vendredi 31 janvier 2014

Reflex Maud Mayeras ( roman policier France )



                                               Reflex


            Qui de Diane et d'Iris hait le plus l'autre ? La mère la fille, l'inverse ? Une histoire sans tendresse, malgré l'amour du père amoureux des fleurs de son jardin, semble-t-il à la lecture de ce fort volume. Ce jour-là Iris retrouve la maison de son enfance et plus même. Six ans plus tôt elle a fui après la disparition de son enfant. Sa mère seule reconnut, dit-elle, malgré les dommages subis son petit fils. Iris photographe entrée dans la police saisit le maximum de détails sur les scènes de crimes, de suicide, de mort suspecte. Ce jour-là pourtant son lieutenant ne voulait pas d'elle sur la scène du nouveau drame. Disparition d'un nouvel enfant, découverte de corps, comme les précédents dépouillé d'un morceau de peau long, fin. D'un chapitre l'autre zoom arrière, et l'auteur nous apprend très vite qui est criminel. " Fantasmer sur sa propre mère, c'est une chose.... " L'enfant trop aimé d'une mère repoussée pour faute inavouable à 12 ans, quel être étrange se cachera derrière l'adulte adorateur des reliques de sa mère, un enfant fragile malmené, ses os friables si souvent cassés, la mère l'aimait-elle vraiment ? Le journaliste n'ignore rien, enquêteur têtu il a, silencieux jusqu'aux dernières pages poussé ses pions. Il y a donc Henry mais aussi Jackie. Dès le début le lecteur sent monter l'adrénaline, tourner les pages du roman, des chapitres courts, scènes et personnages très dépeints. Une fin inattendue, après des dizaines d'assassinats. Un policier réussi.


mercredi 29 janvier 2014

Correspondance Proust Reynaldo Hahn 3 ( lettres France - sélection - )













iha.fr
                                                   Lettre 
                                                                           
                                                 Établissement Thermal et Casino
                                      Mont-Dore ( Puy-de-Dôme )
                                                                                                             Août 1896

            Mon cher petit Reynaldo
            Si je ne vous télégraphie c'est pour éviter si vous êtes parti qu'on ne décachette ma dépêche. Et pourtant je voudrais bien que vous le sachiez tout de suite. Pardonnez-moi si vous m'en voulez, moi je ne vous en veux pas. Pardonnez-moi si je vous fais de la peine, et à l'avenir ne me dites plus rien puisque cela vous agite. Jamais vous ne trouverez un confesseur plus tendre, plus compréhensif ( hélas ! ) et moins humiliant, puisque, si vous ne lui aviez demandé le silence comme il vous a demandé l'aveu, ce serait plutôt votre coeur le confessionnal et lui le pêcheur, tant il est aussi faible, plus faible que vous. N'importe et pardon d'avoir ajouté par égoïsme comme vous dites aux douleurs de la vie. Et comment cela ne serait-il pas arrivé ? Il serait peut-être grand, il ne serait pas naturel de vivre à notre âge comme Tolstoï le demande. Mais de la substitution qu'il faudrait faire ici, du petit détour pour rentrer enfin dans la vie, je ne puis vous parler, car je sais que vous ne l'aimez pas et que mes paroles seraient mal écoutées. Ne craignez nullement de m'avoir fait de la peine. D'abord ce serait trop naturel. A tous moments de notre vie nous sommes les descendants de nous-mêmes et l'atavisme qui pèse sur nous c'est notre passé, conservé par l'habitude. Aussi la récolte n'est pas tout à fait heureuse quand les semailles n'ont pas été tt à ft pures de mauvais grains. " Le raisin que nos pères mangeaient était vert et nos dents en sont agacées " dit l'Ecriture. Mais d'ailleurs je ne suis nullement agité. Ou plutôt je me trompe. Je suis un peu agité de ce qui arrivera à Chicot et je voudrais que s'il doit mourir, le roi sût au moins tout ce qu'il a fait pour lui *. Si j'avais des peines, elles seraient effacées par le plaisir qu'a pour le moment Bussy. Et plaisirs ou peines ne me paraîtraient pas beaucoup plus réels que celles du livre, dont je prends mon parti. Je n'ai donc nul trouble, une extrême tendresse pour mon chéri seulement à qui je pense comme je disais quand j'étais petit de ma bonne, pas seulement de tout mon coeur, mais de tout moi. La gentille Mlle Suzette m'a écrit l'autre jour une charmante lettre et comme on dit d'un grand intérêt. Mais comme elle aime à être plainte. Elle vous disait qu'elle ne vous avait pas laissé voir son chagrin, mais elle m'écrit qu'elle vous dissimule sa détresse. Il y a trop d'artifice dans tout cela. On voudrait qu'elle relise La mort du loup de Vigny
                                                  Prier, crier, gémir est également lâche        
                                                     ... Souffre et meurs sans parler
            ( Ce n'est pas très exactement cité ). Je reconnais que c'est d'une sagesse stoïque qui n'est pas très bonne au fond pour personne mais surtout qu'on ne peut exiger d'une jeune fille, excepté dans Corneille. Mais vraiment que dites-vous de ce truc de vous dire qu'elle me cache son chagrin et vice-versa. Elle me fait l'effet d'une personne qui tournerait le dos pour qu'on ne voit pas qu'elle pleure, mais après qu'elle se serait assurée qu'on l'apercevra dans la glace. Calcul habile qui fait qu'elle sera à la fois plainte pour sa douleur, et admirée pour son héroïsme. Elle n'a pas l'âme si vilaine et tout cela est sans doute sans grand calcul, et j'espère, naturel. Mais il faut avouer que chez elle le naturel est parfois bien affecté. Tout cela revient aux scènes de théâtre :
            " Qu'avez-vous, ma mère ? - Moi, rien, un instant de faiblesse... la trop grande chaleur... ces roses, mais mon fils vous voyez bien que je ne me suis jamais si bien portée, que je n'ai rien, rien, rien
et elle tombe morte, au moins... ou
            que je je n'ai jamais été si gaie d'une gaîté, d'une gaîté "
et elle fond en sanglots. Gardons-nous mon chéri de ne plaindre la douleur que sous les formes qui nous sont le plus sympathiques et qui nous gênent d'ailleurs le moins, mais n'imitons jamais l'appareil théâtral ou les démonstrations artificielles de peines souvent imaginaires. Je ne vous ai pas télégraphié que je revenais demain de peur de vous empêcher d'aller à Villers. J'ai d'autant mieux fait que je vais peut-être persister malgré le découragement de Maman qui veut absolument me ramener. Nous accusions à tort ce traitement. La cause est que partout ici on fait les foins. Vous connaissez trop la Sévigné pour ne pas savoir ce que c'est que le fanage. C'est une jolie chose mais qui me fait mal. Il y avait ici Mme Conneau avec qui j'ai été invité à dîner chez un Dr Shlemmer à qui Hillemacher a dédié une mélodie et qui a appris l'harmonie. Je me méfie mais il est bien intelligent. Ce n'est pas lui qui me soigne. Je suis au milieu du second volume de la Dame de Montsoreau et j'avance, mais plus lentement, dans les Confessions de Rousseau. Aujourd'hui je suis tout musique, et j'aimerais vous entendre me chanter
                                                              Des Saints l'invisible main,
et bien d'autres choses.
            Vous avez dû recevoir 3 Plaisirs et les Jours, un pour vous ( qui n'est pas un cadeau ) j'ai dit à Calmann de vous l'envoyer à ses frais, un pour votre soeur Elisa, et un pour votre cousine. J'ai travaillé un petit peu ces jours-ci. Je n'ai rien décidé pour mes 28 jours. Dîtes-moi dans votre prochaine lettre si, d'après ce que je vous ai dit, vous acceptez ou non d'être délié des petits serments, et si en septembre vous iriez volontiers en Suisse ou ailleurs. Sans cela même sans 28 jours j'irai peut-être passer à Versailles le mois de septembre, pas à cause de vous, de sorte que cela ne vous lie en rien. Que de pages ! et je ne vous ai pas encore parler du petit Baudelaire. Ce sera pour la prochaine fois. Et avez-vous reçu l'appendice de Mme de Sévigné avec les fac-similé ?
 
krapooarboricole.wordpress.com      Je vous embrasse tendrement et vos soeurs, sauf celle dont le mari est jaloux. Moi qui ne le suis plus, mais qui l'ai été je respecte les jaloux et je ne veux pas leur causer l'ombre d'un ennui, ou leur faire le soupçon d'un secret.

