthousiasmé, qu'il ne remarqua pas l'entrée de son ami.
            M. de Méroul tenait à la main Le Gaulois pour lui, Le Clairon pour sa femme.
            La prose ardente du maître écrivain qui jeta bas l'empire, déclamée avec violence, chantée dans l'accent du Midi, sonnait par le salon pacifique, secouait les vieux rideaux à plis droits, semblait éclabousser les murs, les grands fauteuils de tapisserie, les meubles graves posés depuis un siècle aux mêmes endroits, d'une grêle de mots bondissants, effrontés, ironiques et saccageurs.
            L'homme et la femme, l'un debout, l'autre assise, écoutaient avec stupeur, tellement scandalisés qu'ils ne faisaient pas un geste.
           Mouradour lança le trait final  comme on tire un bouquet d'artifice, puis déclara d'un ton triomphant :
           - Hein ? C'est salé cela ?
           Mais soudain il aperçut les deux feuilles qu'apportait son ami, et il demeura lui-même perclus d'étonnement. Puis il marcha vers lui, à grands pas, demandant d'un ton furieux :
           - Qu'est-ce que tu veux faire de ces papiers-là ?
           M. de Méroul répondit en hésitant :
           - Mais... ce sont mes... mes journaux !
           - Tes journaux... Ça, voyons, tu te moques de moi ? Tu vas me faire le plaisir de lire les miens qui te dégourdiront les idées, et quant aux tiens... voici ce que j'en fais, moi...
           - Et, avant que son hôte interdit ait pu s'en défendre, il avait saisi les deux feuilles et les lançait par la fenêtre. Puis il déposa gravement La Justice entre les mains de Mme de Méroul, et il s'enfonça dans un fauteuil pour achever L'Intransigeant.
            L'homme et la femme, par délicatesse, firent semblant de lire un peu, puis lui rendirent les feuilles républicaines qu'ils touchaient du bout des doigts comme si elles eussent été empoisonnées.
            Alors il se remit à rire et déclara :
            - Huit jours de cette nourriture-là et je vous convertis à mes idées.
            Au bout de huit jours, en effet, il gouvernait la maison. Il avait fermé la porte au curé, que Mme de Méroul allait voir en secret, il avait interdit l'entrée au château du Gaulois et du Clairon qu'un domestique allait mystérieusement chercher au bureau de poste et qu'on cachait lorsqu'il entrait, sous les coussins du canapé.Il réglait tout à sa guise, toujours charmant, toujours bonhomme, tyran jovial et tout puissant.
             D'autres amis devaient venir, des gens pieux et légitimistes. Les châtelains jugèrent une rencontre impossible et, ne sachant que faire, annoncèrent un soir à Joseph Mouradour qu'ils étaient obligés de s'absenter quelques jours pour une petite affaires et ils le prièrent de rester seul. Il ne s'émut pas et répondit :
            - Très bien, cela m'est égal, je vous attendrai ici autant que vous voudrez. Je vous l'ai dit : entre amis pas de gêne.Vous avez raison d'aller à vos affaires, que diable ! Je ne me formaliserai pas pour cela, bien au contraire. Ça me met tout à fait à l'aise avec vous. Allez, mes amis, je vous attends.
            M. et Mme de Méroul partirent le lendemain.
            Il les attend.


                                                                                                              Guy de Maupassant

*     jules grand-père maupassant
**   château de miromesnil
*** giverny claude monet               

dimanche 24 mars 2013

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 15 Samuel Pepys ( journal Angleterre )

 
    westminster                          

                                                                                                              9 mars 1660

            J'allai voir milord à son domicile et je me rendis à Westminster avec lui en voiture, en compagnie de Mr Dudley. Nous nous promenâmes dans la Chambre peinte un bon moment et je lui dis que j'étais prêt et décidé à l'accompagner en mer. Il approuva ma décision et me conseilla ce que je devais écrire à Mr Downing à ce propos. Ce que je fis à mon bureau : je proposai que selon le désir de milord mon poste soit temporairement occupé par Mr Moore et que moi et mon substitut soyons liés vis-à-vis de lui par les mêmes engagements. J'allai dîner chez Mr Crew où Mr Hawley me rejoignit. Je lui racontai toute l'affaire et lui montrai ma lettre en lui promettant 20 livres, ce qui lui fit très plaisir. Je fis la même chose pour Mr Moore qui reçut également très bien mon offre. Dans l'après-midi je me rendis en voiture, en prenant avec moi Mr Butler au ministère de la Marine, pour m'occuper des 500 livres de milord. On me promit que je les aurai demain matin. Puis retour, toujours en voiture. A Whitehall dans la salle du Conseil, je parlai avec milord et je lui fis signer l'acquit pour les 500 livres. Il me dit également qu'il avait parlé à Mr Blackborne de renvoyer Mr Creed et que je devrais aller le voir pour recevoir ses instructions concernant cet emploi.
            Après quoi, Mr Butler et moi allâmes chez Harper, où nous restâmes deux heures à boire, jusqu'à dix heures du soir. La vieille femme qui était ivre se mit à parler bêtement en faveur de son fils James.
            A la maison et au lit.
            Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, car j'étais préoccupé par la façon dont je pouvais régler mes affaires étant donné le grand changement qui m'arrive. Échauffé par la boisson j'avais trop chaud, aussi fis-je la promesse, le matin suivant, de ne boire aucune boisson forte cette semaine, car je me rends compte que cela me fait transpirer au lit et me trouble l'esprit. Aujourd'hui il a été décidé que les lettres pour les élections seraient envoyées au nom des gardiens des libertés. J'ai entendu dire qu'il a été décidé secrètement de proposer un traité au roi. Et que Monck a tancé ses soldats vertement pour ce qu'ils ont fait hier.



