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vendredi 17 février 2012

Lettres à Madeleine 10 Apollinaire

      Guillaume Apollinaire - Alcools                                                                                                                                                                    
Alcools couverture Picasso                                                                               30 juillet 1915

                   Ma chère petite fée chérie,

                   Je suis moi-même si bouleversé par vos lettres et par tout ce qui s'est passé qu'il m'a été impossible d'écrire avant ce soir et je le fais avec une passion si joyeuse et si douloureuse à la fois que mes doigts se crispent en vous écrivant.
                    Je réponds avant tout à votre lettre de votre fête où le lendemain vous me buviez en lisant Alcools.
                    J'ai reçu aujourd'hui le vôtre. Intact cette fois et je suis presque heureux que votre fraîcheur se soit la première fois répandue en libation à notre destinée. D'autre part le verre blanc brisé est un très heureux présage et enfin le parfum avait profondément imprégné la boîte et votre fraîcheur se répand encore dans toute ma cellule.
                    Pour ce qui est de ma permission je comptais bien aller la passer, sinon à Oran, du moins à Alger car on a facilement six jours quand on va en Algérie et le jour du débarquement ne comptant pas, si l'on arrive le matin ça fait presque sept jours. Ces dispositions sont relatives à l'Algérie seulement.
                    Notez, Madeleine, que je ne pense pas avoir de permission avant octobre, je dirais plus, janvier ou février. Je suis dans une formation où les permissions sont données de cette façon et il n'y a rien à en dire qu'à s'incliner.
                    Pour ce qui est de mon livre, au début, je préférais que vous ne le lisiez pas avant que je vous l'envoyasse. Mais depuis nos aveux, c'était tout le contraire et je suis bien content qu'au travers de ces pages vous ayez beaucoup lu de ma vie.
                   Je vous ai dit de ne pas être jalouse et comme vous ne l'êtes plus, sachant que vous êtes l'élue à jamais vous pouvez faire toutes les questions avec la liberté que vous jugerez devoir y apporter et j'y répondrai avec la franchise qu'un galant homme doit apporter à ces sortes de confidences, franchise pleine de discrétion, mais franchise sans réticences.
                   Venons(en maintenant au portrait et à la littérature. Le portrait est ressemblant au sens immédiat du mot. Mais cours d'esthétique que je pourrais vous envoyer à ce propos n'est pas de saison. Et il ne reste de cela que votre déception, mon aimée, devant un dessin qui est un chef-d'oeuvre. Déception toute naturelle à qui n'est pas au courant d'un art fort légitime et que l'on goûte aussitôt qu'on en a découvert le sens et la logique.
                  J'ai écrit là-dessus un petit livre intitulé Méditations esthétiques, les peintres cubistes,mais la seconde partie du titre qui aurait dû être un sous-titre a été imprimé en beaucoup plus gros caractères que la première et est devenue ainsi le titre ( Paris, Figuière, 1912 ou 1913 (?) mais je ne l'ai pas plus que mes autres livres. L'éditeur est aux Armées, en outre. Je ne sais si on peut ce procurer ce petit ouvrage.
                  Pour ce qui est des poèmes, vous aimez "Zone " dont je vous ai parlé dans une lettre. Je vous expliquerai la genèse de ce poème de fin d'amour... Et puis je puis vous l'expliquer de suite. En 1907 j'ai eu pour une jeune fille qui était peintre un goût esthétique  qui confinait à l'admiration et participe encore de l'admiration  de ce sentiment. Elle m'aimait ou le croyait et je crus ou plutôt m'efforçai de l'aimer , car je ne l'aimais pas alors. Nous n'étions connus en ce temps-là ni l'un ni l'autre et je commençais mes méditations et écrits esthétiques qui devaient avoir une influence en Europe et même ailleurs. Je puis dire que je fis mon possible pour faire partager mon admiration à l'univers. Elle voulait que nous nous mariions, ce que je ne voulus jamais cela dura jusqu'en 1913 où elle ne m'aima plus. C'était fini, mais tant de temps passé ensemble, tant de souvenirs communs, tout cela s'en allant j'en eus une angoisse que je pris pr de l'amour et je souffris jusqu'au moment de la guerre où je connus une femme charmante, passionnée pour le plaisir, vous la vîtes dans le train lors de mon retour de permission quand je vous rencontrai : c'est une charmante et malheureuse jeune femme à qui la vie réservera