                                                                        Marcel

* Dumas La Dame de Montsoreau



                                                                                                                                                             pileface.com                                                                                                                                        Août 1896

            Mon cher petit,
            Je suis revenu parce que j'étais malade, seulement je ne vous l'ai pas écrit pour ne pas vous agiter. J'ai simplement eu un gros rhume mais avec fièvre etc et je suis resté encore hier couché jusqu'à 4 h. Aujourd'hui je vais bien et je veux tout de suite vous remercier de votre lettre. Je ne sais pas pourquoi vous dites qu'elle n'est pas bien. Elle m'a fait bien plaisir à lire. La mienne a été bien mal comprise. Je ne sais pas ce qui a pu vous fre croire que je mettais en doute la sincérité de votre ton. Oh mon cher petit je frémis à la pensée que vous ayez pu le croire. Sachez que pour moi, cette tristesse de vous, ce n'est pas seulement la sombre beauté de votre caractère, c'est l'étiage de votre profondeur non seulement morale mais encore intellectuelle, le génie ( je le prends dans le sens ancien de sorte que pour une fois votre modestie n'a pas à se montrer, car elle se montrerait mal instruite ) de votre musique, le lest de plaisir qu'il faut jeter pour s'élever à une grande hauteur. C'est le degré où vous êtes monté et d'où vous redescendrez infailliblement si vous y renoncez, comme ces gens qui eussent pu être de grands hommes si ... " Tu Marcellus eris " mais au contraire que vous dépasserez si ( mots barrés )... du noble repentir d'une vie imparfaite vous vous élevez à la sereine, non ce n'est pas à moi à dire ces choses-là                
            Vous me dîtes, avec cette élégance rapide que j'admire dans vos lettres à l'égard des " traits " les plus " frappants " du 17è siècle : - Dîtes-moi ce que j'en pense - Voilà qui est bien au-dessus des vers de Mallarmé ( et ce que je dis est moins bête que ce n'en a l'air car c'est du même temps ) ce ne serait pas assez de vous dire comme le Chevier de Méré *  : " Vous m'écrivez de temps en temps de ces lettres qu'on lit agréablement et surtout quand on a le goût bon ; mais elles coûtent toujours beaucoup et je ne crois pas qu'on en puisse faire plus de deux en un jour. Balzac** me dit une fois qu'avant que d'être content d'un certain billet au Maire d'Angoulême il y avait passé plus de quatre matinées. Je ne trouve pourtant rien dans ce billet ni de beau ni de rare etc etc etc. " Pour                                                                                                                  
Mallarmé, s'il est toujours pédant d'expliquer un charme et surtout poétique cette prétention deviendrait ridicule appliquée à un quatrain tt de circonstance, et à une de ces poésies qu'on nomme fugitives, sans doute pour marquer qu'elles fuient en quelque sorte l'esprit assez audacieux pour essayer de les retenir et de les analyser. Pourtant puisque cela amuse mon petit Kunst de me voir patauger et puisque il s'intéresse à tout ce qui vient de Mallarmé, je lui dirai, de ce poète en général, que ces images obscures et brillantes sont sans doute encore les images des choses, puisque nous ne saurions rien imaginer d'autre, mais reflétées pour ainsi dire dans le miroir sombre et poli du marbre noir.. Ainsi dans un grand enterrement par un beau jour les fleurs et le soleil brillent à l'envers et en noir au miroitement du noir. C'est pourtant toujours le " même " printemps qui " s'allume " mais c'est un printemps dans un catafalque
- Pour la petite pièce en particulier que je prie Jean d'aller chercher dans sa retraite et de mettre dans cette lettre après l'avoir fait recommander, son charme me semble consister comme pour beaucoup de choses de Mallarmé, en ceci : passer, sous couleur d'archaïsme ( et comme de Malherbe et de Voiture, ou plutôt de Malherbe à Desportes ) d'une forme classique inflexible et pure, presque nue à la plus folle préciosité. Les deux premiers vers sont splendides de simplicité. J'ajouterai que, comme valeur intrinsèque, cette simplicité nue évoque admirablement les grandes lignes de l'été. Mais le Méry si 16è et 17è siècle, la couleur fin du 16è et commencement du 17è de ces vers                                          " l'an pareil en sa course " etc aussi bien par la mythologie du temps la pompe etc  que par la langue, sont un charmant artifice                                            du goût pour les porter comme au  voisinage de la préciosité. Comme au fond
  guez de balzac          cette préciosité est tt à ft moderne, sinon du Mallarmé, au 16è siècle, cet artifice en rendant la transition acceptable, ne la laisse pas moins très piquante. Ajoutez que dans la préciosité les images restent d'une sincérité, d'un naturel exquis ( je veux dire empruntées à la nature ) . Ce pied " altéré "
qui va boire comme une plante nous donne merveilleust  l'idée de ces êtres obscurs que sont nos organes et qui paraissent en effet vivre d'une vie particulière mais obscure ( je suis si fatigué que les mots se répètent et je ne sais plus ce que je dis ) ce pied boit comme une racine et en effet après cela ne se sent-il pas heureux et comme désaltéré. De même le pied fêté par l'eau est délicieux, l'eau a si bien l'air d'être en fête avec ses mille petites ondes troublées qui viennent murmurer des caresses étincelantes aux pieds de la beauté qui les foule. Enfin c'est un grand plaisir que de trouver tant d'archaïsme, de grandeur, de mythologie, de goût, et de nature dans une sorte de court billet familier. C'est là " en dernière analyse " qu'est le charme. C'est du reste le charme de Mallarmé, et le rôle du poète, de solemniser la vie. - Ouf !... Je n'ai jamais eu l'air de croire, mon cher petit que nous ne sortions pas triomphants de nos petites épreuves. Et du reste ce n'est pas du tout comme vous dîtes l'opinion ancienne et générale qu'on ne le peut. Car pour les personnes d'élite, les penseurs, les saints etc il est trop clair qu'ils croient qu'on peut ce qu'on vaut, ou plutôt qu'on veut ou plutôt ce qu'on peut. C'est à dire que notre volonté, notre pouvoir sur nous donne la mesure de notre valeur. Resterait donc le vulgaire. Mais précisément sur ce sujet il me semble croire aussi à la liberté. C'est ce qu'implique son extrême sévérité pour ces fautes, que sans doute il blâmerait moins s'il les croyait inévitables. D'ailleurs il me semble que ce n'est pas un problème à part. Le problème de la liberté n'est pas à recommencer pour chaque ordre d'actes en particulier. Je vous embrasse et vous demande pardon de cette assommante lettre. J'ai tant de lettres en retard mais j'ai voulu commencer par vous. J'ai des petites choses à vous raconter. Mais je suis trop fatigué. Ce sera pour une autre fois. Aujourd'hui vous n'aurez eu que de l'ennuyeux. Restez longtemps à Villers pour prendre des forces pour St Cloud. J'approuve beaucoup ce plan d'été ce dont d'ailleurs vs vs moquez. Je ne crois pas que je l'imiterai, malgré que maman soit assez encline à cela ( pas à Villers, à St Cloud ). Dîtes bien des choses, particulièrement à Mlle Marie et généralement à vos soeurs, puisque vous avez le bonheur d'être au milieu d'elles, comme Apollon parmi les Grâces.                                                                                                                                                       


                             Marcel

*   Antoine Gombaud - Méré  Blaise Pascal entretinrent une correspondance
** Jean-Louis Guez de Balzac auteur libertin 17è

samedi 25 janvier 2014

Premier en anglais,Toto - Mon petit frère -Courteline ( Nouvelles France )


crobardures.canalblog.com

                                                   Premier en anglais
                                                          TOTO

