jeudi 4 septembre 2014

La Sainte Courtisane ou La femme couverte de bijoux Oscar Wilde ( théâtre Grande Bretagne )


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                                                   La Sainte Courtisane
                                                                          ou
                                                                    La femme couverte de bijoux

            La scène représente une partie reculée d'une vallée de la Thébaïde. A droite de la scène une caverne. Devant la caverne un grand crucifix. A gauche, des dunes.
            Le ciel est bleu comme l'intérieur d'une coupe de lapis-lazulie. Les collines de sable rouge sont semés de bosquets d'épineux.

            Premier homme. - Qui est-elle ? Elle m'effraie. Elle a un manteau pourpre et des cheveux pareils à des fils d'or. Ce doit être la fille de l'empereur. J'ai entendu dire que les bateliers que l'empereur avait une fille qui portait un manteau de pourpre.
            Deuxième homme. - Elle a des ailes d'oiseaux sur ses sandales et sa tunique a la couleur du blé en herbe. Elle comme le blé au printemps quand elle se tient immobile, comme le blé tendre agité par l'ombre des faucons lorsqu'elle bouge. Les perles de sa tunique sont comme une multitude de lunes.
01            Premier homme. - Elles sont comme les lunes qu'on voit dans l'eau quand le vent souffle des collines.
            Deuxième homme. - Je crois qu'elle fait partie des dieux. Je crois qu'elle vient de Nubie.
            Premier homme. - Je suis sûre que c'est la fille de l'empereur. Ses ongles sont teintés au henné.  On dirait des pétales de rose. Elle est venue ici pour pleurer Adonis.
            Deuxième homme. - Elle fait partie des dieux. Je me demande pourquoi elle a quitté son temple. Les dieux ne devraient pas quitter leur temple. Si elle nous parle ne lui répondons pas et elle passera son chemin.
            Premier homme. - Elle ne nous parlera pas. C'est la fille de l'empereur.
            Myrrhina. - N'est-ce point ici la demeure du jeune et bel ermite, de celui qui a fait voeu de ne jamais poser les yeux sur le visage d'une femme ?
            Premier homme. - En vérité c'est ici sa demeure.
            Myrrhina. - Pourquoi a-t-il fait ce voeu ?
            Deuxième homme. - Nous l'ignorons.
            Myrrhina. - Pourquoi vous-mêmes ne me regardez-vous pas ?
            Premier homme. - Vous êtes couverte de pierreries et nos yeux en sont éblouis.
            Deuxième homme. - Celui qui regarde le soleil devient aveugle. Vous brillez trop pour qu'on puisse vous regarder. Il n'est pas sage de regarder ce qui brille fort. Un grand nombre de prêtres dans les temples sont aveugles et se font guider par des esclaves.
            Myrrhina. - Où est-elle cette demeure, la demeure du jeune et bel ermite qui a fait voeu de ne jamais poser les yeux sur le visage d'une femme ? Est-ce une maison de roseaux, une maison de terre cuite, ou s'étend-il sur le flanc de la colline ? Ou bien fait-il son lit dans les joncs ?
            Premier homme. - Il a pour demeure la caverne qui se trouve là-bas.
            Myrrhina. - Quelle étrange demeure !
            Premier homme. - Jadis un centaure l'habitait. Quand l'ermite est arrivé le centaure a poussé un cri perçant, a pleuré et s'est enfui au galop.
            Deuxième homme. - Non, c'est une licorne blanche qui habitait la grotte. Quand elle a vu venir l'ermite la licorne s'est agenouillée pour l'adorer. Beaucoup de gens l'ont vue l'adorer.
            Premier homme. - J'ai parlé avec des gens qui l'ont vue de leurs yeux.
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                              *

            Deuxième homme. - Certains disent que l'ermite abattait des arbres et qu'il se louait à la saison. Mais ça n'est peut-être pas vrai.
         