toujours des douleurs car elle sera toujours un jouet dans la main des hommes rien de plus. . Ce n'est pas par cynisme que je dis cela. Car j'ai été sur le point de l'aimer mais elle pouvait tout au plus chasser ma douleur d'alors et je lui en garde une grande reconnaissance et une amitié éternelle. Rien de plus. Mais son caractère est exquis autant que sa naissance est élevée. Le badinage est fini mais nous nous écrivons sans fadeur. Elle est au front près de son ami le plus sûr, dans les Vosges, lui-même qui sait ce qui est arrivé, m'écrit et ne m'en veut que d'une chose, c'est que l'oaristys n'ait point continué. Il ne sait pas que Madeleine est une fée plus sérieuse.Néanmoins, j'ai pour ma pauvre petite amie royale de Nice  un attachement dont vous ne devez pas être jalouse, car chez les femmes dans les veines desquelles court le sang de Saint-Louis, fussent-elles débauchées, il y a une noblesse qui leur permet l'amitié après la rupture. Et tout cela n'est que gentillesses sans conséquence mais qui n'existent plus, n'auront plus lieu, puisque Madeleine existe seule. Néanmoins, je garde à cette héroïne de la Fronde, une amitié véritable et complète, car elle digne d'amitié, de pitié, de vénération et d'indulgence, parce qu'elle a beaucoup aimé, beaucoup souffert et je voudrais que sa vie fût très douce.
                   Notez que mon amie de tant longtemps et célèbre aujourd'hui entre toutes les femmes peintres et dans le monde entier, s'est mariée l y a un an et demi à peu près avec un hobereau allemand, elle parisienne, qui imposa en partie la mode de ces deux derniers ans et qui, laide mais charmante était arrivée à imposer son type de femme, à tout Paris et là au monde entier, se trouvait à Arcachon dans une villa qu'y possédait son mari au moment de la mobilisation et du fait de son mariage était devenue allemande. Ils sont parvenus à fuit, je ne sais comment et échappant aux camps de concentration sont à Malaga. Son mari que je ne connais pas n'a pas voulu porter les armes contre la France. Elle, Parisienne tragique et exilée, me fait une grande peine. Elle m'a écrit à Nîmes  et ici même. Et ses lettres où il y a encore l'esprit et la fantaisie confinent cependant à une sorte de folie désespérée. Elle m'écrit avec l'assentiment de son mari, d'ailleurs et je me demande quelles doivent être ses pensées à lui quand il lit les lettres qu'elle m'écrit où malgré elle les souvenirs se pressent en foule sous chaque mot.
                    Me voilà donc comme un autre Marius sur les ruines d'une Carthage que sont mes amours défuntes.
                     Pardonnez-les moi, Madeleine ; voilà pour " Zone " et aussi pour l'ensemble de Case d'Armons si jamais je vous l'envoie ; " Le Pont Mirabeau " est aussi la chanson triste de cette longue liaison brisée avec celle qui ayant inspiré " Zone " dessina pour la traduction de la couverture allemande du poème, mon portrait à cheval et de poème-là, elle saisissait bien toute l'amertume en outre au point d'en sangloter et que si ç'avait été possible si elle avait bien connu mon coeur aurait tout renoué. Et cependant elle aura toujours en moi un ami, un admirateur, un défenseur même. Elle le sait et bien des gens le savent à Paris qui m'en ont écrit, rares gens de coeur qui ne lui ont point jeté la pierre.
                   " Aubade " n'est pas un poème à part mais un intermède intercalé dans " La Chanson du mal-aimé " qui datant de 1903 commémore mon premier amour à vingt ans, une Anglaise rencontrée en Allemagne, ça dura un an, nous dumes retourner chacun chez nous, puis nous ne nous écrivîmes plus. Et bien des expressions de ce poème sont trop sévères et injurieuses pour une fille qui ne comprenait rien à moi et qui m'aima puis fut déconcertée d'aimer un poète, être fantasque ; je l'aimais charnellement mais nos esprits étaient loin l'un de l'autre. Elle était fine et gaie cependant. J'en fus jaloux sans raison et par l'absence vivement ressentie, ma poésie qui peint bien cependant mon état d'âme d'alors, poète inconnu au milieu d'autres poètes inconnus, elle loin et ne pouvant venir à Paris. Je fus la voir deux fois à Londres, mais le mariage était impossible et tout s'arrangea par son départ à l'Amérique, mais j'en souffris beaucoup, témoin ce poème où je me croyais mal-aimé, tandis que c'était moi qui aimais mal et aussi " L'Emigrant de Landor Road " qui commémore le même amour, de même que " Cors de chasse " commémore les mêmes souvenirs déchirant que "Zone", " Le Pont Mirabeau" et " Marie " le plus déchirant de tous je crois................. à suivre