                                                                                                               10 mars

            Ce matin allai voir mon père que je trouvai dans l'appentis à bois. Je lui fis part de ma résolution d'accompagner milord en mer et lui demandai conseil sur les dispositions à prendre pour ma femme. Finalement je décidai qu'elle irait résider chez Mr Bowyer. Je me rendis ensuite à la trésorerie de la Marine où je reçus 500 livres pour milord. Après en avoir laissé 200 à Mr Rawlinson pour Shipley je me rendis avec les autres à la taverne du Soleil sur la colline de Fish Street où Mr Hill, Mr Stevens et Mr Hater, du bureau de la Marine, m'avaient invité. Nous eûmes droit à de belles paroles et à un bon déjeuner de la part de Mr Hater. Je rentrai ensuite à la maison en voiture et je profitai pour faire part à ma femme de mon départ en mer. Elle en fut très fâchée et, après une querelle, elle accepta finalement d'aller s'installer en mon absence chez Mr Bowyer. Après cela j'allai voir Mrs Jemima et je payai 7 livres à sa domestique. Puis j'allai voir Mr Blackborne qui me rapporta ce que disait Mr Creed de la nouvelle selon laquelle j'allais le remplacer, et qu'il avait proposer à milord d'avoir deux secrétaires. Cela m'incita à aller chez sir Henry Wright où milord dînait, pour lui parler. Mais il ne semblait pas prêt à accepter la proposition. William Howe vint me chercher et nous nous rendîmes à Westminster. En chemin il me dit ce qu'il fallait que j'emporte et que je prépare en vue de mon départ. Il m'accompagna à mon bureau. Mr Mage vint aussi. Il était à moitié saoul et a fait le sot au violon, et j'en étais bien las. Puis à Whitehall et ensuite à la maison, où je mis pas mal d'affaires en ordre en vue de mon départ. Ma femme veilla pour me confectionner des bonnets, et la servante termina une paire de bas qu'elle tricotait. Ensuite, au lit.



                                                                                                                  11 mars 1660
                                                                                                            Dimanche

            M'activai toute la journée sans cravate, à ranger mes livres et mes affaires avant mon départ en mer.
Le soir, ma femme et moi allâmes souper chez mon père où Joyce Norton et Charles Glascock soupèrent avec nous. Après souper, à la maison où la servante avait tout préparé pour la lessive de demain. Puis, au lit. Mon rhume et ma toux m'ont beaucoup gêné pour dormir.



                                                                                                                   12 mars

            Aujourd'hui la servante s'est levée à deux heures du matin pour faire la lessive  et ma femme et moi sommes restés au lit à parler un grand moment. Je ne pouvais pas dormir à cause de mon rhume.Ma femme et*  moi sommes allés à la Bourse où nous avons acheté beaucoup d'affaires. Je l'y ai laissée et me suis rendu à Londres. Chez Bedell, le libraire de Temple Gate, j'ai payé 12 livres 10 shillings et 6 pence pour Mr Fuller selon ses instructions. Et j'ai réglé pas mal de choses en vue de mon départ. Je suis ensuite revenu et chez Wilkinson j'ai retrouvé Mr Shipley et certains marins comme le cuisinier du Naseby et d'autres pour dîner. Puis au Cheval blanc, dans King Street, où je pris le cheval de Mr Biddle pour me rendre à Huntsmore chez Mr Bowyer. Je le trouvai lui et sa famille en bonne santé. Ils sont prêts à ce que ma femme s'installe chez eux pendant que je serai en mer, ce qui était la raison de ma visite. Je restai coucher chez eux et je pris un remède pour mon rhume que m'a conseillé Mr Bowyer, à savoir une cuillère de miel avec de la noix de muscade râpée que l'on met dans la bouche. J'ai trouvé que cela m'avait fait beaucoup de bien.



                                                                                                                        13 mars

            Il a plu très fort. Je me levai de bonne heure et j'étais à Londres à 8 heures. Je me rendis au domicile de milord et je parlai avec lui. Il me dit que je serai secrétaire et que Creed serait trésorier adjoint de la flotte, ce qui m'ennuya, mais je ne pouvais rien y faire. Après cela je me rendis chez mon père pour m'occuper de certaines affaires, puis chez mon bottier et chez d'autres marchands. Dans la soirée j'allai à Whitehall où je rencontrai Simons et Llewellyn, je pris un verre avec eux chez Robert à Whitehall. Puis à l'Amirauté où je parlai avec Mr Creed, en fait aux deux frères, et ils me donnèrent l'impression qu'ils acceptaient et qu'ils étaient contents que j'aie le poste de secrétaire, puisque milord voulait le confier à quelqu'un d'autre que lui. A la maison et au lit.
            Aujourd'hui le Parlement a voté que toutes les décisions qui avaient été prises par l'ancien Parlement croupion à l'encontre de la Chambre des lords étaient nulles. Et ce soir il a été décidé d'envoyer les mandements pour l'élection sans imposer aucun critère de candidature. Il semble impossible de prévoir comment tout cela finira, car le Parlement semble soutenir le roi, tandis que les soldats se déclarent tous contre lui.



