vendredi 26 septembre 2014

Les feux de Saint - Elme Daniel Cordier ( récit France )





                                   








                                                   Les Feux de Saint-Elme      

            En juillet 1934 l'élève Daniel, fils de parents divorcés, passe des vacances partagées chez sa mère dans un village du sud-ouest. Durant l'année scolaire, pensionnaire à Saint-Elme, bon élève jusqu'au moment où sa sexualité s'affole. Lecteur vorace, arrive entre ses mains Les Thibault de Martin du Gard. L'histoire du Daniel du livre le comble, une réflexion de son beau-père sur Gide sans doute à propos de l'Immoraliste, qu'il lit en cachette le déçoit. Mais il poursuit ses lectures, lit tout Beaudelaire, Rousseau, la Bible. La rentrée puis l'année scolaire s'annoncent difficiles, l'adolescent préoccupé par ses attirances vers des camarades pas toujours réceptifs à son désir, l'angoisse du bien, du mal, dans ce collège religieux il porte son fardeau auprès de son conseiller qui, tout d'abord l'absout et lui ordonne dix Notre Père, Daniel retourne souvent vers ce conseiller vertueux, puis un jour malgré une vie plutôt douce dans cet institut proche d'Arcachon, de Bordeaux où Daniel se rend chez ses grands-parents, il ne se résout pas, ou mal à concrétiser sa très forte attirance pour David, et pense avoir été mal dirigé. Des mois difficiles pour des amitiés mal définies, de garçons que l'auteur nous décrit affamés de tendresse, loin de leur famille. " ... Cette adolescence romanesque fit apparaître le vide de mon existence. Pourtant, comme Jacques, la passion me dévorait. Pourquoi n'avais-je pas inventé les formules qui en étaient l'aveu et qui auraient brisé ma solitude... " Les années vont passer, chacun suit une route tortueuse. La guerre de 40... Mais des années durant Daniel est obnubilé par le souvenir de David. Une fixation, dit-il. Et il fait du personnage un être qu'il décrit très atteint dans son vieil âge. Daniel Cordier termine par " ... En chacun de nous il y a un regret qui veille... C'est la que nous nous rejoignons tous, dans ce qu'on appelle la nostalgie. "                                    

jeudi 25 septembre 2014

Les Précurseurs - Saint-Germain Cagliostro - Madame Cagliostro Gérard de Nerval ( extrait de Les Illuminés France )


latavernedeletrange.kazeo.co

                                                                  Les Précurseurs

            .... Si l'on s'est bien expliqué les doctrines exposées plus haut, on aura pu comprendre par quelles raisons, à côté de l'Eglise orthodoxe, il s'est développé sans interruption une école moitié religieuse moitié philosophique qui, féconde en hérésies sans doute, mais souvent acceptée ou tolérée par le clergé catholique,
a entretenu un certain esprit de mysticisme ou de supernaturalisme nécessitant aux imaginations rêveuses et délicates comme à quelques populations plus disposées que d'autres aux idées spiritualistes.
            Des israélites convertis furent les premiers qui essayèrent vers le XIè siècle, d'infuser dans le catholicisme quelques hypothèses fondées sur l'interprétation de la Bible et remontant aux doctrines des Esseniens et des Gnostiques.
            C'est à partir de cette époque que le mot " cabale " résonne souvent dans les discussions théologiques. Il s'y mêle naturellement quelque chose des formules platoniciennes de l'école d'Alexandrie, dont beaucoup s'étaient reproduites déjà dans les doctrines des Pères de l'Eglise.
            Le contact prolongé de la chrétienté avec l'Orient pendant les croisades amena encore une grande somme d'idées analogues qui, du reste, trouvèrent à s'appuyer aisément sur les traditions et les superstitions locales des nations de l'Europe.
            Les Templiers furent, entre les croisés, ceux qui essayèrent de réaliser l'alliance la plus large entre les idées orientales et celles du christianisme romain.
            Dans le désir d'établir un lien entre leur ordre et les populations syriennes qu'ils étaient chargés de gouverner, ils jetèrent les fondements d'une sorte de dogme nouveau participant de toutes les religions que pratiquent les Levantins, sans abandonner au fond la synthèse catholique, mais en la faisant plier souvent aux nécessités de leur position.
            Ce furent là les fondements de la franc-maçonnerie qui se rattachaient à des institutions analogues établies par les musulmans de diverses sectes et qui survivent encore aux persécutions, surtout dans le Hauran, dans le Liban et dans le Kurdistan.
            Le phénomène le plus étrange et le plus exagéré de ces associations orientales fur l'ordre célèbre des " assassins ". La nation des Druzes et celle des Ansariés sont celles qui en ont gardé les derniers vestiges.
            Les Templiers furent accusés bientôt d'avoir établi l'une des hérésies les plus redoutables qu'eût encore vues la chrétienté. Persécutés et enfin détruits dans tous les pays européens, par les efforts réunis de la papauté et des monarchies, ils eurent pour eux les classes intelligentes et un grand nombre d'esprits distingués qui constituaient alors, contre les abus féodaux, ce qu'on appellerait aujourd'hui l'opposition.
             De leurs cendres jetées au vent naquit une institution mystique et philosophique qui influa beaucoup sur cette première révolution morale et religieuse qui s'appela pour les peuples du Nord " la Réforme ", et pour ceux du Midi " la Philosophie ".                                                                   raffy-tapis-persans.fr
            La réforme était encore à tout prendre le salut du christianisme en tant que religion. La philosophie, au contraire, devint peu à peu son ennemie et, agissant surtout chez les peuples restés catholiques, y établit bientôt deux divisions tranchées d'incrédules et de croyants.
            Il est cependant un grand nombre d'esprits que ne satisfait pas le matérialisme pur, mais qui, sans repousser la tradition religieuse, aiment à maintenir à son égard une certaine liberté de discussion et d'interprétation. Ceux-là fondèrent les premières associations maçonniques qui bientôt donnèrent leur forme aux corporations populaires et à ce qu'on appelle encore aujourd'hui le compagnonnage.
            La maçonnerie établit ses institutions les plus élevées en Ecosse, et ce fut par suite des relations de la France avec ce pays, depuis Marie Stuart jusqu'à Louis XIV, que l'on vit s'implanter chez nous fortement les institutions mystiques qui procédèrent des Rosecroix.
            Pendant ce temps l'Italie avait vu s'établir, à dater du XVIè siècle, une longue série de penseurs hardis, parmi lesquels il faut ranger Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Meursius, Nicolas de Cusa, Jordano Bruno et autres grands esprits, favorisés par la tolérance des Mécicis, et que l'on appelle quelquefois les néoplatoniciens de Florence.
            La prise de Constantinople, en exilant tant de savants illustres qu'accueillit l'Italie, exerça aussi une grande influence sur ce mouvement philosophique qui ramena les idées chez les Alexandrins et fit étudier de nouveau les Plotin, les Proclus, les Porphyre, les Ptolémée, premiers adversaires du catholicisme naissant.
            Il faut observer ici que la plupart des savants médecins et naturalistes du Moyen Âge, tels que Paracelse, Albert le Grand, Jérôme Cardan, Roger Bacon et autres, s'étaient rattachés plus ou moins à ces doctrines qui donnaient une formule nouvelle à ce qu'on appelait alors les sciences occultes, c'est-à-dire l'astrologie, la cabale, la chiromancie, l'alchimie, la physiognomonie, etc.         cgb.fr
            C'est de ces éléments divers et en partie aussi de la science hébraïque qui se répandit plus librement à partir de la Renaissance, que se formèrent les diverses écoles mystiques qu'on vit se développer à la fin du XVIIè siècle. Les Rosecroix d'abord, dont l'abbé de Villars fut le disciple indiscret, et plus tard, à ce qu'on prétend, la victime.
            Ensuite les convulsionnaires, et certaines sectes du jansénisme. Vers 1770, les martinistes, les swedenborgiens, et enfin les illuminés, dont la doctrine fondée d'abord en Allemagne par Weisshaupt, se répandit bientôt en France où elle se fondit dans l'institution maçonnique.

