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jeudi 11 octobre 2012

Lettres à Madeleine 49 Apollinaire


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photo site bleu horizon                                  Lettre à Madeleine


                                                                                                     2 décembre 1915

            Mon amour, cette lettre qui partira demain 3 décembre, je te l'écris ce soit 2 à7h, en attendant le ravitaillement qui n'arrive pas. Les hommes n'ont rien eu de chaud et rien à boire aujourd'hui. - Et il faut travailler tout le temps. Ah ! la vie du fantassin est pénible, plus pénible que tout ce qu'on sait. Ça n'a rien à voir avec l'artillerie. Les artilleurs sont gais, grossiers dans leurs propos, indisciplinés. Ici les gens dans la gaieté ne dépassent pas la narquoiserie, ils sont sérieux, jamais grossiers et disciplinés. Du poste d'écoute j'ai regardé les cadavres dans les fils de fer barbelés. Amour, je t'écris et t'écrivais il y a de cela 2 heures encore, mais pr pouvoir t'envoyer la lettre j'ai dû l'interrompre.Il était question de notre aumônier de Rgt soldat de 2è classe c'est un père de la Chartreuse de Parkminster, par Partridge Green, Angleterre. J'ai causé assez longtemps avec ce Chartreux pendant un quart que je prenais.Il a une grande action de consolateur sur les hommes... Mon amour, depuis les deux heures où je ne t'ai pas écrit on a eu alerte de gaz, innocent exercice que j'aime mieux sous cette forme que la réelle. En ce moment les Boches envoient des 105 par 4, ça fait
                                                                    
" pocpocploc " très vite et avec une force telle que le coeur remue à chaque tonnerre. Il remue non de peur, d'émotion choses qui n'existent plus après 15 mois de guerre, mais il remue en fait parce que le déplacement d'air secoue tout. Comme singularité presque toute ma tranchée est prise d'enfilade par un fusil mécanique boche qui fait péter la balle toutes les minutes. Elle pète jusque devant ma cagnat, cette régularité donne à l'atmosphère une sonorité qui n'est pas un des plus singuliers mystères d'ici. T'ai-je dit que nous étions 3 officiers à ma Cie 1 lieutt  faisant fonction de capitaine et 2 sous/lieutt chefs de section, les 2 autres chefs de section de la Cie sont  l'adjudant et le sergent-major. µLes 3 officiers vivent ensemble en popote, c'est un ancien cuisinier de l'Hôtel de Paris à Monte-Carlo qui nous fait à manger. Tu dois t'imaginer que ce n'est pas mal. Ce qui manque un peu ce sont les fruits. Notre chef de popote le s/ltnt Ferrier reçoit de chez lui des poissons excellents, notre lieutnt reçoit toutes sortes de friandises très bonnes. La viande que nous avons de l'ordinaire est exquise. Jamais je n'en ai mangé de si bonne. Mais aujourd'hui et peut-être demain pas d'eau pas de pain pas de charbon. On ne mangera donc guère autre chose que du saucisson et du chocolat sans pain sans boire.
            J'essaie d'éviter la vermine mais je ne sais si j'y parviendrai, en tout cas quand je partirai en permission je m'enduirai d'onguent gris pour tuer tous les poux si j'en ai, ce qui ne saurait tarder, le colonel en a ! Et bien enduit j'irai jusqu'à Oran où je m'habillerait je ne sais comment ( j'achèterai tout à Marseille ).  
Aussitôt j'irai au bain me changer et il faudra, mon amour s'enquérir d'une étuve pour y faire passer dans la journée même mon uniforme linge etc. -                         Il n'y a pas de poux de têtes, mais rien que des poux du corps et des poux du pubis. Les officiers d'infanterie plus soldats que ceux d'artillerie qui sont des ingénieurs après tout, sont aussi plus chiquement vêtus qu'eux, mais ils sont tous rongés par la vermine. En réalité, aucun écrivain ne pourra dire la simple horreur, la mystérieuse vie de la tranchée.
            Mais assez sur cette froide et blanche et contemplative guerre de boyaux trop blancs. Je t'aime mon Madelon exquis, d'une façon enfantine et virile et l'une et l'autre vont si bien en mon coeur. Je te caresse divinement tout en faisant à tout le pays un rempart de ma poitrine. J'ai pensé aujourd'hui avec une folle ardeur à ta bouche si bien dessinée et à ta poitrine exquisément belle.
            A tes longues mains que tu m'as décrites à ta longue taille. Mon amour comme je t'aime ! Ma bouche effleure tout ton corps et je broute l'adorable gazon que tu sais. Ma bouche te donne toutes les caresses uniques que tu aimes, ô mon amour, mon Madelon.
           Ici, mon amour malgré le travail incessant le temps est plutôt long dans les tranchées. On y cause uniquement de la guerre, du Boche si proche, des morts ou blessés quotidiens. Le pays n'aura jamais une admiration assez grande pour les simples fantassins soldats admirables qui meurent glorieusement comme des mouches. Ô la solitude irréelle pour ainsi dire entre la tranchée boche et la française. Quelle singulière chose.
            Je suis exténué je prends ta bouche et te donne ma langue ma chère esclave chérie.


                                                                                                                Gui