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21 février 1911
Mardi soir
Mon cher petit Buneltniguls
J'espère que vous êtes bien genstil et que tout s'arrange bien. Vous pourrez dire ma sympathie à Vestris* et à ton ami Bakst pour ce qui est hasrivé. Je suis allé voir le dernier acte de la pièce d'Hermant. Hélas au moment où je commence à aimer véritablement le théâtre une sorte de gâtisme m'atteint qui m'y fait tellement larmoyer que je n'ose plus y mettre les pieds. La pièce d'Hermant est touchante sans louchonneries, décantée de tout " mauve des collines "etc et pleine d'esprit. Au risque d'ajouter ès nombreuses preuves de mauvais goût que j'ai déjà données à propos de Cocteau, de danseur etc., je vous dirai que Puylagarde et Bachmann m'ont paru jouer parfaitement mais être fort laids. Mais je ne l'affirme pas. Quant à Lacroix, autre célébrité, il ne paraît pas dans l'acte que j'ai vu. Après je suis allé chez Larue où j'ai trouvé Flers, son épouse et Caillavet " bien gggentils " mais devenus d'une grande sévérité à l'égard de leurs confrères. Venderem
Mascarille entre en femme habillé d'une manière grotesque
LELIE
Ah ! comme elle est jolie et qu'elle a l'air mignon !
A ce moment Coquelin fait entendre des gloussements
LELIE
Eh quoi ? vous murmurez ? mais sans vous faire outrage
Peut-on lever le masque et voir votre visage ?
C'est très joli dans son genre. Dans un genre différent une pièce très triste de Jammes appelée
Élégie d'automne, j'aime beaucoup ces vers descriptifs :
La grive sur un cerisier près de la vigne abandonnée
Se pose et les sentiers ruissellent de feuilles de châtaigners
Il n'y a que du brouillard et un silence tout étonné
Quand un paysan tout à coup a éternué.
Cocteau, que je n'ai point vu, mais qui écrit, me paraît " sous la coupe " de Lucien Daudet, sans s'imaginer que je sais qui c'est. - L'influence de Gide sur Bernstein n'a peut'être pas été très décisive car j'ai vu dans la scène citée par Le Figaro des mots tels que " je te le demande à deux genoux --- Tu as vu mon agonie dans mes yeux --- Je suis peut'être un vilain Monsieur, mais je suis un Monsieur. " Elle, " pleurant les mêmes larmes " etc. etc. qui m'ont paru ne pas porter la trace très sensible de cette littérature artiste. Genstil, je vais vous agacer horriblement en parlant musique et en vous disant que j'ai entendu hier au théâtrophone** un des Maîtres Chanteurs ( puisque quand Sachs écrit sous la dictée de Walther le Preisleid, il ne sait pas que Beckmesser le lui chippera, pourquoi écrit-il ces mots ridicules - inexplicable ) et ce soir... tout Pelléas ! Or je sais combien je me trompe dans les arts, au point que les vues du jardin de Gâtera ( =o ),m'avaient charmé ; mais enfin comme Buncht ne me punira pas, j'ai eu une impression extrêmement agréable. Cela ne m'a pas paru si absolument étranger et antérieur à Fauré et même à Wagner ( Tristan ) que cela à la prétention et à la réputation d'être. Mais enfin en me reportant à la personne de Debussy, comme Goncourt étonné que le gros Flaubert ait pu faire une scène si délicate de L'Education Sentimentale que d'ailleurs Goncourt n'aimait pas, je suis étonné que Debussy ait fait cela. Je connais trop peu de théâtre musical pour pouvoir savoir qui avait fait cela avant. Mais cette idée de traiter un opéra à une époque de si grande richesse, dans le style de Malborough s'en va-t-en guerre et en atteignant parfois à
Ah ! si je dois être vaincue
Est-ce à toi d'être mon vainqueur
demandait tout de même de l'initiative. Il est vrai que comme les étrangers ne sont pas choqués de Mallarmé parce qu'ils ne savent pas le français, des hérésies musicales qui peuvent vs crisper, passent inaperçues pour moi, plus particulièrement dans le théâtrophone, où à un moment je trouvais la rumeur agréable mais pourtant un peu amorphe quand je me suis aperçu que c'était l'entre'acte ! Et à propos de Pelléas, je ne veux pas faire grâce à mon Binchniguls de quelques considérations de ma transcendantale incompétence mais je suis trop fatigué et ce sera pour une autre fois.