                                                                                                                           


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 st germain peint par pietro antonio rotari                         Saint - Germain  -  Cagliostro

            Ces deux personnages ont été les plus célèbres cabalistes de la fin du XVIIIè siècle. Le premier, qui parut à la cour de Louis XV et y jouit d'un certain crédit grâce à la protection de Mme de Pompadour, n'avait, disent les mémoires du temps, ni l'impudence qui convient à un charlatan, ni l'éloquence qui convient à un fanatique, ni la séduction qui entraîne les demi-savants. Il s'occupait surtout d'alchimie mais ne négligeait pas les diverses parties de la science. Il montra à Louis XV le sort de ses enfants dans un miroir magique, et ce roi recula de terreur en voyant l'image du dauphin lui apparaître décapité.
            Saint-Germain et Cagliostro s'étaient rencontrés en Allemagne dans le Holstein et ce fut, dit-on, le premier qui initia l'autre et lui donna les grades mystiques. A l'époque où il fut initié il remarqua lui-même le célèbre miroir qui servait pour l'évocation des âmes.
            Le comte de Saint-Germain prétendait avoir gardé le souvenir d'une foule d'existences antérieures, et racontait ses diverses aventures depuis le commencement du monde. On questionnait un jour son domestique sur un fait que le comte venait de raconter à table, et qui se rapportait à l'époque de César. Ce dernier répondit aux curieux :
            - Vous m'excuserez, messieurs, je ne suis au service de M le comte que depuis trois cents ans.
            C'est rue Plâtrière, à Paris, et aussi à Ermenonville que se tenaient les séances où ce personnage développait ses théories.
            Cagliostro, après avoir été initié par le comte de Saint-Germain, se rendit à Saint-Pétersbourg où il obtint de grands succès. Plus tard il vint à Strasbourg où il acquit, dit-on, une grande influence sur l'archevêque prince de Rohan.
Cagliostro.htm            Tout le monde connaît l'affaire du collier où le célèbre cabaliste se trouve impliqué, mais dont il sortit à son avantage, ramené en triomphe à son hôtel par le peuple de Paris.
            Sa femme, qui était fort belle et d'une intelligence élevée, l'avait suivi dans tous ses voyages. Elle présida à ce fameux souper où assistèrent la plupart des philosophes du temps et dans lequel on  fit apparaître plusieurs personnages morts depuis peu de temps : selon le système de Cagliostro, " il n'y a pas de morts ". Aussi avait-on mis douze couverts, quoiqu'il n'y eût que six invités : d'Alembert, Diderot, Voltaire, le duc de Choiseul, l'abbé de Voisenon et on ne sait quel autre, vinrent s'asseoir, quoique morts, aux places qui leur avaient été destinées, et causèrent avec les conviés, de omni re scibili et quibusdam aliis.
            Vers cette époque Cagliostro fonda la célèbre loge égyptienne, laissant à sa femme le soin d'en établir une autre en faveur de son sexe,laquelle fut mise sous l'invocation d'Isis.