                              *

            Myrrhina. - Quels dieux adorez-vous alors ? En adorez-vous seulement ? Il y a des gens qui n'ont pas de dieux à adorer. Les philosophes à la barbe longue et aux manteaux bruns n'ont pas de dieux à adorer. Ils se querellent sous les portiques. Certains se moquent d'eux.
            Premier homme. - Nous adorons sept dieux. Nous ne pouvons révéler leur nom. Il est très dangereux de révéler le nom des dieux. Personne ne devrait jamais révéler le nom de son dieu. Même les prêtres qui prient les dieux du matin au soir et qui partagent leurs repas ne les appellent pas par leur vrai nom.
            Myrrhina. - Où sont ces dieux que vous adorez ?
            Premier homme. - Nous les cachons dans les plis de notre tunique. Nous ne les montrons à personne. Si nous montrions à quelqu'un ils pourraient nous quitter.
            Myrrhina. - Où les avez-vous rencontrés ?
            Premier homme. - Ils nous ont été donnés par un embaumeur qui les avait trouvés dans une tombe. Nous avons été à son service pendant sept ans.
            Myrrhina. - Les morts sont redoutables. J'ai peur de la Mort.
            Premier homme. - La Mort n'est pas une déesse. Elle n'est que la servante des dieux.
            Myrrhina. - C'est la seule déesse qui me fasse peur. Vous en avez vu beaucoup des dieux ?
            Premier homme. - Nous en avons vu beaucoup. C'est la nuit surtout qu'on les voit. Ils passent à côté de vous très vite. Un jour nous en avons vu quelques-uns à l'aurore. Ils traversaient une plaine.
            Myrrhina. - Un jour en traversant la place du marché, j'ai entendu un sophiste de Cilicie dire qu'il n'y avait qu'un seul Dieu. Il l'a dit devant un grand nombre de gens.
            Premier homme. - C'est impossible. Nous-mêmes nous en avons vus beaucoup, alors que nous ne sommes que des hommes du peuple, des hommes sans importance. Quand je les ai vus je me suis caché dans un fourré. Ils ne m'ont fait aucun mal.

                                                                        *

            Myrrhina. - Dites-m'en plus sur le jeune et bel ermite. Parlez-moi du jeune et bel ermite qui a fait le voeu de ne jamais poser les yeux sur le visage d'une femme. Comment se déroulent ses journées ? Quel est son mode de vie ?
            Premier homme. - Nous ne vous comprenons pas.
            Myrrhina. - Que fait-il, le jeune et bel ermite ? Est-ce qu'il sème ou est-ce qu'il récolte ? Est-ce qu'il cultive un jardin ou est-ce qu'il prend du poisson dans un filet ? Est-ce qu'il tisse du lin sur un métier à tisser ?  Est-ce qu'il pose sa main sur la charrue en bois et marche derrière les boeufs ?
            Deuxième homme. - En homme très saint qu'il est il ne fait rien. Nous sommes des hommes du peuple, des hommes sans importance. Nous peinons du matin au soir sous le soleil. Parfois le sol est très dur.                                                                     
            Myrrhina. - Est-ce que les oiseaux des airs le nourrissent ? Est-ce que les chacals partagent leur butin avec lui ?
            Premier homme. - Nous lui apportons à manger tous les soirs. Nous ne pensons pas que les oiseaux des airs le nourrissent.
            Myrrhina. - Pourquoi le nourrissez-vous ? Quel bénéfice en retirez-vous ?
            Deuxième homme. - C'est un homme très saint. Un des dieux qu'il a offensés l'a rendu fou. Nous pensons qu'il a offensé la lune.
            Myrrhina. - Allez lui dire qu'une personne venue d'Alexandrie désire lui parler.
            Premier homme. - Nous n'osons pas. A cette heure-ci il prie son Dieu. Nous vous prions de bien vouloir nous pardonner de ne pas exécuter votre ordre.
            Myrrhina. - Avez-vous peur de lui ?
            Premier homme. - Nous avons peur de lui.
            Myrrhina. - Pourquoi avez-vous peur de lui ?
            Premier homme. - Nous n'en savons rien.
            Myrrhina. - Comment s'appelle-t-il ?
            Premier homme. - La voix qui lui parle la nuit dans la caverne lui donne le nom d'Honorius. C'est aussi le nom d'Honorius que les trois lépreux qui sont un jour passés par ici lui ont donné. Nous pensons qu'il s'appelle Honorius.
            Myrrhina. - Pourquoi les trois lépreux l'ont-ils appelé ?
            Premier homme. - Pour qu'il les guérisse.
            Myrrhina. - Les a-t-il guéris ?
            Deuxième homme. - Non, ils avaient commis un pêché, c'est la raison pour laquelle ils avaient la lèpre. Leurs mains et leur visage étaient pareils à du sel. C'était le fils d'un roi.
            Myrrhina. - Quelle est cette voix qui lui parle la nuit dans sa grotte ?
            Premier homme. - Nous ne savons pas à qui est cette voix. Nous pensons que c'est la voix de son dieu, car nous n'avons vu aucun homme entrer dans sa caverne ni en sortir.