                                                                                                                           14 mars

            Chez milord : il est arrivé une quantité infinie de demandes adressées à lui et à moi, à mon grand dam. Milord me confia tous les papiers qu'on lui remettait, pour que je les classe et que je lui en fasse un rapport. J'ai reçu dix shillings d'une personne que Mr Wright recommandait à milord pour être prédicateur à bord de la frégate Speaker. De là me rendis au palais St James en compagnie de Mr Pearse le chirurgien, pour parler avec Mr Clarke, le secrétaire de Monck, de retirer certains soldats de Huntingdon et de les envoyer à Oundele. Milord me dit qu'il faisait cela pour faire une faveur à la ville, afin d'obtenir leur soutien pour les prochaines élections législatives, non qu'il ait l'intention de se présenter lui-même comme député, mais pour pouvoir y faire élire Mr George Montagu et milord Mandeville en dépit des Bernard. Ceci fait, à cette occasion je vis le général Monck et, selon moi, c'est un homme terne et ennuyeux. Lui et moi nous rendîmes à Whitehall où nous dînâmes avec Llewellyn chez Marsh. En rentrant à la maison, comme je racontais à ma femme ce que nous avions mangé, elle eut envie de chou, et j'en envoyai chercher pour elle. Je me rendis à l'Amirauté où je constatai avec étonnement que les gens me faisaient déjà leur cour. Ce matin, entre autres personnes qui vinrent me voir, j'engageai le fils Jenkins de Westminster et je pris Burr comme employé aux écritures. Ce soir, je suis allé au bureau de Mr Creed et il m'a remis l'ancien livre des archives de la Flotte et le sceau. Ensuite chez Harper où se trouvait le vieux Beard. Je l'ai emmené chez milord en voiture, mais milord était sorti. Je l'ai ensuite trouvé chez sir Henry Wright. Ensuite je me suis rendu en voiture, car il pleuvait fort, chez Mrs Jemima. J'y suis resté un moment, puis à la maison. Jusque tard dans la nuit, j'ai mis mes affaires dans un coffre de marin que Mr Shipley m'a prêté, puis au lit.



                                                                                                                    15 mars 1660

            Levé de bonne heure pour empaqueter mes affaires et les envoyer au domicile de milord pour qu'elles partent en voiture avec les bagages de milord. Ensuite, chez Will où je pris congé de certains de mes amis. J'y retrouvai Adam Chard et Tom Alcock qui étaient à l'école avec moi à Huntingdon, mais cela fait seize ans que je ne l'ai pas vu. Ensuite à Westminster où je payai ce que je devais à Mr et Mrs Mitchell. Je rencontrai ensuite Dick Mathews vint en ville et j'allai prendre un verre avec lui chez Harper.Puis me rendis à Londres par le fleuve. Dans Fish Street, ma femme et moi achetâmes un morceau de saumon pour 8 pence et allâmes le manger à la taverne du Soleil. Je lui promis de lui laisser la totalité de mes biens, à l'exception de mes livres, au cas où je mourrais en mer. De là à la maison. En chemin ma femme acheta du linon pour faire trois chemises et d'autres vêtements. Je me rendis chez milord pour lui parler, puis je raccompagnai Mrs Jemima chez elle en voiture, et ensuite je rentrai chez moi. De là, au Renard dans King Street, pour souper d'une bonne dinde offerte par Mr Hawley, en compagnie de quelques-uns de ses amis, Will Bowyer, etc... Après souper j'allai au palais de Westminster où le Parlement a siégé jusqu'à 10 heures du soir, car il pensait procéder à sa dissolution aujourd'hui, tout le monde s'y attendait. Mais il n'en fut rien. On dit un peu partout ce soir que les officiers mécontents avaient l'intention de se faire entendre dans la soirée, mais ils en ont été empêchés. A nouveau au Renard. Retour à la maison avec ma femme et au lit. Je tombai de sommeil.