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                                                                   Madame Cagliostro

            Les femmes, curieuses à l'excès, ne pouvant être admises aux secrets des hommes, sollicitaient Mme de Cagliostro de les initier. Elle répondit avec beaucoup de sang-froid à la duchesse de T***, chargée de faire les premières ouvertures, que dès qu'on aurait trouvé trente-six adeptes, elle commencerait son cours de magie. Le même jour la liste fut remplie.
            Les conditions préliminaires furent telles :
            1° Il fallait mettre dans une caisse chacune cent louis. Comme les femmes de Paris n'ont jamais le sou, cette clause fut difficile à remplir, mais le Mont de Piété et quelques complaisances mirent à même d'y satisfaire.
            2° Qu'à dater de ce jour jusqu'au neuvième elles s'abstiendront de tout commerce humain.
            3° Qu'on ferait un serment de se soumettre à tout ce qui serait ordonné quoique l'ordre eût contre lui toutes les apparences.
            Le 7 du mois d'août fut le grand jour. La scène se passa dans
une vaste maison, rue Verte-Saint-Honoré. On s'y rendit à onze heures. En entrant dans la première salle chaque femme était obligée de quitter sa bouffante, ses soutiens, son corps, son faux chignon et de vêtir une lévite blanche avec une ceinture de couleur. Il y en avait six en noir, six en coquelicot, six en violet, six en couleur de rose, six en impossible. On leur remit à chacune un grand voile qu'elles placèrent en sautoir de gauche à droite.
            Lorsqu'elles furent toutes préparées on les fit entrer deux à deux dans un temple éclairé, garni de trente-six bergères couvertes de satin noir. Mme de Cagliostro vêtue de blanc, était sur une espèce de trône, escortée de deux grandes figures habillées de façon qu'on ignorât si c'était des spectres, des hommes ou des femmes. La lumière qui éclairait cette salle s'affaiblissait insensiblement, et lorsque à peine on distinguait les objets, la grande prêtresse ordonna de découvrir la jambe gauche jusqu'à la naissance du genou. Après cet exercice elle ordonna de nouveau d'élever le bras droit et de l'appuyer sur la colonne voisine. Alors, deux femmes tenant un glaive à la main entrèrent et ayant reçu des mains de Mme Cagliostro des liens de soie, elles attachèrent les trente-six dames par les jambes et par les bras.                      
            Cette cérémonie finie, celle-ci commença un discours en ces termes :      legypteantique.com      
            L'état dans lequel vous vous trouvez est le symbole de celui où vous êtes dans la société. Si les hommes vous éloignent de leurs mystères, de leurs projets, c'est qu'ils veulent vous tenir à jamais dans la dépendance. Dans toutes les parties du monde la femme est leur première esclave, depuis le sérail où un despote enferme cinq cents d'entre nous jusque dans ces climats sauvages où nous n'osons nous asseoir à côté d'un époux chasseur !... nous sommes des victimes sacrifiées dès l'enfance à des dieux cruels. Si, brisant ce joug honteux, nous concertions aussi nos projets, bientôt vous verriez ce sexe orgueilleux ramper et mendier vos faveurs. Laissons-les faire leurs guerres meurtrières ou débrouiller les chaos de leurs lois, mais chargeons-nous de gouverner l'opinion, d'épurer les moeurs, de cultiver l'esprit, d'entretenir la délicatesse, de diminuer le nombre des infortunes. Ces soins valent bien ceux de dresser des automates ou de prononcer sur de ridicules querelles. Si l'une d'entre vous a quelque chose à opposer qu'elle s'explique librement.
            Une acclamation générale suivit ce discours.
            Alors la Grande Maîtresse fit détacher les liens et continua en ces termes :
           " Sans doute votre âme pleine de feu saisit avec ardeur le projet de recouvrer une liberté, le premier bien de toute créature. Mais plus d'une épreuve doit vous apprendre à quel point vous pouvez compter sur vous-mêmes, et ce sont ces épreuves qui m'enhardiront à vous confier des secrets dont dépend à jamais le bonheur de votre vie.
            Vous allez vous diviser en six groupes. Chaque couleur doit se mettre ensemble et se rendre à l'un des six appartements qui correspondent à ce temple. Celles qui auront succombé ne doivent y entrer jamais, la palme de la victoire attend celles qui triompheront. "
            Chaque groupe passa dans une salle proprement meublée où bientôt arriva une foule de cavaliers. Les uns commencèrent par des persiflages et demandèrent comment les femmes raisonnables pouvaient prendre confiance aux propos d'une aventurière. Et ils appuyaient fortement sur le danger d'un ridicule public. Les autres se plaignaient de voir qu'on sacrifiât l'amour et l'amitié à d'antiques extravagances, sans utilité comme sans agrément.                                                                        images-du-pays-des-ours.eklablog.com
            A peine daignaient-elles écouter ses froides plaisanteries. Dans une chambre voisine on voyait dans des tableaux peints par les plus grands maîtres, Hercule filant aux pieds d'Omphale, Renaud étendu près d'Armide, Marc-Antoine servant Cléopâtre, la belle Agnès commandant à la cour de Charles VII, Catherine II que des hommes portaient sur des trophées. Un de ceux qui les accompagnait dit :
            - Voilà donc ce sexe qui traite le vôtre en esclave ! Pour qui sont les douceurs et les attentions de la société ? Est-ce vous nuire que de vous éviter des ennuis, des embarras ? Si nous bâtissons des palais,   n'est-ce pas pour vous en consacrer la plus belle partie ? N'aimons-nous pas à parer nos idoles ? Adoptons-nous les moeurs des Asiatiques ? Un voile jaloux dérobe-t-il vos charmes ? Et loin de fermer les avenues de vos appartements par des eunuques repoussants, combien de fois avons-nous la complaisante adresse de nous éclipser pour laisser à la coquetterie le champ libre ?
            C'était un homme aimable et modeste qui tenait ce discours.
            - Toute votre éloquence, répondit l'une d'entre elles, ne détruira pas les grilles humiliantes des couvents, les compagnes que vous nous donnez, l'impuissance attachée à nos propres écrits, vos airs protecteurs et vos ordres sous l'apparence de conseils.
            Non loin de cet appartement se passait une autre scène plus intéressante. Les dames aux rubans lilas s'y trouvèrent avec leurs soupirants ordinaires. Leur début fut de leur signifier le congé le plus absolu. Cette chambre avait trois portes qui donnaient dans des jardins qu'éclairait alors la douce lumière de la lune. Ils les invitèrent à y descendre. Elles accordèrent cette dernière faveur à des hommes désolés. Une d'entre elles que nous nommerons Léonore cachait mal le trouble de son âme et suivait le comte Gédéon qu'elle avait aimé jusque-là.
