vendredi 30 décembre 2011

Muse Joseph O'Connor ( roman Irlande )


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                                                     Muse                                                                       

                         - C'était en 1907 à Dublin, un poète irlandais lui aussi, Yeats, présente une jeune comédienne Marie O'Neill au poète dramaturge John Millington Synge. Elle joue au théâtre Abbey de Dublin. Elle a 19 ans est catholique, sa famille est modeste, il est riche, protestant et a 37 ans, devient le pygmalion de la jeune fille Molly Allgood, son nom de famille. Leur relation dure deux ans ( il meurt en 1909 ). Quelle Fut-elle ? Secrète, discrète, absolument refusée par les comédiens comme par les familles. Malade, vivement critiqué pour les idées qu'il impose dans sa célèbre pièce Le Balladin du Monde Occidental, ils se séparent. Joseph O'Connor décrit ici 24 heures de la vie d'une comédienne déchue et alcoolique un demi-siècle plus tard, dans un Londres d'après-guerre, immeubles en ruines aux fenêtres murées. Ce matin d'octobre 1952 " la nuit dernière une tornade a frappé Londres ". Un rêve éveille des souvenirs éloignés et Molly à 6h 43 ce matin-là remonte le fil de sa rencontre, de sa liaison avec Synge. Il écrivit 400 lettres à celle qu'il appelait " Mon enchanteresse ". Il lui en reste une qu'elle vendra peut-être au vieux libraire, pour se nourrir ou pour du cognac. Et elle interpelle, croyant apercevoir la silhouette de son " cher vagabond ". Ont-ils parcouru le Connemara ou les falaises des bords de mer, O'Connor précise qu'il s'agit d'une oeuvre d'imagination, mais il vécut à quelque cent mètres de la maison de la mère de Synge si dure. L' amour, le petit monde théâtral, les landes, le livre et son histoire nous enrobent. La langue propre à la famille de Molly puis celle policée et poétique de la famille Synge sont parfaitement retransmises. Suivre l'histoire douloureuse de ces deux êtres, ne pas oublier les petites supperstitions " quand un théâtre est fermé il faudrait toujours laisser une lampe allumée sur scène afin que les fantômes puissent jouer leurs propres pièces." Elle a 65 ans, est affamée, un peu ivre et sort pour un ultime enregistrement à la BBC, " on n'annule jamais une représentation ". Un très beau roman.

mardi 27 décembre 2011

La République et les lois Platon ( extrait )

La Démocratie

- Sous la plume de Platon 4 è sc avant notre ère. Lecture au XXI è sc.

          Dès qu'un État devenu démocratique, brûlant de la soif de liberté, a trouvé dans ses magistrats des échansons imprudents, qui lui ont versé toute pure la liqueur fatale dont il s'est enivré alors, s'ils ne sont pas toujours faibles, s'ils n'offrent pas au peuple la pleine coupe, le peuple les accuse et les châtie comme des traîtres qui aspirent à la gouverner. Ose-t-on leur obéir encore, on est méprisé comme un ami de la servitude dont le sort est de ramper sous un maître. Il faut s'assimiler partout à des inférieurs, rivaliser avec des supérieurs pour être loué, pour être honoré. Est-il possible qu'une telle république ne se précipite pas dans toutes les folies de l'indépendance ? Je vois déjà l'intérieur des familles en proie à cette insolente égalité. Tout jusqu'aux animaux semble respirer l'anarchie. Déjà le père s'accoutume à regarder et à respecter son fils comme un égal ; le fils à ne plus l'honorer ni le craindre pour dire : "Je suis libre ", les anciens et les nouveaux venus à confondre tous les droits ; les étrangers même à s'égaler aux citoyens. Mais descendons jusqu'aux moindres rapports de la société : voilà le précepteur qui craint et flatte son disciple et le disciple qui méprise son gouverneur et son maître ; voilà les jeunes gens qui marchent de pair avec les vieillards, qui agissent, qui parlent comme eux, et les vieillards qui redevenus jeunes affectent les grâces et la frivolité toujours en garde contre un air morose et despotique. Enfin ce qui me semble le dernier excès de la liberté dans tous les rangs, les esclaves des deux sexes ne sont pas moins libres que celui qui les achète, car les femmes aussi veulent être libres ; l'égalité est aussi pour les femmes. Je l'avais presque oublié.

dimanche 25 décembre 2011

Le vilain ânier ( fabelet )