                   
                                                                                                                   16 mars

            Je n'étais pas plus tôt levé que je fus dérangé par une abondance de clients, de marins. Le domestique de Wanley, mon propriétaire, vint me voir comme je le lui avais demandé hier quand j'étais passé chez lui en me rendant à Londres par le fleuve. Je lui payai le loyer pour ma maison, pour ce terme qui se termine à la fête de l'Annonciation et il me remit un acquit de la part de son maître. Ensuite j'allai voir Mr Shipley à la taverne Rhénane. Mr Pim, le tailleur, s'y trouvait et il nous offrit une boisson du matin et une langue de boeuf. A la maison, et avec ma femme à Londres. Nous dînâmes chez mon père, où Joyce Norton et Mr Arminger dînaient également. Après dîner ma femme prit congé afin de préparer son départ pour Huntsmore pour demain. En rentrant à la maison je passai à la chapelle dans Chancery Lane pour commander du papier de toutes sortes et autres choses nécessaires pour écrire, en vue de mon expédition.
Puis à la maison, où je consacrai une heure ou deux à mes affaires dans mon cabinet de travail. De là à l'Amirauté où je restai un moment, puis retour à la maison où Will Bowyer vint nous dire qu'il tiendrait compagnie à ma femme dans la voiture demain. Puis à Westminster où j'appris que le Parlement  s'était dissous aujourd'hui et avait traversé la Grand-Salle dans la liesse tandis que le président ne portait pas la masse. Tout le palais s'en est réjoui, tout autant que les députés. Ils commencent maintenant à parler à voix haute du roi. Ce soir j'ai appris qu'hier vers 5 heures de l'après-midi quelqu'un est venu avec une échelle à la grande Bourse effacer avec une brosse l'inscription au-dessus de la statue du roi Charles et qu'on a fait à la Bourse un grand feu de joie et qu'on a crié : " Dieu bénisse le roi Charles II  ! " De Westminster je rentrai à la maison me coucher, très triste à l'idée de me séparer de ma femme demain, mais que la volonté de Dieu soit faite !


                                    
* david teniers                                                                                             ............/

                                            

vendredi 22 mars 2013

Air de Dylan Enrique VIla-Matas ( roman Espagne )




                                        Air de Dylan

            " Un air de Dylan est un livre difficile à résumer ", dit Vila-Matas. Livre étrange. Comment vivre sans motivation. Vilnius Lancaster jeune cinéaste espagnol présente une conférence sur l'échec et ses archives à Saint-Gall. Le but, parler jusqu'au départ du dernier auditeur déçu par le propos. Mais ce sera un demi-échec. L'auteur du roman habite Barcelone comme Vilnus, mais change de quartier au moment où il reçoit une invitation de l'université suisse où il assistera et écoutera son jeune compatriote jusqu'à la fin. Vilnus :" ...l'impression que la mémoire et l'expérience de mon père s'étaient infiltées dans ma tête... une chanson chantée par Sinatra, L'amour n'est-il pas un coup de pied dans la tête ?..." Plus tard au cours d'une conversation où l'auteur apprend qu'il a connu le-dit grand Lancaster auteur post-moderniste mort récemment d'une façon étrange et père envahissant de Vilnus qui fait partie des jeunes gens sans but, sans désir et san motivation. Si pourtant, ayant vu 3 Camarades il retient une phrase qu'il croit pouvoir associer à Scott Fitzgerald l'un des scénaristes du film, ce qui, et malgré son appartenance à un groupe " de jeunes artistes indolents " le conduiera à Hollywood. Une réponse inattendue l'attend. Par ailleurs l'auteur a décidé de ne plus écrire, de rester silencieux, même avec sa femme. Mais nouveau quartier, les énigmes posées par Vilnus, Débora ex-petite amie de son père devenue la sienne et qui réclame l'autobiographie du Grand Lancaster à elle promise alors que l'épouse l'aurait mangé ou brûlé, ou pas. Vilnus demande à l'auteur d'écrire la biographie de son père. " Peut-être ne travaillerait-il même pas à la rédaction ... ils cherchaient quelqu'un pour l'écrire, quelqu'un de la vieille culture de l'effort...qui les aiderait à surmonter... cette perception de l'absurde dont on fait inexorablement l'expérience quand la nuit tombe et qu'on se rappelle qu'il existait jadis une lointaine planète à laquelle nous étions destinés. " Le titre " Air de Dylan " est une référence à " l'Air de Paris " de Duchamp.

jeudi 21 mars 2013

L'Homme-Fille Guy de Maupassant ( nouvelle France )