            - De grâce, daignez m'apprendre mes crimes, disait-il ? Est-ce un perfide que vous abandonnez ? Qu'ai-je fait depuis deux jours ? Mes sentiments, mes pensées, mon existence, mon sang, tout n'est-il pas à vous ? Vous ne pouvez être inconstante ? Quelle espèce de fanatisme vient donc m'enlever un coeur qui m'a coûté tant de tourments ?
            - Hélas ! de ce sexe proscrit aujourd'hui vous n'avez encore connu que moi. Où donc est mon despotismes, quand ai-je eu le malheur d'affliger ce que j'aime ?
            Léonore soupirait et ne savait pas accuser celui qu'elle adorait. Il veut prendre une de ses mains.
            - Si vous m'aimez, lui dit-elle, gardez-vous de souiller ma main par un baiser profane. Je crois bien que je ne pourrai jamais vous quitter. Mais pour preuve de cette obéissance à laquelle vous voulez que je croie, restez neuf jours sans me voir et croyez que ce sacrifice ne sera pas perdu pour mon coeur.
*            Gédéon s'éloigna et ne pouvant la soupçonner, ni n'osant se plaindre, il s'en alla réfléchir sur les causes de son malheur.
            Il serait trop long de raconter tout ce qui se passa dans ces deux heures d'épreuves. Il est certain que ni les raisonnements, ni les sarcasmes, ni les larmes, ni le désespoir, ni les promesses, enfin tout ce que la séduction emploie ne purent rien, tant la curiosité et l'espoir secret de dominer sont des ressorts puissants chez les femmes. Toutes restèrent dans le temple, telles que la grande prêtresse l'avait ordonné.
            Il était trois heures de la nuit. Chacun reprit sa place. On présenta différentes liqueurs pour soutenir les forces. Ensuite on ordonna de détacher les voiles et de s'en couvrir le visage. Après un quart d'heure de silence une sorte de dôme s'ouvrit et sur une grosse boule d'or descendit un homme drapé en génie tenant dans sa main un serpent et portant sur sa tête une flamme brillante.
            - C'est du génie même de la vérité, dit la grande maîtresse, que je veux que vous appreniez les secrets dérobés si longtemps à votre sexe. Celui que vous allez entendre est le célèbre, l'immortel, le divin Cagliostro sorti du sein d'Abraham sans avoir été conçu, et dépositaire de tout ce qui a été, de tout ce qui est et de tout ce qui sera connu sur la terre.
            Filles de la terre, s'écria-t-il, si les hommes ne vous tenaient pas dans l'erreur, vous finiriez par vous lier ensemble d'une union invincible. Votre douceur, votre indulgence vous feraient adorer de ce peuple auquel il faut commander pour avoir son respect. Vous ne connaissez ni ces vices qui troublent la raison, ni cette frénésie qui met tout un royaume en feu. La nature a tout fait pour vous. Jaloux, ils avilissent son ouvrage dans l'espoir qu'il ne sera jamais connu. Si, repoussant un sexe trompeur, vous cherchiez dans le vôtre la vraie sympathie, vous n'auriez jamais à rougir de ces honteuses rivalités, de ces jalousies au-dessous de vous. Jetez vos regards sur vous-mêmes, sachez vous apprécier, ouvrez vos âmes à la tendresse pure, que le baiser de l'amitié annonce ce qui se passe dans vos coeurs.
            Ici l'orateur s'arrêta. Toutes les femmes s'embrassèrent. Au même instant les ténèbres remplacent la lumière, et le génie de la vérité remonte par son dôme. La grande maîtresse parcourt rapidement toutes les places. Ici elle instruit, là elle commente, partout elle enflamme l'imagination. La seule Léonore laissait couler des larmes.
            - Je vous devine, lui dit-elle à l'oreille. N'est-ce donc pas assez que le souvenir de ce qu'on aime ?
            Ensuite, elle ordonna de reprendre la musique profane. Peu à peu la lumière revint et, après quelques moments de calme, on entendit un bruit comme si le parquet s'abîmait. Il s'abaissa presque en entier et fut bientôt remplacée par une table somptueusement servie. Les dames s'y placèrent. Alors entrèrent trente-six génies de la vérité habillés en satin blanc. Un masque dérobait leurs traits. Mais à l'air leste et empressé avec lequel ils servaient, on pouvait imaginer que les êtres spirituels sont bien au-dessus des grossiers humains. Vers le milieu du repas, la grande maîtresse leur fit signe de se démasquer, alors les dames reconnurent leurs amants. Quelques-unes fidèles à leur serment allaient se lever. Elle leur conseille de modérer ce zèle en observant que le temps des repas était consacré à la joie et au plaisir. On leur demande par quel hasard ils se trouvaient réunis. Alors on leur expliqua que de leur côté on les initiait à certains mystères, que s'ils avaient des habits de génie c'était pour montrer que l'égalité est la base de tout, qu'il n'était pas extraordinaire de voir trente-six cavaliers avec tente-six dames, que le but essentiel du grand Cagliostro était de réparer les maux qu'avait causés la société, et que l'état de nature rendait tout égal.                
            Les génies se mirent à souper. Vingt fois la mousse pétillante du vin de Sillery jaillit au plafond. La gaieté redouble, les épigrammes arrivent, les bons mots se succèdent, la folie se mêle aux propos, l'ivresse du bonheur est peinte dans tous les yeux, les chansons ingénues en sont l'interprète, d'innocentes caresses sont permises. Il se glisse un peu de désordre dans les toilettes. On propose la danse, on valse plus qu'on ne saute, le punch délasse des contredanses répétées. L'Amour exilé depuis quelque temps secoue son flambeau. On oublie les serments, le génie de la vérité, les torts des hommes, on abjure l'erreur de l'imagination.
            Cependant on évitait les regards de la grande prêtresse. Elle rentra et sourit de se voir si mal obéie.
            - L'Amour triomphe de tout, dit-elle, mais songez à nos conventions et peu à peu vos âmes s'épureront. Ceci n'est qu'une séance encore, il dépend de vous de la renouveler.
            Les jours suivants on ne se permit point de parler des détails, mais l'enthousiasme pour le comte Cagliostre était porté à une ivresse qui étonnait même à Paris. Il saisit ce moment pour développer tous les principes de la Franc-Maçonnerie égyptienne. Il annonça aux lumières du grand Orient que l'on ne pouvait travailler que sous une triple voûte, qu'il ne pouvait y avoir ni plus ni moins de treize adeptes, qu'ils devaient être purs comme les rayons du soleil, et même respectés par la calomnie, n'avoir ni femmes, ni maîtresses, ni habitudes de dissipation, posséder une fortune au-dessus de cinquante-trois mille livres de rente, et surtout cette espèce de connaissance qui se trouve si rarement avec les nombreux revenus.

