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vendredi 21 avril 2017

Correspondance Proust Gallimard 16 ( Lettres France )

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                                                                                                       Samedi 2 septembre 1922

            Mon cher Gaston
            Votre lettre me désole. Elle s'est d'ailleurs croisée avec une où je disais en substance à Jacques : Si Gaston, comme je suppose, dans la réponse détaillée que je vais recevoir de lui, pose la question sur le terrain amitié, je céderai, sans doute quoique je trouve même dans l'intérêt de la N.R.F. que c'est absurde. Mais si je publie dans les Oeuvres libres la Prisonnière que j'ai refusée à diverses revues pour vous plaire, je ne peux pas la déflorer en vous donnant des Extraits.
            Or je reçois une lettre où vous vous intitulez Administrateur délégué de la N.R.F. Pour éviter tout froissement je mets à part mon cher ami Gaston Gallimard pour qui mon affection sera ainsi préservée, et je vais répondre à M. l'Administrateur délégué de la N.R.F.        
            1° Je n'ai jamais traité avec M. Gallimard administrateur de la N.R.F. J'ai traité avec M. Gallimard directeur de la N.R.F. C'est sur ce traité que nous marchons. Or ce traité me demande la moitié de mes droits si je fais reproduire mon livre par un autre éditeur. Pour le faire reproduire, il faudrait qu'il fût paru. C'est ce qu'on appelait autrefois tous droits de traduction et reproduction réservés. En vertu de cette clause vous ne m'avez pas permis de donner une édition de luxe de Swann chez je ne sais plus qui, de morceaux choisis etc. Je me suis, comme toujours, incliné avec la plus grande docilité. Mais ici il s'agit d'une oeuvre inédite. Une telle prétention est insoutenable. Le cas de Morand est différent me dites-vous parce qu'il ne vous a pas consulté. La belle raison ! Alors il n'y a qu'à ne pas vous consulter pour être libre et l'excès de déférence et de soumission envers vous est au contraire puni par vous. Les facilités de paiement que j'ai données à la N.R.F. devraient être une raison de plus de ne pas élever cette prétention. Rien que les intérêts dus depuis les Jeunes filles etc dépassent la somme des Oeuvres libres. Comme je suis un peu fatigué j'arrête une discussion que je reprendrai.
            J'ajoute que tout cela ne veut pas dire que je donnerai La Prisonnière aux Oeuvres libres. J'hésite. Mais la lettre de l'Administrateur délégué me fait fort pencher de ce côté-là. En tous cas à Gaston Gallimard reste acquise la tendre affection de


                                                                                         Marcel Proust


                                                                                                            3 septembre 1922

 Post-Scriptum ou plutôt deuxième lettre

           Mon cher Gaston                                                                        
Résultat de recherche d'images pour "watteau"           Un souvenir d'il y a deux ou trois ans  m'évitera la fatigue de prolonger la discussion et vous expliquera pourquoi depuis hier je suis plus porté vers les Oeuvres Libres, vous me dîtes très gentiment ( ce que je n'aurais d'ailleurs pas accepté ) que quand les Oeuvres libres m'offriraient ainsi une publication fructueuse, vous préfériez que je refuse et me donner la somme qu'elles m'auraient allouée. C'est exactement ce que Robert de Flers m'avait demandé de proposer à Réjane, qui voulait jouer Madame Sans Gêne dans des conditions qui feraient selon lui tort à la pièce et à elle-même. J'étais chargé de lui offrir tant pour toutes les représentations où elle ne jouerait pas. Mais je n'ai de commun avec Réjane que la maladie ( non que je veuille jeter la pierre à une femme dont je crois que les qualités morales étaient très grandes ), et je n'ai jamais accepté cette proposition. Seulement entre être payé pour ne pas écrire dans les Oeuvres Libres, - et verser à N Revue française la moitié de ce que me donneront les oeuvres libres - la différence, la contradiction est trop grande. - . J'ai reçu la N.R.F. et j'ai vu qu'on avait annoncé le Sommeil d'Albertine sans mon autorisation. J'en suis désolé pour Jacques, mais si je donne la Prisonnière aux Oeuvres libres, je ne la déflorerai pas de ses moins mauvais morceaux. - . Au reste ces annonces sont sans importance. Le Figaro avait annoncé jadis ( et pas comme la N.R.F. mais avec toute une tartine sur moi ) un long feuilleton " Odette mariée ". Je me suis ravisé un mois après et cela n'a fait aucune difficulté. Mon cher Gaston vous recevrez mon post-scriptum en même temps que ma lettre, mais comme c'était Samedi et Dimanche, jours où vous êtes absent, je ne me suis pas trop pressé, ayant eu des crises d'asthme affreuses. Du reste j'ai énormément à travailler, car vous ne savez pas le souci que j'ai de ne pas vous donner de livres trop mauvais. Et je recommence pour la 3è fois ma Prisonnière dont je ne suis pas content et ayant un mal infini à déchiffrer les corrections et surcharges que j'ai apportées aux feuilles, sans cela claires, de ma dactylographe.
            Je pense que les raisonnements de ma lettre et de mon post-scriptum vous sembleront irréfutables. J'espère surtout que vous croiriez à ma fidèle et tendre amitié