            - Moi, comme j'ai été le premier en anglais maman a dit comme ça :
            " Comme cet enfant, qu'elle a dit, a été le premier en anglais, pendant les vacances de Pâques on le mènera voir la comédie, puisqu'il a été le premier en anglais. "
            - Ah ?
            - Oui. Alors papa est allé louer des places. Ça fait qu'il est rentré mardi en disant :
            " Je viens de louer des places
              - Et pour où que tu as loué des places ? qu'a dit maman ".
           - Papa a dit qu'il avait loué des places pour aller au Théâtre Français voir jouer Le Supplice d'une femme. Alors maman s'a fichu en colère. Elle a dit que papa était un imbécile et qu'il ne faisait que des bêtises.
            - Ah ?
            - Oui. Elle criait :
            " Est-ce que tu perds la tête de mener cet enfant à une pièce pareille ? Tu veux donc lui donner de mauvaises idées ? "
           - Et papa baissait le nez, parce qu'il ne savait pas quoi répondre. A la fin maman a dit que papa ne savait pas ce qu'il faisait, mais qu'elle aimait encore mieux que j'aie de mauvaises idées que de laisser perdre des places qui avaient coûté vingt-cinq francs. Alors on a été tout de même voir jouer Le Supplice d'une femme.
            - Ah ?
            - Oui. en voilà une pièce qui est bête ! Mon vieux, on y comprend rien ! C'est rien que des gens qui parlent à tort et à travers et qui disent tout ce qui leur passe par la tête. T'as jamais rien vu de plus bête, et tout le temps maman me disait :
              " N'écoute pas ce qu'ils disent, Toto, c'est des mensonges ! "
             - Et elle disait à papa : 
             " Il faut être aussi fou que tu l'es pour avoir amené cet enfant à une pièce aussi immorale. "
             - A la fin on a rentré et maman a dit comme ça :
             " Je ne veux pas que cet enfant reste sous le coup de mauvaises idées. Demain soir on ira voir jouer La Chatte blanche. "
            - Ah ?
PabloPicasso 1900 
            - Oui. Ça fait que le lendemain on a été au Châtelet. Mon vieux, c'est ça qui est rupin ! Pour sûr alors, c'est rupin !... Si tu savais!... Mon vieux, il y a des dames toutes nues !... C'est joli :... On voit tous leurs estomacs !... A un moment y en a qui dansent, des fois elles relèvent leurs jupes et elles font voir leurs derrières... Tu ne peux pas te faire un idée comme c'est chic !... Crénom ! j'ai rudement rigolé ! Maman aussi. Tout le temps elle disait :
            " Tu t'amuses Toto ? "
            - Et elle disait à papa :                                            
            " Hein ? Voilà un vrai spectacle à faire voir à des enfants. Au moins ça ne leur donne pas de mauvaises idées ! "
            - Je serais toi je dirais à ta mère de te mener voir La Chatte blanche. C'est pas comme Le Supplice d'une femme où on ne sait pas ce que ça veut dire. On comprend, mon vieux !... On comprend...



                                                                                                Georges Courteline   


                                                         ********************


chêne de courbet
                             fr.culture.fr                                 Mon petit frère

            Mon petit frère qui était en cinquième l'an dernier ne passera que l'an prochain dans la classe suivante. Suffisant en mathématiques, plutôt brillant en thème latin, il a été au-dessous de tout en littérature française, il s'est montré l'égal d'un cochon dans l'art d'expliquer La Fontaine, si bien qu'il a été recalé à l'examen et qu'il va redoubler sa cinquième à titre de vétéran. Ce pauvre enfant est désolé. Je l'ai consolé de mon mieux puis questionné à mon tour. Or voici scrupuleusement sténographié sous la dictée de ce bambin digne de foi ce qui se serait passé entre lui et son examinateur. Ça empeste la vérité à en tomber asphyxié, et je crois devoir livrer à l'étonnement des masses cette surprenante entrevue.

            L'examinateur -... Et maintenant nous allons passer à l'examen des auteurs français. Êtes-vous un peu fort sur ce point ?
            Mon petit frère - Oh ! très calé !
            L'examinateur - Quoi ?
            Mon petit frère ( se reprenant ) - Très ferré. Je veux dire, très ferré.
            L'examinateur - A la bonne heure. Dites-moi, de tous les écrivains qui ont illustré notre langue, auquel vont vos prédilections ?
            Mon petit frère ( embarrassé et qui n'a pas de préférence ) - Mon Dieu...
            L'examinateur - Serait-ce à Corneille ?
            Mon petit frère - Oui.
            L'examinateur - Ou à Molière ?
            Mon petit frère - En effet.
            L'examinateur - Peut-être à La Fontaine ?
            Mon petit frère - Ça se pourrait encore.
            L'examinateur -  Ce choix fait honneur à votre jugement. Je vous en félicite de toutes mes forces et puisque le hasard nous a amenés à prononcer le nom de La Fontaine, parlons un peu de La Fontaine. Qu'est-ce que vous pensez de La Fontaine ?
            Mon petit frère ( qui n'en pense rien ) - Je pense que c'est un grand poète.
            L'examinateur -  Bonne réponse! Très bien,  mon ami ! Avec des idées comme celles-là vous ferez votre chemin dans la vie. J'ose vous le prédire hardiment. Mais pourquoi vous prisez l'auteur, sans doute vous possédez l'oeuvre? Voudriez-vous me citer parmi les fables de La Fontaine, celles qui vous paraissent mériter une admiration particulière,  autant par l'ampleur des sujets que par l'excellence de la forme.
            Mon petit frère ( qui s' en bat l'oeil  ) - Ma foi...
            L'examinateur -  Je gage mon ami que vous avez une préférence pour Le Meunier, son fils et l'âne ?
             Mon petit frère - Je l'avoue...
            L'examinateur - Pour Le Paysan du Danube ?
            Mon petit frère  - Oui, monsieur.
            L'examinateur - Sans doute aussi pour Le Chêne et le Roseau ?
            Mon petit frère ( qui déborde d'admiration bien feinte ) - Oh !...
            L'examinateur - À merveille.  Je vois que vos goûts et les miens vont d'instinct aux mêmes chefs-d'oeuvre. Vous savez Le Chêne et le Roseau ?         
            Mon petit frère - Oui monsieur. ?.
            L'examinateur - Récitez-le moi. ( il prend l'attitude recueillie du monsieur qui se prépare à déguster un Maître ).
            Mon petit frère récitant - Le chêne un jour dit au roseau...
            L'examinateur - Arrêtez-vous.   Qu'est-ce que vous pensez de ce vers ?
            Mon petit frère ( très carré ) - Superbe !
            L'examinateur - Superbe, il est vrai, mais pourquoi ? (  mutisme embarrassé de mon frère ) Vous trouvez que ce verbe est superbe et vous ne savez pas pourquoi ? ( Suite du mutisme ) Et vous dites que vous connaissez La Fontaine !... ( Mon petit frère se met à pleurer ) Il ne faut pas pleurer pour ça. Voyons mon ami, répondez : Savez-vous ce que c'est qu'un chêne ?
            Mon petit frère - Oui monsieur, un Chêne c'est un arbre.
            L'examinateur - Fort bien. Mais quel espèce d'arbre ? ( reprise du motif ci-dessus : mutisme prolongé du candidat ) Est-ce un grand arbre ? Est-ce un petit ? Dites quelque chose, voyons !
            Mon petit frère ( timidement ) - Monsieur, c'est un grand arbre.
            L'examinateur ( satisfait ) - Ah ! Et un roseau, qu'est-ce que c'est ?
            Mon petit frère - C'est une espèce de petit truc. Un machin quoi, qui sort de l'eau.
            L'examinateur ( érudit ) - Le roseau est une petite plante aquatique, à tige droite, lisse et élancée, qui pousse généralement sur le bord des marais. Eh bien ! comprenez-vous maintenant tout ce qu'il y a de beau dans ce vers ? dans cette opposition du roseau et du chêne, si disproportionnés chacun à chacun et conversant d'égal à égal, cependant ? Hein ? N'y a-t-il point là une touchante antithèse ? Et n'est-ce point, je vous le demande, à tirer les larmes des yeux ?              
            Mon petit frère ( pas convaincu ) - Si.                                   *
            L'examinateur - Laissez-moi parler, je vous prie... Vous me  direz : " C'est touchant mais tout à fait invraisemblable !... On ne saurait me faire admettre que le chêne pousse la condescendance jusqu'à adresser la parole au roseau et se complaise en si petite société !... " Je vous sais gré de cette objection qui prouve votre intelligence. Mais c'est là que je vous attendais !... Oui, le chêne parle au roseau. Seulement, quand consent-il à lui parler ? UN JOUR !...
                                                                Il déclame
            Le chêne, un jour, dit au roseau...
            UN JOUR, vous entendez ? UN JOUR !... c'est à dire par extraordinaire !... contrairement à son habitude qui est de tenir le roseau à distance et de ne point frayer coutumièrement avec sa trop humble personne ! Le fabuliste a tout prévu, et je sais peu de vers dans son oeuvre où s'affirme de plus éclatante façon sa clairvoyance et son génie. Continuez.
            Mon petit frère ( récitant ) - Vous avez...
            L'examinateur ( absorbé ) - UN JOUR !... UN JOUR !...
            Mon petit frère ( récitant ) - ... bien sujet...
            L'examinateur - Et c'est le chêne qui parle, notez bien... Le roseau ( le bonhomme l'a parfaitement senti ) n'eût point eu la témérité de parler lui, le premier, au chêne !...
            Mon petit frère - Il se serait fait ramasser.
            L'examinateur - Quoi ?
            Mon petit frère - Rien... ( Il récite ) Vous avez bien sujet d'accuser la nature.
            L'examinateur ( affectant de mettre un frein à la fureur des flots ) - Halte ! Halte ! Halte !... Ne vous emportez pas, de grâce !... vous vous en porterez mieux. ( Il rit. Mon petit frère l'imite ) Quel est votre avis sur ce vers :
                                     Vous avez bien sujet d'accuser la nature ?
            Mon petit frère - Mon avis ?
            L'examinateur - Oui, votre avis. vous semble-t-il bon ou mauvais ?
            Mon petit frère - Bon Monsieur !... Excellent !
            L'examinateur - Pourquoi ?
            Mon petit frère ( que commence à gagner un certain ahurissement ) - Je ne sais pas.
            L'examinateur ( l'oeil au ciel ) - Ah ! Jeunesse !... Pourtant, réfléchissez : examinez-le de près, ce vers, efforcez-vous d'en mettre en lumière les beautés ( Silence morne de mon petit frère ) C'est tout ce que vous trouvez ?... Mais sac à papier, mon garçon, le mot " sujet " ne vous dit donc rien ?
            Mon petit frère - Si, monsieur.
            L'examinateur - Qu'est-ce qu'il vous dit ?
            Mon petit frère - ...........
            L'examinateur ( navré ) - Et le mot " nature " ? ( Silence de mon petit frère ) Pas plus ? ( Haussement d'épaules ) C'est déplorable... Déplorable... Voyons, raisonnons, voulez-vous ? Pourquoi le fabuliste a-t-il mis que le roseau avait sujet , au lieu de mettre qu'il avait raison ? ( Un temps ) Vous ne devinez pas ?... C'est cependant bien simple. Raison est vague, et Sujet est précis !... Sujet est mis là pour Motif... Grief... si vous préférez. Le roseau a " Sujet " d'accuser la nature. C'est dire qu'il peut arguer contre elle, preuves à l'appui !
            Mon petit frère - C'est évident.
            L'examinateur - Que ne le disiez-vous, alors ? ... Et pourquoi le chêne, s'il vous plaît, dit-il " la Nature " et non " Dieu " ?... Parce que, gonflé d'orgueil, il est naturellement imbu de théories matérialistes!
C'est clair comme le jour, mon ami. Du reste, il faut convenir d'une chose, c'est que si le poète eût dit :
                                       Le chêne un jour dit au roseau :
                                       " Vous avez bien sujet d'accuser Dieu... "                
Le vers eût été bien moins beau ! C'est votre avis ?                            
            Mon petit frère ( abasourdi ) - Je ne sais plus, monsieur... je ne sais plus.
            L'examinateur ( très sec ) - Allons, allons ! Vous ne savez rien ! Vous êtes un crétin, mon garçon. Allez étudier vos classiques. Nous reprendrons cet entretien à la fin de l'année scolaire.                           **
         