Dix-huit milliards de grands bonsjours.
B.
Fais donc bien attention à ma pagination car ayant renversé casfé sur une page je l'ai déchirée et tout a l'air et l'air.
* Vestris russe surnom donné à Nijinski Bakst à l'origine du renvoi d'Auguste Vestris ( 1760/1842 ) alors qu'il dansait Gisèle à Saint-Pétersbourg, le costume qu'il avait créé parut trop moderne.
** Abonné au téléphone Proust a la possibilité de prolonger son abonnement pour la retransmission à travers son téléphone de représentations théâtrales.
birchills.net 1er Juin 1911
Jeudi matin
Je te souhaite beaucoup de chanter bien et de ne pas avoir peur, mon petit bunibuls, et de rencontrer beaucoup de succès. Par suite des moschancetés de ma santé j'ai fallu me lever hier et je voulais recommencer pour t'écouter. Mais il est 9 heures du matin et je n'ai pas encore pu commencer ni à déshabiller ni à fumer. Et je n'ai pas dormi depuis plus de 50 heures. Alors si je suis couché vers midi je crois que je serai trop malade pour aller Gaîté mais penserai beaucoup et je te donne mon petit viatique pour tes trois mélodies trois bonjours avant et trois après. Chante genstiment mon vieux buncht.
( sans signature )
Fin juillet 1911
Cabourg
P.-S.
Cher petit Bunibuls
Je suis parti inopinément pour Cabourg d'où je te redonne le bonsjour. Je pars sans savoir si tu es décoré* et si tu as choisi le petit chouen ( tu sais que je tiens essentiellement à te donner aussi l'autre et te prie me dire ce que je te dois pour les 2 ). Si par hasard ce mot te suivait dans ce pays si genstil, je compte sur toi pour ne pas montrer toutes ces bininulseries qui je t'assure ne pourraient que nous donner ridicule même auprès des plus bienveillants
Abords du Palais ( partie opposée de l'île )
Où gîte maintenant mon petit Reynaldo,
Roi, - seul Roi -, du do, ré, mi, fa, sol, la, si, do
Et qui ne pense pas à son petit poulain
Tandis que celui-ci lui fait ce joli dessin
( lettre sans signature )
25 Juillet 1911
Grand Hôtel Cabourg
Monsieur mon bunibuls
Je pense beaucoup à toi, et je ne t'écris pas parce que Cabourg ne me réussit pas cette année et que j'ai beaucoup asthme. Imagine-toi mon bunibuls que touts les soirs quand le soleil se couche et que je n'ai pas encore allumé l'électricité, je pense à toi dans mon petit lit avec un peu de chasgrin, et à ce moment de grosses femmes viennent jouer au loin sur la plage des valses avec des cors de chasse et des pistons jusqu'à ce qu'il fasse nuit. C'est à se jeter dans la mer de mélancolie. Je crois que tu vas vraiment être décoré et malgré et malgré, je ne peux pas dire quel plaisir bête mais ineffable cela me fera. Adieu mon genstil trop à vous dire et peux pas en ce moment.
B.
Hector* a meublé l'appartement au-dessus de sa " nouvelle " boutique qui semble du dernier confort et élégance. Recommandez cet appartement si vous avez des amis qui vont à Versailles car je crois qu'on y serait très bien et en plus servi par eux/
* Fut maître d'hôtel à l'Hôtel des Réservoirs à Versailles.