      
               bony de castellane
                       
                                                        L'homme-Fille


            Combien de fois entendons-nous dire : " Il est charmant cet homme,  mais c'est une fille une vraie fille. "
            On veut parler de l'homme-fille,  la peste de notre pays.
            Car nous sommes tous en France des hommes-filles,  c'est-à-dire changeants, fantasques, innocemment perfides, sans suite dans les convictions ni dans la volonté, violents et faibles comme des femmes.
            Mais le plus irritant des hommes-filles est assurément le Parisien et le boulevardier dont les apparences d'intellectuels sont plus marquées et qui assemble en lui, exagérés par son tempérament d'homme toutes les séductions et tous les défauts des charmantes drôlesses.
            Notre Chambre des députés est peuplée d'hommes-filles. Ils y forment le grand parti des opportunistes aimables qu'on pourrait appeler " les charmeurs ". Ce sont ceux qui gouvernent avec des paroles douces et des promesses trompeuses, qui savent serrer les mains de façon à s'attacher les coeurs dire mon cher ami d'une manière délicate à ceux qu'ils connaissent le moins, changer d'opinion sans même s' en douter,  s'exalter pour toute idée nouvelle, être sincères dans leurs croyances de girouette, se laisser tromper comme ils trompent eux-mêmes, ne plus se souvenir le lendemain de ce qu' ils affirmaient.
            Les journaux sont pleins d'hommes-filles. C'est peut-être là qu'on en trouvera le plus, mais c'est là aussi qu'ils sont le plus nécessaires. Il faut excepter quelques organes comme " les Débats ou la Gazette de France ".
            Certes tout bon journaliste doit être un peu fille, c'est-à-dire aux ordres du public, souple à suivre inconsciemment les nuances de l'opinion courante, ondoyant et divers, sceptique et crédule, méchant et dévoué, blagueur et Prudhomme, enthousiaste et ironique et toujours convaincu sans croire à rien.
            Les étrangers, nos anti-types, comme disait Mme Abel, les Anglais tenaces et les lourds Allemands,  nous considèrent et nous considéreront jusqu'à la fin des siècles avec un certain étonnement mêlé de mépris. Ils nous traitent de légers. Ce n'est pas cela. Nous sommes des filles, et voilà pourquoi on nous aime malgré nos défauts, pourquoi on revient à nous malgré le mal qu'on dit de nous. Ce sont des querelles d'amour !...
            L'homme-fille, tel qu'on le rencontre dans le monde, est si charmant qu'il vous capte en une causerie de cinq minutes. Son sourire semble fait pour vous. On ne peut penser  que sa voix n'ait point à votre intention des intonations particulièrement aimables. Quand il vous quitte on croit le connaître depuis vingt ans. On est tout disposé à lui prêter de l'argent s'il vous en demande. Il vous a séduit comme une femme.
            S'il a pour vous des procédés douteux, on ne peut lui garder rancune, tant il est gentil quand on le revoit ! S'excuse-t-il ? On a envie de lui demander pardon ! Ment-il ? On ne peut le croire. Vous berne-t-il indéfiniment par des promesses toujours fausses ? On lui sait gré des promesses seules autant que s'il avait remué le monde pour vous rendre service.
            Quand.il admire quelque chose, il s'extasie avec des expressions tellement senties qu'il vous jette à l'âme ses convictions. Il a adoré Victor Hugo qu'il traite aujourd'hui de bédole. Il se serait battu pour Zola qu'il abandonne pour Barbey d'Aurevilly. Et quand il admire il n'admire point les restrictions, et il vous   soufflèterait pour un mot. Mais quand il se met â mépriser il ne connait plus de bornes dans son dédain et n'accepte pas qu'on proteste.
            En somme il ne comprend rien.
            Écoutez causer deux filles :
            - Alors tu es fâchée avec Julia ?
            - Je te crois, je lui ai passé la main par la figure.
            - Qu'est-ce qu'elle t'avait fait ?
            - Elle avait dit à Pauline que je battais la dèche treize mois sur douze. Et Pauline l'a redit à Gontran. Tu comprends ?
            - Vous habitiez ensemble, rue Clauzel ?
            - Nous avons habité ensemble voilà quatre ans,  rue Bréda, puis nous nous sommes fâchées pour une paire de bas qu'elle pretendait que j'avais mis, c'était pas vrai,  des bas de soie  qu'elle avait achetés chez la mère Martin. Alors j'y ai fichu une tripotée. Et elle m'a quittée là-dessus. Je l'ai retrouvée voilà six mois et elle m'avait demandé de venir chez elle, vu qu' elle avait loué une boite deux fois trop grandes.
            On n'entend pas le reste, on passe
            Mais comme on va le dimanche suivant à Saint-Germain, deux jeunes femmes montent dans le même wagon. On en reconnaît une tout de suite, l'ennemie de Julia.
            - L'autre ... ? C'est Julia !
            Et ce sont des mamours, des tendresses, des projets.
            - Dis donc Julia... Écoutes Julia. ..
            L'homme-fille a des amitiés de cette nature.  Pendant trois mois il ne peut quitter son vieux Jacques,  son cher Jacques.  Il n'y a que Jacques au monde. Lui seul a de l'esprit,  du bon sens, du talent. Lui seul est quelqu'un dans Paris.  On les rencontre  partout ensemble, ils dinent ensemble, vont ensemble par les rues et chaque soir se reconduisent dix fois de la porte de l'un à la porte de l'autre sans se décider à la séparation.               Trois mois plus tard si on parle de Jacques :
            - En voilà une crapule, une rosse, un gredin. J'ai appris à le connaître, allez... Et pas même honnête,  et mal élevé,  etc... etc...
            Encore trois mois après et ils logent ensemble. Mais un matin on apprend qu'ils se sont battus en duel,  puis embrassés en pleurant sur le terrain.
            Ils sont au demeurant les meilleurs amis du monde, fâchés à mort la moitié de l'année se calomniant.et se chérissant tour à tour à profusion se serrant les mains à se briser les os et prêts à se crever le ventre pour un mot mal entendu.                                                                               
            Car les relations des hommes-filles sont incertaines, leur humeur est à secousses, leur exaltation à surprises, leur tendresse à volte-face, leur enthousiasme à éclipses. Un jour ils vous cherissent, le lendemain ils vous regardent à peine, parce qu'ils ont en somme une nature de filles un charme de filles, un tempérament de filles, et que tous leurs sentiments ressemblent à l'amour des filles.
            Ils traitent leurs amis comme les drôlesses leurs petits chiens.
           C'est le petit toutou adoré qu'on embrasse éperdument, qu' on nourrit de sucre, qu'on couche sur l'oreiller du lit mais qu'on jettera aussitôt par la fenêtre dans un mouvement d'impatience, qu'on fait tourner comme une fronde en le tenant par la queue, qu'on serre dans ses bras â l'étrangler et qu'on plonge sans raison dans un seau d'eau froide.
            Aussi quel étrange spectacle que les tendresses d'une vraie fille et d'un homme-fille. Il la bat et elle le griffe. Ils s'exècrent, ne peuvent se voir et ne peuvent se quitter, accrochés l'un à l'autre par le sentiment exalté de l'honneur on ne sait quels liens mystérieux du coeur.  Elle le trompe et il le sait, sanglotte et pardonne. Il accepte le lit que paye un autre et se croit de bonne foi irréprochable. Il la méprise et l'adore sans distinguer qu'elle aurait le droit de lui rendre son mépris. Ils souffrent tous deux atrocement l'un par l'autre sans pouvoir se désunir. Ils se jettent du matin au soir à la tête des hottes d'injures et de reproches, des accusations abominables,  puis énervés à l'excès, vibrants de rage et de haine, ils tombent aux bras l'un de l'autre et s'étreignent éperdument, mêlant leurs bouches frémissantes et leurs âmes de drôlesses.
            L'homme-filles est brave et lâche en même temps. Il a, plus que tout autre, le sentiment exalté de l'honneur, mais le sentiment de la simple honnêteté lui manque et les circonstances aidant il aura des défaillances et commettra des infamies dont il ne se rendra nul compte, car il obéit sans discernement, aux oscillations de sa pensée toujours entraînée.
         *   Tromper un fournisseur lui semblera chose permise et presque ordonnée. Pour lui, ne point payer ses dettes est honorable, à moins qu'elle ne soit de jeu, c'est-à-dire un peu suspectes. Il fera des dupes en certaines conditions que la loi du monde admet, s'il se trouve à court d'argent il empruntera par tous moyens, ne se faisant nul scrupule de jouer quelque peu les prêteurs, mais il tuerait d'un coup d'épée, avec une indignation sincère, l'homme qui le suspecterait seulement de manquer de délicatesse.