tableau vigée lebrun

                                                                                                   Gérard de Nerval
                                                                     ( estrait des Illuminés )
                                    

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui journal 32 Samuel Pepys ( Angleterre )


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                                                                                                                           1er Octobre 1660

            De bonne heure voir milord à Whitehall, il me donna du travail à faire pour lui. Donc au bureau en toute hâte.
            Dîner à la maison avec mon père venu par hasard. Après dîner nous discutâmes de tapisseries pour mes pièces qui sont maintenant presque prêtes, les peintres ayant commencé leur travail aujourd'hui.
            Après dîner tous deux à la Mitre. Mon père resta en compagnie de mon oncle Wight, qu'il avait envoyé chercher, tandis que je buvais un verre de vin en privé avec Mr Mansell, un pauvre officier volontaire du " Charles ", qui était venu me voir.
            Nous restâmes là à boire trois ou quatre pintes de vin, puis nous nous quittâmes.
            A la maison pour surveiller mes ouvriers, puis le soir, au lit.
            Les commissaires sont très occupés à licencier les soldats qui, disent-ils, se livrent au pillage. Mes dépenses pour meubler ma maison sont si importantes que je crains ne pouvoir y faire face sans ouvrir un de mes sacs de 100 livres, alors que je n'ai que 200 livres au soleil.


                                                                                                                            2 Octobre

            Avec sir William Penn par le fleuve jusqu'à Whitehall. Ce matin, avant de sortir, ai eu la visite de mon frère Tom. Il m'apprit que parce qu'il avait passé une journée une nuit dehors, mon père lui avait interdit de revenir chez lui. Cela me chagrina et je le grondai sérieusement pour s'être comporté ainsi. Comme il reconnaissait sa faute je lui promis de parler à mon père.
            A Whitehall je rencontrai le capitaine Clarke, l'emmenai à la Jambe dans King Street et lui offris un ou deux plats de viande ainsi qu'à son commissaire de marine qui l'accompagnait, en remerciement pour les bontés qu'il avait eues pour moi à bord. Après dîner au palais de Westminster. Rencontrai Mrs Hunt qui m'obligea à accompagner Mrs Scawen à une commission pour parler de son mari, ce que je fis. Rencontrai ensuite Llewellyn et Mr Fage, les emmenai au Chien où je leur offris un verre de vin. Après quoi chez Will je rencontrai Mr Spicer, allai avec lui à l'abbaye de Westminster pour assister aux vêpres. Il n'y avait à cette heure qu'une maigre assistance, de sorte que j'ai l'impression que la religion, qu'on le veuille ou non n'est qu'une mode et que l'attrait qu'elle exerce passe, comme le reste. De là allâmes ensemble rendre visite à Robin Shax qui est malade depuis longtemps et que je n'ai pas vu depuis que je suis à terre. Il est très changé mais en passe de se remettre. De là en voiture chez mon père. Je discutai avec lui de Tom et lui conseillai de le reprendre à la maison. Je pense qu'il le fera car c'est plus sage que de l'envoyer apprendre à s'encanailler ailleurs.
            A la maison, et de là chez le major Hart qui doit quitter Londres demain et m'a témoigné son estime en me faisant prêter serment d'allégeance et de suprématie, afin que je puisse recevoir ce qui m'était dû.
            Retour à la maison, où me femme me raconta ce qu'elle avait acheté aujourd'hui, à savoir un lit et des meubles pour sa chambre. Très content de tout cela j'aillai au lit.


                                                                                                                       3 Octobre

            Avec sir William Batten et Penn par le fleuve jusqu'à Whitehall. Réunion des ducs d'York et d'Albemarle, de milord Sandwich et de tous les officiers supérieurs, au sujet de la garde d'hiver. Mais nous ne décidâmes rien.
            De là chez milord qui envoya à Whitehall un grand coffre de fer. Je le fis porter dans le cabinet du roi où je pus admirer les tableaux d'une beauté incomparable. Entre autres un livre ouvert sur un bureau dont j'aurais pu jurer qu'il s'agissait d'un livre réel, etc.
            Retour chez milord où je dînai seul avec lui. Il me traite avec beaucoup de respect. Après dîner nous bavardâmes une heure et discutâmes des moyens de se procurer de l'argent pour compenser ses dépenses qui sont importantes. Il me dit penser être en mesure d'obtenir tout ce qu'il solliciterait du roi.
            Aujourd'hui les affaires de Mr Shipley et de milord sont arrivées de la mer, certaines furent déposées à la Garde-Robe et d'autres apportées au domicile de milord. Puis à notre bureau où nous siégeâmes et réglâmes certaines affaires. Ensuite à la maison où je passai la soirée à surveiller les peintres qui sont au travail chez moi.
            Aujourd'hui j'ai entendu le Duc parler d'un grand projet qu'il a avec milord Pembroke et beaucoup d'autres, d'envoyer une expédition marchande' dans certaines régions d'Afrique pour y chercher du minerai d'or. Ils ont l'intention d'accepter tous les actionnaires qui sont prêts à risquer leur argent afin de constituer une compagnie. La plus petite part exigée de chaque actionnaire est 250 livres. Mais milord ne semble pas très favorable à ce projet.
            Le soir, le Dr Fairbrother ( vient d'être fait docteur en droit civil ) ramena ma femme à la maison en voiture, car il pleuvait. Elle était sortie aujourd'hui acheter d'autres meubles pour la maison.