          Le vilain ânier

          Il arriva à Montpellier qu'un vilain avait l'habitude de ramasser, avec deux ânes, du fumier pour fumer sa terre. Un jour, ayant chargé ses bêtes, il entre bientôt dans la ville, poussant devant lui les deux ânes, souvent contraint de crier : " Hue ! " Il arrive enfin dans la rue où sont les marchands épiciers : les garçons battent les mortiers. Mais sitôt qu'il sent les épices, lui donnât-on cent marcs d'argent qu'il n'avancerait plus d'un pas. Il tombe aussitôt évanoui, si bien qu'on peut le croire mort. A cette vue, on se désole ; des gens disent : " Mon Dieu, pitié ! Voyez ici cet homme mort. " Mais aucun n'en sait le pourquoi. Les ânes restent arrêtés bien tranquillement dans la rue ; car l'âne n'a guère coutume d'avancer qu'on ne l'y invite. Un brave homme du voisinage, s'étant trouvé là par hasard, vient et demande aux gens qu'il voit : " Qui veut faire guérir cet homme  ? Je m'en chargerais pour pas cher. " Alors un bourgeois lui répond : " Guérissez-le-moi tout de suite ; vous aurez vingt sous de ma poche " ; et l'autre dit : " Bien volontiers ! " Avec la fourche que portait le vilain en poussant ses ânes, il prend un paquet de fumier et va le lui porter au nez . Humant le parfum du fumier, l'homme oublie l'odeur des épices : il ouvre les yeux et se dit tout à fait guéri ; et, bien content, de déclarer : " Je n'irai plus jamais par là, si j'arrive à passer ailleurs. "
Je veux montrer par cet exemple que n'a ni bon sens ni mesure qui veut renier sa nature ; chacun doit rester ce qu'il est.


                       MR



jeudi 22 décembre 2011

L'Etranger Charles Baudelaire extrait du Spleen de Paris Petits Poèmes en prose

  1. En 1862 Charles Baudelaire a déjà publié la 2è édition des Fleurs du mal, par ailleurs il a lu Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand , qui lui plaît énormément. Il décide alors une autre approche de l'écritu-
re et écrit à Arsène Houssaye "...qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime..." L'Etranger paraît donc parmi 14 autres Petits Poèmes en prose dans la Presse, les 26 et 27 août. Mis en musique, Léo Ferré chante ce merveilleux texte.


          L'Etranger

          - Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ?

          - Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.

          - Tes amis ?

          - Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.

          - Ta patrie ?

          - J'ignore sous quelle latitude elle est située.

          - La beauté ?

          - Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.

          - L'or ?

          - Je le hais comme vous haïssez Dieu.

          - Eh ! qu'aimes-tu donc , extraordinaire étranger ?

          - J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... les merveilleux nuages !


          CB


http://www.youtube.com/watch?v=g5DwhD3ZOu4

dimanche 18 décembre 2011

Brunain la vache au prêtre de Jean Bodel ( France )

Les contes appelés fabelets, fableaux enfin fabliaux apparaissent aux environs du 12è siècle. Petites
scènes, comédies en vers et en prose. Voici l'un d'eux extrait d'un recueil de fabliaux.

          C'est d'un vilain et de sa femme que je veux vous conter l'histoire. Pour la fête de Notre-Dame, ils allaient prier à l'église. Avant de commencer l'office, le curé vint faire son prône ; il dit qu'il était profitable de donner pour l'amour de Dieu et que Dieu au double rendait à qui le faisait de bon coeur.
" Entends-tu ce que dit le prêtre ? fait à sa femme le vilain. Qui pour Dieu donne de bon coeur recevra
de Dieu deux fois plus. Nous ne pourrions mieux employer notre vache, si bon te semble, que de la donner au curé. Elle a d'ailleurs si peu de lait. - Oui, sire, je veux bien qu'il l'ait, dit-elle, de cette façon." Ils regagnent donc leur maison, et sans en dire davantage. Le vilain va dans son étable ; prenant
la vache par la corde, il la présente à son curé. Le prêtre était fin et madré : " Beau sire, dit l'autre,
mains jointes, pour Dieu je vous donne Blérain. " Il lui a mis la corde au poing, et jure qu'elle n'est plus
sienne. " Ami, tu viens d'agir en sage, répond le curé dom Constant qui toujours est d'humeur à prendre ;
si tous mes paroissiens étaient aussi avisés que tu l'es, j'aurais du bétail à plenté. " Le vilain prend congé du prêtre qui commande, sans plus tarder, qu'on fasse, pour l'accoutumer, lier la bête du vilain
avec Brunain, sa propre vache. Le curé les mène en son clos, les laisse attachées l'une à l'autre. La vache du prêtre se baisse, car elle voulait pâturer. Mais Blérain ne veut l'endurer et tire la corde si fort qu'elle entraîne l'autre dehors et la mène tant par maisons, par chenevières et par prés qu'elle revient enfin chez elle, avec la vache du curé. Le vilain regarde, la voit ; il en a grande joie au coeur. " Ah !
dit-il alors, chère soeur, il est vrai que Dieu donne au double. Blérain revient avec une autre : c'est
une belle vache brune. Nous en avons donc deux pour une. Notre étable sera petite ! "
          Ce fabliau veut nous montrer que fol est qui ne se résigne. Le bien est à qui Dieu le donne et
non à celui qui l'enfouit. Nul ne doublera son avoir sans grande chance, pour le moins. C'est par chance que le vilain eut deux vaches, et le prêtre aucune. Tel croit avancer qui recule.

          Jean Bodel