                                                                                          Marcel Proust

je me tue à écrire des volumes en faveur de Jacques pour le Prix Balzac.
            Malheureusement c'est surtout un prix Grasset de sorte que je n'ose pas former trop d'espoir.


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                                                                                                            4 septembre 1922

 rivagedeboheme.fr                                                       Mon cher Gaston
Résultat de recherche d'images pour "watteau arlequin"            J'écris assez difficilement à cause d'accidents nouveaux que j'ai eus hier. Mais je veux vous remercier de votre solution si généreuse. Pour ma part je vous donnerai les meilleurs extraits ( non pas les plus nombreux ) comme Le sommeil d'Albertine et même ( ce que je n'ai jamais fait de mieux ) certains morceaux de La Fugitive, sans attendre que La Prisonnière ait paru. Pour ces divers extraits je n'accepterai pas un centime de rémunération de la N.R.F. de sorte que je tâcherai de reconnaître ainsi votre gentillesse. Pour les Oeuvres libres désirez-vous un autre titre que La Prisonnière ? Les recommandations d'Aimée que j'ai faites ont eu plus de résultat que je ne pensais. Un autre service, pas pressé puisque vous partez. J'ai acheté en 1913 ( 1913 ) trois actions de mille francs chacune du Vieux Colombier. Je crois que ce serait assez facile à vendre car je désire m'en débarrasser n'ayant pu mettre une fois les pieds au Vieux-Colombier et pour d'autres raisons ( la difficulté de ma vie ), mais peut-être pourriez-vous m'y aider connaissant beaucoup ce milieu. Je ne désire nullement que nous hâtions le règlement de nos comptes. Je l'ai accepté ainsi et il est mieux de nous en tenir ainsi. Où je crois que vous faites erreur c'est en croyant que ce procédé ne s'appliquait pas au seul passé, mais aux tirages nouveaux. Puisque vous me dites que vous avez arrangé cela avec Tronche le mieux sera qu'à votre retour, vous en parliez avec lui. Pour le côté utilité des Oeuvres libres pour la N.R.F. ( et qui, j'ajoute, n'est nullement ma raison, mais l'utilité Marcel Proust argent ) si je crois que c'est très utile rappelez-vous que j'ai "quelquefois " raison. J'ai mis au moins 5 ans à vous faire adopter le système des gros caractères ( d'imprimerie ) et voyez le beau résultat ! - . Je vous en prie quand vous serez revenu faites-le moi dire. La correspondance est d'autant plus difficile que tandis que je croyais que vous alliez chez M. votre frère en Vendée, vous alliez chez vos imprimeurs où mes lettres se perdaient. D'ailleurs vous voyez depuis hier et la nlle crise, la peine que j'ai à écrire. J'ai reçu de Bénerville, car vous n'habitez pas seul Bénerville, bien qu'y possédant le plus beau château, une lettre de Guiche relativement aux articles sur Sodome et Gomorrhe. Je crois que vous la lirez avec plaisir. Elle prouve qu'un homme du monde intelligent a souvent plus de jugement que de savants critiques. A propos de critiques, vous ai-je dit combien j'avais regrettéque vous eussiez omis l'article de Bidou dans l'énumération des articles sur mon livre. Mais au fond cela n'a aucune importance. Croyez à toute ma reconnaissante amitié je n'en dis pas plus car ma main ne peut tracer les lettres
            Affectueusement à vous