Fin juillet 1911
Cabourg
Mon petit Bunchnibuls
J'ai eu une déception bien plus grande que tu n'en as eue ( à supposer que tu aies eu une déception..)
quand je n'ai pas vu ton nom dans tous ces décorés. Bien que Maman disait toujours qu'il ne fallait croire que ses amis commençaient à avoir une petite chance qu'après l'avoir lu dans l'Officiel, on me donnait depuis un mois de si fermes assurances que je croyais, et la Veuve m'avait écrit une lettre triomphale. Si la raison pour laquelle tu n'es pas devenu l'étal de Février*( " au talent près ", comme répondit Chaix d'Est-Ange sur un ton de modestie au procureur général ) est celle que m'a dite Calmette** elle est tellement sublime que je pense que Meilhac n'eût pas hésité à en faire le ressort de sa comédie***. Il m'a dit que c'était parce que le Conseil de l'Ordre ayant demandé ton livret militaire avait vu que tu n'avais pas fait encore de période d'instruction militaire. Tu pourrais dire comme chez Decourcelles que tu as peut'être d'autres titres. Ou plutôt avec une voix que je laisse à ton choix d'être celle de Régnier, ou d'Hervieu, ou de ton neveu quand il valneycharlise****. " Mais ce qu'on demandait pour moi n'était pas la médaille militaire n'est-ce pas ". Depuis que Mme de Noailles décorée sans l'être est restée sur le carreau à cause de ce Conseil de l'Ordre qui a décoré cette année Mme Bertheroy en continuant à refuser Mme de Noailles, rien ne m'étonne et je n'aurais pas dû préparer tous les genstils compliments que je suis obligé de te rangainer jusqu'à une autre fois, avant que le Conseil n'ait donné son avis. Mais tout de même la pensée qu'entre tant de livrets ce n'est pas ton livret de LA Carmélite ou de Prométhée, ou de lÎle du Rêve qu'ils ont demandé à voir, mais ton livret... militaire ! a quelque chose de tellement comique que j'en ai fait une bien jolie chanson pour fin d'acte de La Vie Parisienne.
Ainsi l'on vit en ce Conseil illustre
Où vont généraux, préfets, ambassadeurs
( mais il faut ma jolie musique et je te la chanterai plutôt à Paris ). Adieu mon vieux bunibuls, je ne te dis pas de ne pas être fasché, car je pense qu'au contraire tu ne l'es pas assez, et j'en suis encore plus fasché.
Je t'envoie autant de bonsjours que si tu étais décoré, et j'espère que tu seras bientôt décoré, Calmette le croit et croit. Adieu mon vieux militaire. Si on n'avait pas peur de fâcher tous ces vieux hommes, il y aurait une nouvelle drôle mais ravissante à faire. Hasbouen.
B.
* Fréquente le conservatoire de musique avec Hahn, Fauré, Massenet
** " Monsieur le Procureur général, au talent près nous sommes égaux "
*** " Décoré " Meilhac et Halévy
**** terme codé entre les correspondants pour signaler l'ironie.
Août 1911
Cabourg
Tu es si faschant dans tes bensonges que tu dis que je n'ai pas une dactylographe. Alors lis donc ceci qui est joint à ma lettre. Genstil le sujet triste auquel tu fais allusion par suite d'une lettre que tu as reçue ( désastre prochain etc ) a été l'objet de correspondances que je taisais pas discrétion. Mais il faudra que j'en parle à mon Gunimels ( après des serments effroyables ). Quant à ton petit chouen je le considère comme inexistant tant que tu ne m'en as pas dit le prix et que je ne l'ai pas hascheté. J'ai la visite de quelqu'un que j'aimerais bien si vous ne le déclariez inacceptable, c'est Neuville. Je dois dire du reste qu'il m'a dit ; " Voyez-vous le vilain égoïste ! " qui étaient assez " En voilà des manières ". Je crois que je vous ai déjà fait remarquer que le substantif accolé le plus souvent à " éternel " était " cigarette ". De même savez-vous quel est l'épithète qu'on joint le plus souvent au nom de Michel Mortier, c'est " ce diable d'homme ". Il faut ajouter qu'Astruc, Frank, Samuel et Mariéton sont prétendants au même titre.