                                    *

            Myrrhinia. - Honorius !
            Honorius, de l'intérieur. - Qui appelle Honorius ?
            Myrrhina. - Sors? Honorius..  
                                                                                         
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               Ma chambre a un plafond lambrissé de cèdre et sent la myrrhe. Mon lit a des colonnes en cèdre, des rideaux de pourpre. Mon lit parsemé de pourpre a des marches d'argent. Les rideaux sont cousus de grenades d'argent et les marches qui sont d'argent sont parsemées de safran et de myrrhe.. Mes amants accrochent des guirlandes autour des colonnes de ma maison. La nuit ils viennent avec les joueurs de flûte et les joueurs de harpe. Ils m'offrent des pommes pour obtenir mes faveurs et sur le pavement de la cour ils écrivent mon nom avec du vin.
            Des contrées les plus reculées du monde mes amants viennent à moi. Les rois de la terre viennent à moi et m'apportent des présents.
            Lorsque l'empereur de Byzance entendit parler de moi il abandonna sa chambre de porphyre et fit voile sur ses galères. Ses esclaves ne portaient pas de torche afin que nul ne soupçonnât sa venue. Quand le roi de Chypre entendit parler de moi, il me dépêcha des ambassadeurs. Les deux rois de Lybie qui sont frères m'apportèrent de l'ambre en cadeau.
            Je pris à César le mignon de César et en fis mon compagnon de jeux. Il venait le soir me voir sur une litière. Il avait la pâleur d'un narcisse et son corps était comme le miel.
            Le fils du gouverneur s'est donné la mort en mon honneur et le tétrarque de Célicie s'est flagellé pour mon bon plaisir devant mes esclaves.
            Le roi de Hiérapolis, qui est prêtre et voleur, à déroulé des tapis sous mes pieds.
            Parfois je vais au cirque et les gladiateurs s'affrontent à ma hauteur. Un jour, un Thrace qui était mon amant a été pris dans le filet. Je l'ai condamné à mort d'un signe du pouce et toute l'assemblée a applaudi. . Parfois, je traverse le gymnase et je regarde les jeunes gens lutter ou faire la course. Leurs corps sont luisants d'huile et leurs fronts sont ceints de couronnes de saule et de myrrhe. Ils tapent des pieds dans le sable quand ils luttent, et quand ils courent le sable les suit comme un petit nuage. Celui auquel je souris abandonne ses compagnons et me suit jusque chez moi. D'autrefois, je descends au port et je regarde les marchands décharger leurs vaisseaux. Ceux qui viennent de Tyr portent des manteaux de soie et des boucles d'oreilles d'émeraude. Ceux qui viennent de Massalia portent des manteaux à la laine délicate et des boucles d'oreilles en airain. Quand ils me voient venir ils se mettent à la proue de leur navire et m'appellent, mais je ne leur réponds pas. Je vais dans les petites tavernes où les marins passent la journée allongés à boire du vin noir et à jouer aux dés, et je m'assieds avec eux.
            J'ai fait du prince mon esclave et de son esclave tyrien j'ai fait mon seigneur l'espace d'une lune.
            J'ai passé un anneau ouvré à son doigt et l'ai conduit chez moi. Il y a des choses merveilleuses chez moi.
            La poussière du désert s'est posée sur tes cheveux, tu as les pieds égratignés par les épines et le corps brûlé par le soleil. Viens avec moi, Honorius, et je te vêtirai d'une tunique de soie. Je t'enduirai le corps de myrrhe et répandrai du nard sur tes cheveux. Je te vêtirai d'hyacinthe et t'emplirai la bouche de miel. L'amour...
            Honorius. - Il n'y a d'amour que l'amour de Dieu.
            Myrrhina. - Qui est-Il, Lui dont l'amour est plus grand que celui des mortels ?
            Honorius. - C'est Celui que tu vois sur la croix, Myrrhina. C'est le fils de Dieu, né d'une vierge. Trois sages qui étaient rois Lui apportèrent des présents et les bergers étendus sur les collines furent réveillés par une grande lumière.
            Les sibylles savaient Sa venue. Les idoles et les oracles parlaient de Lui. David et les prophètes L'annonçaient. Il n'y a pas d'amour semblable à l'amour de Dieu, ni d'amour qui puisse lui être comparé.
            Le corps est méprisable, Myrrhina. Dieu t'élèvera en te donnant un nouveau corps qui ne connaîtra plus la corruption et tu demeureras dans les parvis du Seigneur et tu verras Celui dont la chevelure est pareille à une laine délicate et dont les pieds sont de bronze.
            Myrrhina. - La beauté...
            Honorius. - La beauté de l'âme grandit jusqu'à ce qu'elle voie Dieu. Aussi, Myrrhina, repens-toi de tes pêchés. Car Il a fait entrer au Paradis le voleur qu'on avait crucifié à ses côtés.