            Et voilà pourquoi mon petit frère redouble actuellement sa cinquième en qualité de vétéran.

*   sites.univ-provence.fr
** bulat-pestivien.fr

                              Georges Courteline
                                                                                                               
            

jeudi 23 janvier 2014

Shalom India Résidence Esther David ( Roman Indien )

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                                              Shalom India Résidence

            Le prophète Elie, Eliyahu Hannabi, aime avoir son verre de vin et sa place réservée dans les maisons Bene Israël pendant les fêtes de Pessah, la porte de la maison restant ouverte, transformé en papillon il passe de logis en logis pendant la lecture de la Haggada, écoute les voeux qui lui sont adressés, comme ils le seront tout au long de la vie de chacun. Les juifs nés en Inde ont émigré en Israël entre autres, une petite   communauté s'est rassemblée à Ahmédabad, dans deux résidences. Un homme en eut l'idée et de Bombay et de banlieues se retrouvèrent appliqués à suivre les préceptes religieux, mais les femmes portent des saris, friands des sucreries indiennes, elles seront sur les tables des fêtes. L'auteur qui vit en Inde nous raconte la vie de ces résidents, ils s'appellent Juliet ou Malika, Lolo Lata, Ruth, Ben Hur ( ! ), Samuel, Yacov et tous ont des sentiments, les filles des mère et père qui leur interdisent les jeans et les caracos légers, les fils ont la charge de leurs parents, et belles-filles et belles-mamans... Des mariages inattendus entre un hindou et une juive, ou un autre avec un musulman pakistanais. Histoires où des tantes consolatrices ont leur rôle. La vie très romancée d'adultes, confrontés aux chagrins ils fondent le club du rire au sein de la Résidence et s'y adonnent chaque jour, matin et soir. Avec un certain succès. " Franco rentra chez lui de bonne humeur et l'esprit léger, il n'avait pas ri comme ça depuis longtemps, et il devint accro au Jardin du rire... " Les préceptes religieux passés en revue entre problèmes d'amoureux ou de voisinage sont prétextes à fêtes, et jeunes filles et jeunes gens applaudissent les films de Bollywood, au cinéma, sur ordinateur. Et Yacov forme des jeunes hommes qui devront à leur tour souffler dans le sofar.

dimanche 19 janvier 2014

Les Choux - La Voix d'Anatole Georges Courteline ( nouvelles France )

                jefouinetufouines.fr

                                                             Les Choux

            De la pâle ruelle du lit où il s'étirait frileusement en attendant que l'heure sonnât de se lever pour le travail :
            - Chou ! cria Monsieur à Madame allongée à son côté, puisque tu as fini de le lire, passe-moi donc le journal, que je voie les nouvelles.
            - Non ! répondit sèchement Madame. Les choux ne sont pas faits pour passer les journaux.
            Cette réplique troubla Monsieur qui en médita longuement l'étrangeté inattendue. Madame, immobile, se taisait, ses mains croisées sous la nuque, jetant au reflet d'un miroir qui s'inclinait en l'ombre imprécise de l'alcôve les sombres creux de ses aisselles et la mare d'encre qu'étendaient par le lit ses beaux cheveux éparpillés.
            Cinq minutes s'écoulèrent.
            Soudain :
            - Chou ! cria de nouveau Monsieur, puisque tu es auprès de la table de nuit passe-moi donc mon paquet de tabac, que je me fasse une cigarette.
            - Non ! répondit encore Madame. Les choux ne sont pas faits pour passer du tabac.
            Elle dit et pinça les lèvres; l'oeil au plafond où rayonnait en larges plis un ciel de lit Pompadour.
            - A merveille ! dit alors Monsieur, une légère humeur dans la voix. Mais comme je m'embête en ce lit, ne pouvant ni fumer ni lire, je ne m'y attarderai pas une minute de plus. Passe-moi mes chaussettes chou, je me lève.
           Et il se soulevait sur les paumes, en effet, quand à son étonnement extrême :
           - Non ! répondit Madame une troisième fois. Les choux ne sont pas faits pour passer les chaussettes.
           - Ça va durer longtemps ? En voilà une histoire ! A-t-on idée de choux pareils ?... Par le diable il faudrait s'entendre ! S'ils ne sont faits ni pour passer le tabac, ni pour passer les chaussettes, ni passer les journaux, pourquoi donc sont-ils faits les choux ?
            Madame n'eut pas un mouvement.                            
            Simplement, amenant sur Monsieur la dureté de ses yeux bleu acier où flambaient, sombres, des rancunes :                                                                                                          
            - Pour qu'à la mode de chez nous, fit-elle d'une voix grave, on  les plante !...                                                                                                   torange-fr.com
                                                                                                                         

                                                                                      Georges Courteline

                                                           
                                                               **************


                                                              La Voix d'Anatole
                                               
            A la veille de marier sa fille avec le bel Anatole ( Chaussures de luxe - Fournisseur habituel de S.M. le roi Béhanzin - Médaille de bronze à l'Exposition Universelle de 1889 ), belle-maman a eu l'idée de tomber à l'improviste chez l'homme aux mains duquel elle va, en tremblant, confier la fleur-fruit de ses entrailles.
           Justement Anatole, enfermé dans son bureau, est en conversation vive et animée avec un X... mystérieux. Belle-maman, femme pleine d'astuce, pense qu'elle ne saurait trouver une meilleure occasion de pénétrer dans l'intimité de son futur gendre et elle colle indiscrètement son oreille à la porte.

                                                                      Un temps
            La voix d'Anatole ( à travers la porte ) - Mauvais, non !... Mais ça pourrait être bien meilleur.
            Belle-maman - D'où vient que je n'entende qu'une voix ?... ( frappée d'un soupçon ) Est-ce qu'il serait avec une femme ?...
            La voix d'Anatole - J'entends ne confier ma peau qu'à des mains qui la manieront avec une grande délicatesse. Ce n'est pas de la peau de cochon !...

                                                                      Un temps
            C'est beaucoup trop mou, beaucoup trop. On ne peut rien faire avec ça...