Les Plantevignes ne sont pas ici. Ils ont cette année délaissé " Cabourg pour la mer de glace "ce qui est assez Labiche - Autre mot qu'on dit souvent ( analogue à Je n'ai pas de succès avec mon thé ) " Ça a l'air bon ce que vous mangez là ". Vous m'avez envoyé Genstil une petite préface où il y avait une page ou deux pas mal, mais rien d'inouï. Mais ce que vous dites à la fin sur le chant est ce que je connais de plus beau dans aucun écrit sur l'art et enfonce rudement Les sept lampes de l'Architecture ( malgré l'analogie de pensée avec La lampe du sacrifice ) et la Métaphysique de la Musique de Shopenhauer. Il faut que cela soit publié à part. D'ailleurs cela ne fait rien que cela ait paru à l'occasion du livre de ce chanteur réfractaire et désabusé, c'en est déjà séparé et classique.
Genstil j'aurais mille choses inouïes à vous raconter, dans le sens où vous prenez ce mot, et dont la moins piquante est le Prince Constantin R... surpris en train de se faire sucer la q. par Lady P... Mais je suis trop fastiné.
J'ai vu hier Calmette à qui j'ai dit la délicatesse de votre regret, ( c'était la première fois que j'avais pu le joindre ). Désespérant de la surpasser à la minute même, il m'a demandé votre adresse actuelle pour vous dire son admirations, son affection, son espoir que vous serez prochainement décoré. Il pense que vous êtes à Brusselles. J'ai eu la honte d'avouer que j'en savais rien et que je vous croyais à Paris. Il m'a offert un verre, j'ai dit assez vulgairement que c'est moi qui aurais voulu le lui offrir, et alors sur ce ton que vous lui connaissez il m'a dit : " Cela n'a pas d'importance pourvu que nous soyons ensemble ! " Je crois au contraire qu'il déteste me rencontrer. J'ai vu Maurice de Rotschild ( et d'autres ) à un bal qu'a donné d'Alton. Je dois reconnaître après m'être élevé sur ce qu'on disait de sa folie, et, si gentil qu'il ait été avec moi, qu'il a été " impossible ". Sa femme m'a paru crispante. J'ai cru devoir faire une inclinaison à Morny qui avait amené sa fille de Trouville ( c'était à l'hôtel de Cabourg qu'était le bal de d'Alton ), comme vous m'aviez présenté à lui. Mais il m'a regardé d'un air tellement stupéfait que je n'ai pas insisté. Adieu mon vieux genstil, je ne peux pas dire que je pense souvent à toi, car tu es installé dans mon âme comme une de ses couches superposées et je ne peux pas regarder du dedans au dehors, ni recevoir une impression du dehors au dedans sans que cela ne traverse mon binchnibuls intérieur devenu translucide et poreux. Adieu mon petit chouen.
BUNCHT
Miss Teyte chante régulièrement au Casino mais j'ai toujours été trop malade pour aller l'entendre.
" A ce titre " elle a paru au bal de d'Alton entre les Noailles et les Bauffremont.
Concours de choses valant de l'or pour la souffrance qu'elles causent aux dents et qui est égal à une aurification. Présidé par le critique musical du Journal...
1° Les interviews où on appelle Michel Mortier " ce diable d'homme ".
2° Ceux où après avoir nommé le vicomte de Breya on ajoute entre guillemets " le roi des impressarios "/ connaissancedesarts.com
3° Quand on félicite le Directeur de la Scala d'avoir réuni " l'hilarant Dranem, l'excentrique Sinoël, la talentueuse de Lilo ".
* Mortier créé le théâtre Michel - Astruc journaliste présente les " Ballets russes en 1909 " - Samuel ( Louveau ) dirige le théâtre des Variétés - Mariéton s'occupe du théâtre antique d'Orange.
Été 1911
Cabourg
Mon Bugniguls
J'ai été tellement genstil tous ces jours-ci et toujours levé avant 8 heures ( bensonge ) que je suis fasché que tu n'es pas venu, et bien content que tu ne viendras pas ( bérité ). Travaille bien mon enfant et sois gentil avec Zadig. Mais n'invente pas de chanster Zadig, digue, digue, digue, comme tu chanstais la Chandelle, delle, delle, delle d'une façon tellement atacante pour ton cher Buncht.
Je ne vois plus rien à te dire et je te donne bonsjour.
B.
J'ai hescrit que l'on t'envoie la rançon de ton chouen.