                                                                                                            Jeudi 4 Octobre 1660

            Ce matin, seul, occupé à étudier les papiers du bureau. Je reçus la visite du Lnt Lambert, du
" Charles " à qui je suis très redevable, l'emmenai dans une petite taverne proche de notre bureau où mon cousin Thomas Pepys m'envoya chercher pour me présenter deux gentilshommes que je souhaitais beaucoup rencontrer, l'un est un Pepys de notre famille, mais je ne l'avais jamais rencontré, et l'autre un fils cadet de sir Thomas Bendish, de sorte que nous nous disions tous "cousins ".
            Après être restés à boire un moment nous nous rendîmes tous par voie d'eau à Whitehall et de là, le lieutenant Lambert à l'abbaye de Westminster où nous assistâmes au transfert du Dr Frewen à l'archevêché d'York.
            Je vis les évêques de Winchester de Bangorn de Rochester, de Bath, de Wells et de Sallisbury tous vêtus de leurs habit épiscopaux, dans la chapelle d'Henri VII. Mais mon Dieu ! à la sortie combien de gens les regardèrent comme s'ils étaient des créatures singulières, et combien peu leur témoignèrent quelque marque d'affection ou de respect !
            De là nous allâmes tous deux chez milord, d'où nous emmenâmes Mr Shipley et William Howe au Renne manger des huîtres qui étaient très bonnes. C'étaient les premières que je mangeais cette année. Ensuite retour chez milord pour dîner. Après dîner, le ltnt Lambert et moi regardâmes les maquettes de navire de milord et il m'expliqua maintes choses que je souhaitais comprendre concernant un navire.
            De là, par le fleuve, à la maison. Je débarquai le ltnt Lambert à Blackfriars. Retrouvai  Robert Shaw et Jack Spicer. En chemin rencontrai sur la colline de la Tour Mr Pearse le chirurgien et sa femme. Je les emmenai à la maison et leur offris du bon vin, de la bière et des anchois. Les gardai jusqu'au soir et ensuite, adieu.
            Allai voir les peintres qui sont actuellement au travail dans la maison. Le soir, au lit.

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                                                                                                                     5 Octobre
                                                                                           Jour de bureau
            Dîner à la maison. Et tout l'après-midi à la maison pour veiller à ce que mes peintres finissent leur travail, ce qu'ils firent aujourd'hui, à ma grande satisfaction. Je suis très heureux de voir ma maison de nouveau propre. Le soir, au lit.


                                                                                                                         6 Octobre

            Tout le matin le colonel Slingsby et moi au bureau à nous occuper d'armer un ketch pour le prince de Ligne afin qu'il puisse emporter ses affaires aujourd'hui, car il retourne maintenant chez lui.
            Vers midi visite de mon cousin Harry Alcock. J'écrivis une lettre pour lui, pour que milord la signe, lettre à l'intention de milord Broghill, en vue de quelque poste en Irlande où il se rend.
            Après lui vint Mr Creed qui m'apporta des livres bien reliés de Hollande, de bons ouvrages. Je pensai qu'il avait l'intention de m'en faire cadeau, mais découvris qu'il me fallait les lui payer.
            Il dîna à la maison et de là ensemble à Whitehall où je devais rendre compte à milord des stations navales et des vivres de la flotte afin qu'il puisse choisir une flotte qui lui convienne pour prendre la mer et aller chercher la reine.
            Mais comme milord ne revint pas avant 9 heures du soir, je ne l'attendis pas et rentrai à la maison.
Ensuite, au lit.


                                                                                                                   7 Octobre 1660
                                                                                         Jour du Seigneur

            A Whitehall à pied en passant par chez mon père pour changer mon grand manteau noir contre un plus court, les manteaux longs sont maintenant tout à fait démodés. Mais comme il était allé à l'église je ne pus en avoir un, je repartis donc et allai voir milord avant qu'il ne se rende à la chapelle où je l'accompagnai.
Là j'entendis le Dr Spurstowe prêcher devant le roi un sermon médiocre et sec, mais ensuite il y eut un très bel hymne du capitaine Cooke.
            En sortant de la chapelle je rencontrai mon vieil ami Jack Cole, que je n'avais pas vu depuis longtemps, et je lui promis que nous nous reverrions à Londres. Chez milord et dîner avec lui. Pendant tout le dîner il me parla en français et me raconta que le duc d'York avait engrossé la fille du lord chambellan, qu'elle lui impute cette paternité et qu'il lui a donné l'assurance qu'il l'épouserait et a signé sa promesse de son sang, mais qu'il a ensuite fait dérober le document dans son secrétaire, et que, bien que le roi lui enjoigne de l'épouser, il refuse. De sorte que le roi est très fâché avec le duc et toute sa clique. Mais milord fait peu de cas de l'affaire, car il pense que le duc s'est déjà conduit de la sorte à l'étranger. Comme nous discutions de la possibilité que le duc l'épouse, milord me dit que parmi les nombreux dictons de son père, consignés dans un livre, se trouve celui-ci : que celui qui fait un enfant à sa fille et l'épouse ensuite est comme celui qui chie dans son chapeau et se l'enfonce ensuite sur la tête.
            Je m'aperçois que milord est devenu quelqu'un de tout à fait étranger à la religion, et que pour lui ces choses sont sans importance.
            Après dîner à l'abbaye où je les entendis lire le rituel de la messe, mais de manière tout à fait ridicule. En vérité, en mon for intérieur, cela ne me plut pas du tout. Vint ensuite un sermon médiocre et froid du Dr Lamb, l'un des prébendiers, en surplis. Puis ce fut fini. Par ma foi, les dévotions de ces hommes sont tristes et pitoyables.
            Retour à la maison par voie de terre. Avant le souper je lus une partie des persécutions commises par Mary Tudor dans Mr Fuller. Ensuite souper, prières et au lit.