                                                                      Un temps
            Belle-maman( dont le front se charge de nuages ) - Ah ça mais !... Ah ça mais !... Ah ça mais !///

                                                                      Un temps
            La voix d'Anatole - Saisissez bien !... Il faut l'amener à la dureté du bois !... Bon.

                                                                  Très long temps
            La voix d'Anatole - Ah !...
                                                                 
                                                                     Autre temps
            La voix d'Anatole - Ah !...

                                                                  Nouveau temps
           La voix d'Anatole - Pas si vite, donc !... Pas si vite !... Là, c'est ça.

                                                                      Un temps
                                                                                                                       
           La voix d'Anatole - Ah !... Ah !... Ah !...                                                     

                                                 Silence interminable, puis brusquement
          La voix d'Anatole - ... Il faut me les passer au suif !... Il faut me les passer au suif !...
          Belle-maman ( suffoquée ) - Au suif  !... Ah ! j'en ai vu de raides, mais celle-là dépasse tout !... Quel cochon !... Et voilà l'homme à qui j'allais donner la main de ma fille !!!

          Elle pousse violemment la porte et tombe sur le bel Anatole qui, penché sur le téléphone engueule avec tous les égards dus à cet homme de mauvaise foi, un corroyeur qui lui a vendu des basane de qualité inférieure.

tableaux pieds-chaussures René Magritte
                                                                                        Courteline

samedi 18 janvier 2014

L'histoire de France racontée par la publicité Claudine Chevrel et Béatrice Cornet ( document France )




                                                 L'histoire de France racontée par la Publicité

            En 2013 la Bibliothèque Forney présentait aux Parisiens une exposition de 150 affiches relatant diverses étapes de l'incursion des personnages historiques dans la Publicité de 1870 à nos jours, de la IIIè à la Vè République. Un album conserve la mémoire de cette présentation. Commentant l'environnement des personnages historiques héros autant que la marque qu'ils véhiculent. Ainsi de Dagobert ou Charlemagne au Président Mitterrand et Mac Mahon. Le détournement des lieux est aussi noté : " La prise de la Bastille... est présentée avec légèreté sur les affiches de la Loterie Nationale... " Henri IV ne prise pas la poule au pot, mais pour la publicité dans les tons orangé : " Je veulx que tout enfant ayt chascun jour son Chocolat Henry "
et les auteurs ajoutent  "... on lui prête également des commentaires flatteurs sur l'armagnac ". Charlemagne. Une publicité signée Adrien Barrère " vers 1910 " pour l'alcool de menthe Ricqlès dispose d'une panoplie de rois sur des volutes, Clovis buvant avec un paille, François Ier, Jeanne et Saint Louis, Louix XIV, Bonaparte. Les publicistes ont beaucoup fait appel avec humour aux rois pour présenter des liqueurs. En 1907 Leonetto Cappiello use César pour Espérantine, liqueur digestive, et en 1925 Georges Ripart pose Henry IV et son panache blanc sur son cheval blanc pour la bière Laubenheimer. Charlemagne barbe blanche, couronne et cape, au centre d'une affiche pour promouvoir... " Le Fil de Lin Superr " vers 1900. A ce moment arrive le vélocipède et revoici... Henry IV. Signée Philippe Chappellier en 1895 sur fond orange publicité pour l'usine Albert ( Somme ) " ENFIN ! Il est descendu de son cheval pour monter une Regina. " L'histoire évolue et toujours les auteurs commentent l'environnement. 1945 l'Armagnac de Condom dans le Gers Paul Farrago propose "... le roi arbore la barbe blanche associée au panache blanc du chapeau (à la couleur du cheval blanc d'Henry IV, blague de potache qui a surgi après la Seconde Guerre Mondiale ), sur fond sombre roi souriant à jabot rose. En 1897 Bonaparte un paquet de cigarettes bien en vue s'écrie " ... Soldats, je ne fume que le Nil... " Les Sans-Culottes en 1935, en 1955 héros pour la Loterie Nationale. Le Triple-Sec Cointreau : Mac Mahon fringant Président de la République ( 1873/1879 ) présente la liqueur dans une publicité de 1895, auparavant, en 1875 c'était un fil à coudre. Plus près de nous une photo détournée de François Mitterrand " Avec le TGV à Nevers il aurait pu être là tous les jours." Détournée par Canal + : Ségolène Royal " J'irai pas c'est ça la bravitude " et Lionel Jospin " Si cette émission a lieu je me retire de la vie politique ".
            

            

vendredi 17 janvier 2014

Le coup de marteau Georges Courteline ( Poème - Rime France )

wallpapers-diq.com                                                               

                                                      Le coup de marteau

            Au temps lointain où le dénommé Marc Lefort
            Était mécanicien sur la ligne du Nord,
            Où le nommé Prosper Nicolas Lacouture
            Était mécanicien sur la Grande Ceinture,
            Où les nommés Lafesse et Gustave Pruneaux
            Étaient chauffeurs sur la ligne des Moulineaux,
            ( Champ-de-Mars-Saint-Lazare ) ; en ce même temps, dis-je

            - Et cette vérité tient presque du prodige -,
            Le nommé Jean-Paul-Pierre-Antoine-Oscar Panais
            Menait l'express sur la ligne du Bourdonnais.
            C'était un grand garçon à l'humeur assagie
            De bonne heure, vivant d'un verre d'eau rougie
            Et d'un croûton de pain rassis barbouillé d'ail,
            Qui jamais n'eût emménagé sans faire un bail,
            Et dont les gens disaient : " C'est une demoiselle ".
            Contents de lui, ses chefs l'estimaient pour son zèle,
            Prisaient fort son intelligence et trouvaient bon
            Qu'il économisât sur ses frais de charbon,
            Lesseps, un an, l'avait employé pour son isthme.
            Par malheur, il était atteint de daltonisme,
            En sorte que l'erreur de ses sens abusés
            Lui montrait à rebours les tons interposés :
            Il voyait le vert rouge et le rouge émeraude
            Fatalité ! Souvent, à l'heure où le soir rôde,                             
            Vieux voleur, sur les toits embrumés des maisons,
            Met un voile de rêve aux lointains horizons
            Où la nuit lentement jette ses tentacules,
            Où sur la profondeur des fins de crépuscules
            Les signaux allumés en feux rouges, verts, blancs,
            Épouvantablement ouvrent leurs yeux troublants
            Oscar Panais sentait sa poitrine oppressée ;                               
            Le front bas sous le poids trop lourd de sa pensée,
            Il blêmissait, songeant qu'il tenait en ses mains
            Les clés de tant de sorts et de fils humains !
            Cela devait finir de façon effroyable.

            Un jour qu'il conduisait son train, le pauvre diable
            ( La neige à gros flocons tombant d'un ciel couvert ),
            Vit le disque fermé malgré qu'il fût tout vert.
            Au lieu de ralentir, Panais, tendant l'échine, 
            Renversa la vapeur, fit stopper la machine.
            Au même instant, le train de ballast Trente-Six
            Arrivait et prenait le rapide en coccis.
            Choc ! Vainement Panais, la prunelle agrandie,
            Sur le régulateur tient sa dextre roidie,
            Fait hurler le sifflet aigu, gémir le frein.
            Les wagons de ballast sont déjà sur son train !...
            O splendeur de l'horrible ! O monstrueuse joie
            Des yeux terrifiés et ravis ! Sur la voie
            Sur la voie s'abattent lourdement les fourgons terrassés.
            Le sang des morts ruisselle en l'herbe des fossés.
            Cris ! Pleurs ! Sanglots ! Spectacle atroce et magnifique !

            Les pieds en l'air près d'un poteau télégraphique,
            La machine du train Trente-Six a sombré ;
            La braise coule à flots de son sein éventré.
            On entend : " Je me meurs ! Au secours ! " Une mère
            Veut revoir son enfant aimé, sa fille chère.
            On se cherche à travers les décombres, parmi
            Les morts défigurés ; l'ami cherche l'ami,
            La soeur cherche son frère, un vieillard crie : " Auguste ! "
            
            Un gros Anglais ganté de rouge, dont le buste
            Jaillit hors de la glace en miettes d'un coupé,
            Hurle : " J'ai perdu mon chapeau, j'en ai soupé !
            Je ferai constaté le fait par ministre
            D'huissier, et m'irai plaindre au consul d'Angleterre.
            Je veux d'indemnité dix mille francs au moins !
            Et vous, mes compagnons, vous serez mes témoins ! "
            Puis la nuit vint, sereine, et d'astres constellée...