J'écris un opuscule
Par qui Bourget descend
Et Boylesves recule.*
Je vais te faire tout recopier en plus net pour que tu es plus gentillesse. Mais si après tu le trouves vilain, ce n'aura plus été peine et peine.
* le livre qu'écrit proust à ce moment " la recherche du temps perdu ".
Lettre à Zadig
Mon cher Zadig
Je t'aime beaucoup parce que tu as beauscoup de chasgrin et d'amour par même que moi ; et tu ne pouvais pas trouver mieux dans le monde entier. Mais je ne suis pas jaloux qu'il est plus avec toi parce que c'est juste et que tu es plus malheureux et plus aimant. Voici comment je le sais mon genstil chouen. Quand j'étais petit et que j'avais du chagrin pour quitter Maman, ou pour partir en voyage, ou pour me coucher, ou pour une jeune fille que j'aimais, j'étais plus malheureux qu'aujourd'hui d'abord parce que comme toi je n'étais pas libre comme je le suis aujourd'hui d'aller distraire mon chagrin et que j'étais renfermé avec lui, mais aussi parce que j'étais attaché aussi dans ma tête où je n'avais aucune idée, aucun souvenir de lecture, aucun projet où m'échapper. Et tu es ainsi Zadig, Tu n'as jamais fait lectures et tu n'as pas d'idée. Et tu dois être bien malheureux quand tu es triste. Mais sache mon petit Zadig ceci, qu'une espèce de petit chouen que je suis dans ton genre, te dit et dit car il a été homme et toi pas. Cette intelligence ne nous sert qu'à remplacer ces impressions qui te font aimer et souffrir, par des facsimilés affaiblis qui font moins de chagrin et donnent moins de tendresse. Dans les rares moments où je retrouve toute ma tendresse, toute ma souffrance, c'est que je n'ai plus senti d'après ces fausses idées, mais d'après quelque chose qui est semblable en toi et en moi mon petit chouen. Et cela me semble tellement supérieur au reste qu'il n'y a que quand je suis redevenu chien, un pauvre Zadig comme toi que je me mets à écrire et il n'y a que les livres écrits ainsi que j'aime. Celui qui porte ton nom, mon vieux Zadig n'est pas du tout comme cela. C'est une petite dispute entre ton maître qui est aussi le mien et moi. Mais toi tu n'auras pas de querelles avec lui car tu ne penses pas. Cher Zadig nous sommes vieux et souffrants tous deux. Mais j'aimerais bien aller souvent te faire visite pour que tu me rapproches de ton petit maître au lieu de m'en séparer. Je t'embrasse de tout mon coeur et je vais envoyer à ton ami Reynaldo ta petite rançon. Ton ami
BUNCHT
Fin octobre 1911
Pardon mon petit Reynaldo de t'avoir télégraphié, cela s'est croisé avec ta dépêche ; pourvu que tu n'aies pas cru que c'était une réponse. Si tu penses à ton Buninuls il faut que ce ne soit pas une causes d'hasgition mais de paix.
Je t'écris dans très moschante crise. - J'ai reçu une lettre de Peter pour m'annoncer son mariage et qui m'a beaucoup ému car elle était dans la ligne et le prolongement de certaines gentillesses qu'il a eues à Versailles et que cela m'a rappellées. Mais j'ai peur qu'une fois marié, sa femme ne prenne ombrage de Mme Dansart, que lui-même ne s'éloigne d'elle et que celle-ci ne se tue. J'ai tâché de lui glisser quelques conseils dans ma réponse qui sans doute me brouillera avec lui, avec sa femme et avec Mme Dansart.
Je t'ai écrit trois lettres sur ton petit article Favart ( assez boschant mais beaucoup moins que certains, peu caractéristique ) Mais j'ai dû les laisser ici.
