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lundi 14 mai 2012

Lettres à Madeleine 35 Apollinaire

                
        


                        (  Longues lettres d'amoureux les 14, 15 et 16 octobre. Le 14 allusion à ... Mommsen
( savants  allemands )... ont refait l'histoire romaine d'après l'épigraphie et sans doute d'autres documents. Je t'en parle légèrement au demeurant car j'ai peu étudié la question et mon Néron épisodique de " Simon mage " n'est qu'un figurant dans cette histoire divine et angélique.... Chaque fois qu'on n'a pas leurs opinions de bétail ou que l'on veut faire un effort loyal les sots se figurent qu'on veut épater le bourgeois comme tu dis., mon amour adoré et adorable. J'adore aussi cette date du 14 novembre 1892. J'étais en 5è et je commençais le grec, nous avions un professeur qui s'appelait Becker il était très maigre, on l'appelait je ne sais pourquoi Meletta ou bien Catherine. On lui fit tant de farces qu'il dut partir. C'est lui cependant qui me poussa à faire de la littérature et ( en-dehors de lui ) je fis cette année même et vers cette époque mes premiers vers sans intérêt je crois d'ailleurs. En mai 92, pendant l'année scolaire précédente j'avais fait ma première communion. J'imagine que c'est ta naissance qui  m'a éveillé à la poésie, ma muse venait de naître et c'était ma Madeleine. Non tu ne m'as pas dit que tu étais né à La Roche-sur-Yon, moi je suis né à Rome en Italie. Tu es légèrement plus petite que moi qui mesure je crois 1m 72...
            J'avoue que je n'avais pas imaginé que mon képi pût te faire autant plaisir. Je te l'avais envoyé sachant que tu garderais volontiers ce compagnon de campagne qui m'appartenait et auquel je tiens un peu, mais qui m'embarrassait maintenant que nous avons un casque. Il n'a jamais été brossé depuis le commencement et de la craie s'était incrustée dans la visière...
            J'ai lu aujourd'hui l'annonce de la mort de l'entomologiste Fabre dont j'aimais infiniment les livres car ses études sur les insectes m'ont appris à connaître les hommes et si j'en avais les loisirs je voudrais que dans mon oeuvre romanesque ils fussent étudiés aussi minutieusement aussi précisément et autant en-dehors des morales. Il y avait en outre dans les livres du savant Fabre une bonhomie et une bonne humeur qui me plaisaient beaucoup. Mais je me suis amusé à changer parfois dans des pages de Fabre les noms des insectes en nom d'hommes et de femmes, ce qui donne à ces pages un épouvantable aspect d'humanité trop réelle à la Marquis de Sade ( c'est à cela que ressemble le plus ces pages modifiées ) ou à la Suétone, car si on peut envisager l'histoire des empereurs romains autrement qu'il ne l'a envisagée, son oeuvre doit sûrement être vraie aussi. Car l'homme est l'homme et tout est dans l'homme qui est dans la nature. Je crois fermement qu'il est un microcosme jusqu'à l'éther impondérable.......
            Le 15, toujours très amoureux de son image..... Je ne veux pas que tu puisses imaginer qu'il puisse y avoir une raison de jamousie entre nous moi je ne l'imagine pas et pourtant je suis naturellement porté à la jalousie. Mais avec ton intelligence ta conscience ta nature, la liberté de ton don volontaire, je ne l'imagine pas. Dans la liberté il y a le devoir et je ne peux pas être jaloux à propos de Madeleine.....
            Mais ta liberté est entière. Cependant vois comme les mots sont peu de choses et tu ne m'as rien dit encore ou si peu, en croyant m'avoir tant dit...
            Je t'envoie aujourd'hui une aile de chat-huant, vrai oiseau de cette guerre de nuit, si tu n'en peux rien faire jette-la, mais peut-être pourras-tu la mettre à un chapeau...
            Le 16 octobre le poète reçoit plusieurs lettres, il attend une nouvelle photographie de Madeleine, pour sa part... Pour le moment pas moyen de se faire photographier. Tous les appareils sont rentrés et ce sera ainsi tant qu'on sera sur le qui-vive. Que j'aime le parfum de ton coeur... )
           

                                                                                                              Apollinaire