                                                                                          Marcel Proust


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                                                 A Gaston Gallimard
                                                                 
                                                                                        Peu après le 7 septembre 1922

            Mon cher Gaston                                                                          pinterest.com    
Résultat de recherche d'images pour "watteau arlequin empereur dans la lune"            J'ai été infiniment touché par votre noble et charmante lettre. Et c'est la raison pour laquelle j'affronte le supplice de vous écrire aujourd'hui. Car j'ai de tels étourdissements qu'écrire ne m'est pas agréable ( d'ailleurs à cause des Oeuvres libres et de mon travail je reprends ma dactylographe, mais cela était trop confidentiel pour lui dicter ). Dès que je mets les pieds hors du lit, je tourne sur moi-même et je tombe. L'explication finale que j'ai trouvée mais qui est peut'être fausse, est que depuis mon dernier feu de cheminée il y a beaucoup de fissures dans la cheminée et comme je fais du feu, peut'être est-ce un peu d'asphyxie. Il faudrait sortir ; mais pour sortir il faudrait aller jusqu'à l'ascenseur. Vivre n'est pas toujours commode. Comme j'ai un peu d'amnésie consécutif à tout cela, je vous redirai peut'être des choses déjà dites. En un mot ce que je donnerai aux Oeuvres libres sera moins long que Jalousie qui vous vous en souvenez n'était qu'un extrait de Sodome II, sur lequel sa publication ( de Jalousie ) a eu la plus heureuse influence, car aucun de mes livres n'a eu autant de succès que Sodome II. Comme pour Jalousie je compte changer le titre. A mon avis il vaut mieux que ce soit votre volume qui s'appelle La Prisonnière, et pour l'Extrait ( qu'ils nomment toujours roman complet, Jalousie aussi, mais tout le monde comprend ) des Oeuvres libres prendre un titre différent, tout à fait différent. J'avais hier pensé, devant votre préférence pour les pures Revues à donner cela à la Revue de France qui me l'avait demandé ou à Chaumeix ( idem ). Mais un des avantages des Oeuvres libres est que comme le public est moins soucieux de littérature, je peux détacher pour la N.R.F.  ( revue ) les morceaux les mieux, ce que je ne pourrais pas pour les 2 autres revues plus " littéraires ". D'ailleurs je doute que la Revue de Paris m'ait donné un prix égal, or la cause est uniquement ces difficultés d'argent ( je vous avais demandé de les supprimer en me donnant des conseils pratiques qui en diminuant mes dépenses m'eussent dispensé d'élever mes recettes. Je sais bien que cela ne fait pas partie des fonctions d'un éditeur. Mais vous êtes aussi un ami, et un grand ami ). J'ai tellement de choses à vous dire que je n'y réussirais pas dans cette lettre, tâchez donc de me dire quand vous comptez revenir. Le jour de votre départ ( mercredi ) j'ai fait téléphoner partout mais sans succès.
            Je ne pense pas que la N.R.F. annonce à nouveau Le Sommeil d'Albertine ( que je lui donnerai selon le désir de Jacques pour le n° de Novembre ). Mais si vous l'annoncez à nouveau annoncez-le non plus comme Le Sommeil d'Albertine, mais ainsi " La regarder dormir ".
            Si vous citez l'article de Bidou dans la Revue de Paris ( c'est d'ailleurs inutile après tant de mois ), vous feriez bien d'ajouter l'article de Jaloux dans l'Eclair d'il y a un jour ou 2. J'avoue que je serais très content que l'Intransigeant ou le Figaro donnent un extrait de la seconde partie de cet article de Jaloux et de la lettre de Vettard. Mon cher Gaston mes forces sont à bout et je vous quitte brusquement et tendrement


                                                                                                         Marcel Proust