                                                                                                               Guy de Maupassant
                                                                                           ( Mauvigneux dans Gil Blas 1883 )


* balzac aux tuileries

samedi 16 mars 2013

Lettres à Madeleine 67 épilogue Apollinaire




                                                     Lettre à Madeleine

                                                                                                                   12 avril 1916

            Mon amour,
            Tes lettres m'arrivent maintenant régulièrement, mais il est clair que tout le paquet de lettres qui devait me parvenir a été perdu.
            Je sors un petit peu, c'est dire que je vais mieux mais il se passera bien quelque temps encore avant que ma plaie soit fermée.
             J'ai quitté le Val de Grâce pr l'H. du gouv. Italien où l'on est beaucoup mieux, nous n'y sommes au demeurant qu'en petit nombre. L'infirmier est mon ami Serge Jastrebzoff qui est un coeur d'élite et nous sommes soignés par l'embassadrice Mme Tittoni qui est une dame charmante dans le genre de ta maman. Je ne t'ai pas écrit que j'avais été à Reims. J'ai été blessé au Bois-des-Buttes à l'ouest du Choléra et de Berry-au-Bac.
            Tes lettres sont exquises ma chérie.
            Je crois que tu m'as parlé de parents à toi qui étaient en Bretagne à Quimper, je crois. Mon ami Max Jacob qui est de Quimper m'en a parlé aussi.
            Envoie-moi les vers pour le volume qui paraîtra je crois au Mercure.
            Je t'écrirai plus longtemps demain parce que je suis fatigué.
            Je t'aime
            
                                                                                                                    Gui


                                                                                                                 19 avril 1916

            Pas entreprendre voyage maintenant.

                                                                                                                     Gui


                                                                                                                  26 avril 1916

            Envoie poèmes recopiés ne t'inquiète pas mais je ne dois pas écrire encore. Je ferai écrire demain. Je t'aime.

                                                                                                                     Gui


                                                                                                                    1er mai 1916

            Mon amour chéri,
            Je ne dois pas écrire en ce mpment ni sortir, j'allais bien ma plaie est presque cicatrisée. J'adore tes lettres exquises mais ne faut pas t'alarmer. On m'a interdit de sortir parce que j'ai eu qielques accidents comme évanouissements et troubles du côté gauche, la main gauche surtout. Mais on pense que ce ne sera rien. Aussi ne t'inquiète pas. Je tâcherai me procurer cartes postales pr t'écrire un mot chaque jour mais n'ai personne sous la main.
            L'ambassadrice d'Italie qui me soigne est une bonne dame exquise mais je n'ose lui demander d'écrire pr moi.
            Je suis fatigué aussi ne m'envoie des télégrammes qui m'émeuvent trop.
            Attends mes nouvelles sans t'émouvoir mon chéri.
           Je t'embrasse.