            La Compagnie, un mois après, fut appelée
            Devant les tribunaux, comme civilement
            Responsable, et se vit condamnée amplement.
            Les uns eurent cent francs, les autres d'avantage.
            Le gros Anglais eut un chapeau neuf en partage,
            Et chacun s'en alla content, ayant son dû.
            Touchant Panais, le jugement dit :
                                                              " Attendu
            Que Panais est un simple idiot, pas autre chose, 
            Qu'il importe dès lors de le mettre hors cause,
            L'acquitte, le renvoie indemne et l'interdit,
            Le prive de ses droits civils, ordonne et dit
            Qu'il sera dès ce soir reçu dans un asile
            Où, défrayé de tout, à titre d'imbécile,
            Il sera mis ès mains des hommes dits de l'art. "
            Or, j'ai vu ce pauvre être, hier, à Ville-Evrard.
            Il est fou tout à fait, et se prend pour un disque !
            Parfois, une heure ou deux, droit comme un obélisque,
            Il demeure immobile et, sans un mot, tourné
            Vers le mur de hospice, un mur illuminé                                               
            De soleil et qu'habille une frondaison verte,
            Voulant dire par là que la voie est ouverte,
            Puis, sur ses lourds talons évoluant soudain,
            Le dos au mur alors, et le nez au jardin :
            " Je suis fermé, dit-il. Que le convoi recule ! "
            Et je ne trouve pas cela ridicule.


                                                                            Georges Courteline
                                                     

mardi 14 janvier 2014

Taxi Khaled al Khamissi ( roman Egypte )


Taxi
                                                                Taxi

            Le Caire avril 2005 - mars 2006. L'auteur, le livre est écrit à la première personne, se livre à la transcription de 58 conversations entre le client et le chauffeur de taxi. Ceux-ci très nombreux sillonnent la ville, répondent au cri du lieu de destination de malheureux bloqués sur le bitume, dans une pollution extrême des rues surencombrées cairotes. Moubarak est encore au pouvoir et briguera un cinquième mandat. Chacun sait ce qu'il advint de l'ex-président, des frères musulmans et des divers rebondissements graves parfois survenus ces dernières années. Le livre très drôle très argumenté, la vox populi partagée, les atouts des frères, la démocratie vue par d'autres, Dieu à tous moments. Approche imagée " ... le chauffeur était écarlate... l'impression que ses veines tels des serpents se gonflaient et se rétractaient sous le coup de la colère... " Ils se tuent tous à la tâche pour nourrir femme et enfants, la voiture louée à un particulier, les taxes, la corruption invraisemblable. Les pères se ruinent en cours particuliers pour des enfants à l'avenir incertain, d'autres sortiront illettrés du système scolaire, les parents placent les sommes économisées, et leur donneront ce petit capital. "... Je touche 450 livres. C'est déjà un bon salaire... ma femme et deux enfants... les dépenses domestiques... transports, habits, médicaments... mon salaire est épuisé en dix jours... " Les voitures viennent des pays du golfe, les cigarettes de Lybie, les passeurs traversent la frontière à pied. Parfois le taxi se fait arnaquer par un client de belle apparence et alors "... le taxi a pleuré d'avoir été aussi bête... il a perdu le reste de la journée à chercher un proche qui pourrait lui prêter la somme de la location du taxi... " Et le taxi tourne, tourne, les prix fixés à l'avance, " ... Le taxi : Je suis comme un poisson et la voiture est mon aquarium... une petite prison... Mon dos s'est figé en position assise... " Vie sociale, vie quotidienne. 58 conversations, des amoureux du Caire, lucides, amères " ... Celui qui n'est pas allé en prison sous Nasser n'ira jamais en prison, celui qui ne s'est pas enrichi sous Sadate ne s'enrichira jamais, et celui qui n'a pas mendié sous le règne de Moubarak ne mendiera jamais... " Des chapitres très courts, chaque homme aborde l'un des multiples problèmes différents, pourtant semblables aux précédents. De l'humour l'auteur n'en manque pas. Le livre se referme à regret.                                                                                                                         

vendredi 3 janvier 2014

Une vie pornographique Mathieu Lindon ( roman France )

                                                                                                                               

                                                                                              
                                                Une vie pornographique
         
            Une vie d'addiction. Compliquée la vie lorsqu'elle se vit à trois, ou même à quatre, lorsque Perrin veut cacher son héroïne à Kei, son amoureux, en fait l'amour de sa vie dit-il, qui après un vol de douze heures est prêt à de grandes heures d'amour. Las, l'universitaire en manque doit d'abord trouver un nouveau dealer, car ces derniers tombent souvent, et bourgeois il se débat pour promener son amant aux Champs Elysées et non à Barbès où il trouvera son héroïne. Écrit avec détachement le livre permet des épisodes aussi crus que drôles. L'héroïne est une maîtresse chère, maître de conférence à l'université à Tours "... Il a instauré une règle satisfaisant à la fois le social et l'économique... " Et l'auteur détaille avec minutie toutes les heures de la vie de cet homme et de ses amis, obligé, alors que son corps ne répond pas à une vie sexuelle, tant il est rempli de drogue, de fantasmer au téléphone au cours d'une séance onéreuse. Lusiau son compère est hétéro, peintre, Ninon, sa compagne ignorante ( elle le quitterait si elle apprenait la présence de cette héroïne entre eux ) " Pour en prendre il n'a pas trop de mal, même en couple chacun a sa part d'intimité ) mais soupçonneuse " elle fait de l'amour physique un test... il ne peut pas avoir la migraine tous les jours d'autant qu'il était franchement demandeur avant que son appareil génital ne soit relégué au second plan... "
Intrusion minutée, malaise et bien-être, état d'esprit avant, pendant, après. Cela dans les chapitres - Dedans- Amitiés opiacées - La Polygamie - " La passion a ses détracteurs qui mettent en cause sa rationalité et pourtant elle règle et dérègle tout... la peur du vide ... de même que les tornades et autres ouragans soufflant sur toute vie sentimentale et sexuelle... " Addiction - Passion. Perrin ne peut continuer, son avancement en pâtit, chapitre - Stop - mais suivi de - Un Camaïeu d'addictions - Le professeur Taroumond  à un an de la retraite grand buveur de whisky s'en prend à Perrin à la fin d'un repas : " ... Monsieur Perrin estime sans doute que le Jack Daniel's est tellement plus nocif que le haschich et l'héroïne. Il faudrait qu'il nous explique comment il en est arrivé à cette conclusion qu'aucun juriste ni expert de santé publique n'a jamais corroborée. " Enfin s'il est un épisode qui fera sourire, l'histoire pourrait être triste, mais l'auteur a pris le parti du scientifique optimiste, c'est bien celui de la fuite d'un de ses amours, Benassir, après un repas avec un couple d'amis. Perrin ne comprend pas, s'agit-il d'une rupture. Non de son nez. Plus précisément de crottes de nez. Nez exploré consciencieusement tout au long du repas. Un sniffeur a l'habitude de récupérer les brins qui ont pu rester accrochés aux parois, au prix du gramme ! " Comment s'en débarrasser si la crotte s'accroche au doigt ... " Du dernier chapitre je ne dirai rien - Les chiottes de l'histoire - lieu souvent utilisé pour la prise et pour satisfaire divers besoins. " ... Pour les autres la drogue est un fantasme... "                                                                                                                                                                                                                                                                          

mercredi 1 janvier 2014

Hortense, couche-toi ! Courteline ( pièce en 1 acte France )

                                                                               
                                                         Hortense, couche-toi !         
                      
            scène en un acte entrecoupé de choeurs ( les déménageurs ), musique Charles Levadé.

           Personnages : - La Brige
                                   Saumâtre
                                   Hortense.
           Décor : Les déménageurs sèment la pagaille dans un salon, restent paille et paniers "... gueules ouvertes... "
                                                              Scène Ière

            Les déménageurs - Le temps passe que rien ne saurait prolonger.
                                             Le nouveau locataire est là, qui veut la place.
                                                  Commençons par déménager
                                             Ce seau, cette pendule et cette armoire à glace,
                                                  Sur nos nuques et sur nos dos
                                             Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.
            La Brige ( il entre ) - Une petite minute, s'il vous plaît, messieurs les déménageurs. Je dois vider les lieux aujourd'hui, mais il importe qu'au préalable je paye à M. Saumâtre, propriétaire de cette maison, le montant du trimestre échu. N'ayant pas les fonds nécessaires, j'ai écrit à M. Saumâtre de venir s'entendre avec moi touchant son règlement de compte ; nul doute que nous nous entendions. Mais voici la charmante Hortense.
                                                    Entre Hortense enceinte de neuf mois

            Les déménageurs - Ciel ! quel spectacle. Ah ! qu'elle est belle à voir !
                                             Quelle aimable pudeur ! Quels feux en sa prunelle !
                                                                     
                                                                 ( à part )

                                                      L'espiègle enfant en son tiroir
                                                      Dissimule un Polichinelle !...
                                              Affectons de ne pas nous en apercevoir.                             
                                                                    Haut 
                                                      Sur nos nuques et sur nos dos
                                              Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.