                                                                            Il sort.

            Myrrhina. - Il m'a parlé d'une façon bien étrange. Et avec quel mépris il m'a considérée. Je me demande pourquoi il m'a parlé d'une façon aussi étrange.

                                                                          *

            Honorius. - Myrrhina, les écailles me sont tombées des yeux et je vois très bien maintenant ce que je ne voyais pas auparavant. Emmène-moi à Alexandrie et permets-moi de goûter aux sept pêchés.
            Myrrhina. - Ne te raille pas de moi, Honorius, et ne me dis pas des choses aussi cruelles. Car je me suis repentie de mes pêchés et je cherche une caverne dans ce désert où demeurer, moi aussi, afin que mon âme devienne digne de voir Dieu.
            Honorius. - Le soleil se couche, Myrrhina, viens avec moi à Alexandrie.
            Myrrhina. - Je n'irai pas à Alexandrie.
            Honorius. - Adieu, Myrrhina.
            Myrrhina. - Honorius, adieu. Non, non, ne t'en va pas.

                                                                          *

            J'ai maudit ma beauté pour ce qu'elle a fait et j'ai maudit le miracle de mon corps pour le mal qu'il t'a causé.
            Seigneur, cet homme m'a mise à Tes pieds. Il m'a fait le récit de Ta venue sur terre, du miracle de Ta naissance et aussi du grand miracle de Ta mort. C'est par lui, Ô Seigneur, que Tu m'as été révélé.
            Honorius. - Tu parles comme une enfant, Myrrhina, et tu parles sans savoir. Défais tes mains. Pourquoi es-tu venue dans notre vallée avec cette beauté qui est la tienne ?
            Myrrhina. - Le dieu que tu adorais m'a conduite jusqu'ici afin que je me repente de mes iniquités et que je Le reconnaisse pour mon Seigneur.
            Honorius. - Pourquoi m'as-tu tenté par des mots ?
            Myrrhina. - Afin que tu voies le pêché sous son masque fardé et que tu contemples la Mort vêtue du manteau de la Honte.


                                                                                                   Oscar Wilde
                                                                                                ( in XIV volumes 1908 )
 
*** portrait 1 el Greco
      port Gauguin
      la naissance de Vénus Botticelli
   

















































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