                                                           Gui
                                          


                                                                                                                    2 mai 1916 Paris

            Reçu poèmes. Lettres suivent.
                                                                                                                  Gui


                                                                                                                    7 mai 1916

            Ma chère petite Madeleine,
            Je suis fatigué et il y a si peut d'amitiés pour moi en ce moment à Paris que j'en suis navré.
            L'égoïsme est partout. Je vais beaucoup mieux mais avec de grands étourdissements encore et une impotence fonctionnelle du bras gauche.
            Je ne suis plus ce que j'étais à aucun point de vue et si je m'écoutais je me ferais prêtre ou religieux. Je suis si éloigné de mon livre qui vient de paraître que je ne sais même si je te l'ai fait envoyer. Sinon avertis-m'en. Je te le ferai envoyer aussitôt.
            Je t'embrasse mille fois.

                                                                                                                  Gui


                                                                                                                  11 mai 1916 Paris

            Opération effectuée excellentes conditions vais aussi bien que possible.

                                                                                                                    Gui


                                                                                                                     Mai 1916

            Puisque je t'aime.

          
                                                                                                                      11 juillet 1916

            Mon amour,
            Je sors promener mais dois écrire peu sans quoi trop de fatigue.

                                                                                                                       Gui


                                                                                                                       26 août 1916

            Ma chère Madeleine,
            Ne viens pas surtout, ça me donnerait trop d'émotion.
            Ne m'écris pas de lettres tristes surtout non plus ça me terrifie.
            Je vais t'écrire toutes les semaines. Ecris-moi aussi ainsi parce que l'arrivée de toute lettre m'effraie. Je ne peux voir personne que je connaisse. Je n'écris ni à mon frère, ni à maman et je n'ai pas vu maman depuis le 15 avril. Ele est désolée mais je ne peux pas. Je suis devenu très émotionnable et ça ne s'apaise que lentement.
            Envoie-moi mes notes, mon livre d'artillerie, car il est probable qu'on me fera repartir dans l'artillerie, ma nague cachet en or que je peux remettre et la bague avec le bouton boche ronde.
            Je vais faire des rangements pr passer le temps et donner si je puis les mettre au point ou si non tels quels les vers du Mercure pr un volume.
            Je suis dégoûté de Paris, on s'y occupe si mal de la guerre, je suis désespéré de ça.
            Ca durera encore au moins trois ans à mon idée. Très, très embêtant.
            Ne m'envoie personne car les visites des gens que je ne connais pas me font peur. M. Gui est sans doute très gentil mais ça me fait trop d'émotion quand je ne connais pas.
            Mais je crois que je peux travailler un peu. Vais essayer. Mais tout me paraît compromis dans ce désastre si long.toutes les places sont prises par les embusqués pas grand chose à faire pr ceux qui ont fait la guerre.
            Je t'embrasse mille fois.

                                                                                                                          Gui


                                                                                                                        16 septembre 1916

            Mon petit Madelon,
            J'ai été plutôt mal ces derniers temps à cause de la venue de l'automne. J'ai beaucoup beaucoup d'étourdissements et je suis devenu très irritable. J'ai reçu le paquet dont je te remercie. Il ne contient pas les notes en question ; ce ne sont pas des notes d'Artillerie mais prises tandis que j'étais artilleur. Ce sont des propos de canonniers que j'avais notés et dont je voudrais me servir. Je voudrais aussi ma carte et les lettres de Dupont que je voudrais montrer à sa famille qui les recueille car il a été tué de 17 éclats d'obus à Douaumont. Je voudrais aussi les 2 aquarelles de M. L. que je veux renvoyer car des gens revenus d'Espagne lui attribuent des sentiments que je ne puis admettre et je préfère renvoyer cela. Je voudrais aussi le 2è exemplaire de Case d'Armons que tu as et dont je voudrais faire hommage à Mme Tittoni plus des livres que tu as à moi notamment un ouvrage sur le folklore de la Marne, et un annuaire de la Marne et de l'Aisne dont j'ai besoin pr faire des articles. Mon régiment a été à la peine et à l'honneur. Je crois qu'il n'en reste plus guère. Mais le drapeau a été décoré. Mes compagnons de guerre sont presque tous morts. Je n'ose même pas écrire au colonel pr lui demander des détails. Il a été blessé lui-même m'a-t-on dit.
            Le frère de mon ami Berthier a été tué quelques jours après avoir été nommé sous-lieutenant.
            Tout cela est assez macabre et devant une aussi horrible évocation je ne sais qu'ajouter.
            Je t'embrasse.

                                                                                                                        Gui


                                                                                                     Cachet postal du 9 - 10 - 16

            Je suis très fatigué parce que j'ai fait un effort pr écrire une préface à un catalogue de peinture. Il fait temps gris et mauvais. Bien reçu tout. Il manquait le livre de Soffici. Mais j'avais peut-être oublié d'en parler dans ma lettre.
            Mille baisers. J'écrirai dans 2 ou 3 jours.