            Hortense ( après avoir salué ) - Est-ce que M. Saumâtre est venu
            La Brige - Je l'attends d'une minute à l'autre, car il est midi tout à l'heure et il ne peut tarder maintenant.                                                                                                                          
                                                Au même instant entre M. Saumâtre au fond de la scène.
                                                                                                                                        
            Monsieur Saumâtre - Me voici, monsieur.                                                
                                                                                                                                                                                 
                                
                                                                 Scène II

                                                Les mêmes, M. Saumâtre 

            La Brige - C'est ma foi vrai ! C'est M. Saumâtre en personne ! Et ! Bonjour monsieur Saumâtre
            Monsieur Saumâtre - ( très réservé ) Monsieur, mes civilités !                                                                                                      welti.furrer.ch                                                                                   
            Hortense - Monsieur Saumâtre, votre servante !
            Monsieur Saumâtre - Madame, je vous présente mes devoirs !
            La Brige - Mais donnez-vous la peine d'entrer, et prenez un siège, je vous prie !
            Monsieur Saumâtre - C'est inutile.
            La Brige - Si fait ! Si fait ! Voyons, Hortense ma fille, grouille-toi. Apporte un siège à Monsieur. Donnez-moi votre chapeau.
            Monsieur Saumâtre - ( débarrassé de son chapeau ) Pardon
            Hortense - ( elle tente de s'asseoir ) Votre parapluie.
            Monsieur Saumâtre - ( débarrassé de son parapluie ) Excusez
            Hortense - Désirez-vous vous rafraîchir
            Monsieur Saumâtre - Je vous remercie.
            Hortense - Un verre de bière !... ( A la  Brige ) Tu es là comme un soliveau !... va donc chercher une canette.
            La Brige - J'y cours
            Monsieur Saumâtre - Je vous prie de n'en rien faire. Je ne bois jamais entre mes repas, d'abord ; puis, je ne fais qu'entrer et sortir. Donc, causons peu, mais causons bien. ( Il met la main à la poche intérieure de sa redingote ) Je vous apporte votre quittance.
            La Brige il se méprend ) Ah : Monsieur !... Une telle générosité !... Une telle grandeur d'âme !... 
            Hortense - Quand je te disais que Monsieur Saumâtre est un homme plein de délicatesse !                                                                                                                                 
            La Brige - Croyez bien que vous ne perdrez rien. Nous sommes ni des ingrats ni des malhonnêtes gens ! Hortense est là, qui peut vous le dire, et... 
            Monsieur Saumâtre - Pardon ! Vous avez les fonds ?  
            La Brige - ( interloqué ) Non.
            Monsieur Saumâtre - En ce cas...
                                                                                                                                                                                                                
                                                        Il remet sa quittance dans sa poche 
                                                                                                                                        
            La Brige - Comment !                                                
            Monsieur Saumâtre ( il se lève ) Veuillez me rendre mon chapeau.
            La Brige - M. Saumâtre, écoutez-moi.
            Monsieur Saumâtre - Monsieur, je n'ai rien à écouter.
            Hortense - Pourtant...
            Monsieur Saumâtre - Je n'ai que faire de vos paroles.
            La Brige - Un mot, monsieur Saumâtre, un seul ! Voilà exactement cinq ans que je suis locataire. Ne vous ai-je pas toujours, à la minute précise, payé l'argent que je vous devais ?
            Monsieur Saumâtre - Il ne s'agit pas de l'argent que vous avez pu me devoir, mais bien de l'argent que vous me devez !
            La Brige - Mon Dieu, je sais !
            Monsieur Saumâtre - Il ne s'agit pas de l'argent que vous me donnâtes autrefois, mais de l'argent qu'il faut me donner aujourd'hui.
            La Brige - Mais monsieur, je ne puis vous le donner, je ne l'ai pas.
            Monsieur Saumâtre - Je garderai donc votre mobilier.
            Hortense - ( aux cent coups ) Notre mobilier !
            Monsieur Saumâtre - C'est mon droit. Mon parapluie, s'il vous plaît.
            La Brige - Monsieur Saumâtre...
            Monsieur Saumâtre - Monsieur, vous perdez votre temps et vous me faites perdre le mien. Vous me devez. Vous ne me payez pas, c'est bien, je me paierai moi-même, ainsi que la loi m'y autorise. Je n'ai pas à vous faire de cadeaux. En aurais-je le désir que je n'en ai pas le moyen. Voilà qui est clair, je pense ? Faites donc enlever au plus vite votre lit et vos instruments de travail. Le nouveau locataire attend que vous lui cédiez la place. J'ai dit. Rendez-moi, je vous prie, mon parapluie et mon chapeau.
            Les déménageurs -
                                            Vit-on jamais férocité pareille ?
                                Monsieur Saumâtre en lui porte un coeur de rocher.
                                             Quoi ! Rien ne le saurait toucher ?
                                Mais prêtons à la suite une attentive oreille.
                                             Sur nos nuques et sur nos dos
                                Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.

            La Brige - J'imagine, monsieur Saumâtre, que vous n'avez pas bien compris. Nous ne vous demandons pas un cadeau, nous vous demandons un délai : quarante-huit heures, pas une de plus.
            Hortense - Nous aurons de l'argent après-demain.
            La Brige - Ma famille va m'en envoyer. Voici la lettre qui l'atteste.
                               ( Il présente la lettre en question, que M. Saumâtre se refuse à lire ) 
            La Brige - Dieu merci, nous sommes d'honnêtes gens. Demandez plutôt à Hortense si nous devons un sou dans le quartier.
            Hortense -  ( l'ongle aux dents ) Pas ça.
            La Brige - Nous nous trouvons gênés. Ces choses-là arrivent à tout le monde. La vérité est qu'Hortense ayant eu une grossesse pénible j'ai dû donner au médecin les quelques louis qu'un à un j'avais mis de côté pour vous ( câlin ). Allons, monsieur Saumâtre, allons !
            Hortense - ( chatte ) Ne vous faites pas plus méchant que vous ne l'êtes.
            La Brige - Je vous jure que vous serez payé.
            Hortense - Jusqu'au dernier sou.
            La Brige - Dans deux jours. Laissez-nous partir.
            Monsieur Saumâtre - Eh, partez !... Je ne vous demande pas autre chose.
            La Brige - Avec mon mobilier ?
            Monsieur Saumâtre - Ah non !                                                                   
            La Brige - Monsieur, nous ne sommes pas des bohèmes. Nous ne voulons pas emménager avec un lit et une paillasse.
            Hortense - De quoi aurions-nous l'air ?
            La Brige - ( les bras élargis du désir de persuader )  Voyons !
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                                                        Mutisme de M. Saumâtre

            La Brige - Causons chiffres. Je vous dois deux cent cinquante francs.
            Monsieur Saumâtre - Je ne le sais que trop.
            La Brige - Or, j'ai ici pour cinq mille francs au moins de meubles. Laissez-m'en enlever une moitié et gardez l'autre en garantie.
           Monsieur Saumâtre - Non.
           La Brige - Remarquez que je vais vous signer des billets, payables après-demain matin.
           Monsieur Saumâtre - Je n'accepte pas cette monnaie.
           La Brige - Pourquoi ? Elle en vaut une autre. Des meubles sont toujours des meubles, et des billets sont toujours des billets. Si les billets que je vous offre ne sont pas payés à l'heure dite, eh bien ! Vous ferez saisir mes meubles à mon nouvel appartement.