                                                                                                                   8 Octobre
                                                                                               Jour de bureau

            Comme ma femme était sortie pour acheter des choses pour la maison, je dînai tout seul. Après dîner à Westminster, rencontrai en chemin Mr Moore qui venait me voir et qui continua avec moi. Je m'arrêtai dans plusieurs endroits pour affaires. Chez mon père pour du cuir doré pour ma salle à manger. Chez Mr Crew pour de l'argent et chez milord pour la même chose. Mais comme je n'y trouvai pas Mr Shipley je rentrai par le fleuve en compagnie de Mr Moore qui resta souper avec moi jusqu'à presque 9 heures du soir. Nous aimons converser ensemble, de sorte que lorsque nous nous voyons nous ne pouvons nous quitter.
            Il m'apprit que les profits au Sceau privé ont beaucoup diminué, ce dont je suis très triste. Après son départ, au lit.


                                                                                                                   9 Octobre 1660

            Ce matin sir William Batten partit à Deptford avec le colonel Birch pour payer la solde des équipages de deux navires et les désarmer. Sir William Penn et moi restâmes faire le travail et ensuite, ensemble, à Whitehall où j'allai voir milord que je trouvai couché et souffrant. Je vis dans sa chambre son portrait, très bien réalisé, et je n'ai de cesse de le faire copier, ce que j'espère faire quand il sera parti en mer.
            De nouveau à Whitehall où, dans la chambre de Mr Coventry je retrouvai sir William Penn. J'allai avec lui à Rotherhithe par le fleuve, et de là nous marchâmes à travers champs jusqu'à Deptford. C'est la première promenade agréable que je faisais depuis longtemps. En chemin nous bavardâmes très agréablement. Il se révèle un joyeux drille, a très bon caractère et chante des chansons fort grivoises.
            Nous arrivâmes donc et trouvâmes nos gentilshommes et Mr Prin en trains de payer les soldes.
            A midi nous dînâmes ensemble et passâmes un très bon moment à table à raconter des histoires.
            Après dîner, nous nous occupâmes du désarmement d'un autre navire, jusqu'à 10 heures du soir, et ensuite à la maison dans notre canot. La nuit était clair avec un beau clair de lune. Il était minuit lorsque je rentrai. Je trouvai ma femme au lit et une partie de nos appartements décorés aujourd'hui par le tapissier, mais comme ce n'était pas bien fait je fus contrarié et me couchai mécontent.
            Je trouve que Mr Prin est un homme simple, bon et honnête, mais sa conversation n'est guère libre, ni agréable.
            Parmi les histoires que nous avons racontées aujourd'hui il parla d'un certain Damford qui, alors qu'il était brun se brûla la barbe avec de la tourte si bien que sa barbe repoussa toute blanche et resta ainsi jusqu'à sa mort. Sir William Penn nous raconta une bonne plaisanterie au sujet de certains gentilshommes qui avaient bandé les yeux du tireur de bière : celui qu'il attraperait devrait payer la note. Ils s'en allèrent et         comme le maître de maison venait voir ce que faisait son employé, celui-ci    mouseandfrog.wordpress.com
 s'empara de lui pensant qu'il était l'un des gentilshommes, et lui dit qu'il devrait payer la note.


                                                                                                                    10 Octobre
                                                                                                 Jour de bureau

            tout le matin. - L'après-midi avec le tapissier pour qu'il exécute les choses à mon idée. Il tapissa ma chambre et celle de ma femme à mon goût. Le soir Mr Moore vint me voir et resta tard pour me raconter comment Sir HardressWaller, qui est le seul à plaider coupable, Scott, Cooke, Peters, Harrison, etc. furent traduits aujourd'hui à la barre de la cour d'assises, devant un tribunal composé du lord-maire, du général Monck, de milord Sandwich, etc. On n'a jamais vu en Angleterre un tribunal composé d'aussi nobles personnages.
            Tous semblent atterrés et, sans nul doute, ils seront tous condamnés. L'accusation en la personne de sir Orlando Bridgeman, souligne parfaitement le caractère injustifiable de la guerre contre le roi dès le début et jette ainsi le blâme sur tout le Long Parlement. Bien que le roi leur ait pardonné il leur faut cependant admettre que le roi les considère comme des traîtres.
            Demain ils plaideront pour leur défense. Le soir, au lit.


                                                                                                                       11 Octobre

            Le matin chez milord où je rencontrai Mr Creed. J'allai avec Mr Blackborne à la taverne Rhénane. Nous restâmes un grand moment à porter des santés, ce que Mr Blackborne n'aurait jamais fait jadis. Quand nous eûmes fini j'allai avec Mr Creed à la Jambe dans King Street pour dîner. Lui, moi et mon Will mangeâmes un délicieux pis de vache. De là promenade au parc St James où nous observâmes le fonctionnement de diverses machines qui tirent l'eau. Ce spectacle me plut beaucoup.
            Plus que toute autre la machine que je préfère est celle de Mr Greatorex qui consiste en une chose ronde qui entre dans l'eau avec deux échelles à l'extérieur, lorsqu'elle est penchée à 45 degrés elle extrait l'eau avec beaucoup de facilité. Dans le parc nous rencontrâmes Mr Salisbury qui nous emmena au Cockpit voir Le Maure de Venise, qui était bien joué. Burt jouait le rôle du Maure. En cette occasion une très jolie dame qui était assise à côté de moi, pleura de voir Desdémone étouffée.
            De là toujours accompagné de Mr Creed, aux Colonnes d'Hercule où nous prîmes un verre, ensuite nous nous quittâmes et je rentrai à la maison.