Je pense que l'album Mariani t'a comme d'habitude abusé, notamment Mme Poirson. Je pense en effet que le vin Mariani rajeunit extrêmement ceux qui le boivent car Mme Poirson a trente ans et Jules Roche l'air de débuter dans Perdican. S'ils me demandaient ma photographie, si je n'étais pas hinsconnu, je ne leur écrirais pas " je bois du vin Mariani et je suis fort, gai, jeune et bien portant " comme tous font. Mais je leur écrirais : " Je suis faible, triste, vieux et malade, mais rassurez-vous je n'ai jamais bu de vin Mariani. " Je pense que si vous avez eu le temps de le lire la lecture sur Mme de la Popelinière par votre immonde Ségur* a dû vous hasmuser. Et elle est très abusante. Mais la vulgarité et la sottise du narrateur excèdent. Si les Rotschild sont les seuls gens qui ne savent pas prononcer le français, les aristocrates sont les seuls qui ne peuvent ni le parler ni l'écrire. Ségur dit : " Dans cette histoire il y a du sang et de la volupté selon la belle formule etc. " Puisque vous me chicanez Alexandre de Neufville et me refusez l'échange de la Blumenthal, du moins ne me déniez plus Ségur qui a l'air d'un sacristain qui vient de boire du vin chaud et qui était bien gauche à promener cette tigresse en chaleur ( Mme de la Pope ) Adieu je suis fastiné pour continuer mes petites bininulseries.
BUNCHT
Respects à Zadig.
L'équivalence intellectuelle de l'extrême culture et de l'extrême inculture chez les gens du monde est comprise dans cette double " formule ".
Ctsse G. de L. Rd * " Mais, mais savez-vous que c'est un petit chef-d'oeuvre que Candide ! "
La Gunzburg " Vadig ? quel drôle de nom. "
* Madame Favart musique Offenbach - L'auteur-historien Pierre de Ségur. - La comtesse Gabrielle de la Rochefoucauld.
Début novembre 1911
Petit Bi gni guls
Je remercie beaucoup. Je ne vous hensvoie pas harsgent parce que ne sais pas et pas et me direz et hensverrai aussitôt prix et prix*.
J'ai été malade pais plus pas trop mal et brouillard.
Traboulez genstiment et traboulez à vos petites danses pour que Rypris s'y plaît Bensonges.
A bientôt mais ne vous désrangez donc pas. Vous êtes trop buncht pour Bir ni guls.
Hasdieu hasdieu
( sans signature ) *
* prix du petit chien
Fin décembre 1911
Mon petit Guminuls
Trop genstil et faschant de te dire que j'ai changé toutes mes heures de fond en comble et que moschant asthme va les rebouler. Le jour que je t'ai téléphoné je suis allé à 1h 1/2 avec Lucien Henraux ( oui mon genstil, il faut me pardonner mes défauts, mon goût des spécialistes de métiers que consulte mon intelligence et que je préfère aux intellectuels ignorants et raffinés pour qui mon cher Guncht a de l'indulgence) à l'Exposition Chinoise.
Là nous avons rencontré, vieilli, méconnaissable sous le chapeau, ressemblant à Claude Anet, attaqué, durci et roux comme un morceau de miel qui aurait fondu sans symétrie, presque renfrogné ( tant qu'il ne nous a pas vu ), enfin très bien, très amélioré, Rodier*. A peine m'a-t-il en vue qu'il a commencé à cracher des boutons de rose mais enfin très gentil tout de même. Je lui ai présenté Henraux et pour simplifier ma tâche lui ai dit que c'était le neveu de Placci sans songer que le nom de Placci, par ses affinités chimiques devait nécessairement comme dans une expérience de laboratoire porter à l'extrême l'effervescence inutile de Rodier. Mais Henraux n'ayant plus à dire qu'il était le neveu de Placci, ce qui lui donne l'air d'avoir de la conversation, n'avait plus rien à dire du tout. Il est vrai que Rodier parlait pour lui, pour moi, pour Mme Langweil, pour les Ming, les Song, les Samouraï etc etc. Avec la persistance entêtée et égoïste de mon instinct d'animal, j'ai compris ( je crois que je vous l'avais dit, en tous cas je lui ai dit que je vous l'avais dit ) que c'était lui qui me dirait ce que vous ne m'avez pas dit ( Paquin, Madrazzo etc ). Au premier mot que j'ai dit d'un chapeau noir de Clomenil, il m'a dit " je crois bien un chapeau à la Rembrandt ", " bref " je nageais dans la joie. Sans me garder rancune de mes promesses d'antan il m'a demandé d'aller chez lui, il va composer des toilettes etc. Il m'a dit qu'il était amoureux... d'un paravent ; mais il ne s'agissait pas de la Bnne d'Houdemare. Au fond je regrette de lui avoir parlé de cela à cause de Laure Hayman etc et Guncht ayant gardé mes photographies je ne puis les lui soumettre. Il m'a parlé de Cocteau, j'ai vu qu'il le connaissait beaucoup. Mais il a ajouté ce qui aurait été d'un comique assez triste s'il l'avait senti : " Mais ce que je crains pour lui c'est le monde, il va trop dans le monde, s'il va dans le monde il est perdu." Mais j'ai vu qu'il ne disait pas cela comme un mondain déplore la raison de sa propre faiblesse, mais comme un solitaire qui donne la recette de ses vertus. J'ai lu votre article sur Couperin. Même là où l'auteur ne peut pas citer plus que Guardi, Canaletto et Longhi, immédiatement vous nous ébouriffez avec q.q.'un dont je ne me rappelle même pas le nom. Quant à celui sur Bérénice nice nice il n'a pas paru le jour même et depuis Nicolas
n'a pas pris à temps, mais les a commandés et j'espère l'avoir. Les amours ( réels ) de Mme de Bonnières et de Francis Legrand ont l'air d'une histoire mythologique inventée après-coup autour de la naissance d'Albéric ( Mme de Bonnières qui était allée habiter exprès dans la maison de d'Indy ). J'ai bien fait de ne pas vous associer à ma vaste spéculation, car ce qu'il en subsiste de vaste, ce sont des pertes énormes par lesquelles elle se solde. Je voudrais bien que Méduse ait succès et. Ça doit être bien josli ( Peter qui en a entendu des fragments m'a dit que et que dans une lettre dont la gentillesse m'a renversé. Est-ce sincère ? Sur Méduse oui, mais sur moi. ) Je me dis que j'aurais passé une partie de ma vie près de Buninuls, tout le monde persuadé que je l'entends chanter sans cesse, et aussi étranger à son oeuvre qu'Auguste et Léon. A propos de Méduse je pense à un mot de Goncourt qui moins que d'autres mais aussi prouve combien il a ignoré son véritable don qui était le comique : " Hier chez Daudet vient Loti l'auteur du charmant Mariage de Loti, un marin timide et qui à une question que Daudet lui jette s'il a eu déjà des marins dans sa famille répond d'une voix douce et comme une chose toute naturelle : " Oui mon grand'père qui a été mangé sur le Radeau de la Méduse. " Ce n'est pas du reste que pour les vivants qu'il est rosse car disant que les adieux de Mme Arnoux et de Frédéric sont ce que Flaubert a fait de mieux, se met à débiner cette scène puis il ajoute : " N'importe il faut confesser qu'il y a dans cette scène une délicatesse surprenante pour ceux qui ont connu l'auteur. " Comme équivoques involontaires : " Loti vient à la répétition ( de Germinie ) très excité par Germinie ( déjà nom malheureux ) par tout cet enfiévré de la vie de coulisses qu'il ne connaît pas et se frotte un peu à toutes les femmes et à tous les hommes. " Et ceci : " Une vraie fin pour un roman scaronesque cette mort de Gibert tombant d'une terrasse de café en jetant des confettis, bien la fin de ce qu'il était une queue rouge. "
Te souviens-tu genstil qu'il y avait rue de Courcelles un dessin d'Henry Monnier représentant un docteur à cravate blanche avec une ligne à la plume en-dessous. C'est Caran d'Ache je crois qui l'avait donné à Papa. Peux-tu me dire si tu l'as revu ou non Bd Hausmann, je ne peux plus le retrouver.
Je t'embrasse assez fasché
- Uninuls.
Veux-tu sans faute me renboyer cette lettre où il y a de quoi me faire paraître immonde à tout l'univers.
* anet-schopfer, auteur et tennisman - rodier habitué du salon lemaire - cloménil courtisane - laure heyman fut le modèlede proust pour odette