                                                                                                                           Gui

 ( note de l'éditeur Gallimard  : catalogue de l'exposition Derain c/o P Guillaume )


                                                                                                                        

mercredi 13 mars 2013

Lettres à Madeleine 66 Apollinaire


Guillaume Apollinaire en 1916
apollinaire 3e à droite image
voir site larousse
                                                       Lettres à Madeleine

                                                                                                                           19-3-16

              Mon amour, je ne vais pas mal cependant j'ai toujours cet éclat dans tête qui n'a pas pu être retiré
              Je t'adore mon amour , mais je suis trop fatigué pr écrire. Il vaut mieux que je ne le fasse pas. Je t'adore.


                                                                                                                             Gui

                                                                                                                             21-3-16

            Mon amour,
            Je vais être opéré ce matin.
            Je t'envoie ma nouvelle adresse :
            Hôtel Dieu
            Château-Thierry           Aisne


                                                                                                                                                               

                                                                                                                                22-3-16
            Mon amour,
            Pour le moment tout va bien et après radiographie il n'y a pas lieu de repratiquer l'opération qui avait déjà été faite à l'ambulance le 18 à 2 h du matin. Je ne sais pas encore si je serai évacué à l'intérieur car les blessures à la tête sont vite guéries.
            J'ai été blessé juste au-dessus de la tempe droite et je l'ai échappé belle.
            Je suis fatigué.  Je t'adore mon amour et prends ta bouche.    
                                                                                                                                                                                     Gui


                                                                                                                                                                                       24-3-16

             Mon amour, je vais mieux et quitterai Château-Thierry demain. Si je vais à l'intérieur j'aurai sans doute un congé de convalescence sinon j'aurai ma permission et irai te voir.  Ça me fatigue d'écrire.  Je t'adore mon Madelon.


                                                                                                                   Gui


                                                                                                                            25-316

               Mon amour
            Comme ma fièvre n'avait pas baissé hier soir je ne serai pas évacué aujourd'hui mais mardi sans doute.
            Je t'adore mon chéri et il me tarde d'avoir de tes lettres je n'en n'ai pas depuis ma blessure .
            Aujourd'hui ça va mieux je le verrai surtout ce soir car c'est le soir que la fièvre augmente.
            Je t'adore

**
                                                                                                                          Gui  

                                           
                                                                                                    Château -Thierry 27 mars 1916

            Tout va bien serai évacué demain Paris télégraphierai adresse.  Je t'aime

                                                                                                                   Gui


                                                                                                                28-3-16

            Mon amour,
            Je ne vais pas mal il faut que ma blessure se ferme,  mais ne t'inquiète plus. Je serai évacué à Paris aujourd'hui,  où l'on achèvera de me soigner. Je t'adore.

                                                                                                                         Gui  
            Plus de lettres de toi depuis le 16    


                                                                                                        - Cachet  postal du 30-3-16

            Mon amour je suis un peu fatigué par le voyage et je n'écrirai pas longuement.  Je suis très bien au Val de Grâce à Pari. Je t'adore j'espère te voir bientôt.  Ma plaie va bien ce n'est déjà presque plus rien. Les plaie à la tête guérissent vite. Je t'adore.

                                                                                                                            Gui

            Voici mon adresse
            s/lG. De K.
            1ers Blessés
            Hôpital du Val de Grâce
               Paris


                                                                                                  2 avril 1916

            Mon amour,
            Je dois peu écrire et peu lire.
            Je suis à l'Hôpital du Val de Grâce (ers blessés ). Je te le télégraphie pour te rassurer mais je ne te l'ai pas encore télégraphié parce qu' il est probable que j'irai à l'Hôpital du Gouvernement italien, 41 quai d'Orsay dans peu de jours. Je te télégraphierai aussitôt.
            Il fait temps magnifique et je vais mieux,  mais me fatigue vite.
            Je t'adore et t'embrasse

                                                                                                                       Gui

                                                         
                                                                                                                          6-4-16

 *                                            Mon amour,
            Je vais beaucoup mieux mais ça me fatigue encore d'écrire.  C'est pourquoi ne m'en veuille pas ma chérie.
            Il fait beau les premiers jours de mon arrivée ici maintenant il fait un sale temps un vrai temps de zeppelin. Ma plaie se ferme petit à petit,  ça va bien.
            Par exemple je ne sais si on me donnera une longue convalescence. J'ai été blessé au Bois des Buttes près de Berry-au-Bac un bien sale coin.
            Il y a maintenant plusieurs jours que je n'ai pas de lettre de toi.
            Écris vite.
            Embrasse toute la famille pour moi.
            Je t'adore.

                                                                                                                               Ton Gui


                                                                                                                        12 avril 1916
                                                                                                                          Paris
           
            Suis Hôpital Gouvernement italien 41 quai d'Orsay - reçu paquet - Je t'aime
                                                                     
                                                                                                                              Gui    

                                   
     * voir canalblog stèle - lieu où le poète fut blessé    
     **  dessin picasso