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mardi 11 septembre 2012

Lettre à Madeleine 45 Apollinaire

                                                                                                                                                                        






Apollinaire au temps de Louise Lalanne in Apollinaire travesti




                                                          Lettre à Madeleine

                                                                                                   19 nov. ( soir ) 1915

            Mon amour, je n'ai pas eu de lettre de toi aujourd'hui mais je n'en attendais pas. On m'a envoyé aujourd'hui une coupure tirée de La Renaissance. Je n'ai pas lu l'écho qui avait précédé. Willy qui est bien gentil le déclare charmant mais je me doute bien qu'il devait contenir quelque perfidie dans le goût du commentaire qui suit la lettre de Willy - Le malheureux ou la malheureuse qui a écrit ces sottises ne se doute pas que s'il y avait eu un peu plus de cubisme, c'est -à-dire d'idées modernes où je sais bien la guerre serait peut-être finie et nous célébrerions la victoire. Mais je t'adore et le reste ne m'importe pas. Je te prends toute ma chérie et profondément, ma virilité joue à la porte de ton parvis. Mon amour j'ai imaginé aujourd'hui une chose singulièrement amoureuse, un concert de ton corps. Ma chérie, tu m'aideras à chercher la gamme de tes sensations et par des attouchements délicats sur les différentes parties de ton corps par les doigts, la langue et les lèvres je te jouerai de divins concerts que tu sentiras profondément et que nous terminerons par l'étreinte exquise. Ma bouche mordillera la pointe de ton sein gauche ma main descendra ensuite légèrement le long de ton épine dorsale jusqu'à la naissance de ta bouche, ma langue ira ensuite chatouiller la plante de tes pieds de déesse puis ma bouche ira pomper le délicieux organe du parvis tandis que mes doigts arachnéens sur tes côtés et tes hanches exciteront doucement tes nerfs électriques. Puis je te prendrai follement sur ma bouche, ton parvis plein de ma virilité et le médius de ma main droite
agaçant la neuvième porte. Je boucherai ainsi les trois portes de ta volupté et tu seras pleine de moi amour
et nos yeux ne se quitteront pas.Oui si tu veux amour en hiver nous parfumerons très fort le lit d'une odeur qui soit comme un puissant dérivé de ton propre parfum et nous nous couvrirons entièrement même la tête pour en être enivrés et nous nous étreindrons sauvagement dans l'air raréfié.
            Amour, je vis dans le décor shakespearien d'un hypogée creusé dans un cimetière, près de mon horrible demeure, un obus a déterré ce matin un Boche dont le tibia sort maintenant de lambeaux de linceul terreux. Ce cimetière est sur le flanc du coteau, mais on ne peut aller sur la crête d'où on est vu. T'ai-je dit l'histoire du colonel boche tué ici avec 2 femmes qu'il avait avec lui. On a retrouvé aujourd'hui leurs réticules. J'ai trouvé une carte postale militaire allemande très terreuse, mais je te l'envoie comme curiosité. T'ai-je dit que ma cagnat s'appelle d'après l'inscription le " joyeux moulin ", Lustige Mühle, t'ai-je dit aussi que j'avais lu les lettres d'une petite putain de Wiesbaden Jela Muller, elle écrivait à son amant qui a oublié les lettres ici ou y est mort et elle mettait avant sa signature : das hübschtes Püppchen, la plus jolie des petites poupées ! Ce matin grand événement, on trouve deux Russes en costume de soldats russes prisonnier, les Boches les avaient mis entre lignes pour établir les réticules de fils de fer barbelés, placer les chausse-trappes et les chevaux de frise. Ils se sont sauvés à travers les fils de fer épouvantables, les Boches tirent dessus sans les atteindre. On ne les voit même pas passer dans nos lignes
(  c'est un comble ! ) et on ne les a retrouvés qu'en 3è ligne,  près des artilleurs. Ils ne savaient pas un mot de français ni d'allemand, on m'a demandé de leur parler mais je ne sais pas le russe. L'un s'appelait Kars et il est de Pétrow. Kars est un nom juif. Ils étaient partis avec une couverture, du pain de soldat  ( Pumpernickel ) et un livre de messe grec, in-quarto populaire récent imprimé à Constantinople et intitulé  
 Mεgά  ( je ne me souviens plus du mot suivant quelque chose comme Evxoλογιοv ) il y avait des psaumes suivis de la doxologie tout cela du rite grec. On les a copieusement photographiés tandis qu'ils faisaient force courbettes à la juive puis ils ont été emmenés à la division pour être interrogés. Il arrive souvent ici et en Italie que des prisonniers russes employés par les Boches se sauvent et viennent dans les lignes de leurs Alliés.
            Je prends ta bouche infiniment.


                                                                                                        Gui