                                                      Mutisme de M. Saumâtre 

            La Brige - Nous vous laisserons par exemple, le buffet de la salle à manger, qui vaut vingt-cinq louis comme un liard, et tout le mobilier du salon.
            Hortense - Y compris le piano.
            La Brige - La garniture de la cheminée.
            Hortense - Le baromètre.
            La Brige - Et le bronze de chez Barbedienne que nous avons gagné à la loterie de l'Exposition. Le diable y serait, voilà une proposition acceptable !... doublement avantageuse, puisqu'elle sauverait votre créance et, du coup, nous permet à nous de sauvegarder notre dignité, en emménageant comme tout le monde, dans des conditions décentes.
            Monsieur Saumâtre - ( dans un pâle sourire ) On se fait bien des illusions sur l'état de propriétaire.
            La Brige - ( il commence à rager ) L'état de locataire sans argent est bien plus enviable sans doute, et je vous plains de tout mon coeur.
            Monsieur Saumâtre - Il suffit. Vos impertinences ne parviennent pas à me convaincre.
            La Brige - Je ne suis pas impertinent. Je constate simplement que dans toute cette affaire vous faites preuve d'une étrange mauvaise volonté.
            Monsieur Saumâtre - Je fus échaudé trop souvent.
            La Brige - Encore une fois...
            Monsieur Saumâtre - Encore une fois, veuillez me rendre mon chapeau... Et vous, Madame, mon parapluie.
            Les déménageurs :
                                            Conspuez, ô nos coeurs, cet homme opiniâtre.  
                    Contenez vos élans justement indignés.
Sem                                                          Et vous, nos yeux, de pleurs baignés,
                                                          Flétrissez le cruel Saumâtre !
                                                          Sur nos nuques et sur nos dos
                                           Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.
                                                                
            La Brige - ( aux déménageurs ) Je vous demande pardon mes enfants, mais je suis dans l'obligation de renoncer à vos services. Toutefois, il ne sera pas dit que de braves garçons comme vous se seront dérangés pour rien. J'entends que vous buviez un coup à ma santé. Tu as de la monnaie Hortense ?
            Les déménageurs :
                                            De votre front chargé d'ennui
                                            Écartez toute âpre pensée ;
                                            Le déménageur porte en lui
                                            Une âme désintéressée.
                                            Puisque ce monsieur nous accorde
                                            Une équitable indemnité,
                                            Salut à lui ! Paix et concorde
                                            Aux gens de bonne volonté.
            La Brige - Je suis pauvre. Voilà cent sous. Allez vous désaltérer et laissez là vos paniers que vous reprendrez tout à l'heure.
            Les déménageurs : ( enthousiasmés )
                                            Cent sous !... Il nous offre une thune !
                                            Ventre Saint-Gris, c'est la fortune !
                                            Or, voici qu'il est midi vingt,
                                  Précipitons nos pas vers le marchand de vin.
                                             Sur nos nuques et sur nos dos
                                  Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.

                                                       Ils sortent

                                                        Scène III

                           Les mêmes moins les Déménageurs 

            La Brige - ( il rapporte son parapluie et son chapeau à M. Saumâtre ) Le Christ a dit : " Rend à César ce qui appartient à César " Voici votre pépin et votre tube. Et maintenant toi, Hortense, couche-toi !
            Hortense - ( ahurie ) Que je me couche ?
            La Brige - A l'instant même. Monsieur Saumâtre... serviteur !
            Monsieur Saumâtre - ( abasourdi ) Comment !...
            La Brige - Veuillez vous retirez.
            Monsieur Saumâtre - Ah ça ! mais, qu'est-ce que cela veut dire ?
            La Brige - Cela veut dire, monsieur Saumâtre, que madame, enceinte est à terme, et que la loi lui donne neuf jours pour accoucher.
            Monsieur Saumâtre - Neuf jours !                                                                                
            La Brige - Oui, neuf jours.
            Monsieur Saumâtre - Ce n'est pas vrai.
            La Brige - Oh ! mais pardon !... Soyez poli, ou je vais avoir le regret de vous mettre à la porte.
            Monsieur Saumâtre - Monsieur, j'ai pour habitude d'être poli avec tout le monde, seulement, vous me permettrez de vous le dire, vous me faites rire avec vos neuf jours. Et mon nouveau locataire ?
            La Brige - Vous n'avez pas la prétention de le coucher dans le lit d'Hortense ?
            Monsieur Saumâtre - Non, mais encore faut-il qu'il couche quelque part.
            La Brige - Il couchera où il voudra.
            Monsieur Saumâtre - ( avec finesse ) A vos frais.
            La Brige - Pourquoi à mes frais ? Je ne connais pas cet homme, comme disait saint Pierre. C'est avec vous, non avec moi, qu'il a passé un contrat. C'est donc non à moi, mais à vous qu'il intentera un procès, gagné d'avance, bien entendu.
            Monsieur Saumâtre - Possible ! Seulement moi, malin, je vous poursuivrai à mon tour.
            La Brige - Deuxième procès !
            Monsieur Saumâtre - Deuxième procès !
            La Brige - Que vous perdrez comme le premier.
            Monsieur Saumâtre - Parce que ?
            La Brige - Parce que des trois personnes en cause vous êtes la seule qui n'ait pas raison jusqu'au cou. Comment ! Vous ne comprenez pas que votre nouveau locataire a précisément les mêmes droits à venir occuper ce logement que moi à ne pas en sortir ?... lui, en vertu de la loi commune qui régit les contrats entre particuliers, moi, en vertu de la loi d'exception que crée le cas de force majeure ?
            Monsieur Saumâtre - D'où je conclus qu'étant donné une maison dont je suis seul propriétaire, tout le monde y est maître, excepté moi ?...
            La Brige - Naturellement.
            Monsieur Saumâtre - Dans tous les cas, il est tout à fait inutile d'élever la voix comme vous le faites. Discutons et tombons d'accord. Nous ne sommes des bêtes féroces ni vous ni moi... Voyons... vous me laisseriez, vous dites?
            La Brige - Je vous laisserai peau de balle.
            Monsieur Saumâtre - Comment ?
            La Brige - Et balai de crin... J'emporterai jusqu'aux verres de lampes.
            Monsieur Saumâtre - Tout à l'heure...
            La Brige - Tout à l'heure n'est pas à présent... Il fallait accepter quand je vous l'ai offert.
            Monsieur Saumâtre - J'ai changé d'avis.
            La Brige - Moi aussi.
            Monsieur Saumâtre - Soit, je ne veux pas de discussion avec un bon locataire. Vous me signeriez donc des billets à ordre payables dans quarante-huit heures ?
            La Brige - Je vous signerai peau de zèbre.
            Monsieur Saumâtre - Elle est trop forte ! Pourquoi me l'avez-vous offert, puisque vous aviez l'intention de revenir sur votre parole ?...
            La Brige - Pourquoi avez-vous refusé puisque vous deviez revenir sur votre décision ?
            Monsieur Saumâtre - Permettez !
            La Brige - Permettez vous-même. J'étais, il y a un instant, un pauvre diable au désespoir de ne pouvoir payer ses dettes et qui en appelait humblement au bon vouloir de son semblable. La loi me menaçait donc de ses foudres. A cette heure, passé à d'autres exercices, je vous expulse d'une maison qui a cessé d'être la mienne. J'ai donc la loi avec moi. Car c'est aussi simple que cela, et il suffit neuf fois sur dix à un honnête homme échoué dans les toiles d'araignée du Code de se conduire comme un malfaiteur, pour être immédiatement dans la légalité. Eh bien monsieur, j'y suis, j'y reste. Vous m'avez contraint à m'y mettre , vous trouverez bon que j'y demeure. Sur ce, mon cher propriétaire, faites-moi le plaisir de filer, que j'aille chercher la sage-femme. Eh bien Hortense ?... Au lit !... Couche-toi !
            Monsieur Saumâtre - Hortense, ne vous couchez pas ! ( à La Brige ) Fichez-moi le camp vous, elle, votre bronze de chez Barbedienne, votre buffet et votre baromètre ! Débarrassez-moi le plancher et que je n'entende plus parler de vous.
            Hortense - Pardon, et les cent sous que nous avons donnés aux déménageurs ?
            Monsieur Saumâtre - ( goguenard ) Il faut que je vous les rende peut-être !
            La Brige - Vous ne les rendrez pas ?
            Monsieur Saumâtre - Non !
            La Brige - Hortense...
            Monsieur Saumâtre - ( exaspéré ) Assez !... Les voilà ! Est-ce tout ? Voulez-vous ma montre ?... Voulez-vous mon parapluie ?
            La Brige - Mille remerciements, cher monsieur. Respectueux du bien d'autrui, je vous laisserai l'un et l'autre. J'ajoute que vous ne perdrez rien. Je vous dois deux cent cinquante francs, je vous les paierez à un centime près !... par acomptes !... vingt sous par semaine !... sur lesquels vous pouvez compter comme s'ils étaient déjà à la Caisse d'Epargne. C'est l'affaire de quelques années, mais que sont quelques années comparées à l'éternité ? Or, voici les déménageurs qui viennent reprendre leurs paniers et qui arrivent fort à propos pour terminer la comédie. ( Aux déménageurs ) Tout est bien qui finit bien, nous sommes d'accord, monsieur et moi, et vous pouvez enfin, messieurs, sur vos nuques et sur vos dos, charger , charger les lourds fardeaux.
            Les déménageurs :
                                                   Bénissons l'heureuse journée
                                                   Qui voit triompher la vertu
                                                          ( à M. Saumâtre ) 
                                                    Et toi, monstre avide et têtu,
                                                    Fuis vers une autre destinée.
                                                    Sur nos nuques et sur nos dos
                                      Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.                               


                                                                           Georges Courteline

                                     Saynète créée au Grand Guignol, à Paris, le 15 mars 1897                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           '