                                                                                                                          12 Octobre
                                                                                                      Jour de bureau

            tout le matin - Et de là avec sir William Batten et les autres officiers nous allâmes manger un pâté de venaison offert par Batten au Dauphin, où dînaient également le colonel Washington, sir Edward Brett et le major Norwood. C'était une très noble compagnie. Après dîner je rentrai à la maison où je trouvai Mr Cookie qui m'apprit que lady Sandwich est arrivée à Londres aujourd'hui. Sur quoi je me rendis à Westminster pour la voir. Je la trouvai en train de souper. Elle m'invita à m'asseoir en tête à tête avec elle, je restai à bavarder avec elle après le souper. Elle me témoigna la plus extraordinaire affection et la plus grande bonté et m'assura que mon oncle était décidé à faire de moi son héritier. De là à la maison et au lit.


                                                                                                                       13 Octobre

            Chez milord le matin. J'y rencontrai le capitaine Cuttance, mais comme milord n'était pas levé je me rendis à Charing Cross pour voir le major général Harrison pendu, écartelé et taillé en quartiers. Il semblait aussi joyeux qu'on pouvait l'être dans sa situation. On coupa la corde sur- le - champ et sa tête et son coeur furent montrés au peuple, ce qui provoqua de grandes clameurs de joie. A ce qu'on dit il déclara qu'il était sûr d'être appelé bientôt à la droite du Christ pour juger ceux qui venaient de le juger, et que sa femme s'attend à ce qu'il revienne sur terre.
          Ainsi le hasard voulut que je visse le roi décapité à Whitehall et le premier sang versé pour venger le sang du roi à Charing Cross. De là chez milord, j'emmenai le capitaine Cuttance et Mr Shipley à la taverne du Soleil et leur offris des huîtres. Puis je rentrai à la maison par le fleuve. Je m'emportai contre ma femme parce qu'elle avait laissé traîner ses affaires. Dans mon courroux je donnai un coup de pied dans le beau petit panier que je lui avais acheté en Hollande et le cassai. Ce que je regrettai ensuite.
            A la maison tout l'après-midi à poser des étagères dans mon bureau. Le soir, au lit.


                                                                                                                             14 Octobre 1660
                                                                                                            Jour du Seigneur

            De bonne heure chez milord, rencontrai en chemin le Dr Fairbrother qui me raccompagna au retour jusque chez mon père. Nous y prîmes notre boisson du matin. Mon père était parti à l'église et ma mère dormait dans son lit. Il me demanda alors de signer, parmi un grand nombre d'autres signatures honorables, un papier ou une attestation en sa faveur.
            A la chapelle de Whitehall où un certain Dr Crofts fit un sermon passable, suivi d'un hymne mal chanté qui fit rire le roi. Je vis là pour la première fois la princesse royale, depuis son retour en Angleterre. Je remarquai également que le duc d'York et Mrs Palmer se parlèrent sans aucune vergogne à travers la tapisserie qui sépare l'oratoire du roi de la galerie où se tiennent les dames.
            Chez milord où je trouvai ma femme. Elle et moi dînâmes avec milady - milord dînait avec le lord.
chambellan. Elle traita ma femme avec beaucoup d'égards.
            Dans la soirée nous rentrâmes à la maison sous la pluie, par le fleuve en canot après avoir emprunté des manteaux à Mr Shipley. Donc à la maison, mouillés et sales, et au lit.


                                                                                                                          15 Octobre

            Bureau tout le matin, ma femme et moi par le fleuve. Je la déposai à Whitefriars, elle allait dîner chez mon père, car c'était l'anniversaire de mariage de mon père et il y avait un grand dîner avec seulement comme invités, les Fenner et les Joyce.
            - Ce matin Mr Carew fut pendu et taillé en quartiers à Charing Cross, mais par grande faveur les quartiers ne seront pas exposés. -
            Il me fallait aller chez milord pour lui demander de réunir cet après-midi les officiers de la marine et ne pus donc accompagner ma femme. Mais je ne trouvai pas milord qui siégeait aujourd'hui comme juge à la cour d'assises. Je dînai donc là avant de me rendre à Whitehall où je rencontrai sir William Batten et Penn qui, avec le contrôleur, le trésorier et Mr Coventry dressaient dans la chambre de ce dernier, la liste des navires qu'il convient de maintenir en mer pour la garde d'hiver, les marins des autres navires devant être licenciés et payés par le Parlement lorsqu'il y aura de l'argent ce qui, je le crois, n'arrivera pas de si tôt.
            Cela fait je louai une voiture et allai chercher ma femme chez mon père puis pris le chemin de la maison après nous être arrêtés chez Thomas Pepys, le tourneur, pour prendre certains objets. Ensuite à la maison où je me mis à lire La Précaution vaine, livre que m'avait recommandé le Dr Clarke lorsque nous étions en mer. Je le lus au lit jusqu'à la fin. C'est à mon avis le meilleur récit que j'aie jamais lu. Après quoi je m'endormis. Je ne dormis pas très bien parce que ma femme avait le nez bouché et ronfla beaucoup, comme je ne l'avais jamais entendue ronfler auparavant.


                                                                                         à suivre .... 16 Octobre 1660

            Ce matin.....

* cottage anglais maison de poupée : "copaero.fr "